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Décisions

CJUE, 2e ch., 14 janvier 2021, n° C-450/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kilpailu Ja Kuluttajavirasto

Défendeur :

Eltel Group Oy, Eltel Networks Oy

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

A. Arabadjiev (rapporteur)

Juges :

R. Silva de Lapuerta, A. Kumin, T. Von Danwitz, G. Xuereb

Avocat général :

G. Pitruzzella

CJUE n° C-450/19

14 janvier 2021

LA COUR (deuxième chambre)

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 101 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par la Kilpailu- ja kuluttajavirasto (Autorité de la concurrence et de la consommation, Finlande) au sujet de légalité de la décision du markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques, Finlande) de rejeter sa proposition de condamner solidairement Eltel Group Oy et à Eltel Networks Oy (ci après ensemble « Eltel ») à une amende en raison d’une violation du droit de la concurrence finlandais et de l’Union qu’elles auraient commise.

 Le droit finlandais

3 Aux termes de l’article 22 de la kilpailunrajoituksista annettu laki 480/1992 (loi 480/1992 relative aux restrictions de concurrence), telle que modifiée par la loi 318/2004 (ci-après la « loi relative aux restrictions de concurrence »), une amende ne peut pas être imposée au titre, notamment, d’une infraction à l’article 4 de cette même loi ou à l’article 101 TFUE, si une proposition en ce sens n’a pas été soumise au markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) dans les cinq ans à compter de la cessation de la restriction de concurrence ou de la date à laquelle l’Autorité de la concurrence et de la consommation a eu connaissance de cette restriction de concurrence.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

4 Le 16 avril 2007, Fingrid Oyj, l’entreprise propriétaire et responsable du développement du réseau de transport d’électricité à haute tension et le principal client d’ouvrages de transport de ce type d’énergie en Finlande, a publié, à l’attention des opérateurs du secteur, un appel d’offres, rédigé en langue anglaise, portant sur les travaux de construction d’une ligne de transport d’électricité à haute tension (400 kV) entre les entités finlandaises de Keminmaa et de Petäjäskoski (ci-après la « ligne à haute tension en cause »). Cet appel d’offres précisait que les offres, à prix fixe, devaient être remises pour le 5 juin 2007 au plus tard. La date d’achèvement des travaux était fixée par l’appel d’offres au 12 novembre 2009.

5 Le 4 juin 2007, Eltel a déposé son offre et a, par la suite, remporté le marché.

6 Le 19 juin 2007, Eltel et Fingrid ont signé le contrat portant sur les travaux de construction de la ligne à haute tension en cause. Ceux-ci ont été achevés le 12 novembre 2009. Fingrid a payé à Eltel la dernière tranche du prix de ces travaux le 7 janvier 2010.

7 Le 31 janvier 2013, Empower Oy a adressé à l’Autorité de la concurrence et de la consommation une demande de clémence qui a conduit cette autorité à engager une enquête sur une éventuelle entente entre cette société et Eltel.

8 Le 31 octobre 2014, ladite autorité a accepté de faire bénéficier Empower de la clémence et de l’exempter de toute sanction.

9 Par décision du 31 octobre 2014, la même autorité a proposé au markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) de condamner solidairement Eltel Group et Eltel Networks à une amende de 35 000 000 euros pour avoir enfreint l’article 4 de la loi relative aux restrictions de concurrence ainsi que l’article 101 TFUE, pour s’être entendues avec Empower sur les prix, les marges et la répartition des marchés de conception et de construction de lignes de transport d’énergie électrique en Finlande.

10 Dans cette décision, l’Autorité de la concurrence et de la consommation a considéré, en outre, qu’il s’agissait d’une infraction unique et continue qui a été mise en œuvre lors de rencontres entre les représentants d’Empower et d’Eltel, à l’occasion desquelles ceux ci ont traité et parfois mis au point, ensemble, des estimations présentées sous forme de tableaux sur les futurs marchés publics de lignes de transport d’énergie électrique, leurs prix, les marges réalisables ainsi que sur la répartition de certains marchés. Cette entente aurait commencé au plus tard au mois d’octobre 2004 et se serait poursuivie sans interruption au moins jusqu’au mois de mars 2011. L’infraction concernerait tout le territoire finlandais et serait susceptible d’affecter le commerce entre États membres, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

11 Par décision du 30 mars 2016, le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) a, en application de l’article 22 de la loi relative aux restrictions de concurrence, rejeté la proposition d’amende, en estimant qu’Eltel avait cessé de participer à la restriction de concurrence avant le 31 octobre 2009 et que, dès lors, l’infraction y relative était prescrite au moment où cette proposition lui avait été soumise par l’Autorité de la concurrence et de la consommation, à savoir le 31 octobre 2014. Selon cette juridiction, l’entente avait certes porté sur les travaux de conception précédant les travaux de construction de la ligne à haute tension en cause, qui étaient prévus séparément et se sont achevés au mois de janvier 2007, mais ne s’était pas étendue aux travaux de construction de cette ligne à haute tension.

12 L’Autorité de la concurrence et de la consommation a saisi la juridiction de renvoi, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande), d’un pourvoi contre la décision du markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques), en demandant l’annulation de celle ci ainsi que la condamnation d’Eltel à l’amende proposée. Cette autorité fait valoir que sa proposition d’amende est parvenue au markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) dans le délai de cinq ans, prévu à l’article 22 de la loi relative aux restrictions de concurrence. En effet, jusqu’au 7 janvier 2010, date à laquelle Fingrid a payé à Eltel la dernière tranche du prix des travaux de construction de la ligne à haute tension en cause, le contrat liant ces sociétés aurait été toujours en vigueur et la tarification illégale résultant de l’entente aurait été appliquée. À titre subsidiaire, ladite autorité soutient que la restriction de la concurrence a pris fin au plus tôt le 12 novembre 2009, date de l’achèvement de ces travaux. Selon l’Autorité de la concurrence et de la consommation, un marché de travaux qui a été adjugé à un opérateur participant à une entente produit des effets très concrets et de longue durée pour le cocontractant qui est tenu de payer un prix plus élevé que celui qui aurait prévalu à défaut d’entente, dès lors que le paiement de ce prix s’étale sur plusieurs années, à mesure de l’avancement du projet. Un tel cocontractant verrait ainsi, à chaque échéance annuelle de paiement d’une tranche des travaux qui ont fait l’objet de l’entente, les effets dommageables du contrat se répercuter directement sur ses coûts d’activité pour l’année concernée et, par conséquent, sur ses résultats économiques ainsi que, au-delà, sur sa compétitivité sur le marché concerné. En l’occurrence, étant donné que Fingrid a payé les travaux de construction de la ligne à haute tension en cause à un prix plus élevé que celui qui aurait été pratiqué à défaut d’entente, ce surcoût se serait également répercuté sur le prix de transport de l’électricité payé par les utilisateurs finals.

13 Eltel nie, pour des raisons liées à l’appréciation des preuves, l’existence de toute entente entre elle et Empower concernant la ligne à haute tension en cause. Par ailleurs, elle fait valoir que la durée de l’infraction aux règles de concurrence de l’Union doit être déterminée en tenant compte de la période durant laquelle les entreprises contrevenantes ont mis en œuvre le comportement prohibé. Dans le cas de travaux ayant fait l’objet d’un appel d’offres, le délai de prescription commencerait à courir le jour du dépôt de l’offre, en l’occurrence le 4 juin 2007. À titre subsidiaire, Eltel soutient que, lorsque le prix peut encore être négocié après le dépôt de l’offre, le délai de prescription commence à courir à compter du jour de la conclusion du contrat définitif, en l’occurrence le 19 juin 2007. Après le dépôt de l’offre ou, au plus tard, après la signature de ce contrat, le prix offert ou convenu n’aurait aucun effet sur le marché, même si la réalisation du projet en question ou le règlement des tranches de paiement y afférentes s’étalent encore sur plusieurs années. Ni le rythme d’avancement des travaux ni le calendrier des paiements y afférents n’auraient d’incidence sur la concurrence sur le marché concerné car ces facteurs ne modifieraient plus le prix convenu.

14 La juridiction de renvoi considère que la Cour ne s’est pas encore prononcée sur la question de la détermination des effets économiques d’une infraction à l’article 101 TFUE et de la durée de celle-ci dans une situation dans laquelle, premièrement, une partie à une entente a conclu avec un tiers un marché de travaux au prix convenu dans le contexte de cette entente, deuxièmement, les travaux s’achèvent plusieurs années après la conclusion de ce marché et, troisièmement, le paiement du prix est échelonné en versements, dont certains sont effectués encore après l’achèvement des travaux.

15 Il résulterait des arrêts du 15 juin 1976, EMI Records (51/75, EU:C:1976:85), du 3 juillet 1985, Binon (243/83, EU:C:1985:284), ainsi que du 30 mai 2013, Quinn Barlo e.a./Commission (C 70/12 P, non publié, EU:C:2013:351), que ce sont les effets économiques du comportement anticoncurrentiel, et non sa forme juridique, qui importent aux fins de l’appréciation de la durée de celui-ci. Les effets économiques d’une restriction de la concurrence pourraient se poursuivre même après la cessation formelle d’une infraction unique et continue, par exemple jusqu’à la fin de la période pendant laquelle les prix collusoires ont été en vigueur.

16 Selon la juridiction de renvoi, cette jurisprudence conforterait la thèse selon laquelle une infraction à l’article 101 TFUE, telle que celle identifiée par l’Autorité de la concurrence et de la consommation dans l’affaire au principal, se poursuit jusqu’à ce que le cocontractant lésé par l’entente ait payé l’intégralité du prix collusoire, ce prix produisant des effets économiques sur son activité pendant toute la période de l’exécution du contrat. Toutefois, ladite jurisprudence pourrait également étayer indirectement la thèse selon laquelle les effets du prix collusoire sur la concurrence se poursuivent jusqu’à la date du dépôt de l’offre ou de la conclusion du contrat définitif, ledit prix ne produisant plus d’effet sur le marché au-delà de cette date.

17 Dans ces conditions, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le régime anticoncurrentiel de l’article 101 TFUE peut-il être interprété en ce sens que, dans le cas de figure où une partie à une entente a conclu avec un tiers à l’entente un marché de travaux correspondant à ce qui avait été convenu dans le cadre de l’entente en question, l’infraction à la concurrence, en raison des effets économiques qui découlent de la situation susmentionnée, dure aussi longtemps que sont exécutées des obligations contractuelles au titre de ce marché de travaux, ou que le prix continue d’en être payé par des versements aux parties contractantes, c’est à dire jusqu’au paiement de la dernière tranche, ou au moins jusqu’à l’achèvement de l’ouvrage en question,

ou bien peut-on considérer que l’infraction à la concurrence ne dure que jusqu’à la date à laquelle l’entreprise qui en est l’auteur a déposé l’offre concernant le marché en question, ou conclu le contrat relatif à la réalisation de ce marché de travaux ? »

 Sur la question préjudicielle

18 Par sa question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, à quel moment il convient de considérer que prend fin la participation supposée d’une entreprise à une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, consistant en la soumission concertée avec ses concurrents à un appel d’offres, lorsque cette entreprise a remporté celui-ci et a conclu avec le pouvoir adjudicateur un contrat de travaux dont l’exécution et le paiement du prix sont échelonnés dans le temps.

19 À cet égard, selon la juridiction de renvoi, pour déterminer à quel moment prend fin la participation supposée d’une entreprise à une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, quatre moments sont envisageables, à savoir, respectivement, celui où ladite entreprise a déposé son offre, celui où le contrat a été conclu, celui où le paiement de la dernière tranche du prix convenu est intervenu et celui où l’ouvrage faisant l’objet du marché a été achevé.

20 Aux termes de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur.

21 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, pour qu’il y ait « accord », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, EU:C:1970:71, point 112, ainsi que du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, non publié, EU:C:1980:248, point 86).

22 La notion de « pratique concertée », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, vise une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (arrêt du 26 janvier 2017, Duravit e.a./Commission, C 609/13 P, EU:C:2017:46, point 70 et jurisprudence citée).

23 Ces critères de coordination et de coopération constitutifs d’une « pratique concertée », au sens de la même disposition, doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité FUE relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché intérieur (arrêt du 26 janvier 2017, Duravit e.a./Commission, C 609/13 P, EU:C:2017:46, point 71).

24 À cet égard, l’article 101, paragraphe 1, TFUE s’oppose à toute prise de contact, directe ou indirecte, entre des opérateurs économiques de nature soit à influer sur le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on est décidé à tenir soi-même sur le marché ou que l’on envisage d’adopter sur celui-ci, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet une restriction de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Duravit e.a./Commission, C 609/13 P, EU:C:2017:46, point 72).

25 En outre, il résulte de la jurisprudence de la Cour que les accords sur la répartition de la clientèle relèvent, tout comme les accords sur les prix, de la catégorie des restrictions de concurrence les plus graves (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, ING Pensii, C 172/14, EU:C:2015:484, point 32 et jurisprudence citée).

26 Il y a également lieu de rappeler que la notion d’« infraction unique et continue », telle que reconnue dans la jurisprudence de la Cour, suppose l’existence d’un « plan d’ensemble », dans lequel s’inscrivent différents actes, en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence dans le marché intérieur, et ce indépendamment du fait qu’un ou plusieurs de ces actes pourraient également constituer, en eux-mêmes et pris isolément, une violation de l’article 101 TFUE (arrêt du 22 octobre 2020, Silver Plastics et Johannes Reifenhäuser/Commission, C 702/19 P, EU:C:2020:857, point 81 ainsi que jurisprudence citée).

27 Il ressort, en l’occurrence, de la décision de renvoi que les comportements des entreprises concernées par l’enquête de l’Autorité de la concurrence et de la consommation, identifiés par celle-ci, consistaient en la tenue de rencontres entre représentants de ces entreprises, lors desquelles ceux-ci ont traité et parfois mis au point, ensemble, des estimations présentées sous forme de tableaux sur les futurs appels d’offres publics pour la construction de lignes de transport d’énergie électrique, sur leurs prix, sur les marges réalisables et sur la répartition de ces appels d’offres, ainsi qu’en la soumission concertée auxdits appels d’offres. Cette autorité a qualifié ces comportements d’infraction unique et continue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

28 En ce qui concerne les derniers comportements d’Eltel que ladite autorité a regardés comme relevant de cette infraction, il ressort du dossier soumis à la Cour que celle-ci a considéré que, avant la remise des offres dans le cadre de l’appel d’offres portant sur la construction de la ligne à haute tension en cause, lequel exigeait de chaque soumissionnaire qu’il fasse une offre à prix fixe, Eltel s’était accordée avec son concurrent Empower sur le prix de leurs offres respectives. Par la suite, ces sociétés ont déposé leurs offres et Eltel a remporté le marché sur la base de son offre. Celle-ci a été en vigueur jusqu’au 19 juin 2007, date à laquelle un contrat a été conclu entre Eltel et Fingrid au prix indiqué dans ladite offre.

29 Il résulte des considérations exposées aux points 20 à 26 du présent arrêt que de tels comportements, si leur matérialité est établie, sont, en principe, susceptibles de constituer une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

30 Quant à la fin de la participation d’une entreprise à une telle infraction, il est de jurisprudence constante que le régime de concurrence instauré par les articles 101 et 102 TFUE s’intéresse aux résultats économiques des accords, ou de toute forme comparable de concertation ou de coordination, plutôt qu’à leur forme juridique. Par conséquent, en cas d’ententes qui ont cessé d’être en vigueur, il suffit, pour que l’article 101 TFUE soit applicable, qu’elles poursuivent leurs effets au-delà de la cessation formelle des contacts collusoires. Il en découle que la durée de la période infractionnelle peut être appréciée en fonction de celle pendant laquelle les entreprises incriminées ont mis à exécution un comportement interdit par ladite disposition. Par exemple, la durée de l’infraction peut englober toute la période durant laquelle les prix collusoires ont été en vigueur, quand bien même l’entente aurait déjà cessé formellement d’être en vigueur (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2013, Quinn Barlo e.a./Commission, C 70/12 P, non publié, EU:C:2013:351, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

31 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi, ainsi qu’il est rappelé au point 28 du présent arrêt, que la soumission concertée à l’appel d’offres pour le marché portant sur la construction de la ligne à haute tension en cause constitue le dernier comportement d’Eltel que l’Autorité de la concurrence et de la consommation a considéré comme relevant de l’infraction unique et continue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En outre, la juridiction de renvoi indique que, selon cette autorité, Eltel et Empower, d’une part, se sont mises d’accord sur les prix de leurs offres respectives et, d’autre part, ont mis à exécution cet accord, en soumettant des offres ainsi coordonnées.

32 Dans ces conditions, sous réserve d’une appréciation définitive par la juridiction de renvoi au regard de l’ensemble des éléments pertinents qui lui ont été soumis, il convient de considérer que la durée de la participation d’Eltel à l’infraction alléguée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE couvre toute la période pendant laquelle cette entreprise a mis à exécution l’accord anticoncurrentiel qu’elle avait conclu avec ses concurrents, ce qui inclut la période pendant laquelle l’offre à prix fixe que ladite entreprise a soumise était en vigueur ou était susceptible d’être transformée en contrat définitif entre Eltel et Fingrid.

33 Contrairement à ce que soutiennent l’Autorité de la concurrence et de la consommation ainsi que les gouvernements finlandais, allemand et letton dans leurs observations écrites respectives, il ne saurait être considéré que la participation d’Eltel à l’infraction alléguée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE couvre une période qui s’étend au delà de la date à laquelle ont été définitivement déterminées les caractéristiques essentielles du marché portant sur la construction de la ligne à haute tension en cause, et notamment le prix global à payer en contrepartie de ces travaux.

34 En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, en substance, aux points 33 à 35 de ses conclusions, l’objectif poursuivi par les règles de concurrence de l’Union rappelé au point 38 de l’arrêt du 4 juin 2009, T Mobile Netherlands e.a. (C 8/08, EU:C:2009:343), visant à protéger non pas uniquement les intérêts directs des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché en cause et ainsi la concurrence en tant que telle, exige de considérer qu’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE dure aussi longtemps que persiste la restriction de la concurrence résultant du comportement concerné.

35 Or, s’agissant des comportements interdits par l’article 101, paragraphe 1, TFUE qui consistent en la manipulation d’une procédure d’appel d’offres organisée dans le cadre de la passation d’un marché public, au moyen d’un accord entre les concurrents sur les prix à présenter dans le cadre de cet appel d’offres et/ou quant à l’attribution de celui-ci, les effets restrictifs de la concurrence de l’entente disparaissent, en principe, au plus tard au moment où les caractéristiques essentielles du marché, et notamment le prix global à payer en contrepartie des biens, des travaux ou des services faisant l’objet du marché, ont été définitivement déterminées, le cas échéant, par la conclusion d’un contrat entre l’adjudicataire et le pouvoir adjudicateur, dès lors que c’est à ce moment que ce dernier est définitivement privé de la possibilité d’obtenir les biens, les travaux ou les services en cause aux conditions normales du marché. Il appartient, en l’occurrence, à la juridiction de renvoi de vérifier la date à laquelle les caractéristiques essentielles du marché en cause, et notamment le prix global à payer en contrepartie des travaux de construction de la ligne à haute tension en cause, ont été définitivement déterminées.

36 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument avancé par l’Autorité de la concurrence et de la consommation ainsi que par les gouvernements finlandais, allemand et letton dans leurs observations écrites respectives, selon lequel les effets économiques dommageables de l’entente sur le prix convenu dans le contrat conclu entre Eltel et Fingrid se sont manifestés jusqu’au moment du paiement de la dernière tranche de ce prix et pouvaient avoir des répercussions économiques préjudiciables en aval, notamment sous la forme de tarifs de distribution de l’électricité plus élevés à la charge des clients de Fingrid.

37 En effet, comme l’a relevé M. l’avocat général, en substance, au point 39 de ses conclusions, il convient de distinguer les effets restrictifs de la concurrence de l’entente, qui consistent en l’exclusion des concurrents soumissionnaires et/ou la limitation éventuellement artificielle du choix du client, et qui portent atteinte à la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’obtenir les biens, travaux ou services convenus dans des conditions concurrentielles, des effets économiques plus larges préjudiciables pour les autres acteurs du marché qui en résultent, au titre desquels ces acteurs peuvent, ainsi que l’a souligné la Commission européenne dans ses observations écrites, demander la réparation devant le juge national.

38 En outre, les questions du délai de prescription d’une telle action en dommages et intérêts, comme d’une éventuelle action du pouvoir adjudicateur visant à contester la légalité de l’appel d’offres ou à voir résilier le contrat, constituent des questions juridiques distinctes de celles de la date à laquelle une infraction aux règles de la concurrence a pris fin et du délai pendant lequel une sanction à cette infraction peut être infligée avant que la prescription ne soit acquise.

39 Doit également être écarté l’argument formulé par l’Autorité de la concurrence et de la consommation ainsi que par les gouvernements finlandais et allemand dans leurs observations écrites respectives, selon lequel retenir une durée trop courte de l’infraction dans une situation telle que celle en cause au principal contreviendrait à l’exigence d’effectivité de l’article 101 TFUE, dès lors qu’un nombre plus élevé d’infractions resterait impuni en raison de l’application des règles de prescription.

40 En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, en substance, aux points 45 et 46 de ses conclusions, dès lors que le droit de l’Union, en application de principes caractéristiques d’une Union de droit, admet le principe même de la prescription de l’action de la Commission et des autorités nationales de concurrence pour poursuivre et sanctionner les infractions à l’article 101 TFUE, la mise en œuvre effective de cette disposition ne saurait justifier que l’on prolonge artificiellement la durée de la période infractionnelle pour en permettre la poursuite.

41 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la question posée que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une entreprise ayant supposément participé à une infraction unique et continue à cette disposition, dont le dernier élément constitutif aurait consisté en la soumission concertée avec ses concurrents à un appel d’offres en vue de la passation d’un marché public de travaux, a remporté celui-ci et a conclu avec le pouvoir adjudicateur un contrat de travaux déterminant les caractéristiques essentielles de ce marché, et notamment le prix global à payer en contrepartie desdits travaux, dont l’exécution et le paiement du prix sont échelonnés dans le temps, la période infractionnelle correspond à celle allant jusqu’à la date de la signature du contrat conclu entre ladite entreprise et le pouvoir adjudicateur sur la base de l’offre concertée que celle-ci avait soumise. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier la date à laquelle les caractéristiques essentielles du marché en cause, et notamment le prix global à payer en contrepartie des travaux, ont été définitivement déterminées.

 Sur les dépens

42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une entreprise ayant supposément participé à une infraction unique et continue à cette disposition, dont le dernier élément constitutif aurait consisté en la soumission concertée avec ses concurrents à un appel d’offres en vue de la passation d’un marché public de travaux, a remporté celui-ci et a conclu avec le pouvoir adjudicateur un contrat de travaux déterminant les caractéristiques essentielles de ce marché, et notamment le prix global à payer en contrepartie desdits travaux, dont l’exécution et le paiement du prix sont échelonnés dans le temps, la période infractionnelle correspond à celle allant jusqu’à la date de la signature du contrat conclu entre ladite entreprise et le pouvoir adjudicateur sur la base de l’offre concertée que celle-ci avait soumise. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier la date à laquelle les caractéristiques essentielles du marché en cause, et notamment le prix global à payer en contrepartie des travaux, ont été définitivement déterminées.