CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 mars 2021, n° 20/16743
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Digicad Group (SARL)
Défendeur :
Ansys France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
FAITS ET PROCÉDURE
La société SARL Digicad Group distribue des logiciels informatiques.
La SAS Ansys France est la filiale française de la société Ansys Inc., établie selon le droit de l'Etat du Delaware aux Etats-Unis d'Amérique, qui a pour activité le développement et la commercialisation de logiciels informatiques.
Le 9 janvier 2003, la Société Digicad a conclu avec la société Ansys Inc. un contrat de distribution internationale portant sur la distribution non exclusive par la société Digicad en France des produits de la marque Ansys.
Le 24 février 2017 et le 6 mars 2017, un avenant est signé entre les sociétés Digicad Group et Ansys Inc. prévoyant la fin du contrat au 31 janvier 2018.
Le 25 janvier 2018, la société Ansys Inc. a notifié à la société Digicad Group la fin de leurs relations contractuelles, avec effet au 31 janvier 2018.
Par lettre recommandée datée du 29 mars 2018, la société Digicad Group s'est plainte auprès de la société Ansys France que le courrier du 25 janvier 2018 avait rompu avec un préavis de deux jours une relation contractuelle, non formalisée par écrit, de plus de 15 années consécutives. La société Digicad s'est alors prévalue d'un préjudice évalué à 1 004 472 euros.
Par acte extrajudiciaire du 24 janvier 2019 la société Digicad a saisi le tribunal de commerce de Marseille d'une action en rupture brutale des relations commerciales établies, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° alors applicable.
C'est dans ces conditions que par un jugement du 29 octobre 2020, le tribunal de commerce de Marseille a dit que le litige opposant la société Digicad Group à la société Ansys France ne relève pas de la compétence du tribunal de commerce de Marseille, a renvoyé les parties à mieux se pourvoir et a condamné la société Digicad Group à payer à la société Ansys France la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 20 novembre 2011, la société Digicad Group a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions signifiées le 27 janvier 2021 par la société Digicad, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu les articles L. 442-6, I, 5e, D. 442-3 et D. 442-4, al. 2, du Code de commerce, Vu les articles 88 et suivants du CPC, Vu le principe de l'effet relatif des contrats,
Vu le défaut de mise en cause de la société américaine Ansys Inc.,
Déclarer recevable l'appel du jugement relevé par la société Digicad Corporation SARL le 20 novembre 2020 et le dépôt de la requête à jour fixe le 24 novembre 2020 et en conséquence rejeter l'irrecevabilité de l'appel pour tardiveté soulevée in limine litis par l'intimée,
Dire nuls et non avenus les actes de notification du jugement du 29 octobre 2020 du tribunal de commerce de Marseille,
Déclarer irrecevables le contrat du 9/01/2003 et son avenant de 2017 non traduits conclus entre les sociétés Ansys Inc. et Digicad Corporation,
En conséquence, dire que la société Ansys France ne peut se prévaloir de la clause attributive de juridiction stipulée à l'article 16.1. du dit contrat,
En tout état de cause, déclarer la clause attributive de juridiction stipulée à l'article 16.1. du contrat du 9/01/2003 entre les sociétés Ansys Inc. et Digicad Corporation inopposable à la société Digicad Group SARL et inapplicable aux rapports entre les sociétés Ansys France et Digicad Group SARL,
Réformer le jugement déféré à la Cour en ce qu'il a décliné la compétence du tribunal de commerce de Marseille pour statuer sur le fond de l'affaire par application de la clause attributive de juridiction stipulée à l'article 16.1. du contrat du 9/01/2003 entre les sociétés Ansys Inc. et Digicad Corporation,
Dire et juger que le Tribunal de commerce de Marseille était bien compétent pour statuer sur la demande de la société Digicad Group contre la société Ansys France,
Evoquer le fond de l'affaire compte tenu de la compétence d'attribution de la Cour de céans en vertu de l'article D. 442-4, al. 2, du Code de commerce,
Constater la brutalité de la rupture de la relation commerciale par la Ansys France,
Condamner à ce titre la Ansys France à payer à la société Digicad Group la somme finale de 208 792,78 euros au titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices suivants :
Le préjudice lié à la perte de marge brute pour un montant de 158 792,78 euros,
Le préjudice commercial et d'atteinte à la renommée subi par Digicad Group pour un montant de 50 000 euros,
Déclarer la société Ansys France mal fondée en ses demandes, l'en débouter,
Condamner la société Ansys France à payer à la société Digicad Group la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Ansys France aux dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées le 19 janvier 2021 par la société Ansys France, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu le contrat de distribution internationale conclu en date du 9 janvier 2003 entre la société Digicad et la société Ansys Inc. ;
Vu le jugement du Tribunal de Commerce de Marseille en date du 29 octobre 2020 ;
Vu la Convention internationale de La Haye du 30 juin 2005 relative aux accords d'élection de for ;
Vu l'article 1200 du Code civil ;
Vu les articles 15, 31, 84, 88 et suivants, 122, 123 et 568 du Code de procédure civile ;
Il est demandé in limine litis à Mesdames et Messieurs les Président et Conseillers de la Cour d'appel de Paris de bien vouloir :
A TITRE PRINCIPAL,
DECLARER IRRECEVABLE l'appel formé tardivement par la société Digicad,
Et le cas échéant PRONONCER la caducité de la déclaration d'appel formée par Digicad,
A DEFAUT et A TITRE SUBSIDIAIRE,
CONFIRMER le jugement du tribunal de commerce de Marseille,
Par conséquent,
REJETER l'ensemble des demandes, conclusions, fins et prétentions contraires de la société Digicad,
A TITRE PLUS SUBSIDIAIRE,
Et si par extraordinaire la Cour d'appel réformait le jugement entrepris,
REJETER la demande d'évocation de l'affaire formulée par Digicad, Et
RENVOYER l'affaire au Tribunal de Commerce de Marseille,
A TITRE ENCORE PLUS SUBSIDIAIRE, Dans le cas où la Cour d'appel évoquerait l'affaire,
ENJOINDRE à Digicad de conclure sur la fin de non-recevoir et à Ansys FRANCE de conclure sur le fond,
Et en tout état de cause,
DECLARER IRRECEVABLES les demandes formulées par Digicad pour défaut d'intérêt à agir à l'encontre d'Ansys FRANCE,
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
CONDAMNER la société Digicad à payer à la société Ansys FRANCE 10 000 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.
MOYENS
- Sur la recevabilité de l'appel
Alors que le dispositif du jugement entrepris comporte la mention suivante, de nature à donner aux parties une information exacte sur les modalités d'appel :
Vu les dispositions des articles 84, 85, 643 et 899 du Code de procédure Civile,
Dit et juge qu'en cas de recours à l'encontre du présent jugement, celui-ci devra être exercé auprès de la Cour d'Appel de Paris, dans le délai de 15 jours à compter de la date de réception de la notification faite par le greffe du tribunal de commerce de céans, ce délai étant augmenté de deux mois pour les personnes demeurant à l'étranger et d'un mois pour les personnes demeurant dans un département ou une collectivité d'outre-mer, en Nouvelle Calédonie et dans les terres australes et antarctiques française ,
La société Ansys France produit en copie certifiée conforme par le greffier du tribunal de commerce la notification du 29 octobre 2020 par laquelle ce greffier a mentionné de manière erronée que l'appel devait être porté dans le délai de 15 jours à compter de la réception auprès du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Dans ces conditions, bien que la preuve soit rapportée que la société appelante a reçu la notification le 4 novembre 2020 et bien que celle-ci ait interjeté appel après le 19 novembre 2020, l'irrégularité de la notification oblige à retenir que celle-ci n'a pas fait courir le délai d'appel.
Le présent appel est donc recevable.
- Sur la compétence des juridictions françaises
Le tribunal de commerce a fait droit à l'exception d'incompétence des juridictions françaises soulevée par la société Ansys France, aux motifs essentiels que :
- le contrat de distribution internationale portant sur les seuls produits 'Designspace' d'Ansys conclu le 9 janvier 2003 entre la société Ansys Inc. et la société Digicad constitue un accord d'élection de for au sens de la convention de La Haye du 30 juin 2005, l'article 16.1 de ce contrat désignant les juridictions de l'Etat de Pennsylvanie pour connaître de tout litige y relatif ;
- compte tenu de la généralité de ces termes, cette clause s'applique à tous litiges résultant du rapport contractuel, indépenamment du droit réservé au fond du litige, des lois de police fussent-elles applicables ;
- la société Ansys Inc. a rompu, par lettre du 25janvier 2018, le contrat de distribution internationale portant sur la revente et/ou la location en France de licences relatives aux produits « Designspace » d'Ansys, en ce compris les honoraires de maintenance/support client/mise à jour desdits produits ;
- par conséquent tout litige relatif à la rupture des relations commerciales portant sur lesdits produits et les honoraires afférents est soumis aux juridictions de Pennsylvanie, en vertu de l'article 16.1 du contrat déjà mentionné qui a été appliqué et qui n'est pas resté lettre morte.
La société Digicad conteste la recevabilité du contrat du 9 janvier 2003 et de son avenant dès lors que ces documents ne sont pas traduits.
Elle soutient qu'il n'est fourni aucune facture de la société Ansys Inc. à la société Digicad de 2003 à 2017 ce qui, selon elle, prouve l'absence de relation commerciale entre les deux sociétés.
Elle fait valoir que la société Ansys France n'est pas mentionnée dans le contrat de 2003 qu'elle n'a pas signé, qu'elle est donc tiers au contrat et qu'elle ne peut donc pas se prévaloir de la clause attributive de juridiction, laquelle qui prévoit la compétence des juridictions de l'Etat de Pennsylvanie aux Etats-Unis d'Amérique.
A l'appui de la confirmation du jugement entrepris, la société Ansys France :
- se prévaut de l'article 6 chapître 1 de la convention de la Haye déjà mentionnée ;
- reproche à la société Digicad de soutenir fallacieusement que le contrat n'aurait pas été appliqué et serait resté lettre morte ;
- le fait que la société Digicad ait assigné la société Ansys France en rupture brutale des relations commerciales établies ne change rien au fait que la société Digicad a une relation contractuelle avec la société Ansys Inc. et que c'est à cette relation contractuelle là que cette société a mis fin par sa lettre du 25 janvier 2018 ;
- si aujourd'hui la société Digicad prétend qu'elle était en relation d'affaires avec la société Ansys France, c'est par pure opportunité et pour forcer l'application du droit français par la juridiction française ;
- peu importe que les factures soient émises par la société Ansys France, c'est la relation contractuelle avec la société américaine qui fonde la relation commerciale et c'est sa résiliation qui est critiquée au travers de la présente action.
Sur ce, la Cour, qui comprend l'anglais, une traduction en français du contrat de distribution en de son avenant ayant d'ailleurs été fournie en cause d'appel, observe que la société Ansys France est restée tiers au contrat de distribution commerciale contenant la clause d'élection de for litigieuse.
En effet, ce contrat a été expressément établi entre, uniquement, la société de droit américain Ansys Inc. d'une part, et d'autre part la société Digicad, peu important à cet égard que la société concédante fût représentée par le gérant de la société Ansys France pour la signature du contrat.
Dès lors que la société Digicad Group se prévaut d'une relation commerciale établie avec la société Ansys France, il appartient à celle-ci, pour invoquer valablement la clause d'élection de for, de démontrer que la société Digicad Group a accepté d'être liée avec elle par cette clause.
Or, une telle démonstration n'est pas faite.
Il en résulte que la clause d'élection de for ne peut être opposée par la société Ansys France à la société Digicad Group que comme une situation juridique ayant valeur de fait, mais nullement comme une source d'obligations contractuelles obligeant la société Digicad Group à l'égard de la société Ansys France.
Si la société Digicad Group a répondu à la lettre de dénonciation du contrat que lui avait adressée la société Ansys Inc. en s'adressant elle-même à la société Ansys France pour se plaindre de la rupture de « notre contrat » et en mentionnant encore « notre relation contractuelle », cela est insuffisant pour caractériser son acceptation de la clause d'éléction de for dans ses rapports avec la société Ansys France.
La question de savoir si une relation commerciale établie est caractérisée entre la société Digicad Group et la société Ansys France ne peut être préjugée au stade de l'examen de la compétence juridictionnelle au regard de la clause d'élection de for litigieuse.
La question de savoir si le contrat de distribution a été appliqué par la société Ansys Inc. et la société Digicad ou s'il est resté lettres mortes est également sans conséquence sur la question de la compétence juridictionelle.
Le jugement entrepris sera donc réformé, la compétence de la juridiction française devant être reconnue, en l'espèce celle du tribunal de commerce de Marseille.
- Sur les autres demandes
Dès lors qu'il n'apparaît pas de bonne justice de trancher les questions restant à juger par l'évocation, il ne sera pas fait droit à cette demande.
La société Ansys France qui succombe devant la Cour, supportera la charge des dépens d'appel.
En équité, la société Ansys France versera à la société Digicad Group une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS
Dit que l'appel n'est pas irrecevable comme tardif,
Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Rejette l'exception d'incompétence de la société Ansys France,
Dit n'y avoir lieu à évocation,
Dit que l'instance doit se poursuivre devant le tribunal de commerce de Marseille,
Condamne la société Ansys France à payer à la société Digicad Group une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel.