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Décisions

CJUE, 3e ch., 28 février 2019, n° C-466/16 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Conseil de l’Union européenne, Commission européenne, ePURE, de Europese Producenten Unie van Hernieuwbare Ethanol

Défendeur :

Marquis Energy LLC

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Vilaras

Juges :

Mme Malenovský, Mme Bay Larsen, Mme Safjan , Mme Šváby

Avocat général :

M. Mengozzi

Avocats :

Me Tuominen, Me Vander Schueren, Me Mizulin , Me Peristeraki, Me Prost , Me Massot

TUE, du 9 juin 2016

9 juin 2016

1        Par son pourvoi, le Conseil de l’Union européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 9 juin 2016, Marquis Energy/Conseil, (T‑277/13, ci-après l’« arrêt attaqué », non publié, EU:T:2016:343), par lequel celui-ci a, d’une part, déclaré recevable le recours en annulation introduit par Marquis Energy LLC contre le règlement d’exécution (UE) no 157/2013 du Conseil, du 18 février 2013, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de bioéthanol originaire des États-Unis d’Amérique (JO 2013, L 49, p. 10, ci-après le « règlement litigieux »), et, d’autre part, annulé ce règlement dans la mesure où ce dernier la concernait.

 Les antécédents du litige

2        Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 1 à 14 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés de la manière suivante.

3        Marquis Energy est une entreprise américaine productrice de bioéthanol.

4        À la suite d’une plainte déposée le 12 octobre 2011 par ePure, de Europese Producenten Unie van Hernieuwbare Ethanol, association européenne des producteurs d’éthanol renouvelable, la Commission européenne a publié, le 25 novembre 2011, un avis d’ouverture d’une procédure antidumping concernant les importations de bioéthanol originaire des États-Unis d’Amérique (JO 2011, C 345, p. 7), dans lequel elle annonçait son intention de recourir à la méthode de l’échantillonnage afin de sélectionner les producteurs-exportateurs des États-Unis d’Amérique couverts par l’enquête ouverte dans le cadre de cette procédure (ci-après l’« enquête »).

5        Le 16 janvier 2012, la Commission a notifié à Marquis Energy ainsi qu’à quatre autres sociétés, à savoir Patriot Renewable Fuels LLC, Plymouth Energy Company LLC, POET LLC et Platinum Ethanol LLC, qu’elles avaient été retenues dans l’échantillon des producteurs-exportateurs.

6        Le 24 août 2012, la Commission a communiqué à Marquis Energy le document d’information provisoire annonçant la poursuite de l’enquête, sans adoption de mesures provisoires, et son extension aux négociants/mélangeurs. Ce document indiquait qu’il n’était pas possible à ce stade d’apprécier si les exportations de bioéthanol originaire des États-Unis avaient été effectuées à des prix de dumping, au motif que les producteurs échantillonnés ne faisaient pas de distinction entre les ventes intérieures et les ventes à l’exportation et qu’ils effectuaient toutes leurs ventes à des négociants/mélangeurs indépendants établis aux États-Unis, qui mélangeaient ensuite le bioéthanol à de l’essence avant de le revendre.

7        Le 6 décembre 2012, la Commission a adressé à Marquis Energy le document d’information définitif dans lequel elle examinait, sur la base des données des négociants/mélangeurs indépendants, l’existence d’un dumping qui causerait un préjudice à l’industrie de l’Union européenne, et envisageait l’imposition de mesures définitives au taux de 9,6 % à l’échelle nationale, pour une période de trois ans.

8        Le 18 février 2013, le Conseil a adopté, sur le fondement du règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 2009, L 343, p. 51, ci-après le « règlement antidumping de base »), le règlement litigieux, instituant un droit antidumping sur le bioéthanol, appelé « éthanol-carburant », à un taux de 9.5 % à l’échelle nationale pour une période de cinq ans.

9        Il ressort du point 13 de l’arrêt attaqué que le Conseil a constaté, aux considérants 12 à 16 du règlement litigieux, que l’enquête avait montré qu’aucun des producteurs échantillonnés n’avait exporté de bioéthanol sur le marché de l’Union et que c’était non pas les producteurs américains de bioéthanol, mais les négociants/mélangeurs qui étaient les exportateurs du produit concerné vers l’Union, de sorte que, pour mener à bien l’enquête, il s’était appuyé sur les données des deux négociants/mélangeurs qui avaient accepté de coopérer.

10      Il est également indiqué, au point 14 de l’arrêt attaqué, que le Conseil a expliqué, aux considérants 62 à 64 du règlement litigieux, qu’il jugeait opportun d’établir une marge de dumping à l’échelle nationale, dans la mesure où la structure de l’industrie du bioéthanol et la manière dont le produit concerné était fabriqué et vendu sur le marché des États-Unis et exporté vers l’Union rendaient irréalisable l’établissement de marges de dumping individuelles pour les producteurs des États-Unis.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 mai 2013, Marquis Energy a introduit un recours en annulation du règlement litigieux.

12      Le Tribunal a, tout d’abord, admis la recevabilité du recours de Marquis Energy, au terme des développements figurant aux points 40 à 118 de l’arrêt attaqué, en examinant successivement, après un rappel des principales propositions de la jurisprudence pertinente concernant l’interprétation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE en général et en matière de dumping, sa qualité pour agir, puis son intérêt à agir contre le règlement litigieux.

13      Il a, ensuite, accueilli, aux points 121 à 168 et 203 de l’arrêt attaqué, la deuxième branche du premier moyen soulevé par Marquis Energy, tiré d’une violation par le Conseil de l’article 9, paragraphe 5, du règlement antidumping de base, et a, par conséquent, annulé le règlement litigieux dans la mesure où il concernait cette entreprise.

14      Le Tribunal a, aux points 55 à 80 de l’arrêt attaqué, plus précisément examiné la question de savoir si Marquis Energy était directement concernée par le règlement litigieux, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

15      Il a, d’une part, rappelé, au point 55 de l’arrêt attaqué, sa jurisprudence selon laquelle une société, dont les produits sont soumis à un droit antidumping, est directement concernée par un règlement instituant ce droit antidumping, car ce dernier oblige les autorités douanières des États membres à percevoir le droit institué sans leur laisser une quelconque marge d’appréciation.

16      Il a, d’autre part, constaté, dans un premier temps, aux points 56 à 67 de l’arrêt attaqué, que Marquis Energy était directement concernée par le droit antidumping institué par le règlement litigieux, au motif qu’elle était un producteur du produit qui, lors de son importation dans l’Union depuis l’entrée en vigueur du règlement litigieux, était soumis au droit antidumping.

17      Il s’est, à cet égard, appuyé, au point 60 de l’arrêt attaqué, sur quatre constatations relatives au fonctionnement du marché du bioéthanol, tel qu’établi par le Conseil, ce dernier ayant lui-même considéré, dans le règlement litigieux, qu’un volume important de bioéthanol provenant de Marquis Energy avait été exporté de manière régulière vers l’Union au cours de la période d’enquête.

18      Premièrement, il a ainsi relevé, au point 56 de l’arrêt attaqué, que l’article 1er, paragraphe 1, du règlement litigieux imposait un droit antidumping unique, à l’échelle nationale, à toutes les importations de bioéthanol, sans identifier les importations de bioéthanol par leur source individuelle en indiquant les opérateurs pertinents pour l’exportation dans la chaîne commerciale.

19      Deuxièmement, il a constaté, au point 57 de l’arrêt attaqué, que le Conseil avait relevé, au considérant 12 du règlement litigieux, que, puisqu’aucun des producteurs américains échantillonnés n’avait exporté de bioéthanol sur le marché de l’Union, les ventes de ces derniers avaient été réalisées sur le marché intérieur à des négociants/mélangeurs indépendants qui avaient mélangé ensuite le bioéthanol à de l’essence afin de le revendre sur le marché intérieur et à l’exportation, en particulier vers l’Union.

20      Troisièmement, il a constaté, au point 58 de l’arrêt attaqué, que le Conseil avait relevé, audit considérant 12, que les cinq producteurs américains inclus dans l’échantillon avaient fait état d’exportations de bioéthanol vers l’Union dans leur formulaire d’échantillonnage.

21      Quatrièmement, il a rappelé, au point 59 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait initialement retenu un échantillon de six producteurs de bioéthanol aux États-Unis sur la base du plus grand volume représentatif d’exportations de bioéthanol vers l’Union sur lequel l’enquête pouvait raisonnablement porter, compte tenu du temps disponible, mais qu’une société avait été retirée de l’échantillon, au cours de l’enquête, en raison du fait qu’il avait été constaté que la production de cette société n’avait pas été exportée vers l’Union au cours de cette période.

22      Il a, dans un second temps, aux points 68 à 79 de l’arrêt attaqué, réfuté les différents arguments soulevés par le Conseil et la Commission. Il a notamment relevé à cet égard, au point 76 de cet arrêt, que, même si c’étaient les négociants/mélangeurs qui supportaient le droit antidumping et qu’il était avéré que la chaîne commerciale du bioéthanol était interrompue de manière à ce qu’ils ne fussent pas en mesure de répercuter le droit antidumping sur les producteurs, il demeurait que l’institution d’un droit antidumping changeait les conditions légales sous lesquelles le bioéthanol produit par les producteurs échantillonnés était commercialisé sur le marché de l’Union, de sorte que la position légale desdits producteurs sur ce marché était, en tout état de cause, directement et substantiellement affectée.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

23      Par son pourvoi, le Conseil demande à la Cour, à titre principal :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de rejeter le recours formé en première instance par Marquis Energy, et

–        de condamner Marquis Energy à supporter les dépens afférents à la procédure de première instance et à la procédure de pourvoi qu’il a exposés.

24      À titre subsidiaire, le Conseil demande à la Cour :

–        de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour réexamen et

–        de réserver les dépens afférents à la procédure de première instance et à la procédure de pourvoi.

25      Dans son mémoire en réponse, la Commission demande à la Cour, à titre principal :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de déclarer le recours en première instance irrecevable, et

–        de condamner Marquis Energy aux dépens devant le Tribunal et devant la Cour.

26      À titre subsidiaire, la Commission demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de rejeter la deuxième branche du premier moyen soulevé par Marquis Energy en première instance et, pour les autres branches du premier moyen ainsi que pour les autres moyens, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour réexamen, et

–        de réserver les dépens des deux instances.

27      Dans son mémoire en réponse, Marquis Energy demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi dans son intégralité et de confirmer l’arrêt attaqué et

–        de condamner le Conseil à supporter les dépens du pourvoi et de la procédure devant le Tribunal.

 Sur le pourvoi

28      Dans le cadre de son pourvoi, le Conseil soulève trois moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur d’interprétation, par le Tribunal, de l’article 263 TFUE ainsi que de la jurisprudence pertinente et d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué. Le deuxième moyen est tiré de ce que le Tribunal se serait livré à une interprétation erronée de l’article 9, paragraphe 5, du règlement antidumping de base. Le troisième moyen est tiré de ce que le Tribunal aurait conclu à tort qu’il n’était pas irréalisable d’appliquer des droits individuels aux producteurs américains retenus dans l’échantillon.

29      Dans le cadre de ses mémoires en réponse et en duplique, la Commission déclare soutenir sans réserve le pourvoi formé par le Conseil et partager les arguments présentés par celui-ci dans son mémoire en réplique. Dans son mémoire en duplique, la Commission fait toutefois valoir, à titre liminaire, que le mémoire en réponse de Marquis Energy a été signé électroniquement par une personne affirmant être membre des barreaux d’Athènes (Grèce) et de Bruxelles (Belgique), mais que ni le certificat d’exercice ni le pouvoir de cette personne n’ont été produits, ce qui, à défaut de régularisation, suffit pour déclarer ledit mémoire inexistant.

30      Marquis Energy excipe de l’irrecevabilité du pourvoi dans son intégralité. D’une part, elle fait valoir que, dans le cadre de ses premier et deuxième moyens, le Conseil remet essentiellement en cause des éléments factuels, sans invoquer une dénaturation par le Tribunal des éléments de preuve. D’autre part, elle considère que, dans le cadre de son troisième moyen, le Conseil n’expose pas ses arguments avec suffisamment de clarté.

31      La Cour examinera, en premier lieu, l’exception d’irrecevabilité du pourvoi soulevée par Marquis Energy et, en second lieu, la première branche du premier moyen soulevé par le Conseil, tirée de ce que le Tribunal aurait commis une erreur de droit en concluant que Marquis Energy était directement concernée par le règlement litigieux.

32      Il convient, toutefois, à titre liminaire, d’examiner l’allégation de la Commission selon laquelle le mémoire en réponse de Marquis Energy n’aurait pas été valablement signé et devrait, dès lors, être rejeté comme étant inexistant.

33      En l’occurrence, l’original du mémoire en réponse de Marquis Energy a, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, au point 31 de ses conclusions, été dûment signé par une avocate, dont la qualité n’est pas contestée et qui, en tout état de cause et conformément à l’article 44, paragraphe 1, sous b), du règlement de procédure de la Cour, a dûment produit, d’une part, le document de légitimation certifiant qu’elle est habilitée à exercer devant une juridiction d’un État membre et, d’autre part, le mandat délivré par Marquis Energy, signé par son président.

34      L’allégation de la Commission doit, partant, être rejetée comme étant manifestement dénuée de tout fondement.

 Sur la recevabilité

35      Il convient de rappeler que, certes, l’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces faits et de ces éléments de preuve, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Toutefois, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ceux-ci et les conséquences de droit qui en ont été tirées [arrêts du 28 mai 1998, Deere/Commission, C‑7/95 P, EU:C:1998:256, point 21 ; du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, EU:C:2002:736, point 69, ainsi que du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 77].

36      En l’espèce, par son premier moyen, le Conseil fait valoir que le Tribunal a commis une double erreur de droit dans l’interprétation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, en concluant que Marquis Energy était, d’une part, directement concernée et, d’autre part, individuellement concernée par le règlement litigieux, en sa qualité de producteur américain de bioéthanol échantillonné. Dans le cadre de ce premier moyen, le Conseil conteste, plus précisément, que Marquis Energy puisse être considérée comme étant directement concernée par le règlement litigieux, dès lors que, en substance, elle n’a pas directement exporté de bioéthanol vers l’Union.

37      Ce faisant, le Conseil met donc en cause les conséquences de droit que le Tribunal a tirées des constatations de fait qu’il a opérées, en l’occurrence la reconnaissance de la qualité pour agir de Marquis Energy contre le règlement litigieux, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, de sorte que le pourvoi doit, à tout le moins dans cette mesure, être déclaré recevable (voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, EU:C:2002:736, point 71 ; du 28 juin 2018, Allemagne/Commission, C‑208/16 P, non publié, EU:C:2018:506, point 76, ainsi que du 28 juin 2018, Allemagne/Commission, C‑209/16 P, non publié, EU:C:2018:507, point 74).

38      Il s’ensuit que, sans qu’il soit nécessaire, à ce stade, de se prononcer sur la recevabilité des deux autres moyens soulevés par le Conseil, l’exception d’irrecevabilité du premier moyen du pourvoi soulevée par Marquis Energy doit être rejetée.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’appréciation de l’affectation directe de Marquis Energy

 Argumentation des parties

39      Le Conseil fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant, au point 67 de l’arrêt attaqué, que Marquis Energy était directement concernée par le règlement litigieux, cette conclusion étant, par ailleurs, justifiée par les éléments exposés aux points 76, 78 et 79 de cet arrêt.

40      Le Tribunal aurait, en effet, jugé que Marquis Energy était directement concernée dans la mesure où elle était un producteur du produit qui, lors de son importation dans l’Union, était soumis au droit antidumping. L’institution d’un tel droit aurait changé les conditions légales sous lesquelles le bioéthanol était commercialisé sur le marché de l’Union. Or, le constat d’un tel effet direct serait incompatible avec celui posé par la Cour dans l’arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission (C‑456/13 P, EU:C:2015:284, points 44 à 51). En tant que producteur ne vendant pas directement ses produits dans l’Union, elle pourrait tout au plus être indirectement concernée d’un point de vue économique, en ce qu’elle subit potentiellement un désavantage concurrentiel par rapport à d’autres fabricants de bioéthanol sur lesquels aucun droit n’est perçu.

41      Selon le Conseil, le Tribunal a jugé à tort que les droits antidumping changeaient les conditions légales de commercialisation du produit concerné et affectaient ainsi directement et substantiellement la position de tous les producteurs échantillonnés, qu’ils soient ou non des exportateurs. En concluant que tous les producteurs étaient par défaut directement concernés, le Tribunal serait allé au-delà de la jurisprudence constante qu’il cite, se rendant ainsi coupable « d’exagération » judiciaire.

42      Le Tribunal aurait donc méconnu la condition d’affectation directe énoncée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qui exige que la mesure faisant l’objet d’un recours produise directement des effets sur la situation juridique de la personne concernée et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires, en acceptant comme étant suffisant un changement présumé et indirect sur la situation économique de Marquis Energy.

43      Cette dernière estime que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en concluant qu’elle était directement concernée par le règlement litigieux.

 Appréciation de la Cour

44      Aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, rappelée par le Tribunal, au point 44 de l’arrêt attaqué, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la mesure faisant l’objet du recours requiert que deux conditions soient cumulativement réunies, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de cette personne et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union sans application d’autres règles intermédiaires [voir, notamment, arrêt du 5 mai 1998, Compagnie Continentale (France)/Commission, C‑391/96 P, EU:C:1998:194, point 41, ainsi que ordonnances du 10 mars 2016, SolarWorld/Commission, C‑142/15 P, non publiée, EU:C:2016:163, point 22, et du 21 avril 2016, Makro autoservicio mayorista et Vestel Iberia/Commission, C‑264/15 P et C‑265/15 P, non publiée, EU:C:2016:301, point 45].

45      Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, au point 38 de ses conclusions, c’est l’appréciation par le Tribunal de la première de ces conditions qui est mise en cause par le Conseil et par la Commission.

46      Les institutions font en effet valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant que Marquis Energy était directement concernée par le règlement litigieux en raison du fait qu’un volume important de sa production de bioéthanol avait été exporté, par des négociants/mélangeurs, de manière régulière vers l’Union au cours de la période d’enquête, de sorte que sa position légale sur le marché de l’Union avait été substantiellement affectée du fait de l’institution du droit antidumping.

47      Il importe de rappeler à cet égard que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, si les règlements instituant des droits antidumping sur un produit ont, par leur nature et leur portée, un caractère normatif, en ce qu’ils s’appliquent à la généralité des opérateurs économiques intéressés, il n’est pas exclu qu’ils puissent concerner directement et individuellement certains d’entre eux, notamment, sous certaines conditions, les producteurs et exportateurs dudit produit (voir, en ce sens, arrêt du 16 avril 2015, TMK Europe, C‑143/14, EU:C:2015:236, point 19 et jurisprudence citée).

48      À cet égard, la Cour a itérativement jugé que les actes portant institution de droits antidumping sont de nature à concerner directement et individuellement les entreprises productrices et exportatrices du produit en cause auxquelles sont imputées les pratiques de dumping sur la base de données relatives à leur activité commerciale. Tel est le cas des entreprises productrices et exportatrices qui peuvent démontrer qu’elles ont été identifiées dans les actes de la Commission ou du Conseil ou concernées par les enquêtes préparatoires (voir en ce sens, notamment, arrêts du 21 février 1984, Allied Corporation e.a./Commission, 239/82 et 275/82, EU:C:1984:68, points 11 et 12, ainsi que du 7 mai 1987, NTN Toyo Bearing e.a./Conseil, 240/84, EU:C:1987:202, point 5).

49      Il ressort de cette jurisprudence qu’une entreprise ne saurait être considérée comme étant directement concernée par un règlement instituant un droit antidumping en raison de sa seule qualité de productrice du produit soumis audit droit, la qualité d’exportatrice étant, à cet égard, essentielle. En effet, il ressort des termes mêmes de la jurisprudence citée au point précédent du présent arrêt que l’affectation directe, par un règlement instituant des droits antidumping, de certains producteurs et exportateurs du produit en cause tient notamment au fait que les pratiques de dumping leur sont imputées. Or, un producteur qui n’exporte pas sa production sur le marché de l’Union, mais se limite à l’écouler sur son marché national ne saurait se voir imputer une pratique de dumping.

50      Par conséquent, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, au point 57 de ses conclusions, la simple circonstance qu’un produit se retrouve sur le marché de l’Union, fût-ce en volume considérable, ne suffit pas à considérer que, une fois que ce produit se trouve frappé par l’institution d’un droit antidumping, son producteur est directement affecté dans sa situation juridique par ce droit.

51      Or, en l’espèce, ainsi qu’il ressort des considérants 12 et 63 du règlement litigieux, et comme le Tribunal l’a constaté au point 57 de l’arrêt attaqué, les producteurs américains échantillonnés, dont Marquis Energy, n’ont pas directement exporté leur production sur le marché de l’Union au cours de la période d’enquête. Dès lors, aucune pratique de dumping ne leur a été imputée et aucune marge de dumping individuelle ne pouvait être établie à leur égard, ainsi qu’il ressort des considérants 64 et 76 du règlement litigieux et comme le Tribunal l’a relevé aux points 69 à 74 de l’arrêt attaqué.

52      Lesdits producteurs, dont Marquis Energy, n’ayant pas directement exporté leur production vers le marché de l’Union et n’ayant donc pas été, en définitive, identifiés dans le règlement litigieux comme étant des exportateurs, ils n’ont été ni directement concernés par les constatations relatives à l’existence d’une pratique de dumping, ni même directement affectés dans leur patrimoine, leur production n’ayant pas été directement soumise aux droits antidumping institués.

53      Certes, des producteurs américains de bioéthanol, dont Marquis Energy, ont été identifiés dans les actes des institutions, dans la mesure où ils avaient initialement été retenus par la Commission dans l’échantillon des producteurs-exportateurs américains. Toutefois, cette circonstance, au demeurant relevée par le Tribunal au point 81 de l’arrêt attaqué, consacré à l’analyse de l’affectation individuelle de Marquis Energy, n’est pas suffisante pour qu’il puisse être conclu que cette dernière est directement concernée par le règlement litigieux.

54      En effet, il ressort de la jurisprudence rappelée au point 48 du présent arrêt que seules les « entreprises productrices et exportatrices » du produit soumis à un droit antidumping auxquelles sont imputées les pratiques de dumping, et qui peuvent démontrer qu’elles ont été identifiées dans les actes des institutions, sont considérées comme étant directement concernées par le règlement instituant ledit droit.

55      Or, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 51 du présent arrêt, il est constant que Marquis Energy n’a pas exporté directement sa production de bioéthanol sur le marché de l’Union.

56      S’il est vrai que le règlement litigieux peut placer un producteur américain de bioéthanol tel que Marquis Energy dans une position concurrentielle désavantageuse, cette circonstance, à la supposer établie, ne permet pas en soi de considérer que cette société était affectée dans sa situation juridique par les dispositions de ce règlement, et qu’elle était, partant, directement concernée par celles-ci (voir, en ce sens, arrêts du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, point 37, ainsi que du 17 septembre 2015, Confederazione Cooperative Italiane e.a./Anicav e.a., C‑455/13 P, C‑457/13 P et C‑460/13 P, non publié, EU:C:2015:616, point 49).

57      Le Tribunal a donc commis une erreur de droit en concluant que Marquis Energy était directement concernée par le règlement litigieux. Par conséquent, l’arrêt attaqué doit être annulé sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens du pourvoi.

 Sur le recours devant le Tribunal

58      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci statue, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

59      En l’espèce, la Cour estime qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer elle-même sur la recevabilité du recours introduit par Marquis Energy devant le Tribunal.

60      En l’occurrence, afin d’établir qu’elle était directement concernée par le règlement litigieux, Marquis Energy a fait valoir, d’une part, le fait qu’elle avait été identifiée dans ce dernier comme étant un producteur-exportateur et incluse dans l’échantillon des producteurs-exportateurs et, d’autre part, le fait que les droits antidumping s’appliqueront à ses exportations futures.

61      Toutefois, ainsi qu’il ressort des points 44 à 57 du présent arrêt, de tels éléments ne sont pas suffisants pour établir que Marquis Energy était directement concernée, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par le règlement litigieux.

62      Partant, étant rappelé qu’il appartenait à Marquis Energy d’établir qu’elle était non seulement individuellement, mais également directement concernée par le règlement litigieux, ces deux conditions étant cumulatives (voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 76, ainsi que du 13 mars 2018, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑244/16 P, EU:C:2018:177, point 93), il convient d’accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil et de rejeter le recours en annulation du règlement litigieux comme étant irrecevable.

 Sur les dépens

63      Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

64      Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

65      Le Conseil ayant conclu à la condamnation de Marquis Energy aux dépens, et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner Marquis Energy à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil afférents à la procédure de pourvoi. Par ailleurs, le recours de Marquis Energy devant le Tribunal ayant été rejeté dans son intégralité, il convient de condamner celle-ci à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil afférents à la procédure de première instance.

66      Aux termes de l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supporteront leurs propres dépens.

67      La Commission supportera ses propres dépens tant dans la procédure de première instance que dans celle de pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 9 juin 2016, Marquis Energy/Conseil, (T‑277/13, non publié, EU:T:2016:343), est annulé.

2)      Le recours en annulation introduit par Marquis Energy LLC est rejeté comme étant irrecevable.

3)      Marquis Energy LLC est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne relatifs tant à la procédure de première instance qu’à celle de pourvoi.

4)      La Commission européenne supporte ses propres dépens tant dans la procédure de première instance que dans celle de pourvoi.