Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 17 mars 2021, n° 20/08867

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SC Johnson (SAS)

Défendeur :

Reckitt Benckiser France (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Chegaray, Mme Bongrand

T. com. Paris, du 17 juin 2020

17 juin 2020

La SAS SC Johnson, ayant pour objet la fabrication et le commerce de produits d'entretien, notamment de blocs WC, a invoqué la commission, par la SAS Reckitt Benckiser France, également spécialisée dans la commercialisation de produits d'entretien sous la marque Harpic, de pratiques commerciales trompeuses du fait de l'utilisation par la société Reckitt Benckiser de la mention « STOP BACTERIES » pour la vente de ses produits d'entretien pour toilettes de marque Harpic.

Par acte du 26 mai 2020, la société SC Johnson a fait assigner la société Reckitt Benckiser devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir, sous astreinte, notamment l'interdiction de la fabrication, vente, commercialisation, distribution et promotion en France de ses blocs cuvette Harpic Stop Bacte ries comportant la mention « STOP BACTERIES », et l'interdiction de toute communication concernant ces produits, et sa condamnation à payer la somme de 150 000 euros à titre de provision.

Par ordonnance contradictoire rendue le 17 juin 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

- dit la SAS SC Johnson bien fondée en ses demandes ;

- dit n'y avoir lieu à référé, ni à application de l'article 700 code de procédure civile ;

- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties.

- condamné SAS SC Johnson aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 44,07 euros TTC dont 7,13 euros de TVA ;

- dit que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l'article 489 du code de procédure civile.

Par déclaration d'appel du 8 juillet 2020, la société SC Johnson a interjeté appel de cette ordonnance.

Par ses dernières conclusions remises le 31 décembre 2020, elle demande à la cour, au visa des articles 485, 700 et 873 du code de procédure civile, de l'article L. 121-2 2° du code de la consommation et de l'article 1240 du code civil, de :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel de SC Johnson SAS ;

- juger que l'utilisation par Reckitt BenckiserFrance de l'allégation « STOP BACTERIES » notamment pour les blocs cuvette Harpic Stop Bactéries, eucalyptus et citron vert, est constitutive de pratique commerciale trompeuse et de concurrence de loyale caractérisant un trouble manifestement illicite ;

- dire qu'il y a lieu à référé ;

- en conséquence, infirmer l'ordonnance de référé entreprise en toutes ses dispositions

- ordonner a Reckitt Benckiser France de :

- cesser, dans un de lai de 48 heures suivant le prononcé de la décision à intervenir et sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée, la fabrication, la vente, la commercialisation, la distribution et la promotion des produits portant l'allégation « STOP BACTERIES » et notamment les blocs cuvette Harpic Stop Bacte ries, eucalyptus et citron vert, sur le territoire français ;

- cesser, dans un de lai de 48 heures suivant le prononcé de la décision à intervenir et sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée, toute communication reproduisant le produit bloc cuvette Harpic Stop Bacte ries, eucalyptus et citron vert et toute utilisation de la mention « STOP BACTERIES » par tout média (télévision, presse, Internet, radio, affichage, réseaux sociaux, sites Internet marchands), notamment toute diffusion du Spot vidéo utilisant l'allégation « STOP BACTERIES » ;

- rappeler des circuits commerciaux, dans un délai de 5 jours suivant le prononcé de la décision à intervenir et sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, l'ensemble des produits blocs cuvette Harpic Stop Bactéries, eucalyptus et citron vert, vendus aux distributeurs présents sur le territoire français ;

- détruire, dans un délai de 10 jours suivant le prononcé de la décision à intervenir et sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, les stocks de produits portant la mention « STOP BACTERIES » et tous les supports promotionnels et adresser à SC Johnson SAS un constat d'huissier attestant de cette destruction dans les 48 heures suivant ladite destruction ;

- publier, dans un délai de 48 heures suivant le prononcé de la décision à intervenir et sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, le dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil du site www.harpic.fr dans une police de taille 20 au moins, pendant 6 mois ;

- autoriser SC Johnson SAS à procéder à la publication du dispositif de la décision à intervenir dans cinq revues spécialisées aux frais de Reckitt Benckiser France dans la limite de 10 000 euros par publication ;

- se réserver la liquidation de l'astreinte ;

- condamner la société Reckitt Benckiser France à payer à la société SC Johnson SAS la somme de 150 000 euros à titre de provision ;

- condamner la socie te Reckitt Benckiser France à payer à la société SC Johnson SAS la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Reckitt Benckiser France aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SCP G.B. en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

En tout état de cause,

- rejeter les demandes de la société Reckitt Benckiser France au titre de la procédure abusive.

Elle conclut tout d'abord à la recevabilité de ses demandes, en considérant que le moyen de l'intimée tiré de la non-commercialisation par elle du produit litigieux suite à une réorganisation interne est inopérant car Reckitt Benckiser France s'est toujours présentée comme le producteur des produits Harpic, et est la seule société française à apparaître sur les emballages des produits ; or, l'article 1245-5 code civil ainsi que les règles d'étiquetage prévues par l'article 17 du règlement européen n°1907/2006 impliquent que la société qui figure sur l'étiquette d'un produit est responsable de celui-ci. Elle estime en outre que l'argument de l'intimée selon lequel il faudrait opérer une distinction entre la responsabilité relative à la mise sur le marché d'un produit « qui serait la sienne » de celle relative à sa promotion publicitaire « qui relèverait d'une autre société » ne peut prospérer.

Elle soutient ensuite qu'en présence de pratiques commerciales trompeuses et de concurrence déloyale, constituées par de fausses allégations sur les caractéristiques d'un produit, de nature à altérer, de manière substantielle, le comportement économique du consommateur et engageant ainsi la responsabilité de la société qui s'y adonne, le juge des référés peut être amené à constater un trouble manifestement illicite même en présence d'une contestation sérieuse. Elle estime que la faute précitée est en l'espèce caractérisée par le fait que le produit litigieux est présenté comme un désinfectant via des indications qui attirent l'attention du consommateur « STOP BACTERIES », symbole d'une croix rouge, précautions d'emploi similaires aux produits désinfectants « alors même qu'il n'est pas biocide, ce dont elle infère le caractère manifestement trompeur de l'allégation, et son caractère déterminant pour le consommateur qui se tourne de plus en plus vers ce type d'allégations en période d'épidémie de Covid-19 ; de sorte que le comportement du consommateur s'en trouve substantiellement altéré. Elle ajoute que ce caractère trompeur ne saurait être éludé, ni par l'astérisque renvoyant à des mentions minuscules au dos du produit, auxquelles le consommateur raisonnablement attentif et avisé ne prête pas attention et dont il ne peut de toute manière pas déduire que le produit n'est pas antibactérien ; ni par le fait que l'allégation serait applicable uniquement à l'accroche du produit, cette distinction « dont il n'est même pas fait mention dans le spot TV » ne pouvant être comprise par le consommateur et restant en tout état de cause trompeuse car il n'est pas démontré que l'accroche seule a réellement une action antibactérienne. L'appelante fait en outre grief au premier juge d'avoir retenu la présence d'une contestation sérieuse et l'absence d'urgence pour écarter le trouble manifestement illicite, alors que ce ne sont pas des critères du référé fondé sur l'article 873, alinéa premier, du code de procédure civile.

Elle estime que les mesures sollicitées sont adaptées pour mettre fin au trouble. Elle justifie sa demande de provision par le préjudice résultant du fait que l'intimée a profité de l'allégation trompeuse au détriment des concurrents qui ne l'ont pas utilisée. En réponse à la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formulée par l'intimée, la société SC Johnson fait valoir sa bonne foi et la reconnaissance de l'ambiguïté de sa communication par l'intimée elle-même, qui a de son plein gré modifié l'emballage du produit litigieux et retiré les spots TV, de sorte qu'elle n'a fait preuve d'aucune légèreté blâmable ni intention de nuire.

La société Reckitt Benckiser France, par dernières conclusions remises le 29 janvier 2021, demande à la cour, au visa des articles L. 121-1 s. du code de la consommation, des articles 1240 et 1353 du code civil, des articles 2, 5 et 6 de la charte de l'environnement et des articles 6, 9, 32-1, 42, 46, 74, 75, 873, 699 et 700 du code de procédure civile, de :

- la recevoir dans ses conclusions et la considérer bien fonde e en ses demandes et prétentions ;

Y faisant droit,

- réformer l'ordonnance en ce qu'elle a :

- débouté la société Reckitt Benckiser France de sa demande de mise hors de cause ;

- subséquemment, dit la société SAS SC Johnson bien fondée en ses demandes à l'égard de la société Reckitt Benckiser France ;

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :

- dit que la SAS SC Johnson n'a pas indiqué au tribunal que les arguments utilisés par Reckitt Benckiser auraient un impact tel sur ses activités commerciales qu'il y aurait une urgence à répondre à ses demandes ;

- dit qu'un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite n'étaient pas établis ;

- dit qu'il n'y avait pas lieu à référé ;

En conséquence, statuant à nouveau,

- prononcer la mise hors de cause de la société Reckitt Benckiser France ;

En conséquence de quoi, ou en tout état de cause,

- débouter la société SC Johnson SAS de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la société SC Johnson SAS à payer à la société Reckitt Benckiser France la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- condamner la société SC Johnson SAS à payer à la société Reckitt Benckiser France la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Sur sa demande de mise hors de cause, elle explique que la société RB Hygiène Home France SAS (RBHHF) a été substituée dans ses droits et obligations relatifs aux activités liées à l'hygiène et à l'entretien à compter du 1er juin 2019, ce dont il résulte que la société RBHHF est, à ce titre, la seule entité susceptible d'engager sa responsabilité pour les ventes de produits Harpic. Elle ajoute que, s'agissant des campagnes publicitaires audiovisuelles (télévision, internet, YouTube), RBHHF est bien la seule entité identifiée comme productrice et que, s'agissant de l'emballage du produit litigieux, les articles 17 du règlement européen n°1907/2006 et 1245-5 du code civil, invoqués par l'appelante, sont inapplicables à l'espèce. Elle précise que les conditions d'application de l'article 1245-5 du code civil ne sont pas remplies et fait valoir que :

- l'appelante n'invoque pas de défectuosité d'un produit alors que cet article ne s'applique qu'aux produits défectueux ;

- les seuls signes distinctifs apposés sur le produit sont ceux de la société RBHHF ;

- elle n'est pas l'unique titulaire des marques mères Harpic contrairement à ce qu'affirme l'appelante ;

- il se déduit d'une simple recherche sur le site d'Harpic que l'origine commerciale du produit est attribuée à la société RBHHF ;

- l'appelante ne peut invoquer cet article car elle n'a pas le statut de consommateur ni d'acquèreur, mais est au contraire professionnelle avertie du secteur qui aurait dû rechercher avec davantage de diligences l'entité commercialisant les produits litigieux sans que l'information erronée sur les emballages n'ait pu l'en empêcher ;

- la charge de la preuve de la qualité de producteur de la société Reckitt Benckiser incombe à l'appelante, et l'intimée en a fait en tout état de cause la preuve contraire, ce dont il se déduit que sa responsabilité ne saurait être engagée.

A titre subsidiaire, l'intimée conclut au rejet des demandes adverses comme mal fondées. Elle soutient que le produit litigieux n'est pas un biocide tel que défini par le règlement européen n°528/2012 et qu'en conséquence c'est la législation relative aux emballages qui s'y applique en vertu du règlement européen n°1272/2008. A l'appui de ses prétentions, elle avance que le produit litigieux n'est aucunement présenté comme un désinfectant car :

- il indique « ACCROCHE STOP BACTERIES » et non « STOP BACTERIES » ;

- les précautions d'emploi au verso de l'emballage précisent l'allégation en indiquant que le produit n'est pas destiné à la désinfection ;

- le spot TV, qui a fait l'objet d'une unique diffusion restreinte, annonce au consommateur qu'il n'est qu'un bloc sans cage et crochet contenant du zinc pour limiter la rétention des bactéries ;

- il préexistait à l'arrivée du virus du Covid-19 et il n'a pas fait l'objet de modification à la suite de l'explosion de l'épidémie, de sorte que l'argument de l'appelante visant à faire établir un lien entre ce produit et le virus est inopérant ;

- les précautions d'emploi (pictogrammes) décrites au recto de l'emballage sont imposées par des dispositions réglementaires européennes impératives et ne sont donc en rien propres aux emballages de produits biocides, et nombre de produits concurrents « y compris ceux de l'appelante » en font mention ;

- le signe « + » n'indique pas les propriétés désinfectantes du produit mais simplement qu'il contient du zinc « ce matériau ayant un effet sur les bactéries » en plus par rapport aux autres galets Harpic de la même gamme, et il se distingue par ailleurs des autres produits de l'intimée mentionnant un signe « + » d'une tout autre police.

Elle en déduit que la revendication critiquée ne pourra pas être qualifiée de trompeuse puisque le consommateur n'est pas amené à croire qu'il s'agit d'un produit désinfectant.

L'intimée souligne la nécessité de démontrer un trouble manifestement illicite ainsi que l'absence de contestation sérieuse s'agissant de la demande de provision, en vertu de l'article 873 du code de procédure civile, dont la charge de la preuve pèse sur l'appelante. Elle affirme également la nécessité, au terme de l'article L.121-1 du code de la consommation, de prouver qu'une pratique altère ou soit susceptible d'altérer le comportement économique du consommateur pour qu'elle soit réputée trompeuse, et fait mention de jurisprudences admettant le recours au renvoi d'explications en petits caractères par astérisque qui ne saurait tromper le consommateur d'attention moyenne, l'incompétence du juge des référés pour interpréter les débats sémantiques, et la nécessité de rapporter la preuve d'un dommage précis et chiffré. Elle estime qu'en l'espèce, la société SC Johnson ne rapporte pas la preuve d'une quelconque altération du comportement économique des consommateurs, avançant qu'il n'est pas démontré un quelconque report du volume de ventes des produits qu'elle commercialise sur ceux de la société Reckitt Benckiser, pas plus qu'une augmentation du volume de vente des produits litigieux depuis le début de l'épidémie de covid-19. Par ailleurs, l'appelante ne fait pas état d'un dommage imminent ni d'un préjudice quantifié, la seule pièce au soutien de sa demande de provision étant une preuve à soi-même qui doit être écartée. Elle ajoute que les emballages des produits ne laissent désormais plus place au doute, car ils ont été modifiés.

Elle estime enfin que si la cour devait entrer en voie de condamnation à son encontre, elle devrait réduire l'étendue et le quantum des mesures sollicitées, compte tenu de :

- la modification d'ores et déjà apportée par la société RBHHF à son emballage ;

- l'arrêt de la production de l'ancien emballage critiqué ;

- l'absence de démonstration d'une quelconque altération du comportement économique des consommateurs ;

- l'absence de poursuite de la diffusion du spot TV ;

- l'absence de preuve d'un préjudice quantifié ;

- le rappel et la destruction des produits critiqués impliqueraient une mise au rebut de produits fonctionnels et ne portant pas atteinte à la santé des consommateurs, ce qui serait de nature à porter une atteinte disproportionnée à l'environnement, en violation de la charte de l'environnement qui a valeur constitutionnelle et dont le juge judiciaire est garant via son contrôle de proportionnalité.

Elle en déduit que la demande de retrait des circuits de distribution et de destruction des produits devrait être rejetée et la provision devrait être réduite à la somme de 10 000 euros.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

MOTIFS

L'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile dispose que « le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »

Sur la recevabilité des demandes dirigées contre la société Reckitt Benckiser France

L'article 17 du Règlement (CE) n°1272/2008 du Parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008, modifiant le règlement (CE) no 1907/2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, applicable au produit d'entretien en cause, prévoit : « 1. Une substance ou un mélange classé comme dangereux et contenu dans un emballage est revêtu d'une étiquette comportant les éléments suivants : a) le nom, l'adresse et le numéro de téléphone du ou des fournisseurs. (...) ».

Il est constant que l'emballage du produit en cause porte la mention « Reckitt Benckiser France, (...) Tél. (...) ».

La société Reckitt Benckiser ne conteste pas qu'elle a été fabricante de ce produit. Si elle soutient qu'elle a, par traité d'apport partiel d'actif du 29 mars 2019 qui serait entré en vigueur le 1er juin 2019, transmis l'ensemble de ses activités dans le domaine de l'hygiène et de l'entretien à la société RB Hygiène Home France SAS (RBHHF), elle ne produit ni ledit traité, ni la preuve de la date de son entrée en vigueur, de sorte qu'elle ne démontre pas que le produit fabriqué le 11 septembre 2019 l'ait été par RBHHF.

La société Reckitt Benckiser n'étant pas fondée à demander sa mise hors de cause, l'ordonnance entreprise entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rejeté cette demande et a dit SC Johnson recevable à agir à l'encontre de Reckitt Benckiser.

Sur le trouble manifestement illicite

Il résulte de l'article 873 que la constatation de l'existence d'une contestation sérieuse sur le fond du droit est insuffisante pour justifier le refus du juge des référés de prendre les mesures prévues par l'article 873 alinéa 1, du code de procédure civile.

Toutefois, si l'existence d'une contestation sérieuse n'interdit pas au juge des référés de prendre les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, le juge des référés doit apprécier le caractère manifestement illicite du trouble causé.

Le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

Aux termes de l'article L. 121-2 2° du code de la consommation, une pratique commerciale est trompeuse, notamment, « lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur (...) les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, (...) les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation (...) ».

En l'espèce, Reckitt Benckiser fait la promotion et propose à la vente des produits d'entretien pour toilettes « HARPIC » portant les mentions « ACCROCHE STOP BACTERIES » et « STOP BACTERIEN HAAK ».

La mention « STOP BACTERIES », portée en très gros caractères de couleur rouge, sur le recto de son emballage, constitue, par sa dimension et sa couleur agressive, le message premier et principal que perçoit, à la vue du produit, le consommateur moyen ; ces termes, associés aux mots « STOP BACTERIEN HAAK », placés en gros caractères de couleur rouge sous les précédents, tendent à présenter le produit comme arrêtant les bactéries, et accrédite donc qu'il s'agit d'un produit désinfectant.

En outre, ainsi que l'indique la société Johnson, il apparaît que la croix de couleur rouge, apposée sur le recto de l'emballage, en partie haute et en grosse dimension - croix également apposée sur le produit lui-même - est un symbole couramment associé aux produits désinfectants, comme cela ressort du packaging de produits d'autres marques (page 11 des conclusions de Johnson et pièce Johnson n°25) ; à tout le moins, en admettant que, comme le soutient Reckitt, ce symbole constitue le signe mathématique « + », il accrédite l'idée d'une efficacité accrue par rapport à d'autres articles de la catégorie des produits désinfectants.

Ne sont de nature à atténuer, dans l'esprit des consommateurs, l'impact déterminant de la mention « STOP BACTERIES » :

- ni le terme « ACCROCHE », placé en petits caractères au-dessus de « STOP BACTERIES », terme en lui-même peu intelligible et dont rien ne permet au consommateur de comprendre de façon manifeste que c'est à l'« accroche » - à savoir le crochet du bloc, contenant du zinc - que s'applique la mention « STOP BACTERIES » ;

- ni l'astérisque placée à droite du mot « BACTERIES », difficilement visible en raison de sa dimension réduite et dont rien n'indique qu'elle renvoie aux mentions inscrites au verso de l'emballage (« Bloc sans cage (moins de plastique comparé aux blocs classiques Harpic) et crochet contenant du Zinc pour limiter la rétention des bactéries. Ce produit n'est pas destiné à la désinfection »), lesdites mentions, écrites en caractère minuscules, étant, au surplus, pratiquement illisibles.

La société Reckitt reconnait que le produit en cause ne contient aucun biocide - soit aucune substance destinée à détruire ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles - de sorte que l'allégation accréditant sa capacité bactéricide est trompeuse. Accréditant le caractère anti-bactérien, et au surplus écologique par la mention « SANS JAVEL », de ce produit, elle est manifestement de nature, compte tenu de l'importance accordé par les consommateurs aux vertus de l'asepsie, à créer une confusion avec des produits réellement désinfectants et à altérer substantiellement le comportement économique de ces derniers, amenés à croire que le produit est doté de propriétés désinfectantes et à prendre, dans le délai généralement bref de choix des produits d'entretien, une décision d'achat de ce produit, décision qu'il n'aurait pas prise autrement.

Si la société Reckitt invoque l'ajout, postérieurement au prononcé de l'ordonnance entreprise, sur le recto de l'emballage, de la mention « Pour limiter la rétention des bactéries », cet ajout, apporté en caractères de petite dimension, de couleur bleue, nettement moins visibles que la mention « STOP BACTERIES », n'est pas de nature à faire disparaître le caractère trompeur de l'allégation « STOP BACTERIES ».

Les faits dénoncés caractérisent une pratique commerciale trompeuse et sont constitutifs d'un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de faire cesser par le retrait, des circuits commerciaux, des emballages comportant la mention litigieuse et par l'arrêt de toute publicité faisant référence à l'allégation « STOP BACTERIES ».

En conséquence, la cour, infirmant l'ordonnance entreprise, ordonnera le retrait des circuits commerciaux et l'arrêt de la commercialisation du produit sous l'emballage litigieux, dans les conditions fixées au dispositif du présent arrêt, et dira n'y avoir lieu à référé pour le surplus, les mesures ainsi ordonnées étant suffisantes pour mettre un terme au trouble manifestement illicite occasionné.

Sur la demande de provision

L'intimé souligne le caractère fantaisiste du chiffre d'affaires que la société Johnson lui impute avec les produits litigieux.

Si la société Johnson invoque le chiffre d'affaires de 621 485 euros qu'aurait réalisé la société Reckitt avec les produits litigieux, montant contesté par la société Reckitt, elle ne précise l'origine ni du tableau qu'elle produit, (pièce n°16 – « tableau récapitulant les ventes et le chiffre d'affaires réalisé par Reckitt Benckiser avec les produits litigieux, réalisé en interne en utilisant la base de données « Nielsen »), ni des éléments chiffrés qui y sont portés.

La demande de provision se heurtant, dans ces conditions, à une contestation sérieuse, la cour confirmera l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté la société Reckitt Benckiser France de sa demande de mise hors de cause ;

L'infirme en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande ainsi que sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

Dit que l'utilisation par la SASU Reckitt Benckiser France de l'allégation « STOP BACTERIES » pour les blocs cuvette Harpic Stop Bactéries, eucalyptus et citron vert, est constitutive de pratique commerciale trompeuse et de concurrence déloyale caractérisant un trouble manifestement illicite ;

Ordonne à la société Reckitt Benckiser France de :

- rappeler des circuits commerciaux, dans un délai d'un mois suivant le prononcé du présent arrêt, l'ensemble des produits blocs cuvette « Harpic Stop Bactéries », eucalyptus et citron vert, vendus aux distributeurs présents sur le territoire français ;

- cesser, dans un délai d'un mois suivant le prononcé du présent arrêt, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard, la vente, la commercialisation, la distribution et la promotion des produits portant la mention « STOP BACTERIES », notamment les blocs cuvette Harpic Stop Bactéries, eucalyptus et citron vert, sur le territoire français ;

- cesser, dans un délai de 48 heures suivant le prononcé du présent arrêt, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée, toute communication reproduisant le produit bloc cuvette Harpic Stop Bactéries, eucalyptus et citron vert et toute utilisation de la mention « STOP BACTERIES », par tout média (télévision, presse, internet, radio, affichage, réseaux sociaux, site internet marchands), notamment toute diffusion du spot vidéo utilisant l'allégation « STOP BACTERIES » ;

Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus ;

Condamne la SASU Reckitt Benckiser France aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP G.B. conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

La condamne à payer à la société SC Johnson SAS la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.