CJUE, 3e ch., 25 mars 2021, n° C-165/19 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Slovak Telekom a.s.
Défendeur :
Commission européenne, Slovaneta.s.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Prechal (rapporteure)
Juges :
M. Lenaerts, M. Wahl, M. Biltgen, Mme Rossi
Avocat général :
M. Saugmandsgaard Øe
Avocats :
Me Geradin, M. O’Donoghue, Me Tisaj
LA COUR (troisième chambre),
1 Par son pourvoi, Slovak Telekom a.s. demande, premièrement, l’annulation, en tout ou en partie, de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 décembre 2018, Slovak Telekom/Commission (T‑851/14, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:929), par lequel celui-ci a partiellement rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2014) 7465 final de la Commission, du 15 octobre 2014, concernant une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire AT.39523 – Slovak Telekom), telle que rectifiée par la décision C(2014) 10119 final de la Commission, du 16 décembre 2014, ainsi que par la décision C(2015) 2484 final de la Commission, du 17 avril 2015 (ci-après la « décision litigieuse »), deuxièmement, l’annulation, en tout ou en partie, de la décision litigieuse, et, troisièmement, à titre subsidiaire, l’annulation ou la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante par ladite décision.
Le cadre juridique
Le règlement (CE) no 2887/2000
2 Les considérants 3, 6 et 7 du règlement (CE) no 2887/2000 du Parlement européen et Conseil, du 18 décembre 2000, relatif au dégroupage de l’accès à la boucle locale (JO 2000, L 336, p. 4), énonçaient :
« (3) L’expression “boucle locale” désigne le circuit physique à paire torsadée métallique du réseau téléphonique public fixe qui relie le point de terminaison du réseau dans les locaux de l’abonné au répartiteur principal ou à toute autre installation équivalente. Le cinquième rapport de la Commission [européenne] sur la mise en œuvre de la réglementation en matière de télécommunications souligne que le réseau d’accès local demeure l’un des segments les moins concurrentiels du marché libéralisé des télécommunications. Les nouveaux arrivants ne possèdent pas d’infrastructures de réseaux de substitution étendues et ne peuvent pas, en utilisant des technologies classiques, égaler les économies d’échelle et la couverture des opérateurs désignés comme étant puissants sur le marché du réseau téléphonique public fixe. Cette situation est due au fait que ces opérateurs ont, pendant des périodes relativement longues, déployé leurs infrastructures d’accès local métalliques en bénéficiant de la protection de droits exclusifs et qu’ils ont pu financer les dépenses d’investissements grâce à des rentes de monopole.
[...]
(6) Il ne serait pas économiquement viable pour les nouveaux arrivants de reproduire l’infrastructure d’accès local métallique des opérateurs en place, dans sa totalité et dans un laps de temps raisonnable. Les autres infrastructures, telles que télévision par câble, satellite, boucle locale, radio, n’offrent en général ni la même fonctionnalité, ni la même densité de couverture, pour le moment, bien que les situations dans les États membres puissent être différentes.
(7) L’accès dégroupé à la boucle locale permet aux nouveaux entrants d’entrer en concurrence avec les opérateurs notifiés en offrant des services de transmission de données à haut débit pour un accès permanent à l’Internet et pour des applications multimédia à partir de la technologie de ligne d’abonné numérique (DSL), ainsi que des services de téléphonie vocale. Une demande raisonnable visant à obtenir un accès dégroupé suppose que cet accès est nécessaire à la fourniture des services du bénéficiaire et que le refus de satisfaire à cette demande est susceptible d’empêcher, de limiter ou de fausser la concurrence dans le secteur. »
3 L’article 1er de ce règlement, intitulé « Portée et champ d’application », disposait :
« 1. Le présent règlement vise à renforcer la concurrence et à encourager l’innovation technologique sur le marché de l’accès local, en établissant des conditions harmonisées d’accès dégroupé à la boucle locale, afin de favoriser la fourniture concurrentielle d’un large éventail de services de communications électroniques.
2. Le présent règlement s’applique à l’accès dégroupé à la boucle locale et aux ressources connexes des opérateurs notifiés tels que définis à l’article 2, point a).
[...] »
4 L’article 2 dudit règlement contenait les définitions suivantes :
« [...]
a) “opérateur notifié”, un opérateur de réseau téléphonique public fixe qui a été désigné par les autorités réglementaires nationales comme puissant sur le marché de la fourniture de réseaux téléphoniques publics fixes [...]
[...]
c) “boucle locale”, le circuit physique à paire torsadée métallique qui relie le point de terminaison du réseau dans les locaux de l’abonné au répartiteur principal ou à toute autre installation équivalente du réseau téléphonique public fixe ;
[...] »
5 L’article 3 du même règlement était rédigé comme suit :
« 1. Les opérateurs notifiés publient à partir du 31 décembre 2000 et tiennent à jour une offre de référence pour l’accès dégroupé à leur boucle locale et aux ressources connexes, qui inclut au minimum les éléments énumérés dans l’annexe. L’offre est suffisamment dégroupée pour que le bénéficiaire n’ait pas à payer pour des éléments ou des ressources du réseau qui ne sont pas nécessaires à la fourniture de ses services et contient une description des éléments de l’offre et des modalités, conditions et tarifs qui y sont associés.
2. À partir du 31 décembre 2000, les opérateurs notifiés accèdent à toute demande raisonnable des bénéficiaires visant à obtenir un accès dégroupé à la boucle locale et aux ressources connexes, à des conditions transparentes, équitables et non discriminatoires. Les demandes ne peuvent être rejetées que sur la base de critères objectifs afférents à la faisabilité technique ou à la nécessité de préserver l’intégrité du réseau. [...] Les opérateurs notifiés fournissent aux bénéficiaires des ressources équivalentes à celles qu’ils fournissent à leurs propres services ou à des entreprises qui leur sont associées, dans les mêmes conditions et délais.
[...] »
6 En vertu des articles 4 et 6 de la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, modifiant les directives 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, 2002/19/CE relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l’autorisation des réseaux et services de communications électroniques (JO 2009, L 337, p. 37), le règlement no 2887/2000 a été abrogé avec effet au 19 décembre 2009.
La directive 2002/21/CE
7 L’article 8 de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») (JO 2002, L 108, p. 33), telle que modifiée par la directive 2009/140, prévoit :
« [...]
2. Les autorités réglementaires nationales promeuvent la concurrence dans la fourniture des réseaux de communications électroniques, des services de communications électroniques et des ressources et services associés, notamment :
[...]
b) en veillant à ce que la concurrence ne soit pas faussée ni entravée dans le secteur des communications électroniques, y compris pour la transmission de contenu ;
[...]
5. Afin de poursuivre les objectifs visés aux paragraphes 2, 3 et 4, les autorités réglementaires nationales appliquent des principes réglementaires objectifs, transparents, non discriminatoires et proportionnés, dont les suivants :
[...]
f) n’imposer des obligations de réglementation ex ante que lorsqu’il n’y a pas de concurrence efficace et durable, et suspendre ou supprimer celles-ci dès que cette condition est satisfaite. »
Les antécédents du litige
8 Les antécédents du litige, tels que repris aux points 1 à 53 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.
9 La requérante est l’opérateur historique de télécommunications en Slovaquie. Durant la période comprise entre le 12 août 2005 et le 31 décembre 2010, Deutsche Telekom AG (ci-après « DT »), l’opérateur historique de télécommunications en Allemagne et la société à la tête du groupe Deutsche Telekom, détenait une participation de 51 % dans le capital de la requérante.
10 La requérante, qui, jusqu’à l’année 2000, bénéficiait d’un monopole légal sur le marché slovaque des télécommunications, est le plus grand opérateur de télécommunications et fournisseur d’accès à la large bande en Slovaquie. Les réseaux en cuivre et mobile de la requérante couvrent la quasi-totalité du territoire slovaque.
11 À la suite d’une analyse du marché, l’autorité réglementaire slovaque en matière de télécommunications (ci-après le « TUSR ») a, en 2005, désigné la requérante comme opérateur disposant d’une puissance significative sur le marché de gros pour l’accès dégroupé à la boucle locale, au sens du règlement no 2887/2000.
12 Le TUSR a, en conséquence, imposé à la requérante notamment d’accéder à toutes les demandes de dégroupage de sa boucle locale considérées comme raisonnables et justifiées, afin de permettre à des opérateurs alternatifs d’utiliser cette boucle en vue d’offrir leurs propres services sur le marché de détail de masse (ou grand public) des services d’accès à Internet à haut débit en position fixe en Slovaquie. Pour lui permettre de satisfaire à cette obligation, la requérante a publié son offre de référence en matière de dégroupage qui définissait les conditions contractuelles et techniques pour un accès à sa boucle locale.
13 À la suite d’une enquête d’office ayant pour objet, notamment, les conditions d’accès dégroupé à la boucle locale de la requérante, d’une communication des griefs envoyée à la requérante et à DT respectivement les 7 et 8 mai 2012, d’une proposition d’engagements et de divers échanges de correspondance et de réunions, la Commission a adopté la décision litigieuse le 15 octobre 2014.
14 Par cette décision, la Commission a estimé que l’entreprise que formaient la requérante et DT avait commis une infraction unique et continue à l’article 102 TFUE et à l’article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), en ce qui concerne les services d’accès à Internet à haut débit en Slovaquie durant la période comprise entre le 12 août 2005 et le 31 décembre 2010.
15 En particulier, elle a relevé que le réseau de la boucle locale de la requérante était susceptible d’être utilisé pour fournir des services d’accès à Internet à haut débit après le dégroupage de ses lignes et qu’il couvrait 75,7 % de l’ensemble des ménages slovaques au cours de la période comprise entre l’année 2005 et l’année 2010. Toutefois, au cours de cette même période, seules quelques rares boucles locales de la requérante ont vu leur accès dégroupé, à partir du 18 décembre 2009, et n’ont été utilisées que par un seul opérateur alternatif en vue de la fourniture de services de détail à très haut débit à des entreprises.
16 Selon la Commission, l’infraction commise par l’entreprise formée par la requérante et DT a consisté en, premièrement, la dissimulation aux opérateurs alternatifs des informations relatives au réseau nécessaires pour le dégroupage des boucles locales, deuxièmement, la réduction du champ d’application des obligations de la requérante concernant le dégroupage des boucles locales, troisièmement, la fixation de modalités et de conditions inéquitables dans l’offre de référence de la requérante en matière de dégroupage concernant la colocalisation, la qualification, les prévisions, les réparations ainsi que les garanties bancaires, et, quatrièmement, l’application de tarifs inéquitables ne permettant pas à un opérateur aussi efficace que la requérante s’appuyant sur l’accès de gros aux boucles locales dégroupées de cet opérateur de reproduire les services de détail offerts par ledit opérateur sans encourir de pertes.
17 Par la décision litigieuse, la Commission a infligé, au titre de cette infraction, d’une part, une amende de 38 838 000 euros à la requérante et à DT solidairement et, d’autre part, une amende de 31 070 000 euros à DT.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
18 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 décembre 2014, la requérante a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision litigieuse pour autant qu’elle la concerne et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.
19 À l’appui de son recours, la requérante a invoqué cinq moyens tirés, premièrement, d’erreurs manifestes d’appréciation et de droit dans l’application de l’article 102 TFUE, deuxièmement, d’une violation de ses droits de la défense en ce qui concerne l’appréciation de la pratique aboutissant à la compression des marges, troisièmement, d’erreurs commises dans la constatation de la compression des marges, quatrièmement, d’erreurs manifestes d’appréciation et de droit lorsque la Commission a conclu qu’elle constituait une entreprise unique avec DT et qu’elles étaient toutes deux responsables de l’infraction en cause, cinquièmement et à titre subsidiaire, d’erreurs dans la détermination du montant de l’amende.
20 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’ensemble des moyens avancés par la requérante, hormis le troisième moyen qu’il a partiellement accueilli au motif que la Commission n’avait pas apporté la preuve que la requérante s’était livrée à la pratique aboutissant à une compression des marges entre le 12 août et le 31 décembre 2005. Le Tribunal a, dès lors, partiellement annulé la décision litigieuse et fixé à 38 061 963 euros le montant de l’amende au paiement de laquelle ont été déclarées tenues solidairement DT et la requérante. Il a rejeté le recours pour le surplus.
21 En particulier, par son premier moyen, lequel comportait cinq griefs, la requérante a notamment reproché à la Commission, par les premier et cinquième griefs, d’avoir qualifié de refus de fourniture d’accès à sa boucle locale, premièrement, sa dissimulation aux opérateurs alternatifs d’informations relatives à son réseau nécessaires au dégroupage de sa boucle locale (points 431 à 534 de la décision litigieuse), deuxièmement, sa réduction d’obligations relatives au dégroupage découlant du cadre réglementaire applicable (points 535 à 651 de la décision litigieuse) et, troisièmement, sa fixation de plusieurs clauses et conditions inéquitables dans son offre de référence en matière de dégroupage (points 655 à 819 de la décision litigieuse), sans avoir préalablement vérifié le caractère indispensable d’un tel accès au sens de l’arrêt du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, ci-après l’« arrêt Bronner », EU:C:1998:569). Le Tribunal a rejeté ces griefs aux points 107 à 129 de l’arrêt attaqué en considérant, en substance, que la réglementation relative au secteur des télécommunications applicable en l’espèce reconnaissait la nécessité d’un accès à la boucle locale de la requérante en vue de permettre l’émergence et le développement d’une concurrence efficace sur le marché slovaque des services Internet à haut débit, de sorte qu’il n’était plus requis de la Commission qu’elle démontre qu’un tel accès présentait un caractère indispensable.
22 Par le deuxième grief du premier moyen, la requérante faisait valoir que, en ayant omis d’appliquer les conditions de l’arrêt Bronner, la décision litigieuse allait à l’encontre de l’enseignement qui se dégageait de l’arrêt du 9 septembre 2009, Clearstream/Commission (T‑301/04, EU:T:2009:317). Le Tribunal a rejeté ce grief aux points 138 à 140 de l’arrêt attaqué, au motif que l’affaire dont il était saisi n’était pas assimilable à celle ayant donné lieu à cet arrêt.
23 Par le troisième grief du premier moyen, la requérante soutenait que, si un refus implicite de fourniture d’accès ne devait pas être soumis à la vérification du caractère indispensable, conformément aux conditions établies par la Cour dans l’arrêt Bronner, il serait plus aisé d’établir un refus implicite de fourniture d’accès qu’un refus pur et simple de fourniture d’accès. Le Tribunal a rejeté ce grief aux points 133 à 135 de l’arrêt attaqué, au motif que la gravité d’une infraction était susceptible de dépendre de nombreux facteurs indépendants du caractère explicite ou implicite dudit refus, de sorte que la requérante ne pouvait se fonder sur la forme d’une infraction pour en apprécier la gravité.
24 S’agissant du quatrième grief du premier moyen, lequel était tiré d’erreurs de droit et de fait relatives aux justifications avancées par la Commission en vue de déroger aux conditions de l’arrêt Bronner au motif que celles-ci ne s’appliquent pas lorsque le réseau concerné trouve ses origines historiques dans un monopole d’État, le Tribunal l’a rejeté aux points 153 et 154 de l’arrêt attaqué, sur le fondement d’une jurisprudence constante selon laquelle l’existence d’une position dominante trouvant son origine dans un monopole légal doit être prise en considération dans le cadre de l’application de l’article 102 TFUE.
25 Par son deuxième moyen, la requérante avançait, notamment, que ses droits de la défense avaient été violés en ce qu’elle n’avait pas été entendue par la Commission au sujet de la méthodologie, des principes et des données utilisés par cette institution afin de calculer les « coûts moyens incrémentaux à long terme » de la requérante (ci-après les « CMILT »), destinés à établir dans quelle mesure celle-ci s’était livrée à une compression des marges. Le Tribunal a rejeté ce moyen en considérant notamment, aux points 186 à 192 et 209 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait dûment communiqué à la requérante sa méthode et ses principes de calcul et qu’elle n’était pas tenue de divulguer ses calculs finals des marges avant de lui adresser la décision litigieuse.
26 Par son troisième moyen, la requérante soutenait que la Commission n’avait pas constaté correctement la pratique aboutissant à la compression des marges, notamment en raison de l’absence de prise en compte de ses ajustements d’optimisation dans le calcul des CMILT. Le Tribunal a rejeté ce moyen aux points 223 à 239 de l’arrêt attaqué en indiquant, en substance, que le rejet des ajustements d’optimalisation proposés par la requérante était justifié, dans la mesure où la prise en compte de ceux-ci aurait conduit, lors du calcul de la compression des marges, à s’écarter indûment des coûts encourus par la requérante elle‑même au cours de la période infractionnelle.
Les conclusions des parties
27 Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour :
– d’annuler, en tout ou en partie, l’arrêt attaqué ;
– d’annuler, en tout ou en partie, la décision litigieuse ;
– à titre subsidiaire, d’annuler ou de réduire davantage le montant de l’amende qui lui a été infligé, et
– de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure et de celle en première instance.
28 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner la requérante aux dépens.
Sur le pourvoi
29 Au soutien de son pourvoi, la requérante soulève trois moyens. Le premier moyen est tiré d’erreurs de droit commises par le Tribunal en ce qui concerne la qualification, par celui-ci, d’abus de position dominante, au sens de l’article 102 TFUE, des restrictions apportées par la requérante à l’accès à son réseau de boucle locale. Le deuxième moyen est pris de la violation de ses droits de la défense lors de l’appréciation d’une compression des marges. Le troisième moyen est tiré d’erreurs de droit dans l’appréciation, par le Tribunal, de l’existence d’une compression des marges.
30 Par ailleurs, la requérante demande de pouvoir bénéficier de l’accueil des moyens soulevés par DT dans l’affaire connexe C‑152/19 P, relative au pourvoi introduit par DT contre l’arrêt du Tribunal du 13 décembre 2018, Deutsche Telekom/Commission (T‑827/14, EU:T:2018:930), aux termes desquels DT conteste qu’elle formait une même entreprise avec la requérante.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
31 Par son premier moyen, qui comporte cinq branches, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que, pour démontrer qu’elle avait abusé de sa position dominante, au sens de l’article 102 TFUE, en limitant l’accès à son réseau de boucle locale, la Commission n’était pas tenue de prouver que ledit accès était indispensable à l’exercice de l’activité des opérateurs économiques concernés, au sens de l’arrêt Bronner, parce qu’elle était déjà tenue par une obligation réglementaire de donner accès à son réseau de boucle locale.
32 Par la première branche du premier moyen, la requérante soutient que, en ayant décidé, au point 121 de l’arrêt attaqué, que les conditions de l’arrêt Bronner ne s’appliquaient pas en l’espèce, le Tribunal a erronément omis de tenir compte de la différence entre le contrôle ex post effectué au titre de l’article 102 TFUE, visant à mettre fin à un comportement abusif, et celui effectué ex ante par une autorité réglementaire en matière de télécommunications, visant à promouvoir des formes spécifiques de concurrence. De plus, les marchés en cause ne seraient pas identiques. L’obligation réglementaire d’accès porterait sur le caractère indispensable de l’accès au marché de gros de l’accès à la boucle locale dégroupée, alors que l’abus constaté par la Commission porterait sur un marché de détail beaucoup plus large que celui des services basés sur la boucle locale, dans le cadre duquel le caractère indispensable de l’accès à ladite boucle n’était pas établi. Enfin, la requérante allègue que la considération selon laquelle la violation d’une obligation réglementaire constitue d’office une violation de l’article 102 TFUE relève d’une interprétation erronée de cette disposition qui serait plus stricte et qui aboutirait au traitement différencié d’une entreprise dominante soumise à une condition réglementaire préexistante.
33 Par la deuxième branche du même moyen, la requérante fait valoir que, aux points 126 et 127 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a erronément déduit de l’arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige (C‑52/09, ci-après l’« arrêt TeliaSonera », EU:C:2011:83), que les conditions de l’arrêt Bronner n’étaient pas applicables en l’espèce. Selon la requérante, l’arrêt TeliaSonera concernait non pas un refus de contracter comme en l’espèce, mais une compression des marges. En outre, aux points 55 à 58 de cet arrêt, la Cour aurait répondu à des questions qui ne se posent pas dans le cadre de la présente affaire.
34 Par la troisième branche du premier moyen, la requérante avance que le Tribunal a commis une erreur de droit aux points 138 et 139 de l’arrêt attaqué en jugeant que l’arrêt du 9 septembre 2009, Clearstream/Commission (T‑301/04, EU:T:2009:317), n’était pas pertinent. Selon la requérante, premièrement, il ne ressort pas de ce dernier arrêt que l’existence d’un ancien monopole d’État ou d’une obligation réglementaire aurait eu une incidence sur l’analyse effectuée par le Tribunal dans cet arrêt. Deuxièmement, ledit arrêt se fonderait sur une condition réglementaire ex ante, comme en l’espèce. Troisièmement, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, Clearstream détenait encore un monopole au moment où elle a abusé de sa position dominante, alors que la situation monopolistique de la requérante avait pris fin cinq ans avant le commencement de l’abus allégué. Enfin, quatrièmement, les refus de Clearstream et de la requérante seraient similaires.
35 Par la quatrième branche du premier moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit, une erreur manifeste ou un défaut de motivation en considérant, aux points 133 et 134 de l’arrêt attaqué, qu’un refus implicite n’était pas nécessairement moins grave qu’un refus effectif et qu’une appréciation au cas par cas était requise. Selon la requérante, rien ne justifie l’approche du Tribunal selon laquelle, pour être qualifié d’abusif, au sens de l’article 102 TFUE, le refus implicite en cause en l’espèce ne devrait pas répondre aux conditions de l’arrêt Bronner, alors qu’un refus explicite ou catégorique devrait répondre à ces conditions. Une telle approche conduirait à traiter un comportement plus grave plus favorablement qu’un comportement moins grave.
36 Par la cinquième et dernière branche du même moyen, la requérante avance que le Tribunal a erronément considéré, aux points 153 et 154 de l’arrêt attaqué, que le fait qu’elle ait détenu un ancien monopole d’État pouvait justifier la non-application des conditions énoncées dans l’arrêt Bronner. Selon la requérante, cette approche n’est pas compatible avec l’enseignement qui se dégage de l’arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark (C‑209/10, EU:C:2012:172), est contraire à l’obligation de prendre en compte les conditions au moment de l’abus allégué, viole les principes de sécurité juridique ainsi que de non-discrimination et ne tient pas compte des investissements qu’elle a consentis dans son réseau.
37 La Commission estime, en substance, que les critères de l’arrêt Bronner ne s’appliquaient pas en l’espèce, compte tenu de ce que l’abus de position dominante en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt était différent de celui en cause dans la présente affaire.
Appréciation de la Cour
38 Par son premier moyen, la requérante critique, notamment, les points 113 à 122 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a confirmé le bien-fondé de la décision litigieuse, en ce qu’il n’appartenait pas à la Commission d’établir le caractère indispensable de l’accès des opérateurs alternatifs au réseau de boucle locale de la requérante pour pouvoir qualifier d’« abusives » les pratiques de celle-ci, que cette institution a estimé comme étant constitutives d’un refus implicite de fourniture au considérant 365 de la décision litigieuse, consistant, premièrement, en une dissimulation aux opérateurs alternatifs d’informations relatives à son réseau nécessaires au dégroupage de sa boucle locale, deuxièmement, en une réduction de ses obligations relatives au dégroupage découlant du cadre réglementaire applicable et, troisièmement, en la fixation de plusieurs clauses et conditions inéquitables dans son offre de référence en matière de dégroupage (ci‑après les « pratiques litigieuses »).
39 En particulier, le Tribunal a considéré, au point 121 de l’arrêt attaqué, que, étant donné que le cadre réglementaire applicable en matière de télécommunications reconnaissait clairement la nécessité d’un accès à la boucle locale de la requérante en vue de permettre l’émergence et le développement d’une concurrence efficace sur le marché slovaque des services Internet à haut débit, la démonstration, par la Commission, qu’un tel accès présentait bien un caractère indispensable, au sens de la dernière condition visée au point 41 de l’arrêt Bronner, n’était pas requise. Il a ajouté, en substance, aux points 123 à 127 de l’arrêt attaqué, que les conditions découlant de l’arrêt Bronner, et plus particulièrement celle relative au caractère indispensable d’un service ou d’une infrastructure détenue par l’entreprise dominante, ne s’appliquaient pas à des comportements autres qu’un refus d’accès, tels que les pratiques litigieuses.
40 Afin d’apprécier si ces considérations sont entachées d’une erreur de droit comme l’allègue la requérante, il importe de rappeler que l’article 102 TFUE interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Il incombe donc à l’entreprise qui détient une position dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 153 ainsi que jurisprudence citée].
41 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion d’« exploitation abusive d’une position dominante », au sens de l’article 102 TFUE, est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui, sur un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 148 ainsi que jurisprudence citée].
42 L’examen du caractère abusif d’une pratique d’une entreprise dominante en vertu de l’article 102 TFUE doit se faire en prenant en considération toutes les circonstances spécifiques de l’affaire (voir, en ce sens, arrêts TeliaSonera, point 68 ; du 6 octobre 2015, Post Danmark, C‑23/14, EU:C:2015:651, point 68, ainsi que du 19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia, C‑525/16, EU:C:2018:270, points 27 et 28).
43 Ainsi qu’il ressort du point 37 de l’arrêt Bronner, l’affaire ayant donné lieu à celui-ci portait sur la question de savoir si le fait, pour le propriétaire de l’unique système de portage à domicile existant à l’échelle nationale sur le territoire d’un État membre, qui utilise ce système pour la distribution de ses propres quotidiens, d’en refuser l’accès à l’éditeur concurrent constituait un abus de position dominante, au sens de l’article 102 TFUE, au motif que ce refus priverait ledit concurrent d’un mode de distribution jugé essentiel pour la vente de ses produits.
44 En réponse à cette question, la Cour a jugé, au point 41 de cet arrêt, que ledit refus aurait constitué un abus de position dominante à condition non seulement que le refus du service que constitue le portage à domicile ait été de nature à éliminer toute concurrence sur le marché des quotidiens de la part du demandeur du service et n’ait pu être objectivement justifié, mais également que le service en lui-même ait été indispensable à l’exercice de l’activité de celui-ci, en ce sens qu’il n’aurait existé aucun substitut réel ou potentiel audit système de portage à domicile.
45 L’imposition de ces conditions était justifiée par les circonstances propres à cette affaire qui consistaient en un refus par une entreprise dominante de donner accès à un concurrent à une infrastructure qu’elle avait développée pour les besoins de sa propre activité, à l’exclusion de tout autre comportement.
46 À cet égard, comme l’a également indiqué, en substance, M. l’avocat général aux points 68, 73 et 74 de ses conclusions, le constat qu’une entreprise dominante a abusé de sa position en raison d’un refus de contracter avec un concurrent a pour conséquence que cette entreprise est forcée de contracter avec ce concurrent. Or, une telle obligation est particulièrement attentatoire à la liberté de contracter et au droit de propriété de l’entreprise dominante dès lors qu’une entreprise même dominante, reste, en principe, libre de refuser de contracter et d’exploiter l’infrastructure qu’elle a développée pour ses propres besoins (voir, par analogie, arrêt du 5 octobre 1988, Volvo, 238/87, EU:C:1988:477, point 8).
47 En outre, bien que, à court terme, la condamnation d’une entreprise pour avoir abusé de sa position dominante en raison d’un refus de contracter avec un concurrent a pour conséquence de favoriser la concurrence, en revanche, sur le long terme, il est généralement favorable au développement de la concurrence et dans l’intérêt des consommateurs de permettre à une société de réserver à son propre usage les installations qu’elle a développées pour les besoins de son activité. En effet, si l’accès à une installation de production, d’achat ou de distribution était trop aisément accordé, les concurrents ne seraient pas incités à créer des installations concurrentes. De surcroît, une entreprise dominante serait moins prompte à investir dans des installations efficaces si elle pouvait se voir contrainte, sur simple demande de ses concurrents, de partager avec eux les bénéfices tirés de ses propres investissements.
48 Par conséquent, lorsqu’une entreprise dominante refuse de donner accès à une infrastructure qu’elle a développée pour les besoins de sa propre activité, la décision d’obliger cette entreprise à octroyer cet accès ne peut se justifier, sur le plan de la politique de la concurrence, que lorsque l’entreprise dominante dispose d’une véritable mainmise sur le marché concerné.
49 L’application, à un cas d’espèce, des conditions énoncées par la Cour dans l’arrêt Bronner, rappelées au point 44 du présent arrêt, et en particulier celle relative au caractère indispensable de l’accès à l’infrastructure de l’entreprise dominante, permet à l’autorité ou à la juridiction nationale compétente de déterminer si cette entreprise dispose d’une telle mainmise grâce à cette infrastructure. Ainsi, une telle entreprise peut être contrainte de donner accès à un concurrent à une infrastructure qu’elle a développée pour les besoins de sa propre activité uniquement lorsqu’un tel accès est indispensable à l’activité d’un tel concurrent, à savoir en l’absence de substitut réel ou potentiel à cette infrastructure.
50 En revanche, lorsqu’une entreprise dominante donne accès à son infrastructure mais soumet cet accès ou la fourniture de services ou la vente de produits à des conditions inéquitables, les conditions énoncées par la Cour au point 41 de l’arrêt Bronner ne s’appliquent pas. Certes, lorsque l’accès à une telle infrastructure, voire à un service ou à un intrant, est indispensable pour permettre aux concurrents de l’entreprise dominante d’opérer de manière rentable sur un marché en aval, il est d’autant plus probable que des pratiques inéquitables sur ce marché auront des effets anticoncurrentiels au moins potentiels et constitueront un abus, au sens de l’article 102 TFUE (voir en ce sens, arrêts du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C-280/08 P, EU:C:2010:603, point 234, ainsi que TeliaSonera, points 70 et 71). Toutefois, s’agissant de pratiques autres qu’un refus d’accès, l’absence d’un tel caractère indispensable n’est pas déterminante en soi aux fins de l’examen de comportements potentiellement abusifs de la part d’une entreprise dominante (voir, en ce sens, arrêt TeliaSonera, point 72).
51 En effet, bien que de tels comportements puissent être constitutifs d’une forme d’abus lorsqu’ils sont à même de créer des effets anticoncurrentiels au moins potentiels, voire des effets d’éviction, sur les marchés concernés, ils ne sauraient être assimilés à un refus pur et simple de permettre à un concurrent d’accéder à une infrastructure, dès lors que l’autorité de la concurrence ou la juridiction nationale compétente n’aura pas à contraindre l’entreprise dominante à donner accès à son infrastructure, cet accès ayant d’ores et déjà été octroyé. Les mesures qui viendront à être prises dans un tel contexte seront, partant, moins attentatoires à la liberté de contracter de l’entreprise dominante et à son droit de propriété que le fait de la contraindre à donner accès à son infrastructure lorsqu’elle la réservait pour les besoins de sa propre activité.
52 En ce sens, la Cour a déjà jugé, aux points 75 et 96 de l’arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission (C‑295/12 P, EU:C:2014:2062), que les conditions énoncées par la Cour au point 41 de l’arrêt Bronner, et en particulier celle relative au caractère indispensable de l’accès, ne s’appliquaient pas dans le cas d’abus que constitue la compression des marges d’opérateurs concurrents sur un marché en aval.
53 Dans le même sens, la Cour a jugé, au point 58 de l’arrêt TeliaSonera, en substance, qu’il ne saurait être exigé que l’examen du caractère abusif de tout type de comportement d’une entreprise dominante à l’égard de ses concurrents soit systématiquement effectué à l’aune des conditions énoncées par la Cour dans l’arrêt Bronner, qui portait sur un refus de fourniture de service. C’est dès lors à bon droit que, aux points 125 à 127 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, au point 58 de l’arrêt TeliaSonera, la Cour ne s’était pas uniquement référée à la forme particulière d’abus que constitue la compression des marges d’opérateurs concurrents sur un marché en aval lorsqu’elle a apprécié les pratiques auxquelles les conditions de l’arrêt Bronner ne s’appliquaient pas.
54 Dans la présente affaire, la situation de la requérante se caractérisait notamment par le fait, rappelé au point 119 de l’arrêt attaqué, qu’elle était soumise à une obligation réglementaire en matière de télécommunications, en vertu de laquelle elle était tenue de donner accès à son réseau de boucle locale. En effet, à la suite de la décision du 8 mars 2005 du TUSR, confirmée par le directeur de cette même autorité le 14 juin 2005, la requérante était tenue d’accéder en sa qualité d’opérateur puissant à toutes les demandes de dégroupage de sa boucle locale considérées comme raisonnables et justifiées, émanant d’opérateurs alternatifs afin de leur permettre, sur cette base, d’offrir leurs propres services sur le marché de détail de masse des services à haut débit en position fixe en Slovaquie.
55 Une telle obligation répond aux objectifs de développement d’une concurrence efficace sur les marchés des télécommunications fixés par le législateur de l’Union. Ainsi que le précisent les considérants 3, 6 et 7 du règlement no 2887/2000, l’imposition d’une telle obligation d’accès est justifiée par le fait que, d’une part, comme les opérateurs puissants ont pu, pendant des périodes relativement longues, déployer leurs réseaux d’accès local en bénéficiant de la protection de droits exclusifs et qu’ils ont pu financer leurs dépenses d’investissement grâce à des rentes de monopole, il ne serait pas économiquement viable pour les nouveaux arrivants de reproduire l’infrastructure d’accès local des opérateurs en place et, d’autre part, les autres infrastructures ne constituent pas un substitut valable à ces réseaux d’accès local. L’accès dégroupé à la boucle locale serait ainsi de nature à permettre aux nouveaux entrants d’entrer en concurrence avec les opérateurs puissants. Il s’ensuit que, comme l’a rappelé le Tribunal au point 119 de l’arrêt attaqué, l’obligation d’accès imposée en l’espèce par le TUSR résultait de la volonté d’inciter la requérante ainsi que ses concurrents à investir et à innover, tout en veillant à ce que la concurrence sur le marché soit préservée.
56 Cette obligation réglementaire s’appliquait à la requérante durant toute la période infractionnelle retenue par la Commission dans la décision litigieuse, soit du 12 août 2005 au 31 décembre 2010. En effet, outre le fait que, en application de l’article 8, paragraphe 5, sous f), de la directive 2002/21, telle que modifiée par la directive 2009/140, les autorités réglementaires en matière de télécommunications ne peuvent imposer une telle obligation d’accès que lorsqu’il n’y a pas de concurrence efficace et durable et sont tenues de la suspendre ou de la supprimer dès que cette condition est satisfaite, la requérante n’a ni allégué ni démontré avoir contesté qu’elle était soumise à cette obligation au cours de la période infractionnelle. En outre, la Commission a motivé le fondement de l’existence d’une telle obligation d’accès dans la section 5.1 de la décision litigieuse et indiqué, au point 377 de celle-ci, qu’elle avait procédé à sa propre analyse ex post des marchés en cause, pour conclure que la situation sur ces marchés n’avait pas changé de manière significative à cet égard durant la période infractionnelle.
57 De manière analogue à ce que la Cour a déjà indiqué au point 224 de l’arrêt du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission (C‑280/08 P, EU:C:2010:603), visé au point 117 de l’arrêt attaqué, il convient de considérer qu’une obligation réglementaire peut être pertinente pour apprécier un comportement abusif, au sens de l’article 102 TFUE, de la part d’une entreprise dominante soumise à une réglementation sectorielle. Dans le contexte de la présente affaire, si l’obligation d’accès à la boucle locale mise à la charge de la requérante ne saurait dispenser la Commission de l’exigence d’établir l’existence d’un abus au sens de l’article 102 TFUE, en tenant compte notamment de la jurisprudence applicable, l’imposition de cette obligation a pour conséquence que, durant toute la période infractionnelle retenue en l’espèce, la requérante ne pouvait pas et n’a pas véritablement refusé de donner accès à son réseau de boucle locale.
58 La requérante a cependant conservé, durant ladite période, une autonomie décisionnelle, nonobstant l’obligation réglementaire susmentionnée, quant aux conditions d’un tel accès. En effet, hormis certains principes directeurs, le contenu obligatoire de l’offre de référence en matière de dégroupage de la boucle locale, visée par l’article 3 du règlement no 2887/2000, n’était pas prescrit par le cadre réglementaire ou par les décisions du TUSR. C’est en application de cette autonomie décisionnelle que la requérante a adopté les pratiques litigieuses.
59 Toutefois, dès lors que les pratiques litigieuses ne constituaient pas un refus d’accès à la boucle locale de la requérante, mais avaient trait aux conditions d’un tel accès, pour les motifs visés aux points 45 à 51 du présent arrêt, les conditions dégagées par la Cour au point 41 de l’arrêt Bronner, rappelées au point 44 du présent arrêt, ne s’appliquaient pas en l’espèce.
60 Partant, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré, au point 121 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’était pas tenue de démontrer le caractère « indispensable », au sens de la dernière condition édictée au point 41 de l’arrêt Bronner, afin de constater un abus de position dominante de la part de la requérante en raison des pratiques litigieuses.
61 Dans ces conditions, le premier moyen du pourvoi étant fondé sur une prémisse qui est erronée en droit doit, dès lors, être rejeté dans son ensemble.
Sur le deuxième moyen
Argumentation des parties
62 Par son deuxième moyen, la requérante considère que le Tribunal a commis une erreur en omettant de constater une violation de ses droits de la défense, au motif que la méthodologie, les principes et les données utilisés par la Commission au stade de la communication des griefs afin de déterminer les coûts retenus destinés à vérifier l’existence d’une compression des marges étaient basés sur les données relatives aux coûts historiques provenant d’un système interne de déclaration des coûts de la requérante, à savoir les données dites « účelové členenie nákladov » (« classification de coûts spécifiques », ci-après les « données UCN »), alors que, dans la décision litigieuse, ils étaient basés sur des CMILT, sans que la Commission ait permis à la requérante de prendre utilement position à ce sujet.
63 Par ailleurs, la requérante allègue que la Commission a renversé la charge de la preuve, dans la mesure où cette institution lui a demandé d’exposer ses principes, sa méthodologie et ses données relatifs à la détermination des CMILT, tout en demeurant elle-même en défaut de fournir d’emblée ses propres principes, méthodologie et données. La circonstance que la Commission n’aurait pas disposé d’emblée de son propre modèle de coûts pour établir l’existence d’une compression des marges aurait dû être reconnue par le Tribunal comme constitutive d’un renversement illégal de la charge de la preuve. À cet égard, les considérations figurant aux points 186 et 189 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles, d’une part, la requérante a eu l’occasion de répondre à la communication des griefs et, d’autre part, la Commission s’était fondée, dans ce document, sur les CMILT, seraient respectivement dénuées de pertinence et erronées, dès lors que, à la date de la communication des griefs, il n’y aurait pas eu de données relatives aux CMILT.
64 De même, ce serait à tort que le Tribunal aurait jugé, au point 189 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait énoncé, dans la décision litigieuse, aucun nouveau grief quant à la compression des marges. La circonstance que, tant dans la communication des griefs que dans la décision litigieuse, la Commission a considéré, premièrement, qu’un concurrent aussi efficace que la requérante afficherait des marges négatives et, deuxièmement, que la conclusion quant aux marges négatives demeurait valable si certains autres services étaient pris en compte dans les recettes de même que la circonstance que la période infractionnelle retenue dans la décision litigieuse était plus courte que celle mentionnée dans la communication des griefs serait sans pertinence pour déterminer si les droits de la défense de la requérante avaient été violés au motif que la méthodologie, les principes et les données pris en compte dans la communication des griefs ne correspondaient pas à ceux retenus par la Commission dans la décision litigieuse.
65 En outre, la requérante critique le point 190 de l’arrêt attaqué au motif que, contrairement à ce qu’aurait considéré le Tribunal, les coûts de réseau, la méthodologie et les principes retenus par la Commission diffèrent sensiblement aux stades respectifs de la communication des griefs et de la décision litigieuse. La requérante considère également que le Tribunal a erronément considéré, au point 192 de l’arrêt attaqué, que ses droits de la défense avaient été respectés parce que la Commission avait répondu à ses arguments. La communication par la requérante de résultats découlant de nouveaux travaux réalisés sur les CMILT dans sa réponse à la communication des griefs ou dans les documents présentés au cours de l’année 2013 serait, à cet égard, dénuée de pertinence, car, avant l’adoption de la décision litigieuse, la Commission n’aurait pas exposé tous les éléments de ses principes, de sa méthodologie et de ses données concernant le calcul des CMILT.
66 Enfin, la requérante soutient que le Tribunal a également commis une erreur de droit et une dénaturation des faits ainsi que des éléments de preuve au point 209 de l’arrêt attaqué en méconnaissant la pertinence de la « réunion bilan » du 16 septembre 2014, à laquelle fait référence ce point. La divulgation pour la première fois, lors de cette réunion, de ses calculs préliminaires des CMILT serait une reconnaissance, par la Commission, de son absence de communication antérieurement et de son obligation de les communiquer. Cette divulgation à ce stade de la procédure démontrerait également que cette institution était résolue à adopter une décision d’interdiction, de sorte que la requérante ne pouvait plus être entendue correctement à ce stade.
67 La Commission estime que le deuxième moyen doit être rejeté, dès lors, d’une part, qu’il n’est pas démontré que le Tribunal a dénaturé les faits qu’il a pris en compte et, d’autre part, que les droits de la défense de la requérante ont été respectés.
Appréciation de la Cour
68 À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 256 TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi contre les décisions du Tribunal est limité aux questions de droit. Il est de jurisprudence constante que le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits et, en principe, pour examiner les preuves qu’il retient à l’appui de ces faits. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 84 ainsi que jurisprudence citée).
69 En l’espèce, la requérante n’allègue pas que les faits suivants, décrits aux points 177 et 185 à 187 de l’arrêt attaqué, ont fait l’objet d’une dénaturation de la part du Tribunal.
70 Durant l’enquête qui a précédé la communication des griefs, la Commission a demandé à la requérante de lui communiquer les données nécessaires pour calculer les coûts relatifs aux intrants supplémentaires qui sont nécessaires pour transformer ses services de gros en services de détail. En réponse, la requérante a transmis à la Commission des tableaux contenant des calculs de coûts portant sur les années 2003 à 2010 et basés sur les données UCN. Les coûts figurant dans ces tableaux avaient donc été calculés sur la base de coûts historiques entièrement repartis et différaient des CMILT. La Commission a, dès lors, demandé à la requérante de lui fournir les données de rentabilité pour les services à haut débit, recalculées en utilisant une méthodologie fondée sur les CMILT. La requérante ayant répondu qu’elle ne calculait pas les chiffres de rentabilité, en ce qui concerne les services à haut débit, selon la méthodologie des CMILT, la Commission a utilisé, au stade de la communication des griefs, les données UCN dont elle disposait pour évaluer la compression des marges à laquelle s’était livrée la requérante. La Commission a en effet considéré que, en l’absence de données sur les CMILT, les données UCN constituaient la meilleure source disponible pour procéder à cette évaluation. Sur la base de ces données, elle a conclu, dans la communication des griefs, qu’un concurrent aussi efficace que la requérante et ayant accès à sa boucle locale aurait réalisé des marges négatives importantes s’il avait essayé de reproduire le portefeuille de détail de la requérante au cours des années 2005 à 2010. Dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante a présenté de nouvelles données pour évaluer les coûts pour la période allant de l’année 2005 à l’année 2010. Ces données étaient basées sur les données de l’année 2011. La requérante a, en particulier, soutenu dans cette réponse que, lors du calcul des CMILT, il convenait, d’une part, de procéder à une réévaluation de ses actifs et, d’autre part, de tenir compte des inefficiences de son réseau pour l’offre de haut débit en procédant à des ajustements dits d’« optimisation », à savoir, premièrement, le remplacement des actifs existants par leurs équivalents modernes, plus efficaces et moins coûteux, deuxièmement, le maintien, dans la mesure du possible, de la cohérence technologique et, troisièmement, la diminution des actifs sur la base de la capacité actuelle par opposition à la capacité installée (ci-après, ensemble, les « ajustements d’optimisation »). Dans la décision litigieuse, la Commission a accepté d’inclure notamment la réévaluation des actifs de la requérante dans son analyse de la compression des marges, mais a rejeté les ajustements d’optimisation. C’est dans cette mesure que la Commission est parvenue à des résultats différents dans la décision litigieuse et dans la communication des griefs quant à l’importance de la compression des marges par la requérante.
71 C’est au regard de ces faits, dont la dénaturation n’est pas alléguée, qu’il convient d’apprécier si le Tribunal a commis les erreurs de droit avancées par la requérante dans le cadre de son deuxième moyen.
– Sur le renversement de la charge de la preuve
72 S’agissant du grief selon lequel le Tribunal a erronément entériné un renversement de la charge de la preuve par la Commission, il convient de rappeler qu’il incombe à l’autorité qui allègue une violation des règles de la concurrence d’en apporter la preuve (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, EU:C:2010:346, point 29 et jurisprudence citée).
73 Pour établir un abus consistant en une compression des marges, il importe plus particulièrement à la Commission de démontrer que l’écart entre les prix de gros des prestations des services concernés et ceux de détail pour les prestations fournies en aval aux clients finals était soit négatif, soit insuffisant pour couvrir les coûts spécifiques desdites prestations des services concernés que la société en position dominante doit supporter pour la fourniture de ses propres prestations de détail aux clients finals, de sorte que cet écart ne permet pas à un concurrent aussi efficace que cette société d’entrer en concurrence avec elle pour la fourniture desdites prestations aux clients finals (voir, en ce sens, arrêt TeliaSonera, point 32).
74 La Cour a également jugé que, afin d’apprécier la licéité de la politique de prix appliquée par une entreprise dominante, il convient, en principe, de se référer à des critères de prix fondés sur les coûts encourus par l’entreprise dominante elle-même et sur la stratégie de celle-ci (arrêt TeliaSonera, point 41 et jurisprudence citée).
75 En l’espèce, eu égard aux faits constatés par le Tribunal, tels que résumés au point 70 du présent arrêt, il ne saurait être considéré que ce dernier a entériné un renversement de la charge de la preuve à défaut d’avoir jugé que la Commission n’avait pas exposé, d’emblée, sa méthodologie et ses données concernant le calcul des CMILT.
76 Il ressort, en effet, desdits faits que, dès le début de la procédure administrative, la Commission a indiqué à la requérante qu’elle fonderait son appréciation de l’existence d’une compression des marges sur la méthodologie des CMILT. Ainsi, à la suite de la communication des données UCN par la requérante, avant la communication des griefs, la Commission lui a demandé de lui fournir les données de rentabilité pour les services à haut débit, recalculées en utilisant la méthodologie des CMILT. Or, il ressort du considérant 870 de la décision litigieuse, auquel renvoie le point 185 de l’arrêt attaqué, que, en réponse à cette demande, la requérante a indiqué qu’elle appliquait les CMILT pour le calcul des redevances des services d’interconnexion et qu’elle avait, une seule fois, au cours de l’année 2005, réalisé les calculs des CMILT pour les services à haut débit. En outre, sans qu’une dénaturation ne soit alléguée à cet égard, le Tribunal a considéré, au point 189 de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait des points 996 à 1002 de la communication des griefs que la Commission avait exposé les principes directeurs pour le calcul des coûts sur la base des CMILT. Il ressort de ce qui précède que la Commission avait exposé sa méthodologie pour la détermination des coûts dès le début de la procédure administrative et que la requérante en avait eu connaissance.
77 En ce qui concerne les données prises en compte, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 73 du présent arrêt, que, pour établir l’existence d’une compression des marges, la Commission se fonde, en principe, sur les coûts supportés par l’entreprise dominante. Par conséquent, le fait que la Commission ait demandé à la requérante de lui fournir des données afférentes à ses coûts ne constitue pas un renversement de la charge de la preuve. De même, ne constitue pas un tel renversement le fait que la Commission tienne compte de données retravaillées, fournies par la requérante à la suite de la communication des griefs.
78 Enfin, contrairement à ce qu’allègue la requérante, la circonstance que la Commission n’a pu appliquer sa méthodologie fondée sur les CMITL au stade de la communication des griefs, faute de données adéquates, n’équivaut pas à une omission de la part de la Commission d’élaborer sa propre méthodologie destinée à satisfaire à l’obligation de preuve qui lui incombe.
79 Partant, le grief selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas un renversement illégal de la charge de la preuve qui incombait à la Commission doit être rejeté comme étant non fondé.
– Sur la violation des droits de la défense
80 S’agissant du grief selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur de droit faute d’avoir reconnu une violation des droits de la défense de la requérante, il convient de rappeler que les droits de la défense sont des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect (arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑109/10 P, EU:C:2011:686, point 52 et jurisprudence citée). Ce principe général du droit de l’Union est consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a) et b), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief (voir, en ce sens, arrêt du 16 janvier 2019, Commission/United Parcel Service, C‑265/17 P, EU:C:2019:23, point 28 et jurisprudence citée).
81 Dans le contexte du droit de la concurrence, le respect des droits de la défense implique que tout destinataire d’une décision constatant qu’il a commis une infraction aux règles de la concurrence doit avoir été mis en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances qui lui sont reprochés ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une telle infraction (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2013, SNIA/Commission, C‑448/11 P, non publié, EU:C:2013:801, point 41, ainsi que du 14 septembre 2017, LG Electronics et Koninklijke Philips Electronics/Commission, C‑588/15 P et C‑622/15 P, EU:C:2017:679, point 43).
82 En ce sens, comme le Tribunal l’a, à juste titre, rappelé aux points 179 à 183 de l’arrêt attaqué, l’article 27, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit l’envoi aux parties d’une communication des griefs. Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour, cette communication doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Toutefois, cette indication peut être faite de manière sommaire et la décision prise par la suite par la Commission ne doit pas nécessairement être une copie de l’exposé des griefs, car cette communication constitue un document préparatoire dont les appréciations de fait et de droit ont un caractère purement provisoire (arrêt du 5 décembre 2013, SNIA/Commission, C‑448/11 P, non publié, EU:C:2013:801, point 42 et jurisprudence citée).
83 Il s’ensuit que, la qualification juridique des faits retenue dans la communication des griefs ne pouvant être, par définition, que provisoire, une décision ultérieure de la Commission ne saurait être annulée au seul motif que les conclusions définitives tirées de ces faits ne correspondent pas de manière précise à cette qualification provisoire. En effet, la Commission doit entendre les destinataires d’une communication des griefs et, le cas échéant, tenir compte de leurs observations visant à répondre aux griefs retenus en modifiant son analyse, précisément pour respecter leurs droits de la défense. Il doit ainsi être permis à la Commission de préciser cette qualification dans sa décision finale, en tenant compte des éléments résultant de la procédure administrative, soit pour abandonner des griefs qui se seraient révélés mal fondés, soit pour aménager et compléter tant en fait qu’en droit son argumentation à l’appui des griefs qu’elle retient, à condition toutefois qu’elle ne retienne que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer et qu’elle ait fourni, au cours de la procédure administrative, les éléments nécessaires à la défense de leurs intérêts (arrêt du 5 décembre 2013, SNIA/Commission, C‑448/11 P, non publié, EU:C:2013:801, points 43 et 44 ainsi que jurisprudence citée).
84 En l’espèce, la requérante reproche, en premier lieu, au Tribunal de ne pas avoir constaté une violation de ses droits de la défense en raison du fait que, en vue d’évaluer dans quelle mesure une compression des marges pouvait être reprochée à la requérante, la Commission s’est fondée, en ce qui concerne le calcul des coûts, sur une méthodologie, des principes et des données différents, respectivement, dans la communication des griefs et dans la décision litigieuse.
85 À cet égard, il ressort des faits constatés par le Tribunal, tels que résumés au point 70 du présent arrêt, que, avant l’adoption de la communication des griefs, la Commission a demandé à la requérante de lui fournir des données de rentabilité recalculées en utilisant la méthodologie des CMILT. À défaut d’avoir obtenu ces données, la Commission, dans la communication des griefs, a évalué l’existence d’une compression des marges sur la base des données UCN dont elle disposait à ce moment-là. Ainsi qu’il ressort du considérant 875 de la décision litigieuse auquel renvoie le point 185 de l’arrêt attaqué, la Commission a considéré que ces données constituaient un indicateur suffisamment fiable pour le calcul des CMILT. Ensuite, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante a fourni de nouvelles données et précisé que, lors du calcul des CMILT, il convenait, d’une part, de prendre en considération une réévaluation de ses actifs et, d’autre part, de tenir compte des inefficiences de son réseau pour l’offre de haut débit. Enfin, il n’est pas contesté que, dans la décision litigieuse, la Commission a appliqué la méthodologie des CMILT.
86 Au vu de ces faits, en particulier de la circonstance que la requérante a soumis des estimations de CMILT pour la période allant de l’année 2005 à l’année 2011 en réponse à la communication des griefs, ainsi que des considérations figurant au point 76 du présent arrêt, force est de constater que, au cours de la procédure administrative, la requérante était pleinement consciente du fait que la Commission chercherait à établir l’existence d’une compression des marges sur la base d’une méthodologie et des principes basés sur les CMILT.
87 En outre, il ressort des circonstances de fait auxquelles le Tribunal a eu égard, telles que résumées au point 70 du présent arrêt, qu’il a pu à bon droit considérer, aux points 189 et 190 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait appliqué la même méthodologie et les mêmes principes de calcul des CMILT au stade de la communication des griefs et de la décision litigieuse. La circonstance que, au stade de la communication des griefs, la Commission a considéré que les données UCN de la requérante constituaient un indicateur suffisamment fiable pour l’établissement des CMILT n’implique pas que la Commission ait modifié sa méthodologie et ses principes de calcul de ces coûts.
88 De plus, c’est à bon droit que le Tribunal souligne, au point 190 de l’arrêt attaqué, la correspondance entre les tableaux repris respectivement dans la communication des griefs et dans la décision litigieuse pour appuyer le motif selon lequel la Commission a utilisé une seule et même méthodologie au cours de la procédure ayant abouti à la décision litigieuse. En effet, compte tenu de leurs intitulés, ces tableaux visent à rassembler des données équivalentes.
89 Il s’ensuit que la requérante allègue à tort une violation de ses droits de la défense au motif que la méthodologie et les principes de calcul des coûts pour établir une compression des marges auraient été différents aux stades respectifs de la communication des griefs et de la décision litigieuse. Partant, le grief de la requérante selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit en omettant de reconnaître une telle violation de ses droits de la défense est non fondé.
90 En deuxième lieu, la requérante reproche au Tribunal de ne pas avoir reconnu une violation de ses droits de la défense, compte tenu de la différence entre les données relatives aux coûts retenues respectivement dans la communication des griefs et dans la décision litigieuse.
91 À cet égard, il ressort des points 187, 190 et 192 de l’arrêt attaqué que les différences entre les coûts et les marges repris respectivement dans la communication des griefs et dans la décision litigieuse résultent de la prise en compte par la Commission de certains ajustements proposés par la requérante elle-même afin de respecter ses droits de la défense. Or, ainsi qu’il ressort du point 83 du présent arrêt, le principe du respect des droits de la défense n’implique pas uniquement que la Commission entende les destinataires d’une communication des griefs, mais également, le cas échéant, qu’elle tienne compte de leurs observations visant à répondre aux griefs retenus en modifiant son analyse, précisément pour respecter leurs droits de la défense. Partant, en l’espèce, les différences dont la requérante fait état ne sauraient démontrer une violation de ses droits de la défense.
92 En outre, le fait que la Commission ait procédé à ces ajustements en ce qui concerne le calcul des marges de la requérante sans avoir entendu à nouveau cette dernière ne constitue pas une violation de ses droits de la défense. En effet, lesdits ajustements ont été opérés sur la base des données fournies par la requérante elle-même en application des principes et de la méthodologie des CMILT, telle que la Commission l’avait annoncé au cours de la procédure administrative.
93 En troisième lieu, s’agissant des critiques dirigées contre le point 209 de l’arrêt attaqué concernant la « réunion bilan » sur l’état du dossier du 16 septembre 2014, il y a lieu de constater que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré audit point que le principe du respect des droits de la défense n’imposait pas à la Commission de divulguer ses calculs finals des marges avant d’adresser la décision litigieuse à la requérante. Ledit principe impose seulement à la Commission de donner à la requérante la possibilité de prendre utilement position sur les éléments de fait et de droit qu’elle prendra en considération aux fins de l’adoption de sa décision. Or, la requérante ne démontre pas que les données divulguées lors de cette réunion étaient dérivées d’éléments de fait ou de droit sur lesquels elle n’avait pas pu prendre position au cours de la procédure administrative ayant précédé cette réunion.
94 Partant, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré, au point 209 de l’arrêt attaqué, que la requérante avait été informée de tous les éléments pertinents relatifs au calcul des marges effectué par la Commission et s’était vu accorder la possibilité de présenter ses observations préalablement à l’adoption de la décision litigieuse.
95 Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, le deuxième moyen soulevé par la requérante à l’appui de son pourvoi doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur le troisième moyen
Sur la recevabilité
– Argumentation des parties
96 La Commission excipe de l’irrecevabilité du troisième moyen de la requérante en ce que, par celui-ci, elle soutient que cette institution a commis une erreur d’appréciation substantielle en ne collectant pas des données de tiers ou en n’élaborant pas son propre calcul des CMILT aux fins de l’application du critère dit de l’« opérateur aussi efficace », dans la mesure où ce grief n’a pas été soulevé devant le Tribunal.
97 La requérante conteste cette irrecevabilité. Elle estime que, dans sa réplique devant le Tribunal, elle a fait grief à la Commission de ne pas avoir exposé dans leur intégralité la méthode, les principes et les données de calcul des CMILT sur lesquels elle avait l’intention de s’appuyer.
– Appréciation de la Cour
98 Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. La compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est en effet limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges.
99 Une partie ne saurait, par conséquent, soulever pour la première fois devant la Cour, dans le cadre du pourvoi, un moyen qu’elle n’a pas invoqué devant le Tribunal, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (arrêt du 11 novembre 2004, Ramondín e.a./Commission, C‑186/02 P et C‑188/02 P, EU:C:2004:702, point 60).
100 Il convient également de rappeler que, dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif d’une pratique tarifaire aboutissant à la compression des marges, il y a lieu de prendre en considération, en principe et prioritairement, les prix et les coûts de l’entreprise concernée sur le marché des prestations de détail. Ce n’est que lorsqu’il n’est pas possible, compte tenu des circonstances, de faire référence à ces prix et à ces coûts qu’il convient d’examiner ceux des concurrents sur ce même marché (arrêt TeliaSonera, point 46).
101 Par son troisième moyen, tiré d’erreurs de droit entachant le rejet, par le Tribunal, de l’argument de la requérante selon lequel la Commission a écarté à tort ses demandes d’ajustements d’optimisation, la requérante allègue notamment que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne décidant pas que, dès lors que la structure des CMILT de la requérante n’était pas précisément identifiable pour des raisons objectives, la Commission aurait dû rassembler les données de ses concurrents ou créer sa propre base de données cohérente en vue d’élaborer un modèle basé sur les CMILT.
102 Toutefois, la requérante ne démontre pas avoir avancé un tel grief devant le Tribunal. Lorsque, devant le Tribunal, la requérante a reproché à la Commission de ne pas avoir exposé, dans leur intégralité, la méthode, les principes et les données de calcul des CMILT sur lesquels elle avait l’intention de s’appuyer pour apprécier l’existence d’une compression des marges en l’espèce, la requérante n’a allégué qu’une violation de ses droits procéduraux. Elle n’a pas soutenu qu’il était erroné, à cette fin, de s’appuyer sur ses coûts. La requérante n’a d’ailleurs pas allégué que, au point 231 de l’arrêt attaqué, le Tribunal avait dénaturé ses arguments. Or, dans ledit point, le Tribunal a expressément constaté que la requérante n’avait pas soutenu qu’il convenait en l’espèce d’examiner les prix et les coûts de ses concurrents, dans la mesure où il n’était pas possible de faire référence à ses propres prix et coûts.
103 Il n’est donc pas avéré que la requérante ait allégué devant le Tribunal que la Commission ne pouvait pas s’appuyer sur ses données pour établir les coûts pertinents ou que seules les données de ses concurrents ou des données entièrement construites auraient permis d’établir lesdits coûts.
104 Partant, ainsi qu’il ressort du point 98 du présent arrêt, il y a lieu de rejeter comme étant irrecevable le grief avancé par la requérante à l’appui de son troisième moyen, par lequel elle soutient que la Commission a commis une erreur d’appréciation substantielle en ne collectant pas des données de tiers ou en n’élaborant pas son propre calcul des CMILT aux fins de l’application du critère de l’« opérateur aussi efficace ».
Sur le fond
– Argumentation des parties
105 La requérante considère que, lors de l’appréciation de l’existence d’une pratique abusive de compression des marges, le Tribunal a fait une application erronée en droit du critère de l’« opérateur aussi efficace » en rejetant ses ajustements d’optimisation.
106 Selon la requérante, si la Commission a accepté ses chiffres relatifs aux CMILT dans le cadre de la réévaluation et de l’amortissement des actifs, il n’existait aucune raison de rejeter les ajustements d’optimisation, dès lors qu’ils étaient eux aussi basés sur les coûts qu’engendrerait un réseau construit à la date de la décision litigieuse. Il s’agirait d’une question de cohérence ou d’égalité de traitement.
107 Elle considère que, en l’absence de modèle de coûts établi par la Commission sur la base des CMILT et en raison du fait que ses CMILT pour la période allant de l’année 2005 à l’année 2010 étaient basés sur des ratios découlant de l’analyse de ses CMILT relatifs à l’année 2011, aucun motif valable ne justifiait le rejet de ses ajustements d’optimisation. Ainsi, le Tribunal n’aurait pu juger, sans commettre d’erreur de droit, au point 233 de l’arrêt attaqué, que les ajustements d’optimisation auraient conduit à « s’écarter » des coûts supportés par la requérante au cours de la période infractionnelle, ni indiquer qu’ils impliqueraient la prise en compte d’un réseau moderne. De même, la considération, au point 226 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les questions de la réévaluation et de l’amortissement des actifs, d’une part, et des ajustements d’optimisation, d’autre part, avaient un « objet différent » serait sans pertinence en l’absence de modèle établi par la Commission et inexacte parce que ces deux questions concerneraient le calcul des CMILT. En outre, la requérante fait valoir que, s’agissant des ajustements opérés afin que les coûts des actifs et des amortissements soient basés sur les principes de la comptabilité en coûts actuels (ci-après les « ajustements CCA »), la Commission a accepté le principe selon lequel il convenait de prendre en considération une actualisation des coûts d’équipement et d’exploitation qu’impliquerait la construction d’un réseau au moment où sont effectués les calculs sur la base de ces coûts, alors qu’elle a rejeté les ajustements d’optimisation, pourtant fondés sur le même principe. La requérante conteste également l’affirmation, au point 234 de l’arrêt attaqué, selon laquelle ses ajustements d’optimisation étaient basés sur un « opérateur parfaitement efficace », car ils seraient basés sur un opérateur aussi efficace construisant un réseau en 2011 et sur ses CMILT afférents à l’année 2011 qui étaient les seuls disponibles. Les coûts ainsi obtenus correspondraient à ceux que la requérante éviterait si elle ne proposait pas les services à haut débit concernés.
108 La Commission estime que le Tribunal n’a pas commis d’erreurs de droit aux points 233 à 235 de l’arrêt attaqué, car la position de la requérante ne tiendrait compte ni de la nature et des effets de chaque type d’ajustements ni des raisons pour lesquelles la Commission les a acceptés ou rejetés.
– Appréciation de la Cour
109 Il convient de rappeler que la mise en œuvre, par une entreprise dominante, d’une pratique tarifaire qui aboutit à la compression des marges de ses concurrents aussi efficaces qu’elle-même constitue un abus, au sens de l’article 102 TFUE, dès lors qu’elle est de nature à produire des effets d’éviction pour ces concurrents en rendant plus difficile, voire impossible, l’accès au marché concerné par ces concurrents (voir, en ce sens, arrêt TeliaSonera, points 63 à 65 ainsi que jurisprudence citée).
110 En outre, afin d’apprécier la licéité de la politique de prix appliquée par une entreprise dominante, il convient, en principe, de se référer à des critères de prix fondés sur les coûts encourus par l’entreprise dominante elle-même et sur la stratégie de celle-ci. En particulier, s’agissant d’une pratique tarifaire aboutissant à la compression des marges de ses concurrents, l’utilisation de tels critères d’analyse permet de vérifier si l’entreprise dominante elle-même aurait été suffisamment efficace pour proposer ses prestations de détail aux clients finals autrement qu’à perte si elle avait été préalablement obligée d’acquitter ses propres prix de gros pour les prestations intermédiaires (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C‑280/08 P, EU:C:2010:603, point 201, et TeliaSonera, points 41 et 42 ainsi que jurisprudence citée).
111 En l’espèce, il ressort des points 186, 187 et 217 de l’arrêt attaqué que, pour apprécier les coûts d’un concurrent au moins aussi efficace que la requérante offrant des services d’accès à Internet à haut débit au moyen de son propre réseau, la Commission a pris en compte les coûts des actifs composant ce réseau. En effet, ainsi qu’il ressort du point 70 du présent arrêt, en soumettant ces coûts à la Commission, la requérante a demandé à cette dernière, d’une part, de réévaluer les actifs et, d’autre part, de tenir compte des inefficiences de son réseau au moyen des ajustements d’optimisation. La Commission a accepté d’inclure notamment la réévaluation des actifs de la requérante dans son analyse de la compression des marges et de déduire, en ce qui concerne les coûts fixes spécifiques, les frais associés et communs. En revanche, elle a rejeté les ajustements d’optimisation.
112 Aux points 222 à 239 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que c’est à bon droit que la Commission avait refusé de prendre en compte les ajustements d’optimisation. Le Tribunal a motivé cette décision en considérant notamment, au point 225 de l’arrêt attaqué, que ces ajustements consistaient à corriger les actifs au niveau approximatif d’un opérateur efficace qui construisait un réseau optimal adapté pour satisfaire une future demande fondée sur les informations « d’aujourd’hui » et les prévisions de la demande. Le Tribunal a, dès lors, estimé que les ajustements d’optimisation étaient fondés sur une projection ainsi que sur un modèle de réseau optimal et non pas sur une estimation reflétant les coûts incrémentaux des actifs existants de la requérante.
113 Le Tribunal en a déduit, au point 226 de l’arrêt attaqué, que les ajustements d’optimisation, en général, et le remplacement des actifs existants par leurs équivalents plus modernes, en particulier, avaient un objet différent de la réévaluation des actifs proposée par la requérante. Par ailleurs, il a considéré que la prise en compte, par la Commission, de la réévaluation des actifs existants proposée par la requérante en raison de l’absence d’autres données plus fiables sur ses CMILT n’impliquait nullement que la Commission avait, de ce fait, nécessairement accepté les ajustements d’optimisation, de sorte que cette institution était fondée à traiter d’une manière différente, d’une part, le remplacement des actifs existants par leurs équivalents plus modernes et, d’autre part, la réévaluation des actifs proposée par la requérante.
114 En outre, aux points 227 à 235 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a confirmé la conclusion de la Commission selon laquelle les ajustements d’optimisation aboutiraient à calculer les CMILT sur la base non pas des actifs de la requérante, mais sur ceux d’un concurrent hypothétique. En particulier, au point 232 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, d’une part, que le remplacement des actifs existants par leurs équivalents plus modernes visait à ajuster les coûts des actifs en retenant la valeur des actifs « actuels », sans toutefois procéder à des ajustements adéquats des amortissements, et, d’autre part, que la prise en compte de la capacité excédentaire des réseaux sur la base de la capacité « actuellement » utilisée aurait eu pour résultat d’exclure les actifs de la requérante ne faisant pas l’objet d’un usage productif. Le Tribunal en a déduit, au point 233 de l’arrêt attaqué, que c’était sans commettre d’erreur que la Commission avait considéré que la prise en compte des ajustements d’optimisation aurait conduit à s’écarter des coûts encourus par la requérante entre le 12 août 2005 et le 31 décembre 2010. Enfin, au point 234 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la Commission n’avait pas méconnu le principe selon lequel l’examen d’une compression des marges doit se fonder sur le critère de l’« opérateur aussi efficace » lorsqu’elle a relevé, en substance, qu’il était inévitable que certaines capacités demeurent parfois inutilisées. Le Tribunal a en effet considéré que, si la Commission avait accepté les ajustements d’optimisation liés aux capacités excédentaires de la requérante, les calculs des CMILT de la requérante auraient reflété les coûts liés à un réseau optimal correspondant à la demande et ne souffrant pas des inefficiences du réseau de cet opérateur.
115 La requérante soutient que le Tribunal a erronément appliqué ce critère de l’« opérateur aussi efficace » et violé le principe d’égalité de traitement lorsqu’il a avalisé le rejet, par la Commission, des ajustements d’optimisation. À l’appui de ce grief, la requérante avance, en substance, que ces ajustements portaient sur les seules données relatives aux CMILT existantes, à savoir ses données de l’année 2011, qui ont été utilisées à titre indicatif pour la période allant de l’année 2005 à l’année 2011. En outre, elle soutient que lesdits ajustements étaient destinés à refléter les coûts actuels d’équipement et d’exploitation qu’impliquerait un réseau construit à la date de la décision litigieuse (« aujourd’hui »), au même titre que les ajustements CCA que la Commission avait accepté de prendre en considération.
116 Toutefois, le fait que les CMILT pris en compte par la Commission pour la période allant de l’année 2005 à l’année 2010 avaient été estimés sur la base des données de la requérante datant de l’année 2011 et que les ajustements d’optimisation étaient destinés à actualiser les coûts d’équipement et d’exploitation par rapport à un réseau construit à la date de la décision litigieuse ne suffit pas à démontrer le caractère erroné en droit de l’appréciation du Tribunal, aux points 225 et 232 de l’arrêt attaqué, selon laquelle ces ajustements visaient à faire une évaluation des coûts des actifs existants en les remplaçant par leurs équivalents plus modernes, de sorte qu’ils ne reflèteront plus les coûts d’un concurrent aussi efficace que la requérante. Dès lors, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, aux points 226 et 233 de l’arrêt attaqué, que la prise en compte des ajustements d’optimisation avait un objet différent de la réévaluation des actifs et aurait conduit à s’écarter des coûts encourus par la requérante entre le 12 août 2005 et le 31 décembre 2010.
117 De même, le fait que les seules données prises en compte par la Commission en vue de calculer les CMILT étaient celles de la requérante relatives à l’année 2011 et que les ajustements d’optimisation étaient destinés à actualiser les coûts d’équipement et d’exploitation par rapport à un réseau construit à la date de la décision litigieuse ne suffit pas à démontrer que le Tribunal ait commis une erreur de droit, ni une erreur dans la qualification juridique des faits, en raison de l’application qu’il a faite aux circonstances de l’espèce du critère de l’« opérateur aussi efficace » en considérant, au point 234 de l’arrêt attaqué, que la prise en compte des ajustements d’optimisation liés aux capacités excédentaires aurait reflété les coûts liés à un réseau optimal correspondant à la demande et ne souffrant pas des inefficiences du réseau de la requérante.
118 Dès lors qu’il n’est pas démontré que le Tribunal ait commis une erreur de droit en entérinant le bien-fondé de l’exclusion, par la Commission, des ajustements d’optimisation proposés par la requérante en application du critère de l’« opérateur aussi efficace », le fait que ces ajustements auraient été opérés sur la base des mêmes données que celles qui ont fait l’objet d’autres ajustements pris en compte par la Commission, tels que les ajustements CCA de la requérante, est dénué de pertinence. En effet, la prise en compte de coûts et de leurs ajustements pour l’examen d’une pratique tarifaire aboutissant à la compression des marges des concurrents de l’entreprise dominante doit s’apprécier au regard non pas du fait que d’autres ajustements de ces coûts ont déjà été acceptés par la Commission, mais du critère d’un concurrent au moins aussi efficace que l’entreprise en position dominante.
119 En tout état de cause, une application incorrecte de ce critère en raison de la prise en compte de certains ajustements des coûts ne saurait justifier, en soi, le fait que d’autres ajustements soient également pris en considération au nom du principe de l’égalité de traitement. En effet, le principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect de la légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2017, Pappalardo e.a./Commission, C‑350/16 P, EU:C:2017:672, point 52 ainsi que jurisprudence citée).
120 Par conséquent, c’est sans commettre d’erreur de droit ni d’erreur dans la qualification juridique des faits que le Tribunal a entériné le bien-fondé, par la Commission, de son refus de prendre en compte les ajustements d’optimisation.
121 Le troisième moyen du pourvoi doit, dès lors, être rejeté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
Sur la demande de pouvoir bénéficier d’un jugement favorable
122 La requérante demande de pouvoir bénéficier de l’accueil éventuel du moyen soulevé par DT à l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑152/19 P contre l’arrêt du Tribunal du 13 décembre 2018, Deutsche Telekom/Commission (T‑827/14, EU:T:2018:930), par lequel DT critique cet arrêt en ce qu’il a décidé que c’était à bon droit que la Commission avait considéré que la requérante et elle-même faisaient partie d’une entreprise unique et qu’elles étaient toutes deux responsables de l’infraction constatée dans la décision litigieuse. À l’appui de cette demande, la requérante allègue que ledit moyen a le même objet que celui de son quatrième moyen soulevé devant le Tribunal.
123 La Commission soutient qu’il convient de rejeter une telle demande, dès lors qu’il ne s’agit pas d’un moyen de pourvoi, que la responsabilité de la requérante ne trouve pas son origine dans le comportement de DT et que, en tout état de cause, le pourvoi de DT dans l’affaire C‑152/19 P doit être rejeté.
124 À cet égard, il suffit de constater que, par l’arrêt de ce jour, Deutsche Telekom/Commission (C‑152/19 P), la Cour a rejeté le pourvoi de DT dans cette affaire, de sorte que la demande de la requérante est inopérante, faute d’objet.
125 Partant, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble.
Sur les dépens
126 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
127 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi conformément à l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute personne qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
128 La requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à sa condamnation aux dépens, elle supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Slovak Telekom a.s. supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.