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CCE, 5 décembre 1969, n° 69/477

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Pirelli S.p.A. - Società Italiana Dunlop S.p.A.

CCE n° 69/477

5 décembre 1969

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85,

vu le règlement nº 17 du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 2, 5 et 7,

vu la demande d'attestation négative présentée par la société Pirelli S.p.A., établie à Milan, en faveur de l'accord qu'elle a conclu le 9 novembre 1959 avec la filiale italienne de la société des pneumatiques Dunlop, la Sociétà Italiana Dunlop S.p.A., dont le siège est également à Milan, par lequel Pirelli s'engage à fabriquer pour le compte de Dunlop Italiana, à lui vendre et à lui livrer des pneumatiques à concurrence des quantités convenues annuellement (affaire nº IV/24.470),

vu la demande d'attestation négative présentée par la S.A. des pneumatiques Dunlop, établie à Paris, en faveur de l'accord semblable et réciproque qu'elle a conclu, le 27 février 1959, avec la filiale française de Pirelli, la S.A. Pirelli France ayant son siège à Paris (affaire nº IV/24.471),

vu l'avis du Comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli conformément à l'article 10 du règlement nº 17, le 30 mai 1969,

I

considérant que, en vue de se faciliter mutuellement la pénétration des marchés français et italien en évitant notamment la charge des droits de douane qui, lors de la conclusion des accords, grevaient les échanges de marchandises d'un État membre à l'autre, les parties ont initialement convenu ce qui suit:

a) Dunlop en France et Pirelli en Italie, ci-après dénommés fabricants pour compte, s'engagent à fabriquer respectivement pour le compte de Pirelli France et de Dunlop Italiana, ci-après dénommés donneurs d'ordre, à leur vendre et à leur livrer des pneus, des chambres à air et des bandes de protection pour voitures de tourisme et véhicules commerciaux légers, camions, tracteurs, scooters et motocyclettes, à concurrence de quantités annuelles prévues à titre indicatif, suivant la demande et au fur et à mesure des besoins des donneurs d'ordre, lesquels s'obligent à fournir les moules d'enveloppes et l'outillage de marquage nécessaire à la fabrication ; cet engagement est limité aux dimensions et types de marchandises que les fabricants pour compte produisent habituellement dans leurs usines, à l'exclusion de fabrications spéciales;

b) Les donneurs d'ordre s'engagent à commander annuellement 60 % au moins des quantités prévues et mensuellement un nombre minimum de pièces de chaque catégorie. Si les commandes portent sur un nombre de pièces inférieur au minimum convenu, les donneurs d'ordre supportent les frais supplémentaires résultant d'une fabrication réduite;

c) Les marchandises fabriquées pour compte ne peuvent être vendues que pour le remplacement des pneumatiques usagés, à l'exclusion de toute vente en premier équipement, excepté pour les véhicules importés;

d) Chaque donneur d'ordre ne peut importer annuellement des marchandises analogues à celles fabriquées pour son compte par l'autre partie qu'à concurrence d'un maximum de 50 % du tonnage métrique total qu'il a acheté au cours de la même année. S'il désire importer des quantités supérieures, il doit d'abord demander au fabricant pour compte de lui fournir les quantités désirées. Si ce dernier refuse de fournir ces quantités supplémentaires, le donneur d'ordre a le droit d'importer les mêmes dimensions et types de pneumatiques en quantités correspondantes à celles ayant fait l'objet de la demande;

e) En ce qui concerne le prix des fournitures, les marchandises sont facturées aux prix de vente au détail pratiqués par les fabricants pour compte au moment de chaque livraison, aux conditions qu'ils offrent à leur client le plus favorisé, à quoi vient s'ajouter une marge supplémentaire stipulée dans les contrats;

f) Les donneurs d'ordre s'engagent à ne pas conclure d'accord similaire avec d'autres fabricants de pneumatiques en France ou en Italie;

considérant que les parties ont, le 11 juin 1963, à l'occasion d'une révision des accords initiaux, supprimé l'interdiction pour les donneurs d'ordre de vendre pour un premier équipement des pneumatiques fabriqués pour compte, de même que la clause qui limitait le droit des donneurs d'ordre d'importer des marchandises analogues à celles fabriquées pour leur compte (voir sous c) et d) ci-dessus);

considérant que, à la suite des observations de la Commission portant sur l'incompatibilité de certaines clauses au regard de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la C.E.E. et qui ne remplissaient pas les conditions d'une exemption au titre du paragraphe 3 dudit article, notamment celle qui exige que les restrictions de concurrence provoquées par les accords soient indispensables pour améliorer la production ou la distribution ou promouvoir le progrès technique ou économique, les intéressés ont également supprimé la clause qui interdisait aux donneurs d'ordre de conclure des accords similaires avec d'autres fabricants de pneumatiques en France ou en Italie (voir sous f) ci-dessus);

considérant que cette dernière clause a été remplacée, le 14 mai 1965, par la stipulation du droit pour les deux fabricants pour compte, Dunlop et Pirelli, d'assurer, par préférence à tous autres fabricants, l'exécution des fournitures excédant les quantités maximales convenues, à condition que ces sociétés alignent leur prix sur celui qu'offriraient au même moment les fabricants concurrents, pour des commandes identiques en quantités, en nature et en qualité de produits;

considérant que, en raison notamment de l'économie des frais de transport sur de longues distances, ainsi que des taxes et des frais non négligeables grevant le prix des marchandises importées, les parties ont prorogé le terme initial de leurs accords jusqu'au 31 décembre 1971;

considérant que le contenu essentiel de la demande a été publié au Journal officiel des Communautés européennes (1) en application de l'article 19 paragraphe 3 du règlement nº 17, et qu'aucune opposition de la part de tiers ne s'est manifestée;

II

considérant, en la forme, que bien que les sociétés intéressées n'aient pas utilisé le formulaire A prévu à l'article 4 paragraphe 1 du règlement nº 27 (2) pour présenter leur demande d'attestation négative, elles ont cependant fourni tous les renseignements prévus par ce formulaire et elles ont confirmé leur demande respectivement par lettres des 12 et 21 février 1969 pour les sociétés Pirelli et Pirelli France et des 14 et 18 février 1969 pour les sociétés Dunlop et Dunlop Italiana, de sorte que cette demande doit être considérée comme présentée régulièrement et recevable, conformément à l'article 2 du règlement nº 17;

considérant, au fond, que l'attestation négative demandée peut être délivrée conformément aux dispositions de l'article 2 du règlement nº 17 si la Commission constate qu'il n'y a pas lieu pour elle, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité à l'égard des accords réciproques de fabrication pour compte intervenus entre les sociétés Pirelli et Dunlop Italiana d'une part, Dunlop et Pirelli France de l'autre;

considérant que, aux termes de l'article 85 paragraphe 1 du traité, sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises, et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun;

considérant que les contrats de fabrication pour compte faisant l'objet de la présente décision constituent des accords entre entreprises au sens de l'article 85 paragraphe 1 du traité;

considérant que les accords conclus ont pour objet de faciliter mutuellement aux parties la pénétration du marché du partenaire;

considérant que l'étude du marché des pneumatiques démontre qu'il existe entre les diverses productions nationales de pneumatiques du marché commun des différences dans les caractéristiques techniques de produits comparables qui correspondent aux particularités du parc automobile et du réseau routier de chaque pays ; que, à moins de posséder une unité de fabrication dans le pays concerné ou de réserver à la fabrication des produits à exporter vers le marché considéré une part importante de la capacité de production de l'établissement situé dans le pays d'origine, il paraît très difficile pour un fabricant étranger d'offrir une gamme suffisamment étendue de produits techniquement adaptés aux exigences du marché local concerné;

considérant que le fait, pour une entreprise qui désire s'implanter sur un marché étranger, de confier à une entreprise locale bien équipée, dont la production est spécialement adaptée aux exigences techniques du marché d'un produit spécifique, la fabrication de ce produit pour le compte de la première s'avère un moyen de prendre pied sur ce marché dans des conditions techniques et économiques les plus favorables;

considérant que lesdits accords n'ont donc pas pour objet de restreindre la concurrence dans le marché commun;

considérant que les parties ont déterminé les limites juridiques de leurs engagements réciproques en précisant les quantités maximales annuelles à fabriquer pour le compte des donneurs d'ordre et les quantités minimales que ces derniers s'engagent à commander au cours d'une période déterminée;

considérant qu'une application stricte des clauses fixant les quantités maximales pourrait avoir pour effet de limiter la part du marché que peuvent s'assurer les donneurs d'ordre ; qu'il résulte toutefois des renseignements recueillis par la Commission, notamment des statistiques annuelles des fabrications pour compte, que la détermination des quantités maximales, qui a lieu chaque année de commun accord, n'a sur le plan pratique qu'une valeur purement indicative et prévisionnelle, de telle sorte que les donneurs d'ordre peuvent adapter le volume de leurs commandes mensuelles et annuelles au rythme du développement des ventes ; que les quantités maximales stipulées ont d'ailleurs été maintes fois largement dépassées ; qu'en l'espèce la détermination en commun des quantités maximales à fabriquer pour compte n'a pas pour effet de restreindre la concurrence entre fabricants pour compte et donneurs d'ordre;

considérant que la fixation des quantités minimales des marchandises à commander annuellement et du nombre minimal des pièces à commander mensuellement par les donneurs d'ordre n'est pas non plus susceptible de restreindre la concurrence lorsque ces quantités, comme c'est le cas en l'espèce, n'excèdent manifestement pas la quantité minimale de marchandises qu'il est nécessaire de fabriquer pour assurer une utilisation normale des moyens de production réservés à l'exécution des fabrications pour compte;

considérant que, dans leur version actuelle, les accords ne restreignent plus la liberté des donneurs d'ordre d'importer des pneumatiques quels qu'en soient le type, la qualité ou la quantité ; que les statistiques annuelles des importations réalisées par les donneurs d'ordre montrent une augmentation sensible des quantités de marchandises importées ; qu'aucune restriction n'est apportée à la vente ni à la destination des marchandises fabriquées pour compte ; que les donneurs d'ordre ont notamment le droit de fournir ces marchandises pour le premier équipement des véhicules de fabrication locale ; que de telles opérations, quoique difficiles pour des entreprises ne possédant pas d'unité de fabrication dans le pays considéré, étant donné les exigences des constructeurs d'automobiles en matière de prix, de conditions de livraison et d'assistance technique, ont effectivement été réalisées et se développent sensiblement d'année en année, grâce notamment aux conditions de prix des fournitures pour compte qui assurent aux donneurs d'ordre une position nettement plus favorable que celle des grossistes;

considérant que, par échange de lettres, le 14 mai 1965, les parties ont supprimé l'interdiction pour les donneurs d'ordre de conclure des accords similaires avec d'autres fabricants locaux de pneumatiques;

considérant que l'exclusivité absolue de fabrication dont jouissaient jusqu'alors Dunlop et Pirelli vis-à-vis des donneurs d'ordre, a été remplacée, le 14 mai 1965, par un droit de préférence en faveur des deux fabricants pour compte, leur attribuant les commandes qui excèdent les quantités maximales convenues annuellement à la condition qu'ils alignent leur prix sur celui qu'offriraient les autres fabricants concurrents pour des commandes identiques;

considérant, d'une part, que le droit de préférence ne joue que pour les commandes de marchandises qui excèdent les quantités maximales que les parties déterminent chaque année à titre de prévisions pour l'année suivante ; que ces prévisions annuelles se font actuellement à courte échéance et tiennent compte d'un maximum d'informations récentes sur l'évolution des ventes et les besoins du marché ; que, d'autre part, l'existence de ce droit n'empêche les donneurs d'ordre, ni en fait, ni en droit, de susciter librement des offres de la part de fabricants concurrents ; que le fait, pour les fabricants pour compte d'avoir à aligner leur prix sur celui de la concurrence s'ils désirent s'adjuger les commandes supplémentaires, constitue un frein réel contre la pratique éventuelle de prix excessifs pour l'exécution de ces commandes ; qu'il apparaît donc que ce droit de préférence n'a pas pour effet, en l'état actuel des choses, de provoquer directement ou indirectement des restrictions sensibles du jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun;

considérant que les renseignements dont la Commission dispose donnent à croire qu'il existe sur chacun des deux marchés concernés une réelle concurrence entre fabricants pour compte et donneurs d'ordre, tant par les types de produits offerts, que par les prix et les conditions de vente ; que les statistiques des donneurs d'ordre révèlent une forte augmentation annuelle des quantités de pneumatiques vendues, qu'elles soient importées ou fabriquées pour compte, le recours à l'un ou à l'autre moyen d'approvisionnement dépendant notamment des besoins propres au marché concerné ; que la part de marché respectivement détenue par chaque donneur d'ordre a, au cours des quatre dernières années, plus que doublé en France et triplé en Italie, alors que celle des deux fabricants pour compte n'a pas sensiblement évolué ; que l'examen des tarifs des fabricants pour compte et des donneurs d'ordre n'a pas révélé d'indices qui permettraient de présumer l'existence d'une politique concertée de prix ou de conditions de vente;

considérant, au surplus, que l'importance croissante des dépenses exposées par les donneurs d'ordre pour la publicité des produits vendus sous leur marque respective et pour la promotion des ventes indique un effort de pénétration du marché étranger dans des conditions concurrentielles;

considérant que, sur la base des éléments recueillis par la Commission, il n'apparaît pas que les accords aient actuellement pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence à l'intérieur du marché commun au sens de l'article 85 paragraphe 1 du traité ; que l'une des conditions d'application de cet article n'étant pas remplie, l'attestation négative peut être délivrée;

III

considérant que les conditions d'application de l'article 7 paragraphe 1 du règlement nº 17 sont réunies ; qu'il s'agit en effet d'accords existant à la date d'entrée en vigueur du règlement nº 17 (13.3.1962), notifiés à la Commission le 30 octobre 1962, soit dans le délai fixé à l'article 5 paragraphe 1 du règlement nº 17, ne remplissant pas toutes les conditions d'application de l'article 85 paragraphe 3 et que les intéressés ont modifiés à plusieurs reprises et pour la dernière fois le 6 septembre 1965, de telle sorte que, comme il a été exposé ci-dessus, dans leur teneur actuelle lesdits accords ne tombent plus sous l'interdiction édictée à l'article 85 paragraphe 1 du traité;

considérant que cette interdiction ne s'applique à la version originale des accords antérieure au 6 septembre 1965, date de la dernière modification, que pour la période fixée par la Commission ; qu'à cet égard il y a lieu, dans le cas d'espèce, de tenir compte du fait que les entreprises intéressées avaient déjà, après l'entrée en vigueur du règlement nº 17, modifié les accords initiaux pour tenter de les rendre compatibles avec les dispositions de l'article 85 du traité ; que, pour se conformer aux observations qui leur ont été faites, elles les ont à nouveau modifiés dans un délai raisonnable de manière à supprimer toutes les dispositions incriminées ; que ces circonstances sont suffisantes pour justifier la non-application de l'interdiction édictée à l'article 85 paragraphe 1 pour toute la période qui s'est écoulée entre le 13 mars 1962, date d'entrée en vigueur du règlement nº 17, et le 6 septembre 1965,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier

Il n'y a pas lieu pour la Commission, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne, à l'égard des accords conclus entre les sociétés Pirelli et Dunlop Italiana d'une part, la société des pneumatiques Dunlop et Pirelli France d'autre part, dans la version de ces accords en vigueur depuis le 6 septembre 1965.

Article 2

L'interdiction édictée à l'article 85 paragraphe 1 ne s'applique pas pour la période comprise entre le 13 mars 1962 et le 6 septembre 1965 aux versions de ces accords antérieures au 6 septembre 1965.

Article 3

La présente décision est destinée aux entreprises ci-après: - Pirelli S.p.A., à Milan,

- S.A. des pneumatiques Dunlop, à Paris,

- S.A. Pirelli France, à Paris,

- Società Italiana Dunlop S.p.A., à Milan.

(1) JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62. 
(2) JO nº C 136 du 19.12.1968, p. 4. 
(3) JO nº 35 du 10.5.1962, p. 1118/62.