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CCE, 24 juillet 1974, n° 74/432

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Advocaat Zwarte

CCE n° 74/432

24 juillet 1974

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85,

vu le règlement nº 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment son article 3,

vu la demande introduite, le 27 décembre 1973, par Monsieur J. Soenen-Bouckaert, négociant à Rumbeke, conformément à l'article 3 du règlement nº 17,

vu la décision prise le 6 février 1974 par la Commission d'engager une procédure en application de l'article 3 du règlement nº 17,

après avoir entendu les entreprises intéressées, conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement nº 17 et aux dispositions du règlement nº 99/63/CEE (2),

vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes recueilli, conformément à l'article 10 du règlement nº 17, le 29 mai 1974.

I. Les faits

Considérant que les faits peuvent être résumés comme suit:

le 29 avril 1920, la société N.V. Handelsmaatschappij v/h J.A. Van Olffen à Rotterdam - devenue maintenant la société B.V. Van Olffen à Hattem - (ci-après dénommée «Van Olffen») a effectué un dépôt pour différents dessins et marques concrétisés par la dénomination Advocaat Zwarte Kip;

le 17 février 1938, Van Olffen a passé un accord appelé cession de marque avec MAC Thissen à Bruxelles (ci-après dénommé «Thissen») ; par cet accord, Van Olffen cédait tous les droits sur la marque Advocaat Zwarte Kip à Thissen, qui pourra dorénavant seul et à l'exclusion de toute autre personne, faire usage en Belgique et au Luxembourg de la marque Advocaat Zwarte Kip et vendre sous cette marque les produits Advocaat de sa propre fabrication pour autant que le bon renom de la marque soit sauvegardé ; cet accord transférait à Thissen également le goodwill, en l'occurrence la recette du produit concerné;

Van Olffen, qui est actuellement contrôlé à 100 % par la société N.V. Heineken d'Amsterdam par l'intermédiaire d'une société de gestion et dans laquelle Heineken NV avait déjà acquis une participation de plus de 25 % au cours de l'année 1971, fabrique et vend de la liqueur aux oeufs (ci-après dénommée «advocaat») sur le marché néerlandais sous la marque Advocaat Zwarte Kip;

le 14 février 1947, Thissen a passé un accord avec MCI Nolet de Brauwere van Steeland, de Vilvorde (ci-après dénommé «Nolet») afin de subroger Nolet, avec qui il s'était associé, dans les droits qu'il avait acquis par l'accord du 17 février 1938;

le 27 juillet 1955, Nolet a apporté son entreprise commerciale ainsi que toutes ses marques dans la société PVBA Cinoco à Vilvorde, qu'il a créée et qui est devenue ensuite la société SA Cinoco à Bruxelles (ci-après dénommée «Cinoco»);

Cinoco est une entreprise active de fabrication et de vente de boissons alcoolisées en Belgique et au Luxembourg ; le groupe Stella Artois possède depuis 1972 une participation minoritaire du capital de Cinoco de plus de 25 %;

le 25 février 1971, Van Olffen a renouvelé par un dépôt Benelux la marque Advocaat Zwarte Kip en indiquant qu'il jouissait pour celle-ci d'un droit acquis, sauf pour les territoires de la Belgique et du Luxembourg et pour de l'advocaat;

le 20 juillet 1971, Cinoco a renouvelé par un dépôt Benelux pour la Belgique et le Luxembourg la marque Advocaat Zwarte Kip qu'elle avait déposée le 20 décembre 1966 au greffe du tribunal de commerce de Bruxelles ; les articles 32 et 33 de la convention Benelux de 1962 en matière de marques de produits règlent (1)JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62. (2)JO nº 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.

le régime des droits acquis ; l'article 33 stipule que lorsqu'en application de l'article 32 une marque est la propriété de titulaires différents dans deux ou trois pays du Benelux, le titulaire de la marque dans un de ces pays ne peut s'opposer à l'importation d'un produit revêtu de cette même marque provenant d'un autre pays du Benelux ou réclamer réparation pour une telle importation, lorsque l'apposition de la marque a été faite par le titulaire de la marque dans cet autre pays ou avec son autorisation et qu'il existe entre les deux titulaires des liens d'ordre économique en ce qui concerne l'exploitation du produit en cause;

Le 8 février 1971, M. J. Soenen-Bouckaert, négociant à Rumbeke, (ci-après dénommé «Soenen»), a acheté à un revendeur établi aux Pays-Bas une certaine quantité d'advocaat fabriquée et mise en circulation par Van Olffen sous la marque Advocaat Zwarte Kip et l'a importée ensuite en Belgique;

le 27 août 1971, Cinoco a traduit Soenen devant le tribunal de commerce de Courtrai afin qu'il soit condamné pour contrefaçon de la marque et du dessin Advocaat Zwarte Kip et qu'il lui soit interdit d'exploiter cette marque ; le 24 mai 1973, le tribunal de commerce de Courtrai a rendu un arrêt qui faisait droit à cette requête, sans prendre en considération les dispositions du traité CEE ; cet arrêt a pour effet de permettre une protection territoriale absolue ; Soenen a interjeté appel le 30 juillet 1973 auprès de la cour d'appel de Gand devant laquelle la procédure a été suspendue;

la portée de l'accord incluant le cloisonnement des marchés fut confirmée par échange de lettres entre parties en date des 25 mars et 13 octobre 1971, 8 juin 1972, 1er et 19 juin et 31 juillet 1973 ; en particulier, la lettre envoyée le 13 octobre 1971 par Van Olffen en réponse à la lettre du 25 mars 1971 de Cinoco mentionne:

«Wij verzekeren U echter, dat wij al het mogelijke zullen doen om te voorkomen dat onze advocaat vanuit Nederland naar België geleverd wordt» (1);

Van Olffen met de l'advocaat de différentes qualités en vente aux Pays-Bas sous la même marque Advocaat Zwarte Kip ; en outre, depuis juillet 1973, Van Olffen fabrique au moins une partie de l'advocaat vendu ensuite par Cinoco sur les marchés belge et luxembourgeois ; à la demande de Cinoco, l'advocaat ainsi livré par Van Olffen fut différent en composition, en degré d'alcool et en conditionnement de l'advocaat vendu couramment aux Pays-Bas par Van Olffen;

Van Olffen indique le degré d'alcool de l'advocaat sur ses bouteilles ; ainsi les bouteilles importées par Soenen mentionnaient 14 3/4º d'alcool ; Cinoco par contre n'indique pas le degré d'alcool de l'advocaat sur ses bouteilles, mais il différencie ses bouteilles de celles de Van Olffen en y ajoutant une étiquette portant son adresse, même lorsqu'il s'agit d'avocaat fabriqué par Van Olffen et vendu par Cinoco en Belgique et au Luxembourg;

II. Appréciation

Considérant que, aux termes de l'article 85 paragraphe 1 du traité de la CEE, sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de faussser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun;

considérant que le fait d'interdire la commercialisation dans un État membre d'un produit portant légalement une marque dans un autre État membre au seul motif qu'une marque identique ayant la même origine existe dans le premier État est incompatible avec les dispositions prévoyant la libre circulation des marchandises à l'intérieur du marché commun, c'est-à-dire les articles 30 et 36 du traité CEE ; que, aussi longtemps que des entreprises invoquent, dans le domaine du droit des marques, des principes non conformes au traité CEE, l'article 85 dudit traité reste applicable pour autant que les éléments constitutifs de l'infraction soient remplis et qu'il existe en particulier entre les deux titulaires actuels des liens juridiques, financiers techniques ou économiques (2);

considérant que les produits fabriqués par le détenteur original néerlandais de la marque et importés par celui-ci ou par des tiers en Belgique et au Luxembourg ne peuvent être considérés comme des objets contrefaits ; que, d'autre part, la présente décision de la Commission n'empêchera pas Cinoco de faire interdire, en invoquant son droit sur la marque Advocaat Zwarte Kip, l'importation et l'offre de produits contrefaits (3) ; que le droit de la marque n'est donc pas mis en cause dans son existence;

considérant que Van Olffen, Thissen, Nolet et Cinoco sont des entreprises au sens du paragraphe 1 de l'article 85 et que l'accord passé en 1938 dans lequel les (1)Traduction : «Nous vous assurons cependant que nous ferons tout ce qui est possible afin d'éviter que notre advocaat soit livré des Pays-Bas en Belgique». (2)Arrêt de la Cour de justice du 3.7.1974 dans l'affaire 192-73, non encore publié au recueil. (3)Décision de la Commission du 29.9.1964, Grundig/Consten, JO nº 161 du 20.10.1964, p. 2545/62.

parties ont été subrogées est un accord conclu entre ces entreprises et donc susceptible de tomber sous l'application du paragraphe 1 de l'article 85;

considérant que les accords conclus avant l'entrée en vigueur du traité CEE, mais qui produisent leurs effets postérieurement à cette date, peuvent tomber sous le coup de l'article 85 ; que, bien que le texte de cet accord vise la cession de la marque Advocaat Zwarte Kip, il résulte des termes de l'accord ainsi que des événements ultérieurs, tels les subrogations des parties, les inscriptions subséquentes des marques par les parties, leurs échanges de lettres et l'action en justice de Cinoco que l'accord de 1938 avait pour objet un cloisonnement des marchés et produit encore cet effet actuellement en tout état de cause;

considérant que cet accord, pour autant que la marque Advocaat Zwarte Kip est employée pour empêcher l'importation de l'advocaat portant la même marque Advocaat Zwarte Kip, a donc pour effet de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, notamment en privant les parties à l'accord et les revendeurs néerlandais de la possibilité d'exporter librement les produits concernés vers la Belgique et le Luxembourg, ce qui restreint l'offre sur ces marchés et entrave la demande de ces produits en empêchant les revendeurs belges et luxembourgeois d'importer les produits portant la même marque Advocaat Zwarte Kip ; le libre jeu de l'offre et de la demande se trouve ainsi restreint par ce cloisonnement des marchés;

considérant que, en ce qui concerne la sensibilité de la restriction, Cinoco a invoqué l'application de la communication de la Commission de 1970 concernant les accords d'importance mineure (1) ; qu'il y a lieu de rappeler que les éléments de cette communication ont une valeur indicative ; que, en tout cas, l'accord ne remplit pas les conditions retenues dans cette communication en faveur des petites et moyennes entreprises;

considérant que Van Olffen jouit de l'appui financier et commercial de la NV Heineken qui la contrôle à 100 % et qui prend une position importante parmi les fabricants de boissons alcoolisées dans le Benelux ; qu'une même relation, quoique moins prononcée, existe entre Cinoco et Stella Artois ; que, sur le marché du Benelux de l'advocaat, les positions détenues par les parties à l'accord ne sont pas négligeables ; qu'il y a néanmoins lieu d'examiner si la restriction de la concurrence est sensible ; que, bien que l'importation effectuée par Soenen ne concernait qu'une petite quantité d'advocaat, l'érection de barrières entre les États membres basées sur le droit de marque peut bloquer l'importation de quantités très importantes de produits ; que la restriction potentielle de la concurrence qui en découle est dès lors très sensible ; que l'accord en cause a par conséquent pour effet de restreindre la concurrence à l'intérieur du marché commun de façon sensible;

considérant que Cinoco a objecté que ce cloisonnement des marchés serait justifié par une différence de qualité des produits en cause ; que notamment l'advocaat importé par Soenen aurait environ 14 degrés d'alcool alors que celui fabriqué par Cinoco en comportait 18 ; que, entre-temps, Cinoco a réduit le degré d'alcool de son produit à 16º ; qu'aucune différence de qualité des produits concernés ne peut cependant justifier la séparation des marchés ; que l'offreur a la possibilité d'indiquer la composition du produit, son degré d'alcool et son origine dans le conditionnement du produit ; que Van Olffen a d'ailleurs indiqué le degré d'alcool sur ses bouteilles, tandis que Cinoco indiquait l'origine des produits vendus par lui sur ses bouteilles ; que le consommateur ne peut donc être induit en erreur que si l'offreur néglige de mentionner l'origine du produit ou les composants de sa qualité ; que l'importation par Soenen de l'advocaat fabriqué et mis en circulation par Van Olffen a, dans le cas présent, non pas porté préjudice aux consommateurs, mais plutôt bénéficié aux consommateurs en leur permettant d'acheter de l'advocaat fabriqué par les nouveaux procédés utilisés par Van Olffen et au surplus à un prix inférieur ; que, en outre, le consommateur doit rester libre de décider de l'importance qu'il attribue aux différences de qualité;

considérant que cet accord a également pour effet d'affecter le commerce entre États membres par le cloisonnement des marchés de plusieurs de ces États membres, à savoir des Pays-Bas d'une part, et de la Belgique et du Luxembourg d'autre part, étant donné que les importations, originaires des Pays-Bas, de produits portant la même marque en Belgique et au Luxembourg, sont empêchées, ce qui est susceptible d'affecter sensiblement le commerce entre États membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États membres;

considérant que la cession d'un droit de marque n'échappe à l'interdiction de l'article 85 que si, en évitant tout cloisonnement du marché, elle intervient dans des conditions susceptibles de concilier l'exercice généralisé des droits de marque à l'échelle de la Communauté avec le respect des conditions de concurrence et d'unité du marché (2) ; que, dans le (1)JO nº C 64 du 2.6.1970. (2)Arrêt de la Cour de justice du 18.2.1971 dans l'affaire 40-70, recueil XVII, p. 83.

cas d'espèce, l'accord a pour effet de maintenir cloisonnés les marchés concernés ; que ce n'est qu'à cette restriction qu'il y a lieu de s'opposer pour sauvegarder l'unité du marché ; que la présente décision ne vise donc pas l'accord pour autant qu'il comporte une cession de la marque d'une entreprise à une autre entreprise, mais bien l'accord y inclus de cloisonnement des marchés;

considérant que l'accord passé en 1938 remplit ainsi les conditions d'applicabilité du paragraphe 1 de l'article 85 du traité de la CEE;

considérant que toutefois les dispositions du paragraphe 1 de l'article 85 peuvent être déclarées inapplicables à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises, à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

b) donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence;

considérant que cet accord n'a pas été notifié à la Commission conformément à l'article 5 paragraphe 1 du règlement nº 17/62 du Conseil ; qu'il n'est pas non plus dispensé de cette notification en vertu de l'article 5 paragraphe 2 de ce règlement, et de l'article 4 paragraphe 2 b) étant donné qu'il a pour effet d'empêcher le vendeur et des tiers d'importer et d'exporter librement des produits portant la même marque à l'intérieur de la Communauté;

considérant que, même si cet accord était exempté de la notification, il ne pourrait pas bénéficier des dispositions du paragraphe 3 de l'article 85 ; que, en effet, il ne satisfait pas aux conditions qui y sont exigées ; que, en particulier, il ne contribue pas à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique au sens de l'article 85 paragraphe 3 ; que, au contraire, cet accord a pour effet d'entraver la distribution de l'advocaat;

considérant que, conformément à l'article 3 paragraphe 1 du règlement nº 17/62, la Commission peut, si elle constate, sur demande, une infraction aux dispositions de l'article 85 du traité, obliger par voie de décision les entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée ; que la Commission désire, sur la base des considérations susmentionnées, obliger les entreprises intéressées à mettre fin à cette infraction immédiatement,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier

L'accord conclu le 17 février 1938 relatif à l'usage de la marque Advocaat Zwarte Kip dans les Pays-Bas, la Belgique et le grand-duché du Luxembourg, constitue, pour autant qu'il a pour effet d'empêcher l'importation des produits portant la même marque Advocaat Zwarte Kip, une infraction à l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE et ne réunit pas les conditions d'application du paragraphe 3 de cet article.

Article 2

La BV Van Olffen à Hattem et la SA Cinoco à Bruxelles doivent mettre fin immédiatement à l'infraction constatée dans l'article 1er en s'abstenant d'empêcher la libre circulation des produits portant la marque Advocaat Zwarte Kip entre les Pays-Bas, la Belgique et le grand-duché du Luxembourg.

Article 3

Les entreprises suivantes: - Van Olffen BV à Hattem

- Cinoco SA à Bruxelles

sont destinataires de la présente décision.