CCE, 5 mai 1969, n° 69/152
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Convention chaufourniers
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85,
vu le règlement nº 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et en particulier son article 2,
vu les deux notifications présentées le 31 octobre 1962, conformément à l'article 5 paragraphe 1 du règlement nº 17, par la S.A. en liquidation «Association générale de fabricants belges de ciment Portland artificiel» à Bruxelles, Belgique, et les treize sociétés ou personnes suivantes:
- S.A. en liquidation Carrières Dufour à Gaurain-Ramecroix, Belgique;
- S.A. Carrières, chaux et ciments de la Velorie à Gaurain-Ramecroix, Belgique;
- S.A. Carrières, chaux et ciments des Prés et de la Roquette à Gaurain-Ramecroix, Belgique;
- S.A. Compagnie des Ciments Portland de Vaulx et Antoing à Gaurain-Ramecroix, Belgique;
- S.P.R.L. F. Sherrington et Cie à Tournai, Belgique;
- S.A. Ciments Portland du Tournaisis à Vaulx-lez-Tournai, Belgique;
- S.A. Anciens établissements Liévin Vanderdoodt à Vaulx-lez-Tournai, Belgique;
- S.P.R.L. Éts Brébart Dapsens à Calonne-lez-Antoing, Belgique;
- S.P.R.L. Éts Jean Agache Lampe à Antoing, Belgique;
- S.A. Société française des chaux hydrauliques et ciments de Vermandois, à Paris, France;
- S.A. The Antwerp Portland Cement Company à Vaulx-lez-Tournai, Belgique;
- Madame Veuve Fernand Duthoit Staquet à Tournai, Belgique;
- S.A. en liquidation Briqueteries et cimenteries de Bruyelles-lez-Antoing à Jollain-Merlin, Belgique;
et relatives à un accord conclu le 10 mars 1936 entre la S.A. «Association générale des fabricants belges de ciment Portland artificiel», ci-après dénommée («Association»), d'une part, et les treize sociétés en personnes susmentionnées («Chaufourniers»), d'autre part,
après avoir entendu les entreprises intéressées, conformément aux dispositions de l'article 19 paragraphe 1 du règlement nº 17 et du règlement nº 99/63/CEE (2),
vu l'avis du Comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli conformément à l'article 10 du règlement nº 17, le 10 septembre 1968,
I
Considérant que les dispositions principales de l'accord conclu le 10 mars 1936 sont les suivantes:
a) les chaufourniers s'abstiennent de la fabrication de ciments autres que le ciment naturel;
b) l'Association versera trimestriellement aux chaufourniers une indemnité égale à 0,5 % du montant des ventes totales de ciment réalisées par ses membres;
c) les chaufourniers s'obligent envers l'Association à limiter leurs ventes de ciment naturel à un maximum de 2,75 % du total des ventes de ciment Portland artificiel des membres de l'Association;
d) les chaufourniers s'engagent à ne pas exporter de ciment naturel vers les pays à l'égard desquels l'Association conclura des accords internationaux interdisant la vente de ciment naturel sur ces marchés mais de tels accords n'ont jamais été conclus;
e) les chaufourniers qui ont fait opposition à la requête introduite par l'Association auprès des autorités compétentes en vue de faire interdire la mise en activité d'usines fabriquant le ciment Portland artificiel, retireront leur opposition;
f) les engagements pris dans cet accord restent en vigueur pendant toute la durée d'un autre contrat : la «Convention générale cimentière» conclue le 29 mai 1935 entre les fabricants belges de ciment Portland artificiel, sous sa forme actuelle ou sous toute autre forme;
considérant que, par ailleurs, la production de ciment naturel en Belgique s'élevait à 50.000 tonnes au moment de la conclusion de l'accord en 1936, alors que la production de ciment artificiel atteignait 2.500.000 tonnes ; qu'actuellement, il ne reste en Belgique qu'un seul producteur de ciment naturel, dont la production annuelle atteint environ 1.000 tonnes ; que la production belge de ciment Portland s'élevait à environ 4.800.000 tonnes en 1965 ; que les exportations belges de ciment naturel sont nulles depuis 1945 ; que cette baisse de la production et l'absence d'exportations de ciment naturel après 1945 sont dues au fait que par ses qualités techniques supérieures le ciment artificiel a supplanté presque totalement le ciment naturel;
considérant que le 15 novembre 1947, la Convention générale cimentière de 1935 prenait fin et, en même temps, l'Association générale des fabricants belges de ciment Portland artificiel était mise en liquidation ; que le 15 avril 1948, une nouvelle convention dénommée également «Convention générale cimentière» a été conclue entre 25 cimentiers, son but étant aussi de réglementer la production et la vente du ciment Portland artificiel;
qu'en se fondant sur l'expiration de la convention de 1935, les cimentiers ont cessé en 1947 de verser les indemnités aux chaufourniers ; que par une décision du tribunal de commerce de Tournai, confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles, les cimenteries en question ont été toutefois obligées de continuer le paiement des redevances, étant donné que la nouvelle Convention générale cimentière de 1948 n'était que la continuation de celle de 1935 sous une autre forme et que, selon le texte de l'accord du 10 mars 1936, les engagements restaient intacts;
qu'à partir du 1er juillet 1962, les cimentiers ont de nouveau arrêté le paiement des redevances aux chaufourniers, en alléguant que l'accord du 10 mars 1936 est visé par l'article 85 paragraphe 1 du traité de Rome et qu'il était, dès lors, frappé de nullité ; que les chaufourniers ont assigné les cimentiers et obtenu gain de cause devant le tribunal de commerce de Tournai le 10 avril 1964 ; que ce jugement a toutefois été réformé le 25 juin 1964 par la Cour d'appel de Bruxelles qui a décidé de surseoir à statuer quant au fond «jusqu'à ce que des décisions définitives auront été prises par la Commission de la Communauté économique européenne quant à l'application de l'article 85 du traité de Rome à la convention litigieuse du 10 mars 1936 et à la Convention générale cimentière du 15 avril 1948»;
qu'en 1965, dix des treize chaufourniers parties à l'accord du 10 mars 1936 ont conclu un arrangement avec l'Association et qu'il a été mis fin à l'accord en ce qui les concerne;
qu'ainsi, l'accord de 1936 ne peut plus produire ses effets qu'entre l'Association et trois chaufourniers, à savoir la S.P.R.L. Fernand Sherrington et Cie, la S.P.R.L. Éts Jean Agache Lampe et la S.A. en liquidation Carrières Dufour;
considérant qu'aucune opposition de la part de tiers ne s'est manifestée à la suite de la publication faite en application de l'article 19 paragraphe 3 du règlement nº 17, au Journal officiel des Communautés européennes nº C 35 du 19 avril 1968;
II
Considérant que l'octroi d'une attestation négative est possible ; qu'au moins les chaufourniers, dans leur réponse au point IV du formulaire B, ont estimé que l'article 85 paragraphe 1 n'était pas applicable à l'accord et qu'ils ne l'ont, dès lors, notifié qu'à toutes fins utiles ; que la Cour d'appel de Bruxelles a sursis à statuer dans le procès civil pendant entre les deux parties jusqu'à ce qu'une décision définitive de la Commission soit prise sans que la nature de la décision ait été spécifiée ; que les parties ont communiqué la décision de la Cour d'appel de Bruxelles à la Commission ; que dans ces conditions la Commission peut prendre une décision dans la forme d'une attestation négative, si les conditions prévues à l'article 2 du règlement nº 17 sont remplies;
considérant que l'attestation négative peut être délivrée conformément aux dispositions de l'article 2 du règlement nº 17, si la Commission constate qu'il n'y a pas lieu pour elle, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité à l'égard de la convention chaufourniers;
considérant qu'aux termes de l'article 85 paragraphe 1 du traité, sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun;
1. Considérant que l'interdiction imposée par l'accord aux chaufourniers de produire du ciment artificiel n'a pas, dans le contexte économique actuel, pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, du moins d'une façon sensible;
qu'en 1936, la reconversion d'une entreprise chaufournière en une entreprise cimentière était encore relativement simple ; que les installations, notamment les fours, et les procédés de fabrication utilisés pour la production du ciment artificiel étaient techniquement moins avancés et exigeaient des investissements moins élevés qu'à l'heure actuelle ; que depuis 1945, on constate dans l'industrie cimentière une forte tendance à la concentration et à l'utilisation d'installations toujours plus grandes qui, en augmentant la rentabilité par une diminution relative des coûts fixes, exigent toutefois des investissements considérables;
qu'il résulte de l'évolution technique et économique que, de 1935 à 1966, le nombre d'entreprises cimentières en Belgique est passé de 26 à 9 et le nombre d'usines productrices de 35 à 12, alors que la production de ciment est passée de 2.600.000 tonnes environ en 1935 à 5.904.859 tonnes en 1965 ; que le nombre des entreprises de ciment Portland s'élevait à 17 en 1955, mais avait diminué à 7 en 1966 par la disparition des petits producteurs ; qu'ainsi, il ne reste actuellement que deux fabricants qui produisent moins de 100.000 tonnes par an, un qui produit environ 200.000 tonnes par an, tandis que les 4 autres produisent chacun annuellement plus de 500.000 tonnes;
qu'il résulte de l'évolution technique et économique que la création de nouvelles usines n'est actuellement plus rentable en dessous d'une capacité de production d'au moins 200.000 tonnes de ciment par an ; qu'on constate effectivement que la création de nouvelles unités de production lors des dernières années ne s'effectue qu'à partir de capacités de quelques centaines de milliers de tonnes par an, avec des coûts d'investissement évalués de 2.000 à 2.500 FB par tonne, représentant un coût d'au moins 400 à 500 millions de FB par usine;
qu'avec l'évolution de l'importance des installations pour la création de nouvelles usines de ciment Portland, il faut également tenir compte de la superficie des terrains, et surtout des carrières, nécessaire pour permettre une utilisation rentable de ces installations ; qu'à ce sujet, il est opportun de préciser que les trois chaufourniers ne disposent que de petits terrains dispersés et complètement entourés par les terrains d'autres cimenteries, à savoir:
- la S.A. en liquidation Carrières Dufour : 4,08 ha de terrain, dont 1,06 ha de carrières;
- la S.P.R.L. Éts Jean Agache Lampe: 1,47 ha de terrain à Vaulx, dont 0,2 ha de carrières, 6,27 ha de terrain à Antoing, dont 4 ha de carrières;
- la S.P.R.L. Fernand Sherrington et Cie: 3,69 ha de terrain à Vaulx, dont 2,37 ha de carrières;
que les trois chaufourniers ensemble disposent ainsi de 15,51 ha de terrains dispersés, dont 7,63 ha de carrières abandonnées;
qu'on constate que le plus petit producteur belge de ciment Portland produit du ciment dans la même région du Tournaisis avec un ancien four droit sur une superficie de 63,54 ha dont 21,16 ha de carrières;
qu'il est alors exclu que les chaufourniers créent sur leurs terrains beaucoup plus réduits et dispersés de nouvelles usines qui, pour permettre une production rentable, exigent des installations modernes et de grandes dimensions ; que même un remembrement de leurs carrières n'apporterait pas une amélioration notable, les terrains étant séparés l'un de l'autre, et celui des Carrières Dufour se trouvant même à une distance de plus d'un kilomètre de ceux des deux autres chaufourniers;
que, si en 1936 une transformation des installations des chaufourniers était encore possible, il n'existe plus actuellement une base de départ pour une telle transformation en raison de la fermeture des carrières et de la disparition des chaufourniers en tant que producteurs ; qu'enfin, la possibilité de créer des usines nouvelles pour la production de ciment artificiel est défavorablement influencée par l'existence de capacités excédentaires de production en Belgique (le degré d'utilisation des capacités se situait en Belgique, au cours des années 1959-1963, entre 59 et 65 % ; dans les années suivantes, il s'est élevé à environ 80 % et au cours des années à venir, il s'abaissera vraisemblablement à nouveau, par suite de la construction de nouveaux fours de très grande capacité);
qu'en considération des circonstances économiques et techniques ci-dessus, il faut conclure qu'actuellement la possibilité de production de ciment artificiel par les chaufourniers est pratiquement exclue et que les chaufourniers ne peuvent plus être considérés comme des concurrents même potentiels pour les producteurs de ciment artificiel ; que ceci paraît d'ailleurs confirmé par le fait que depuis 1947 les cimentiers ont essayé de résilier l'accord, ce qui rendrait aux chaufourniers la liberté de produire;
que même dans l'hypothèse où, malgré ce qui a été dit ci-dessus, on considérerait une production de ciment artificiel par les chaufourniers comme en principe possible, il faudrait affirmer que l'interdiction de production, imposée aux chaufourniers, ne peut en tout cas pas restreindre la concurrence d'une façon sensible ; qu'en effet, le plus petit producteur belge de ciment Portland déjà mentionné produisait en 1965 63.865 tonnes, ce qui représentait seulement 1,5 % de la production totale de ciment Portland en Belgique;
que, dans de telles circonstances, on ne peut pas supposer que les trois chaufourniers puissent un jour produire du ciment dans une mesure qui serait susceptible d'influencer l'offre de ciment Portland en Belgique et moins encore dans le marché commun ; qu'il faut par conséquent conclure que, même dans le cas où il serait techniquement et économiquement possible aux chaufourniers de commencer un jour la production de ciment Portland, l'interdiction imposée ne pourrait de toute manière pas restreindre la concurrence d'une façon sensible;
2. Considérant que les limitations imposées par l'accord aux chaufourniers au sujet des ventes et des exportations éventuelles de ciment naturel n'ont pas non plus, dans le cadre économique actuel, pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence ; qu'en fait, par suite de l'évolution technique dans le secteur du ciment, la production du ciment naturel est devenue insignifiante et les limitations imposées aux chaufourniers ont perdu leur sens ; que la production actuelle de ciment naturel en Belgique s'élève à environ 1.000 tonnes par an alors que l'accord en question autorise une production de 132.000 tonnes sur la base de la production de ciment Portland artificiel en 1965;
III
Considérant que, dans ces conditions, les éléments dont la Commission a connaissance ne permettent pas de considérer que l'accord conclu initialement le 10 mars 1936 ait pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun au sens de l'article 85 paragraphe 1 du traité ; qu'au moins une des conditions d'application de l'article 85 paragraphe 1 n'est pas remplie et que dès lors l'attestation négative peut être délivrée,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
Il n'y a pas lieu pour la Commission, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir, en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne à l'égard de l'accord conclu le 10 mars 1936 entre la S.A. Association générale des fabricants belges de ciment Portland artificiel et treize chaufourniers.
Article 2
La S.A. en liquidation Association générale des fabricants belges de ciment Portland artificiel à Bruxelles, Belgique, la S.P.R.L. Fernand Sherrington et Cie à Tournai, Belgique, la S.P.R.L. Éts Jean Agache Lampe à Antoing, Belgique et la S.A. en liquidation Carrières Dufour à Gaurain-Ramecroix, Belgique sont destinataires de la présente décision.
(1) JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62.
(2) JO nº 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.