CJUE, 10e ch., 29 juillet 2019, n° C-436/18 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Shanxi Taigang Stainless Steel Co. Ltd (sté)
Défendeur :
Commission européenne, Eurofer, Association Européenne de l’Acier, ASBL
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Lycourgos
Juges :
Mme. Juhász , M. Ilešič
Avocat général :
M. Bot
Avocats :
Me Vermulst , Me Cornelis, Me Forwood , Me Van Haute
1 Par son pourvoi, Shanxi Taigang Stainless Steel Co. Ltd demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 23 avril 2018, Shanxi Taigang Stainless Steel/Commission (T‑675/15, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:209), par lequel le Tribunal a rejeté son recours tendant à l’annulation partielle du règlement d’exécution (UE) 2015/1429 de la Commission, du 26 août 2015, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de produits plats laminés à froid en aciers inoxydables originaires de la République populaire de Chine et de Taïwan (JO 2015, L 224, p. 10, ci-après le « règlement litigieux »).
Le cadre juridique
2 L’article 2, intitulé « Détermination de l’existence d’un dumping », du règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 2009, L 343, p. 51, et rectificatif JO 2010, L 7, p. 22, ci-après le « règlement de base ») disposait, à ses paragraphes 7 et 10 :
« 7.
a) Dans le cas d’importations en provenance de pays n’ayant pas une économie de marché, la valeur normale est déterminée sur la base du prix ou de la valeur construite, dans un pays tiers à économie de marché, du prix pratiqué à partir d’un tel pays tiers à destination d’autres pays, y compris la Communauté, ou, lorsque cela n’est pas possible, sur toute autre base raisonnable, y compris le prix effectivement payé ou à payer dans la Communauté pour le produit similaire, dûment ajusté, si nécessaire, afin d’y inclure une marge bénéficiaire raisonnable.
Un pays tiers à économie de marché approprié est choisi d’une manière non déraisonnable, compte tenu de toutes les informations fiables disponibles au moment du choix. Il est également tenu compte des délais et, le cas échéant, un pays tiers à économie de marché faisant l’objet de la même enquête est retenu.
[...]
b) Dans le cas d’enquêtes antidumping concernant les importations en provenance [...] de tout pays dépourvu d’une économie de marché qui est membre de l’[Organisation mondiale du commerce (OMC)] à la date d’ouverture de l’enquête, la valeur normale est déterminée conformément aux paragraphes 1 à 6, s’il est établi, sur la base de requêtes dûment documentées présentées par un ou plusieurs producteurs faisant l’objet de l’enquête et conformément aux critères et aux procédures énoncés au point c), que les conditions d’une économie de marché prévalent pour ce ou ces producteurs, en ce qui concerne la fabrication et la vente du produit similaire concerné. Si tel n’est pas le cas, les règles du point a) s’appliquent.
[...]
10. Il est procédé à une comparaison équitable entre le prix à l’exportation et la valeur normale. Cette comparaison est faite, au même stade commercial, pour des ventes effectuées à des dates aussi proches que possible et en tenant dûment compte d’autres différences qui affectent la comparabilité des prix. Dans les cas où la valeur normale et le prix à l’exportation établis ne peuvent être ainsi comparés, il sera tenu compte dans chaque cas, sous forme d’ajustements, des différences constatées dans les facteurs dont il est revendiqué et démontré qu’ils affectent les prix et, partant, leur comparabilité. [...] »
Les antécédents du litige
3 La requérante est une société établie en Chine, principalement active sur le marché de la fabrication et de la distribution de produits en acier, notamment de produits plats laminés à froid en aciers inoxydables.
4 À la suite d’une plainte déposée le 13 mai 2014 par Eurofer, Association européenne de l’acier, ASBL (ci-après « Eurofer »), la Commission européenne a publié, le 26 juin 2014, un avis d’ouverture d’une procédure antidumping concernant les importations de produits plats laminés à froid en aciers inoxydables originaires de la République populaire de Chine et de Taïwan (JO 2014, C 196, p. 9).
5 L’enquête relative au dumping et au préjudice à l’industrie de l’Union européenne a porté sur la période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 2013. L’examen des évolutions pertinentes aux fins de l’évaluation de ce préjudice a couvert la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013.
6 Aux fins de la détermination du dumping et de l’existence d’un préjudice, l’avis d’ouverture prévoyait un échantillonnage des producteurs-exportateurs de Chine et de Taïwan ainsi que des producteurs de l’Union. La requérante a été sélectionnée pour figurer dans l’échantillon comportant quatre producteurs-exportateurs de Chine, constitué dans le cadre de l’enquête.
7 Dans l’avis d’ouverture, la Commission a informé les parties intéressées qu’elle envisageait de considérer les États-Unis comme un pays tiers à économie de marché approprié, au sens de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base (ci-après le « pays analogue »). Elle a invité les parties intéressées à présenter leurs observations à cet égard, tout en leur indiquant que, selon les informations dont elle disposait, les autres pays à économie de marché susceptibles d’être pris en considération pour le choix du pays analogue étaient la République de l’Inde, la République d’Afrique du Sud, la République de Corée et Taïwan.
8 La requérante n’a pas présenté de demande en vue d’obtenir le statut de société opérant en économie de marché (ci-après le « SEM »), en vertu de l’article 2, paragraphe 7, sous b), du règlement de base. Le 6 juillet 2014, elle a soumis ses observations sur le choix du pays analogue en estimant que les États-Unis représentaient un choix inapproprié et en suggérant de retenir Taïwan. Le 13 février 2015, elle a été, à sa demande, entendue par la Commission.
9 Le 24 mars 2015, cette institution a adopté le règlement d’exécution (UE) 2015/501, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de produits plats laminés à froid en aciers inoxydables originaires de la République populaire de Chine et de Taïwan (JO 2015, L 79, p. 23). Ce règlement a institué un droit antidumping provisoire de 24,3 % sur les exportations de ces produits réalisées par la requérante vers l’Union pendant une période de six mois à compter du 26 mars 2015.
10 À la suite de plusieurs échanges avec la requérante, au cours desquels celle-ci a réitéré ses objections concernant le choix des États-Unis, plutôt que de Taïwan, comme pays analogue, la Commission a, le 26 août 2015, adopté le règlement litigieux, qui a modifié le règlement d’exécution 2015/501 et a institué un droit antidumping de 24,4 % sur les importations dans l’Union desdits produits fabriqués par la requérante.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
11 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 novembre 2015, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation partielle du règlement litigieux.
12 Par ordonnance du 19 juillet 2016, le président de la première chambre du Tribunal a autorisé Eurofer à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.
13 Au soutien de son recours, la requérante a avancé trois moyens. Par son premier moyen, divisé en deux branches, tiré d’une violation de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base, la requérante a fait valoir, à titre principal, que la Commission avait méconnu cette disposition en sélectionnant les États-Unis comme pays analogue plutôt que de choisir Taïwan et, à titre subsidiaire, que la Commission avait omis, lors de la construction de la valeur normale en application de ladite disposition, d’opérer les ajustements nécessaires au titre de différences liées au processus de production et à l’accès aux matières premières. Par son deuxième moyen, la requérante a soutenu que la Commission avait violé l’article 2, paragraphe 10, de ce règlement en refusant d’opérer les ajustements nécessaires au titre des coûts de transport intérieur de l’un des producteurs-exportateurs des États-Unis. Par son troisième moyen, divisé en deux branches, la requérante a allégué que la Commission avait violé l’article 3, paragraphes 2, 6 et 7, dudit règlement, d’une part, en ce qui concerne l’évaluation du lien de causalité entre les importations en provenance de Chine et de Taïwan et leur incidence sur l’industrie de l’Union et, d’autre part, en attribuant à ces importations le préjudice causé à cette industrie.
14 Le Tribunal a, par l’arrêt attaqué, rejeté chacun de ces moyens et, partant, le recours dans son ensemble.
Les conclusions des parties devant la Cour
15 La requérante demande à la Cour, à titre principal :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– d’annuler le règlement litigieux dans la mesure où ce règlement la concerne, et
– de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure de pourvoi ainsi qu’à ceux de la procédure en première instance.
16 À titre subsidiaire, la requérante demande à la Cour de renvoyer l’affaire devant le Tribunal et de réserver les dépens.
17 La Commission et Eurofer demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la requérante aux dépens.
Sur le pourvoi
18 À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque deux moyens tirés d’une interprétation erronée de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
19 Par son premier moyen, la requérante soutient que le Tribunal a, aux points 34 à 37 de l’arrêt attaqué, fait une interprétation erronée de l’article 2, paragraphe 7, sous a), deuxième alinéa, seconde phrase, du règlement de base en ce qui concerne le choix du pays analogue.
20 Au soutien de ce moyen, la requérante allègue qu’il ressort clairement du libellé de cette disposition, qui prévoit que, « le cas échéant, un pays tiers à économie de marché faisant l’objet de la même enquête est retenu », que la Commission a l’obligation de choisir, comme pays analogue, un pays faisant l’objet de la même enquête antidumping lorsqu’un tel pays existe, la seule exception, introduite par l’expression « le cas échéant », étant celle dans laquelle ce pays n’est pas approprié. Dans cette dernière hypothèse, la Commission devrait constater que ledit pays n’est pas approprié et en expliquer les raisons. En revanche, il ne résulterait pas de ladite disposition que, pour être retenu comme pays analogue, un pays faisant l’objet de la même enquête devrait nécessairement être le pays « le plus » approprié lorsque d’autres solutions sont possibles.
21 Le Tribunal aurait néanmoins retenu une telle interprétation en concluant, au point 37 de l’arrêt attaqué, que c’est à juste titre que la Commission a procédé à une analyse comparative entre les États-Unis et Taïwan afin de déterminer le pays analogue le plus approprié des deux, alors que Taïwan faisait l’objet de la même enquête que la République populaire de Chine, contrairement aux États-Unis.
22 En considérant, en substance, que, lorsque d’autres solutions sont possibles, un pays tiers à économie de marché faisant l’objet de la même enquête est retenu s’il constitue le pays le plus approprié, le Tribunal aurait, d’une part, introduit à l’article 2, paragraphe 7, sous a), deuxième alinéa, seconde phrase, du règlement de base une condition supplémentaire ne figurant pas dans le libellé de cette disposition, ce qui ne serait juridiquement pas admissible ainsi qu’il ressortirait du rapport de l’organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), du 6 octobre 2016, dans l’affaire « Union européenne – Mesures antidumping visant le biodiesel en provenance d’Argentine » (). D’autre part, l’interprétation retenue par le Tribunal viderait de son sens ladite disposition en rendant sans objet l’obligation juridique qui y est prévue consistant à retenir, le cas échéant, un pays faisant l’objet de la même enquête. En effet, l’obligation de retenir le pays analogue le plus approprié découlerait déjà de la première phrase du deuxième alinéa de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base, de sorte qu’il ne saurait être considéré que la seconde phrase de cet alinéa se borne à réitérer la même obligation.
23 Par ailleurs, la requérante soutient que les arrêts du 22 octobre 1991, Nölle (C‑16/90, EU:C:1991:402), du 22 mars 2012, GLS (C‑338/10, EU:C:2012:158, point 29), et du 10 septembre 2015, Fliesen-Zentrum Deutschland (C‑687/13, EU:C:2015:573), qui sont cités aux points 30 à 33 de l’arrêt attaqué, concernaient des situations dans lesquelles il n’existait pas de pays à économie de marché faisant l’objet de la même enquête. Ainsi, ces arrêts ne seraient pertinents que pour interpréter la première phrase du deuxième alinéa de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base, qui régirait le choix d’un pays analogue en l’absence de pays à économie de marché faisant l’objet de la même enquête, et non pour interpréter la seconde phrase de cet alinéa.
24 Enfin, la requérante fait valoir, en substance, que, contrairement à ce que le Tribunal a jugé au point 37 de l’arrêt attaqué, le respect de l’obligation de choisir un pays faisant l’objet de la même enquête comme pays analogue ne risque pas d’entraîner une méconnaissance de l’obligation, incombant aux institutions de l’Union, d’essayer de trouver un pays analogue où le prix d’un produit similaire est formé dans des circonstances aussi comparables que possible à celles du pays d’exportation. En effet, conformément à l’article 2, paragraphe 7, sous a), deuxième alinéa, seconde phrase, du règlement de base et, plus particulièrement, à l’emploi de l’expression « le cas échéant », un pays tiers faisant l’objet de la même enquête ne pourrait être retenu comme pays analogue s’il n’est pas approprié, ce qui serait le cas si les prix n’y étaient pas formés dans des circonstances aussi comparables que possible à celles du pays d’exportation.
25 En ce qui concerne les conséquences de l’erreur de droit prétendument commise par le Tribunal, la requérante soutient, en substance, que les faits sont suffisamment clairs pour permettre à la Cour de statuer elle-même définitivement sur le litige. En effet, il ne serait pas contesté qu’il existait, en l’espèce, un pays à économie de marché faisant l’objet de la même enquête, à savoir Taïwan. Or, à aucun moment, la Commission n’aurait soutenu que ce pays n’était pas approprié. Elle aurait uniquement allégué que les États-Unis constituaient un choix plus approprié. Partant, la Commission aurait été juridiquement dans l’obligation de retenir Taïwan comme pays analogue et le non-respect de cette obligation devrait entraîner l’annulation du règlement litigieux.
26 La Commission considère que le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé et, en tout état de cause, comme étant inopérant. Eurofer, qui doute de la recevabilité de ce moyen dans la mesure où il correspondrait à un grief qui ne figurait pas dans la requête en première instance et n’aurait été introduit qu’au stade du mémoire en réplique devant le Tribunal, estime également que ledit moyen doit, en tout état de cause, être rejeté comme étant inopérant et non fondé.
Appréciation de la Cour
27 Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité du premier moyen, il convient, en tout état de cause, de le rejeter comme étant non fondé.
28 À cette fin, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 2, paragraphe 7, sous a), premier alinéa, du règlement de base, dans le cas d’importations en provenance de pays n’ayant pas une économie de marché, par dérogation aux règles établies à l’article 2, paragraphes 1 à 6, de ce règlement, la valeur normale est, en principe, déterminée sur la base du prix ou de la valeur construite dans un pays tiers à économie de marché, c’est-à-dire selon la méthode du pays analogue [arrêts du 10 septembre 2015, Fliesen-Zentrum Deutschland, C‑687/13, EU:C:2015:573, point 48, et du 28 février 2018, Commission/Xinyi PV Products (Anhui) Holdings, C‑301/16 P, EU:C:2018:132, point 64]. L’article 2, paragraphe 7, sous a), deuxième alinéa, dudit règlement dispose, à sa première phrase, que le pays analogue est choisi d’une manière non déraisonnable, compte tenu de toutes les informations fiables disponibles au moment du choix et, à sa seconde phrase, que, le cas échéant, un pays tiers à économie de marché faisant l’objet de la même enquête est retenu.
29 Les arguments avancés par la requérante au soutien de son premier moyen se fondent sur une lecture isolée de la seconde phrase du deuxième alinéa dudit article 2, paragraphe 7, sous a). Or, ainsi que le soutient, en substance, la Commission, cette seconde phrase doit être lue à la lumière de la première phrase de cet alinéa, telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour, cette première phrase étant, contrairement à ce que semble faire valoir la requérante, pertinente y compris dans l’hypothèse où un pays à économie de marché fait l’objet de la même enquête.
30 À cet égard, il ressort de cette jurisprudence, d’une part, que le choix du pays analogue s’inscrit dans le cadre du large pouvoir d’appréciation dont disposent les institutions de l’Union dans le domaine de la politique commerciale commune, en raison de la complexité des situations économiques et politiques qu’elles doivent examiner (voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 1991, Nölle, C‑16/90, EU:C:1991:402, point 11 ; du 29 mai 1997, Rotexchemie, C‑26/96, EU:C:1997:261, point 10, et du 10 septembre 2015, Fliesen-Zentrum Deutschland, C‑687/13, EU:C:2015:573, point 44).
31 D’autre part, il résulte de ladite jurisprudence que le pays analogue doit être choisi de manière non déraisonnable, compte tenu de toutes les informations fiables disponibles au moment du choix, les juridictions de l’Union devant s’assurer que les institutions de l’Union compétentes n’ont pas omis de prendre en considération des éléments essentiels en vue d’établir le caractère adéquat du pays choisi et que les éléments du dossier ont été examinés avec toute la diligence requise pour qu’il puisse être considéré que la valeur normale du produit concerné a été déterminée d’une manière appropriée et non déraisonnable. À cette fin, il incombe auxdites institutions, en tenant compte des alternatives qui se présentent, d’essayer de trouver un pays tiers où le prix d’un produit similaire est formé dans des circonstances aussi comparables que possible à celles du pays d’exportation pourvu qu’il s’agisse d’un pays à économie de marché (voir, en ce sens, arrêts du 22 mars 2012, GLS, C‑338/10, EU:C:2012:158, points 21 et 22, ainsi que du 10 septembre 2015, Fliesen-Zentrum Deutschland, C‑687/13, EU:C:2015:573, points 49 et 51).
32 Il se déduit donc de l’article 2, paragraphe 7, sous a), deuxième alinéa, du règlement de base que, lorsque le choix de plusieurs pays est envisageable à la lumière des informations fiables disponibles, l’institution compétente procède à une analyse comparative de ces différents pays et choisit celui dans lequel le prix du produit similaire au produit concerné est formé dans des circonstances aussi comparables que possible à celles du pays d’exportation. Dans cette perspective, contrairement à ce que fait, en substance, valoir la requérante, la seconde phrase dudit alinéa n’exclut pas que cette institution procède à une telle analyse comparative, y compris lorsqu’un pays à économie de marché fait l’objet de la même enquête, et choisisse, sur cette base, le pays le plus approprié dans le cadre du pouvoir d’appréciation dont elle dispose conformément à la jurisprudence rappelée au point 31 du présent arrêt.
33 Ainsi, il ressort de la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base que, lorsqu’un pays à économie de marché fait l’objet de la même enquête, l’institution compétente doit en tenir dûment compte parmi les choix possibles et examiner, avec toute la diligence requise, si ce pays constitue un choix approprié. Or, en l’espèce, si la requérante fait valoir que la Commission n’a pas soutenu que Taïwan ne constituait pas un choix approprié, elle ne conteste pas le constat, opéré en substance par le Tribunal aux points 34 et 35 de l’arrêt attaqué, selon lequel la Commission a, en l’occurrence, examiné la situation de ce pays parmi les alternatives possibles.
34 Il résulte de ce qui précède que, comme le Tribunal l’a exposé à juste titre au point 37 de l’arrêt attaqué et contrairement à ce que fait valoir la requérante, la Commission n’était pas tenue de retenir Taïwan comme étant le pays analogue approprié au seul motif qu’il s’agissait d’un pays tiers à économie de marché faisant l’objet de la même enquête que la Chine, ce qui aurait eu pour conséquence d’empêcher cette institution de tenir compte des autres options envisageables et de procéder à une analyse comparative entre ce pays et ces autres options, parmi lesquelles, en l’occurrence, les États-Unis, afin de déterminer le pays le plus approprié des deux. Toute interprétation contraire méconnaîtrait non seulement le pouvoir d’appréciation dont dispose cette institution dans le choix du pays analogue, mais aussi, comme le Tribunal l’a relevé à juste titre au point 37 de l’arrêt attaqué, l’obligation de ladite institution, rappelée au point 32 du présent arrêt, d’essayer de trouver, en tenant compte des alternatives qui se présentent, un pays tiers à économie de marché où le prix d’un produit similaire est formé dans des circonstances aussi comparables que possible à celles du pays d’exportation.
35 Cette conclusion est corroborée par l’analyse de la genèse du règlement (CE) no 3283/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1994, L 349, p. 1), qui a introduit dans les règles de base de l’Union en matière d’antidumping la prescription figurant à l’article 2, paragraphe 7, sous a), deuxième alinéa, seconde phrase, du règlement de base. En effet, l’exposé des motifs de la proposition présentée par la Commission en vue de l’adoption du règlement no 3283/94 [COM(1994) 414 final] indiquait, à propos de cette disposition, dont la formulation finale retenue par le législateur de l’Union est identique à celle qui était proposée par la Commission, que, pour le choix du pays analogue, la préférence « peut » aller à un pays soumis à la même enquête, sous réserve qu’il remplisse les critères d’une base raisonnable, ce qui implique une absence d’obligation de choisir ce pays.
36 Contrairement à ce que fait valoir la requérante, l’interprétation, qui figure aux points 32 à 34 du présent arrêt, de la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base n’aboutit ni à ajouter à cette seconde phrase une condition qui n’y figure pas ni à priver ladite phrase d’effet utile, mais procède d’une lecture d’ensemble de l’article 2, paragraphe 7, sous a), deuxième alinéa, de ce règlement.
37 Il s’ensuit que, dans la mesure où aucune condition n’a été ajoutée par le Tribunal à l’article 2, paragraphe 7, sous a), deuxième alinéa, deuxième phrase, du règlement de base, il convient de rejeter également l’argument de la requérante tiré de ce qu’il résulterait du rapport de l’organe d’appel de l’OMC, du 6 octobre 2016, dans l’affaire « Union européenne – Mesures antidumping visant le biodiesel en provenance d’Argentine » (WT/DS 473/AB/R), relatif à l’interprétation de l’article 2.2.1.1 de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (GATT) (JO 1994, L 336, p. 103) , figurant à l’annexe 1A de l’accord instituant l’OMC (JO 1994, L 336, p. 3), qu’il n’est pas juridiquement admissible d’ajouter une condition ne figurant pas dans le libellé de l’article 2, paragraphe 7, sous a), deuxième alinéa, deuxième phrase, du règlement de base.
38 Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur le second moyen
Argumentation des parties
39 Par son second moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a fait une interprétation erronée de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base en considérant, aux points 60 à 65 de l’arrêt attaqué, qu’il ne saurait être opéré d’ajustements au titre des différences dans le processus de production et dans l’accès aux matières premières constatées en Chine, lors de la construction de la valeur normale en application de cette disposition.
40 La solution retenue par le Tribunal dans cet arrêt aboutirait à exclure, par principe, la possibilité, pour les producteurs-exportateurs des pays dépourvus d’une économie de marché ne remplissant pas les conditions pour bénéficier du SEM, de demander des ajustements de la valeur normale au titre de telles différences en vertu de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base, alors que, en application des arrêts du 10 octobre 2012, Shanghai Biaowu High-Tensile Fastener et Shanghai Prime Machinery/Conseil (T‑170/09, non publié, EU:T:2012:531, point 123), ainsi que du 29 avril 2015, Changshu City Standard Parts Factory et Ningbo Jinding Fastener/Conseil (T‑558/12 et T‑559/12, non publié, EU:T:2015:237, point 110), ces producteurs-exportateurs seraient déjà privés de la possibilité de solliciter des ajustements au titre de ces différences sur le fondement de l’article 2, paragraphe 10, de ce règlement.
41 Une telle solution, qui priverait, pour l’essentiel, lesdits producteurs-exportateurs du droit de demander des ajustements, serait contraire à l’article 2.4 de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, qui correspondrait à l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base et prévoirait l’obligation de procéder à une comparaison équitable entre le prix à l’exportation et la valeur normale ainsi que d’opérer des ajustements au titre des différences affectant la comparabilité des prix. En effet, dans son rapport du 18 janvier 2016 dans l’affaire « Communautés européennes – Mesures antidumping définitives visant certains éléments de fixation en fer ou en acier en provenance de Chine » (WT/DS 397/AB/RW, points 5.207 et 5.215), l’organe d’appel de l’OMC aurait clairement indiqué que cette obligation s’applique à toutes les enquêtes antidumping, y compris lorsque la valeur normale est déterminée sur la base d’un pays analogue.
42 En outre, contrairement à ce qu’aurait jugé le Tribunal, la circonstance que la requérante n’a pas introduit de demande en vue d’obtenir le SEM serait dépourvue de pertinence afin de déterminer si une demande d’ajustement au titre de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base est justifiée.
43 Par ailleurs, si, dans l’arrêt du 10 septembre 2015, Fliesen-Zentrum Deutschland (C‑687/13, EU:C:2015:573, point 48), cité par le Tribunal au point 60 de l’arrêt attaqué, la Cour a jugé que l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base vise à éviter la prise en considération des prix et des coûts en vigueur dans les pays n’ayant pas une économie de marché dans la mesure où ces paramètres n’y sont pas la résultante normale des forces s’exerçant sur le marché, elle ne se serait toutefois pas prononcée sur le point de savoir s’il est possible de procéder à des ajustements au titre de facteurs qui sont la résultante de telles forces, tels que les différences dues à un avantage comparatif naturel. Une telle possibilité n’aurait pas non plus été écartée dans l’arrêt du 29 avril 2015, Changshu City Standard Parts Factory et Ningbo Jinding Fastener/Conseil (T‑558/12 et T‑559/12, non publié, EU:T:2015:237, point 110), cité au point 61 de l’arrêt attaqué.
44 Si la requérante n’allègue pas que des ajustements devraient être opérés pour neutraliser les distorsions constatées dans un pays dépourvu d’une économie de marché, elle soutient toutefois que cela n’exclut pas la possibilité de procéder à des ajustements, en vertu de l’article 2, paragraphe 7, sous a), ou de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base, au titre de différences qui affectent la comparabilité des prix et qui sont la résultante desdites forces, autrement dit qui ne sont pas provoquées par des distorsions.
45 À cet égard, dans son rapport du 18 janvier 2016 dans l’affaire « Communautés européennes – Mesures antidumping définitives visant certains éléments de fixation en fer ou en acier en provenance de Chine » (WT/DS 397/AB/RW, points 5.207 et 5.236), l’organe d’appel de l’OMC aurait précisé que, si l’autorité chargée de l’enquête n’est pas tenue de procéder à des ajustements au titre des différences entre les coûts des producteurs du pays exportateur dépourvu d’une économie de marché et ceux du producteur du pays analogue lorsque cela conduirait cette autorité à réintroduire dans la valeur normale les coûts faussés des producteurs de ce premier pays, ladite autorité doit toutefois déterminer si l’ajustement demandé aurait ou non un tel effet.
46 En excluant, par principe, la possibilité de procéder à des ajustements au titre de différences dans l’accès aux matières premières et dans le processus de production, alors qu’il aurait dû examiner si l’acceptation d’un tel ajustement aurait eu pour effet de réintroduire des coûts faussés et/ou si les autres conditions d’acceptation de cet ajustement étaient réunies, le Tribunal aurait violé l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base.
47 La Commission et Eurofer considèrent que le second moyen doit être rejeté comme étant non fondé et, selon Eurofer, comme étant, en tout état de cause, inopérant.
Appréciation de la Cour
48 Par son second moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en excluant, par principe, la possibilité de procéder à des ajustements au titre des différences dans le processus de production et dans l’accès aux matières premières constatées en Chine lors de la construction de la valeur normale en application de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base.
49 À cet égard, il ressort, en substance, de l’argumentation développée par la requérante dans le cadre de ce moyen que celle-ci admet que, comme le Tribunal l’a jugé au point 62 de l’arrêt attaqué, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle opère des ajustements portant sur des facteurs influencés par des paramètres qui ne sont pas la résultante des forces du marché. Cependant, la requérante soutient qu’il devrait être possible de procéder à des ajustements au titre de différences qui sont la résultante de telles forces et ajoute, en substance, que le Tribunal aurait dû examiner si l’acceptation des ajustements demandés aurait eu pour effet de réintroduire dans la valeur normale des coûts faussés, c’est-à-dire si ces ajustements auraient eu pour conséquence de réintroduire dans cette valeur des coûts influencés par des paramètres qui ne résultent pas desdites forces, ce que le Tribunal n’aurait pas fait.
50 À cet égard, il convient toutefois de relever que, pour conclure, au point 64 de l’arrêt attaqué, que, en l’espèce, il ne saurait être procédé à des ajustements au titre de différences dans le processus de production et dans l’accès aux matières premières constatées en Chine dans le contexte de la construction de la valeur normale en vertu de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base, le Tribunal a constaté, au point 63 de cet arrêt que, la Chine n’étant pas, au moment des faits, considérée comme une économie de marché et la requérante n’ayant pas introduit de demande en vue d’obtenir le SEM, rien n’indiquait que l’approvisionnement en nickel ou le processus de production d’une entreprise, opérant dans des conditions qui ne sont pas celles d’une économie de marché, n’étaient pas influencés par des paramètres qui ne sont pas la résultante des forces qui s’exercent sur le marché.
51 Or, ainsi que l’a relevé Eurofer, la requérante, qui revendique, en substance, la possibilité de procéder à des ajustements au regard de facteurs qui sont la résultante des forces s’exerçant sur le marché, ne conteste pas expressément la constatation factuelle ainsi opérée par le Tribunal au point 63 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, en substance, il n’apparaissait pas que les ajustements demandés portaient sur de tels facteurs. La requérante ne soutient, a fortiori, pas non plus que cette constatation est entachée de dénaturation.
52 Partant, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le bien-fondé de l’ensemble des arguments avancés par la requérante dans le cadre du présent moyen, l’argumentation de celle-ci doit être rejetée comme étant inopérante. En conséquence, le second moyen doit être rejeté.
53 Il convient donc de rejeter le pourvoi dans son ensemble.
Sur les dépens
54 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
55 L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, prévoit que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
56 Shanxi Taigang Stainless Steel ayant succombé en ses moyens et la Commission ainsi qu’Eurofer ayant conclu à la condamnation de celle-ci aux dépens, il y a lieu de condamner cette société aux dépens afférents au présent pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Shanxi Taigang Stainless Steel Co. Ltd est condamnée aux dépens.