CJUE, 4e ch., 25 mars 2021, n° C-611/16 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Xellia Pharmaceuticals ApS, Alpharma LLC
Défendeur :
Commission européenne, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Vilaras
Juges :
M. Šváby (rapporteur), M. Rodin, Mme Jürimäe, M. Xuereb
Avocat général :
Mme Kokott
Avocat :
Me Hull
LA COUR (quatrième chambre),
1 Par leur pourvoi, Xellia Pharmaceuticals ApS et Alpharma LLC demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 septembre 2016, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (T‑471/13, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:460), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant, d’une part, à l’annulation partielle de la décision C(2013) 3803 final de la Commission européenne, du 19 juin 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck) (ci-après la « décision litigieuse »), et, d’autre part, à la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée par cette décision.
Le cadre juridique
Le règlement (CE) n° 1/2003
2 Sous l’intitulé « Enquêtes par secteur économique et par type d’accords », l’article 17, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit :
« Lorsque l’évolution des échanges entre États membres, la rigidité des prix ou d’autres circonstances font présumer que la concurrence peut être restreinte ou faussée à l’intérieur du marché [intérieur], la Commission peut mener son enquête sur un secteur particulier de l’économie ou un type particulier d’accords dans différents secteurs. Dans le cadre de cette enquête, la Commission peut demander aux entreprises ou aux associations d’entreprises concernées les renseignements nécessaires à l’application des articles [101 et 102 TFUE] et effectuer les inspections nécessaires à cette fin. »
3 L’article 21, paragraphe 3, de ce règlement dispose :
« Une décision prise conformément au paragraphe 1 ne peut être exécutée sans autorisation préalable de l’autorité judiciaire nationale de l’État membre concerné. L’autorité judiciaire nationale contrôle que la décision de la Commission est authentique et que les mesures coercitives envisagées ne sont ni arbitraires ni excessives eu égard notamment à la gravité de la violation suspectée, à l’importance des éléments de preuve recherchés, à l’implication de l’entreprise concernée et à la probabilité raisonnable que les livres et documents liés à l’objet de l’inspection soient conservés dans les locaux dont l’inspection est demandée. L’autorité judiciaire nationale peut demander à la Commission, directement ou par l’intermédiaire de l’autorité de concurrence de l’État membre, des explications détaillées sur les éléments qui lui sont nécessaires pour pouvoir contrôler la proportionnalité des mesures coercitives envisagées.
Cependant, l’autorité judiciaire nationale ne peut remettre en cause la nécessité d’une inspection ni exiger la communication des informations figurant dans le dossier de la Commission. Le contrôle de la légalité de la décision de la Commission est réservé à la Cour de justice. »
4 L’article 23, paragraphe 2, dudit règlement prévoit :
« La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence :
a) elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [101 ou 102 TFUE], ou
[...]
Pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.
[...] »
Les lignes directrices sur le calcul des amendes de 2006
5 Les points 19 à 22 et 37 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices sur le calcul des amendes de 2006 »), énoncent :
« 19. Le montant de base de l’amende sera lié à une proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction.
20. L’appréciation de la gravité sera faite au cas par cas pour chaque type d’infraction, tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce.
21. En règle générale, la proportion de la valeur des ventes prise en compte sera fixée à un niveau pouvant aller jusqu’à 30 %.
22. Afin de décider si la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération dans un cas donné devrait être au bas ou au haut de cette échelle, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, tels que la nature de l’infraction, la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction, et la mise en œuvre ou non de l’infraction.
[...]
37. Bien que les présentes [l]ignes directrices exposent la méthodologie générale pour la fixation d’amendes, les particularités d’une affaire donnée ou la nécessité d’atteindre un niveau dissuasif dans une affaire particulière peuvent justifier que la Commission s’écarte de cette méthodologie ou des limites fixées au point 21. »
La décision du 15 janvier 2008 ouvrant une enquête sur le secteur pharmaceutique
6 Les considérants 3 à 5 ainsi que le considérant 8 de la décision de la Commission, du 15 janvier 2008, ouvrant une enquête sur le secteur pharmaceutique conformément à l’article 17 du règlement (CE) n° 1/2003 (affaire n° COMP/D 2/39.514) (ci-après la « décision du 15 janvier 2008 ouvrant une enquête sur le secteur pharmaceutique »), sont libellés dans les termes suivants :
« (3) Certaines circonstances ayant trait à la concurrence exercée par les médicaments innovants et génériques en général donnent à penser que la concurrence dans le secteur pharmaceutique en Europe peut être restreinte ou faussée, comme, par exemple, un recul de l’innovation compte tenu du nombre de médicaments nouveaux arrivant sur le marché, ainsi que des cas d’entrée tardive sur le marché de fournisseurs de médicaments génériques.
(4) Des éléments indiquent l’existence de pratiques commerciales de la part de fournisseurs pharmaceutiques, y compris, particulièrement, l’obtention de brevets ou leur exercice, qui pourraient servir non à protéger l’innovation, mais à empêcher la concurrence provenant des médicaments innovants et/ou génériques ; de procédures contentieuses qui pourraient avoir un caractère abusif, ainsi que d’accords susceptibles d’avoir un caractère collusoire.
(5) Ces pratiques peuvent donner lieu à des distorsions de concurrence lorsqu’elles protègent de manière injustifiée les fournisseurs de médicaments en place de la concurrence provenant des médicaments innovants ou génériques, par exemple en raison de l’extension, de facto, de la protection conférée par un brevet par le biais d’un comportement unilatéral ou d’accords. De telles pratiques peuvent limiter le choix des consommateurs, diminuer les incitations économiques à investir dans la recherche et le développement de nouveaux produits et porter atteinte aux budgets de santé des secteurs public et privé.
[...]
(8) Dans la mesure où l’enquête sur le secteur pharmaceutique révèlerait l’existence éventuelle d’accords ou de pratiques anticoncurrentiels ou d’abus de position dominante, la Commission ou, le cas échéant, les autorités nationales de concurrence pourraient envisager de prendre les mesures appropriées pour rétablir la concurrence dans le secteur, notamment en ouvrant des enquêtes à l’égard d’entités individuelles qui pourraient déboucher sur des décisions au titre de l’article [101] et/ou de l’article [102 TFUE] ».
Les antécédents du litige
7 Le présent pourvoi s’inscrit dans le cadre de six pourvois connexes dirigés contre six arrêts du Tribunal prononcés à la suite de recours en annulation introduits contre la décision litigieuse, à savoir, outre le présent pourvoi, celui formé dans l’affaire C‑586/16 P [Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission] contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (T‑460/13, non publié, EU:T:2016:453), celui formé dans l’affaire C‑588/16 P [Generics (UK)/Commission] contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Generics (UK)/Commission (T‑469/13, non publié, EU:T:2016:454), celui formé dans l’affaire C‑591/16 P (Lundbeck/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission (T‑472/13, EU:T:2016:449), celui formé dans l’affaire C‑601/16 P (Arrow Group et Arrow Generics/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (T‑467/13, non publié, EU:T:2016:450), ainsi que celui formé dans l’affaire C‑614/16 P (Merck/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Merck/Commission (T‑470/13, non publié, EU:T:2016:452).
8 Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 38 de l’arrêt attaqué dans les termes suivants :
« Sociétés en cause dans la présente affaire
1 H. Lundbeck A/S (ci-après “Lundbeck”) est une société de droit danois qui contrôle un groupe de sociétés spécialisé dans la recherche, le développement, la production, le marketing, la vente et la distribution de produits pharmaceutiques pour le traitement de pathologies affectant le système nerveux central, dont la dépression.
2 Lundbeck est un laboratoire de princeps, à savoir une entreprise qui concentre son activité dans la recherche de nouveaux médicaments et dans la commercialisation de ceux-ci.
3 Alpharma Inc. était une société de droit américain active à l’échelle mondiale dans le secteur pharmaceutique, notamment en ce qui concerne les médicaments génériques. Jusqu’[au mois de] décembre 2008, elle était contrôlée par la société de droit norvégien, A.L. Industrier AS. Par la suite, elle a été achetée par une entreprise pharmaceutique du Royaume-Uni, qui, à son tour, a été achetée par une entreprise pharmaceutique des États-Unis. Dans le cadre de ces restructurations, Alpharma Inc. est devenue, d’abord, [au mois d’]avril 2010, Alpharma LLC, puis, le 15 avril 2013, Zoetis Products LLC (ci-après « Zoetis »), enfin, le 6 juillet 2015, à nouveau Alpharma LLC.
4 Alpharma Inc. contrôlait à 100 % Alpharma ApS, une société de droit danois, qui disposait de plusieurs filiales dans l’Espace économique européen (EEE) (ci-après, globalement, « le groupe Alpharma »). À la suite de plusieurs restructurations, le 31 mars 2008, Alpharma ApS est devenue Axellia Pharmaceuticals ApS, rebaptisée en 2010 Xellia Pharmaceuticals ApS [...]
Produit concerné et brevets portant sur celui-ci
5 Le produit concerné par la présente affaire est le médicament antidépresseur contenant l’ingrédient pharmaceutique actif (ci-après l’“IPA”) dénommé citalopram.
6 En 1977, Lundbeck a déposé au Danemark une demande de brevet sur l’IPA citalopram ainsi que sur les deux procédés d’alkylation et de cyanation utilisés pour produire ledit IPA. Des brevets couvrant cet IPA et ces procédés [...] ont été délivrés au Danemark et dans plusieurs pays de l’Europe occidentale entre [l’année] 1977 et [l’année] 1985.
7 En ce qui concerne l’EEE, la protection découlant [de ces brevets] ainsi que, le cas échéant, des certificats complémentaires de protection (CCP) prévus par le règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO [1992,] L 182, p. 1), a expiré entre [l’année] 1994 (pour l’Allemagne) et [l’année] 2003 (pour l’Autriche). En particulier, s’agissant du Royaume-Uni, ces brevets ont expiré [au mois de] janvier 2002.
8 Au fil du temps, Lundbeck a développé d’autres procédés plus efficaces pour produire du citalopram, pour lesquels elle a demandé, et souvent obtenu, des brevets dans plusieurs pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de l’Office européen des brevets (OEB).
9 Premièrement, le 13 mars 2000, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités danoises concernant un procédé de production du citalopram qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une cristallisation. Des demandes analogues ont été introduites dans d’autres pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’OMPI et de l’OEB. Lundbeck a obtenu des brevets protégeant le procédé utilisant la cristallisation (ci-après les “brevets sur la cristallisation”) dans plusieurs États membres au cours de la première moitié de l’année 2002, notamment le 30 janvier 2002 en ce qui concerne le Royaume-Uni et le 11 février 2002 en ce qui concerne le Danemark. L’OEB a délivré un brevet sur la cristallisation le 4 septembre 2002. Par ailleurs, aux Pays-Bas, Lundbeck avait déjà obtenu, le 6 novembre 2000, un modèle d’utilité concernant ce procédé[...], soit un brevet valable six ans, concédé sans examen préalable.
10 Deuxièmement, le 12 mars 2001, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités du Royaume-Uni [de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord] concernant un procédé de production du citalopram qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une distillation en film. Les autorités du Royaume-Uni ont concédé à Lundbeck un brevet portant sur ladite méthode de distillation en film le 3 octobre 2001 (ci-après le “brevet sur la distillation en film”). Cependant, ce brevet a été révoqué par défaut de nouveauté par rapport à un autre brevet de Lundbeck le 23 juin 2004.
11 Enfin, Lundbeck envisageait de lancer un nouveau médicament antidépresseur, le Cipralex, fondé sur un IPA dénommé escitalopram (ou S-citalopram), pour le milieu de l’année 2002 ou le début de l’année 2003. Ce nouveau médicament visait les mêmes patients que ceux susceptibles d’être soignés par le médicament breveté Cipramil de Lundbeck, fondé sur l’IPA citalopram. L’IPA escitalopram était protégé par des brevets valables jusqu’en 2012, à tout le moins.
Accord conclu par Lundbeck avec le groupe Alpharma et autres éléments du contexte
12 Au cours de l’année 2002, Lundbeck a conclu six accords concernant le citalopram (ci-après les “accords en cause”) avec des entreprises actives dans la production ou dans la vente de médicaments génériques (ci-après les “[fabricants de médicaments] génériques”), dont le groupe Alpharma.
13 L’accord pertinent en l’espèce (ci-après l’“accord litigieux”) a été conclu entre Lundbeck et Alpharma ApS le 22 février 2002, pour une période allant de cette date jusqu’au 30 juin 2003 (ci-après la “période pertinente”).
14 Avant la conclusion de cet accord, au mois de janvier 2002, le groupe Alpharma avait acheté auprès d’Alfred E. Tiefenbacher GmbH & Co. (ci-après “Tiefenbacher”) un stock de comprimés de citalopram générique, produits à partir de l’IPA de la société indienne Cipla, et elle en avait commandé d’autres.
15 À propos du préambule de l’accord litigieux (ci-après le “préambule”), il convient de relever, notamment, que :
– le premier considérant rappelle que “Lundbeck est titulaire de droits de propriété intellectuelle qui incluent, en particulier, des brevets concernant la production [...] de l’IPA ‘Citalopram’ [(écrit avec un ‘c’ majuscule dans l’ensemble du texte de l’accord)], qui incluent les brevets repris dans l’annexe A” de cet accord[...] ;
– le deuxième considérant indique que Lundbeck produit et vend des produits pharmaceutiques contenant du “Citalopram” dans tous les États membres ainsi qu’en Norvège et en Suisse, ces pays étant, dans leur ensemble, définis en tant que le “Territoire” ;
– les troisième et quatrième considérants mentionnent le fait que le groupe Alpharma a produit ou acheté des produits pharmaceutiques contenant du “Citalopram” dans le “Territoire”, et ce sans le consentement de Lundbeck ;
– les cinquième et sixième considérants font état du fait que les produits du groupe Alpharma ont été soumis par Lundbeck à des tests de laboratoire dont les résultats ont donné à cette dernière des raisons substantielles de croire que les méthodes de production utilisées pour réaliser ces produits violaient ses droits de propriété intellectuelle ;
– le septième considérant rappelle que, le 31 janvier 2002, Lundbeck a introduit une action auprès d’une juridiction du Royaume-Uni (ci-après l’“action en contrefaçon RU”) afin d’obtenir une injonction “contre les ventes par le groupe Alpharma de produits contenant du Citalopram pour violation des droits de propriété intellectuelle de Lundbeck” ;
– le huitième considérant indique que le groupe Alpharma reconnaît que les observations de Lundbeck sont correctes et s’engage à ne pas mettre sur le marché “de tels produits” ;
– les neuvième et dixième considérants précisent que Lundbeck :
– “convient de verser [au groupe] Alpharma une compensation afin de pouvoir éviter un litige en matière de brevets” dont l’issue ne pourrait pas être prévue avec une certitude absolue et qui serait coûteux et chronophage ;
– “convient, [afin] de résoudre le litige, d’acheter [au groupe] Alpharma son stock entier de produits contenant du Citalopram et à verser à [celui-ci] une compensation pour ces produits”.
16 En ce qui concerne le corps de l’accord litigieux, il convient de relever, notamment, que :
– le point 1.1 [de l’accord litigieux] stipule que le groupe Alpharma, y compris ses “Filiales”, “annule, arrête et s’abstient de toute importation, [...] production [...] ou vente de produits pharmaceutiques contenant du Citalopram dans le Territoire [...] pendant la [période pertinente]” et que Lundbeck retire l’action en contrefaçon RU ;
– ce même point précise qu’il ne s’applique pas à “tout produit contenant de l’escitalopram” ;
– le point 1.2 prévoit que, “[e]n cas de toute violation de l’obligation établie [au point 1.1 de l’accord litigieux] ou à la demande de Lundbeck, [le groupe] Alpharma [...] se soumettra volontairement à une injonction provisoire de la part de n’importe quelle juridiction compétente dans n’importe quel pays du Territoire” et que Lundbeck pourra obtenir une telle injonction sans fournir de dépôt de garantie ;
– le point 1.3 précise que, à titre de compensation pour les obligations prévues dans cet accord et afin d’éviter les frais et la durée du contentieux, Lundbeck paie au groupe Alpharma la somme de 12 millions de dollars des États-Unis (USD), dont 11 millions pour les produits du groupe Alpharma contenant du “Citalopram”, en trois tranches de 4 millions chacune, à verser respectivement le 31 mars 2002, le 31 décembre 2002 et le 30 juin 2003 ;
– le point 2.2 établit que, au plus tard le 31 mars 2002, le groupe Alpharma livre à Lundbeck la totalité du stock de produits contenant du “Citalopram” dont il disposerait à cette date, à savoir les 9,4 millions de comprimés déjà en sa possession lors de la conclusion de l’accord litigieux et les 16 millions de comprimés qu’il avait commandés.
17 L’annexe A [de l’accord litigieux] contient une liste de 28 demandes de droits de propriété intellectuelle introduites par Lundbeck avant la signature de [cet accord], dont neuf avaient déjà abouti à ladite date. Ces droits de propriété intellectuelle concernaient les procédés pour produire l’IPA citalopram visés par les brevets sur la cristallisation et [le brevet] sur la distillation en film.
18 Par ailleurs, il convient de préciser que, le 2 mai 2002, une juridiction du Royaume-Uni a rendu une ordonnance par consentement prévoyant que la procédure dans l’action en contrefaçon RU [serait] suspendue en raison de la conclusion d’un accord entre Lundbeck et, notamment, le groupe Alpharma, selon lequel ce dernier “annul[ait], arrêt[ait] et s’abst[enai]t de toute importation, [...] production [...] ou vente, dans les [États membres], en Norvège et en Suisse (‘les Territoires Pertinents’), de produits pharmaceutiques contenant du citalopram fabriqué par l’emploi des procédés revendiqués dans [les brevets sur la cristallisation et le brevet sur la distillation en film octroyés par les autorités du Royaume-Uni] ou dans tout autre brevet équivalent obtenu ou demandé dans les Territoires Pertinents jusqu’au 30 juin 2003”[...].
Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative
19 Au mois d’octobre 2003, la Commission [...] a été informée par le Konkurrence- og Forbrugerstyrelsen (KFST, autorité de la concurrence et des consommateurs danoise) de l’existence des accords en cause.
20 Dès lors que la plupart de ceux-ci concernaient l’ensemble de l’EEE ou, en tout état de cause, des États membres autres que le Royaume du Danemark, il a été convenu que la Commission examinerait leur compatibilité avec le droit de la concurrence tandis que le KFST ne poursuivrait pas l’étude de cette question.
21 Entre [l’année] 2003 et [l’année] 2006, la Commission a effectué des inspections au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement [n° 1/2003], auprès de Lundbeck et d’autres sociétés actives dans le secteur pharmaceutique. Elle a également envoyé à Lundbeck et à une autre société des demandes de renseignements au sens de l’article 18, paragraphe 2, dudit règlement.
22 Le 15 janvier 2008, la Commission a adopté la décision ouvrant une enquête sur] le secteur pharmaceutique conformément à l’article 17 du règlement (CE) n° 1/2003 (affaire COMP/D 2/39514). L’article unique de cette décision précisait que l’enquête à mener concernerait l’introduction sur le marché des médicaments innovants et génériques à usage humain.
23 Le 8 juillet 2009, la Commission a adopté une communication ayant pour objet la synthèse de son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique. Cette communication comportait la version intégrale dudit rapport d’enquête, en tant qu’“annexe technique”, sous la forme d’un document de travail de la Commission, disponible uniquement en [langue anglaise].
24 Le 7 janvier 2010, la Commission a engagé une procédure à l’égard de Lundbeck.
25 Au cours de l’année 2010 et de la première moitié de l’année 2011, la Commission a envoyé des demandes de renseignements à Lundbeck et, notamment, aux autres sociétés qui étaient parties aux accords en cause, dont le groupe Alpharma.
26 Le 24 juillet 2012, la Commission a engagé une procédure à l’égard notamment des [fabricants de médicaments] génériques qui étaient parties aux accords en cause et leur a envoyé une communication des griefs ainsi qu’à Lundbeck.
[...]
30 Le 19 juin 2013, la Commission a adopté la décision [litigieuse].
Décision [litigieuse]
31 Par la décision [litigieuse], la Commission a considéré que l’accord litigieux, tout comme d’ailleurs les autres accords en cause, constituait une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord [sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3)], commise par Lundbeck ainsi que par Alpharma ApS, Alpharma Inc. et A.L. Industrier (article 1er, paragraphe 3, de la décision [litigieuse]).
32 Ainsi que cela résulte du résumé figurant au considérant 1087 de la décision [litigieuse], à cette fin, la Commission [s’est fondée], notamment, sur les éléments suivants :
– au moment de la conclusion de l’accord litigieux, Lundbeck et le groupe Alpharma étaient des concurrents à tout le moins potentiels dans plusieurs pays de l’EEE ;
– en vertu de cet accord, Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit du groupe Alpharma ;
– ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par le groupe Alpharma des limitations apportées à son entrée sur le marché contenues dans ledit accord, en particulier à l’engagement du groupe Alpharma de ne vendre aucun citalopram générique dans l’EEE pendant la période pertinente ;
– ce transfert de valeur correspondait, en substance, aux profits que le groupe Alpharma aurait pu obtenir s’il était entré sur le marché avec succès ;
– Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations grâce à l’application des brevets sur la cristallisation et [du brevet] sur la distillation en film (ci-après les “nouveaux brevets [de procédé] de Lundbeck”), étant donné que les obligations pesant sur le groupe Alpharma à la suite de l’accord litigieux allaient au-delà des droits conférés au titulaire de brevets de procédé ;
– l’accord litigieux ne prévoyait aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre le groupe Alpharma dans l’hypothèse où ce dernier serait entré sur le marché avec du citalopram générique après l’expiration de l’accord litigieux.
33 La Commission a également imposé des amendes à toutes les parties aux accords en cause. À cette fin, elle a utilisé les [lignes directrices de 2006 sur le calcul des amendes]. Si, à l’égard de Lundbeck, la Commission a suivi la méthodologie générale décrite dans [ces lignes directrices], fondée sur la valeur des ventes du produit concerné réalisées par cette entreprise (considérants 1316 à 1358 de la décision [litigieuse]), en revanche, s’agissant des autres parties aux accords en cause, à savoir les [fabricants de médicaments] génériques, elle a eu recours à la possibilité, prévue au [point] 37 de celles-ci, de s’écarter de cette méthodologie, au vu des particularités de l’affaire à l’égard de ces parties (considérant 1359 de la décision [litigieuse]).
34 Ainsi, s’agissant des parties aux accords en cause autres que Lundbeck, dont le groupe Alpharma, la Commission a considéré que, afin de déterminer le montant de base de l’amende et d’assurer un effet suffisamment dissuasif à celle-ci, il y avait lieu de tenir compte de la valeur des sommes que Lundbeck leur avait transférées en vertu des accords en cause, et ce sans introduire de distinction entre les infractions selon la nature ou la portée géographique de celles-ci, ou en fonction des parts de marché des entreprises concernées, facteurs qui n’ont été abordés que dans un souci d’exhaustivité (considérant 1361 de la décision [litigieuse]).
35 En ce qui concerne le groupe Alpharma, la Commission a considéré que les sommes que Lundbeck lui avait payées s’élevaient à 11,1 millions de USD, équivalant à 11,7 millions d’euros, selon le taux de change moyen de l’année 2002. Ce montant se composait, d’une part, de 10,1 millions de USD pour l’achat du stock de citalopram du groupe Alpharma, compte tenu d’une réduction de 900 000 USD appliquée à la tranche payée par Lundbeck le 31 décembre 2002 (voir point 16, quatrième tiret, [de l’arrêt attaqué]) au motif que le nombre de comprimés reçus était inférieur au niveau convenu, et, d’autre part, de 1 million de USD en raison de frais de contentieux évités par le biais de la conclusion de l’accord litigieux (considérants 545, 547, 1071, 1374 et note en bas de page n° 1867 de la décision [litigieuse]).
36 Compte tenu de la durée totale de l’enquête, la Commission a réduit de 10 % les montants des amendes imposées à tous les destinataires de la décision [litigieuse] (considérants 1349 et 1380 de la décision [litigieuse]).
37 Enfin, la Commission a appliqué l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003, selon lequel, pour chaque entreprise participant à une infraction, l’amende ne pouvait pas excéder 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent, de manière séparée, à [Xellia Pharmaceuticals], à Zoetis et à A.L. Industrier, dans la mesure où ces sociétés ne faisaient plus partie de la même entreprise lors de l’adoption de la décision [litigieuse] (considérant 1384 de la décision [litigieuse]). S’agissant d’A.L. Industrier, la Commission a pris en compte le chiffre d’affaires réalisé en 2011, et non celui de [l’année] 2012, dans la mesure où elle a considéré que les données de [l’année] 2012 ne concernaient pas une année d’activités économiques normales (considérants 1386 et 1387 de la décision [litigieuse]).
38 Sur la base de ces considérations, la Commission a infligé une amende d’un montant de 10 530 000 euros solidairement à [Xellia Pharmaceuticals] et à Zoetis, alors que la responsabilité solidaire d’A.L. Industrier a été limitée à un montant de 43 216 euros (considérant 1396 et article 2, paragraphe 3, de la décision [litigieuse]). »
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
9 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 août 2013, Xellia Pharmaceuticals (ci-après « Xellia ») et Zoetis, devenue Alpharma LCC, ont introduit un recours tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse et à la réduction de l’amende qui leur a été infligée par la Commission.
10 À l’appui de leur recours, Xellia et Zoetis ont soulevé huit moyens, tirés, en substance, le premier, d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’interprétation par la Commission de la portée de l’accord litigieux, le deuxième, d’erreurs de droit et d’appréciation quant à la qualification du groupe Alpharma de concurrent potentiel de Lundbeck, le troisième, d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la qualification de l’accord litigieux de « restriction de la concurrence par objet », le quatrième, d’une erreur de droit quant à la constatation de l’existence d’une telle restriction alors même que la portée de cet accord reflète le pouvoir d’exclusion inhérent aux nouveaux brevets de procédé de Lundbeck, le cinquième, de la violation des droits de la défense, le sixième, de la violation du principe de non-discrimination du fait que Zoetis est destinataire de la décision litigieuse, le septième, d’erreurs affectant le calcul du montant de l’amende qui leur a été infligée et, le huitième, d’une erreur manifeste d’appréciation ayant trait au plafonnement de la part du montant de l’amende dont A.L. Industrier est codébiteur.
11 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ce recours dans son intégralité.
La procédure devant la Cour
12 Par acte déposé au greffe de la Cour le 25 novembre 2016, Xellia et Alpharma LLC (ci-après les « requérantes ») ont introduit le présent pourvoi.
13 Par actes déposés au greffe de la Cour le 28 juillet 2017, le Royaume-Uni a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans la présente affaire ainsi que dans les affaires C‑586/16 P [Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission], C‑588/16 P [Generics (UK)/Commission], C‑601/16 P (Arrow Group et Arrow Generics/Commission) et C‑614/16 P (Merck/Commission), mentionnées au point 7 du présent arrêt. Par ordonnances du 25 octobre 2017, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C‑586/16 P, non publiée, EU:C:2017:831), du 25 octobre 2017, Generics (UK)/Commission (C‑588/16 P, non publiée, EU:C:2017:829), du 25 octobre 2017, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (C‑601/16 P, non publiée, EU:C:2017:826), du 25 octobre 2017, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, non publiée, EU:C:2017:825), et du 25 octobre 2017, Merck/Commission (C‑614/16 P, non publiée, EU:C:2017:828), le président de la Cour a accueilli ces demandes. Toutefois, compte tenu notamment de l’ordonnance du président de la Cour du 5 juillet 2017, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, non publiée, EU:C:2017:532), ce dernier a réservé, à l’égard de cet État membre, dans toutes ces affaires, un traitement confidentiel, notamment, à la version confidentielle de la décision litigieuse, seule une version non confidentielle de celle-ci ayant été signifiée au Royaume-Uni.
14 Le 27 novembre 2018, la Cour a décidé que la présente affaire serait attribuée à la quatrième chambre devant statuer à la suite d’une audience de plaidoiries commune à la présente affaire et aux affaires C‑586/16 P [Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission], C‑588/16 P [Generics (UK)/Commission], C‑591/16 P (Lundbeck/Commission), C‑601/16 P (Arrow Group et Arrow Generics/Commission) et C‑614/16 P (Merck/Commission) ainsi qu’avec le bénéfice de conclusions.
15 Sur le fondement de l’article 61, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, celle-ci a, le 29 novembre 2018, transmis aux parties à la procédure dans la présente affaire une série de questions écrites pour réponses orales lors de l’audience ainsi qu’un plan provisoire de l’audience de plaidoiries détaillant précisément son déroulement. À la suite des observations de ces parties, un plan définitif de l’audience leur a été transmis le 22 janvier 2019.
16 L’audience de plaidoiries commune à la présente affaire et aux affaires visées au point 14 du présent arrêt s’est tenue le 24 janvier 2019.
17 Le 6 février 2020, Mme l’avocate générale a, sur le fondement de l’article 62 du règlement de procédure, adressé aux parties à la procédure dans la présente affaire une question pour réponse écrite, par laquelle elle les invitait à prendre position sur l’éventuelle influence de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), sur les moyens soulevés dans la présente affaire relatifs à l’existence d’une concurrence potentielle entre Lundbeck et les fabricants de médicaments génériques ainsi qu’à la qualification des accords conclus entre Lundbeck et ces derniers de « restrictions par objet ». Les réponses à cette question sont parvenues à la Cour le 6 mars 2020.
18 Par décision du 10 mars 2020, la Cour a décidé, à la suite du prononcé de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), de statuer dans la présente affaire sans conclusions.
Les conclusions des parties devant la Cour
19 Par leur pourvoi, les requérantes demandent à la Cour :
– d’annuler tout ou partie de l’arrêt attaqué ;
– d’annuler tout ou partie de la décision litigieuse ;
– d’annuler ou de réduire substantiellement l’amende qui leur a été infligée ;
– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue conformément à l’arrêt de la Cour, et
– de condamner la Commission aux dépens afférents à la présente procédure et à ceux exposés devant le Tribunal.
20 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi comme étant intégralement non fondé et
– de condamner les requérantes aux dépens.
21 Le Royaume-Uni demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans son intégralité.
Sur le pourvoi
22 Au soutien de leur pourvoi, les requérantes invoquent neuf moyens.
23 Le premier moyen est tiré de la méconnaissance de la présomption de validité des nouveaux brevets de procédé de Lundbeck dans le cadre de l’analyse de l’existence d’une concurrence potentielle entre Lundbeck et le groupe Alpharma et le deuxième moyen est tiré d’un renversement de la charge de la preuve ainsi que de la prise en compte par le Tribunal, dans le cadre de ladite analyse, d’éléments ne figurant pas dans la décision litigieuse.
24 Les troisième et quatrième moyens sont tirés, respectivement, de la qualification erronée de l’accord litigieux de « restriction par objet » et de l’absence d’examen de la question de savoir si la Commission a prouvé ses allégations quant à la portée des restrictions prévues dans l’accord litigieux à l’égard du groupe Alpharma.
25 Les cinquième à neuvième moyens sont tirés, respectivement, premièrement, d’une erreur de droit quant à l’appréciation de la durée de l’enquête menée par la Commission et d’une atteinte portée aux droits de la défense des requérantes, deuxièmement, du traitement discriminatoire subi par Alpharma LLC, troisièmement, de l’incertitude du contexte juridique qui aurait dû exclure l’imposition d’une amende au groupe Alpharma, quatrièmement, de l’absence de prise en considération de la gravité de l’infraction pour fixer le montant de l’amende infligée au groupe Alpharma par la décision litigieuse et, cinquièmement, d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a appliqué un critère juridique erroné pour déterminer l’exercice social pertinent aux fins de déterminer le montant maximal de l’amende pouvant être infligée à A.L. Industrier.
26 Il convient d’examiner, tout d’abord et ensemble, les premier et deuxième moyens, puis, également ensemble, les troisième et quatrième moyens, et enfin, successivement, les cinquième à neuvième moyens.
Sur les premier et deuxième moyens
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
27 Par leur deuxième moyen soulevé dans le cadre de leur recours en annulation, les requérantes ont fait valoir que la Commission avait commis plusieurs erreurs de droit et d’appréciation quant à la qualification du groupe Alpharma de concurrent potentiel de Lundbeck.
28 Le Tribunal a rejeté ce moyen aux points 49 à 156 de l’arrêt attaqué.
29 À titre liminaire, le Tribunal a procédé à une synthèse de l’analyse relative à la concurrence potentielle effectuée dans la décision litigieuse, à l’occasion de laquelle il a relevé ce qui suit aux points 51 à 58 de l’arrêt attaqué :
« 51 Aux considérants 615 à 620 de la décision [litigieuse], la Commission s’est penchée sur les caractéristiques particulières du secteur pharmaceutique et a distingué deux phases au cours desquelles la concurrence potentielle pouvait s’exprimer dans ce secteur.
52 La première phase peut commencer plusieurs années avant l’expiration prochaine du brevet sur un IPA, lorsque les [fabricants de médicaments] génériques qui souhaitent lancer une version générique du médicament concerné commencent à développer des procédés viables débouchant sur un produit qui répond aux exigences réglementaires. Ensuite, dans une seconde phase, afin de préparer son entrée effective sur le marché, il faut qu’[un fabricant de médicaments] génériques obtienne une autorisation de mise sur le marché (AMM), au sens de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO [2001,] L 311, p. 67), qu’[il] se procure des comprimés auprès d’un ou de plusieurs [fabricants de médicaments] génériques ou les produise [lui]-même, qu’[il] trouve des distributeurs ou mette en place son propre réseau de distribution, c’est-à-dire qu’[il] fasse une série de démarches préliminaires, sans lesquelles il n’y aurait jamais de concurrence effective sur le marché.
[...]
54 Dans le cadre de ces phases de concurrence potentielle, les [fabricants de médicaments] génériques font souvent face à des questions de droit des brevets et de propriété intellectuelle. Néanmoins, [ils] trouvent en général un moyen pour éviter toute infraction à des brevets existants, tels que des brevets de procédé. [Ils] disposent en effet de plusieurs options à cet égard, [...]
[...]
58 En ce qui concerne, en particulier, l’examen de la relation de concurrence existant entre Lundbeck et le groupe Alpharma au moment de la conclusion de l’accord litigieux, la Commission, aux considérants 1016 à 1039 de la décision [litigieuse], a relevé, notamment, que ledit groupe :
– avait déjà conclu un accord avec Tiefenbacher, qui lui permettait d’acheter du citalopram générique produit par les sociétés indiennes Cipla ou Matrix et d’utiliser les AMM dont Tiefenbacher disposait déjà ;
– avait obtenu des AMM aux Pays-Bas, en Finlande, au Danemark ainsi qu’en Suède et s’attendait à en recevoir rapidement une également au Royaume-Uni ;
– avait en stock 9,4 millions de comprimés de citalopram générique, produits selon le procédé de Cipla, et en avait commandé encore 16 millions ;
– avait publié une liste de prix au Royaume-Uni ;
– s’apprêtait à entrer sur le marché dans plusieurs pays de l’EEE dans un délai de deux à six semaines ;
– était parvenu à la conclusion que le procédé utilisé par Cipla pour produire du citalopram violait le brevet [de Lundbeck protégeant le procédé utilisant la cristallisation en ce qui concerne le Royaume-Uni], mais considérait avoir des chances raisonnables de pouvoir éviter une injonction bloquant son entrée sur le marché et d’obtenir l’invalidation dudit brevet ;
– disposait de la possibilité de passer au citalopram produit par Matrix, qui utilisait un procédé qui n’était pas considéré comme violant les nouveaux brevets [de procédé] de Lundbeck. »
30 Concernant la possibilité pour le groupe Alpharma d’entrer sur le marché, le Tribunal a apprécié deux voies possibles.
31 S’agissant de la première, à savoir l’entrée sur le marché au moyen de comprimés fabriqués selon le procédé utilisé par Cipla pour produire du citalopram (ci-après le « procédé de Cipla ») que le groupe Alpharma avait déjà reçus ou commandés, le Tribunal a rappelé, au point 85 de l’arrêt attaqué, le contenu d’un courriel d’un directeur général de ce groupe du 19 février 2002 (ci-après le « courriel du 19 février 2002 »), visé au considérant 1027 de la décision litigieuse, qui, notamment, se référait à des demandes en nullité des nouveaux brevets de procédé de Lundbeck, qui avaient des chances raisonnables d’aboutir et mentionnait la possibilité d’avoir recours au citalopram produit selon le procédé utilisé par Matrix, qu’il considérait comme n’étant pas problématique eu égard aux nouveaux brevets de procédé de Lundbeck. Au point 88 de cet arrêt, le Tribunal en a déduit que le groupe Alpharma lui-même admettait qu’il considérait disposer de chances raisonnables d’obtenir l’annulation du brevet de Lundbeck protégeant le procédé utilisant la cristallisation en ce qui concerne le Royaume-Uni.
32 Aux points 91 et 92 dudit arrêt, le Tribunal a relevé que le groupe Alpharma avait entrepris de nombreuses démarches et consenti des investissements importants afin d’entrer sur le marché, qu’il a recensés.
33 Au point 108 de ce même arrêt, le Tribunal a relevé qu’il ressortait d’un courriel interne au groupe Alpharma, du 14 février 2002, et du courriel du 19 février 2002 que ce groupe, tout en ayant connaissance des risques que l’entrée sur le marché pouvait comporter, n’aurait pas nécessairement abandonné ses plans s’il n’avait pas pu conclure avec Lundbeck un accord suffisamment avantageux.
34 Au point 123 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ajouté que, si l’obtention par Lundbeck, le 30 janvier 2002, du brevet protégeant le procédé utilisant la cristallisation en ce qui concerne le Royaume-Uni a surpris le groupe Alpharma, dans la mesure où celui-ci s’attendait à ce que la demande de Lundbeck fût rejetée, ce groupe continuait à considérer que, nonobstant l’existence de certains risques, il disposait de chances raisonnables d’obtenir l’annulation de ce brevet et que, au vu notamment des démarches et des investissements déjà effectués, l’entrée sur le marché demeurait donc une possibilité réelle et concrète, laquelle constituait une autre option que la conclusion d’un accord suffisamment avantageux avec Lundbeck.
35 Au point 132 de cet arrêt, le Tribunal a estimé que, également selon Lundbeck, le groupe Alpharma disposait d’une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché.
36 Enfin, au point 136 dudit arrêt, il a jugé que le fait que le procédé de Cipla violait probablement le brevet de Lundbeck protégeant le procédé utilisant la cristallisation en ce qui concerne le Royaume-Uni ne constituait pas pour le groupe Alpharma une barrière à l’entrée sur le marché d’une envergure telle qu’il ne pourrait pas être considéré comme un concurrent potentiel de Lundbeck.
37 S’agissant de la seconde voie d’entrée sur le marché, au moyen du citalopram produit selon le procédé utilisé par Matrix, le Tribunal a relevé, respectivement aux points 139, 143 et 154 de l’arrêt attaqué, que le contrat conclu entre Tiefenbacher et le groupe Alpharma permettait à ce dernier d’obtenir du citalopram produit selon les procédés utilisés par Cipla et Matrix, que le groupe Alpharma estimait que le procédé que Matrix utilisait à l’époque pour produire le citalopram pouvait lui permettre d’entrer sur le marché sans contrefaire le brevet de Lundbeck protégeant le procédé utilisant la cristallisation en ce qui concerne le Royaume-Uni et que, de ce fait, au moment de la conclusion de l’accord litigieux, même le passage au citalopram produit selon le procédé de Matrix constituait pour le groupe Alpharma une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché.
38 En conséquence, au point 155 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que le groupe Alpharma disposait d’au moins deux possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché et que du fait de ces possibilités il exerçait une pression concurrentielle sur Lundbeck.
39 Enfin, en réponse au quatrième moyen soulevé par les requérantes au soutien de leur recours en annulation, tiré d’une erreur de droit quant à la constatation de l’existence d’une « restriction par objet » alors même que la portée de l’accord litigieux refléterait le pouvoir d’exclusion inhérent aux nouveaux brevets de procédé de Lundbeck, le Tribunal a notamment considéré, au point 339 de l’arrêt attaqué, ce qui suit :
« 339 [...] à la lumière des principes résultant de la jurisprudence reprise aux points 315 et 316 [de l’arrêt attaqué], il y a lieu d’observer que la présomption de validité dont bénéficie tout brevet ne saurait équivaloir à une présomption d’illégalité de tous les produits mis sur le marché dont le détenteur d’un brevet estime qu’ils violent celui-ci. En effet, comme le rappelle la Commission, en l’espèce, il appartenait à Lundbeck de démontrer, devant les juridictions nationales, en cas d’entrée des médicaments génériques sur le marché, que ceux-ci enfreignaient l’un ou l’autre de ses brevets de procédé, une entrée “à risque” de la part d’[un fabricant de médicaments] génériques n’étant pas illégale en soi. De plus, dans le cadre d’un tel contentieux, il eût été possible au défendeur de contester la validité du brevet dont Lundbeck se serait prévalue, par le biais d’une demande reconventionnelle. De telles actions sont en effet fréquentes en matière de brevet et aboutissent, dans de nombreux cas, à une déclaration d’invalidité du brevet de procédé invoqué, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 76 de la décision [litigieuse]. »
Argumentation des parties
40 Par leur premier moyen, dirigé notamment contre les points 54 et 339 de l’arrêt attaqué, les requérantes critiquent le Tribunal en ce qu’il a conclu que le groupe Alpharma était un concurrent potentiel de Lundbeck en dépit d’éléments de preuve montrant clairement que les produits de ce groupe contrefaisaient les nouveaux brevets de procédé de Lundbeck dont la validité devait être présumée.
41 Selon les requérantes, il appartenait au Tribunal de s’assurer que la Commission avait présenté des éléments de preuve montrant à suffisance de droit que les nouveaux brevets de procédé de Lundbeck étaient faibles, faute de quoi ces brevets devaient être présumés valides et l’entrée des produits contrefaisants illégale. Or, en ne procédant pas ainsi, il aurait violé le principe élémentaire de présomption de validité des brevets et méconnu le fait qu’un brevet reconnaît à son titulaire un droit d’exclusivité et non simplement un droit de faire valoir cette exclusivité en justice. Ce faisant, il aurait « déconnecté » son appréciation effectuée au titre de l’article 101 TFUE des principes découlant du droit des brevets.
42 À cet égard, les requérantes font valoir que la qualité de concurrent dépend de la validité du brevet concerné, laquelle est incertaine jusqu’à l’adoption d’une décision juridictionnelle définitive, tout en affirmant que la présomption de validité des brevets s’impose au droit de la concurrence et oblige la Commission qui souhaite établir l’existence d’une restriction de la concurrence à démontrer la faiblesse du brevet concerné. En outre, elles ajoutent que, si la présomption de validité des brevets n’était pas reconnue, tout accord amiable serait toujours restrictif de la concurrence.
43 En l’occurrence, la preuve par la Commission de la faiblesse du brevet de Lundbeck protégeant le procédé utilisant la cristallisation en ce qui concerne le Royaume-Uni n’aurait pas été examinée par le Tribunal et ne pourrait être établie par simple référence à un courriel d’un cadre du groupe Alpharma ou à des déclarations de Lundbeck. À cet égard, la Commission se serait limitée à considérer, ainsi qu’il ressortirait du point 54 de l’arrêt attaqué, que les brevets de procédé seraient plus vulnérables que les autres types de brevets.
44 De plus, la Commission aurait fait abstraction des éléments de preuve contemporains selon lesquels les deux parties à l’accord litigieux considéraient que les produits du groupe Alpharma contrefaisaient les nouveaux brevets de procédé de Lundbeck.
45 Par leur deuxième moyen, les requérantes font grief au Tribunal de ne pas avoir vérifié si la Commission avait prouvé que, à la date de l’accord litigieux, le groupe Alpharma disposait effectivement de possibilités réelles d’entrer sur le marché avec les comprimés contrefaisants qu’il avait achetés, renversant ainsi la charge de la preuve.
46 Conformément à l’arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission (T‑360/09, EU:T:2012:332, point 114), lorsqu’une partie se prépare à faire son entrée sur le marché et rencontre un obstacle imprévu – en l’occurrence le caractère contrefaisant de ses produits – il incomberait à la Commission de prouver que, en dépit de cet obstacle, l’entrée sur le marché reste malgré tout une stratégie économiquement viable. Ainsi, les requérantes soutiennent que, en l’espèce, la Commission était tenue de prouver que la probabilité que le groupe Alpharma n’obtienne pas gain de cause dans le cadre d’une action contentieuse relative aux nouveaux brevets de procédé de Lundbeck était relativement faible pour que l’entrée sur le marché restât une stratégie économiquement viable. Or, la Commission n’aurait pas rapporté cette preuve et se serait limitée à indiquer qu’il n’était pas certain que Lundbeck puisse utiliser ses nouveaux brevets de procédé pour bloquer l’entrée du groupe Alpharma sur le marché, ainsi que cela ressortirait du considérant 1039 de la décision litigieuse.
47 De surcroît, le Tribunal aurait renversé la charge de la preuve en imposant aux requérantes de prouver que les nouveaux brevets de procédé de Lundbeck empêchaient à l’entrée sur le marché de constituer une stratégie économiquement viable, preuve d’autant plus difficile à apporter que la Commission aurait attendu six à sept ans pour notifier ses griefs au groupe Alpharma.
48 Par ailleurs, au point 108 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se serait fondé sur des preuves ne figurant pas dans la décision litigieuse, sans permettre aux requérantes de réfuter leur pertinence et, partant, violant leurs droits de la défense.
49 La Commission estime que les premier et deuxième moyens doivent être rejetés.
Appréciation de la Cour
50 Pour tomber sous l’interdiction de principe prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un comportement d’entreprises doit non seulement révéler l’existence d’une collusion entre elles – à savoir un accord entre entreprises, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée –, mais cette collusion doit également affecter défavorablement et de manière sensible le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 31].
51 Cette dernière exigence suppose, s’agissant d’accords de coopération horizontale conclus entre des entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production ou de distribution, que ladite collusion intervienne entre des entreprises se trouvant en situation de concurrence si ce n’est actuelle du moins potentielle [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 32].
52 Afin d’apprécier si une entreprise absente d’un marché se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec une ou plusieurs autres entreprises déjà présentes sur ce marché, il convient de déterminer s’il existe des possibilités réelles et concrètes que cette première intègre ledit marché et concurrence la ou les secondes, étant entendu que ce critère ne requiert nullement qu’il soit démontré avec certitude que ladite première entreprise entrera effectivement sur le marché concerné et, plus encore, qu’elle sera en mesure, par la suite, de s’y maintenir [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 36 et 38].
53 Lorsque sont en cause des accords, tels que l’accord litigieux, ayant pour conséquence de maintenir temporairement hors du marché plusieurs entreprises, il y a lieu de déterminer, au regard de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, s’il aurait existé, en l’absence desdits accords, des possibilités réelles et concrètes que ces entreprises accèdent audit marché et concurrencent les entreprises qui y sont établies [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 37 et 39].
54 Concernant plus particulièrement de tels accords intervenus dans le contexte de l’ouverture du marché d’un médicament contenant un principe actif récemment tombé dans le domaine public aux fabricants de médicaments génériques, il convient d’établir, en tenant dûment compte des contraintes réglementaires propres au secteur du médicament ainsi que des droits de propriété intellectuelle et en particulier des brevets détenus par les fabricants de médicaments princeps portant sur un ou plusieurs procédés de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 40 et 41], si le fabricant de médicaments génériques a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 58].
55 Pour ce faire, il y a lieu d’apprécier, premièrement, si, à la date de la conclusion de tels accords, ledit fabricant avait effectué des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps. Deuxièmement, il doit être vérifié que l’entrée sur le marché d’un tel fabricant de médicaments génériques ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 43 et 45]. Par ailleurs, le constat d’une concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments génériques et un fabricant de médicaments princeps peut être corroboré par des éléments supplémentaires, tels que la conclusion d’un accord entre eux alors que le premier n’était pas présent sur le marché concerné [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 54 à 56].
56 S’agissant en particulier de l’appréciation de l’existence sur le marché concerné de barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable, la Cour a indiqué que l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme une telle barrière insurmontable, nonobstant la présomption de validité attachée à ce brevet, dès lors que celle-ci ne renseigne nullement, aux fins de l’application des articles 101 et 102 TFUE, sur l’issue d’un éventuel litige relatif à la validité dudit brevet [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 46 à 51].
57 Partant, l’existence d’un tel brevet ne saurait, en tant que telle, empêcher de qualifier de « concurrent potentiel » du fabriquant du médicament princeps concerné un fabriquant de médicaments génériques qui a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et qui, par ses démarches, se montre prêt à contester la validité de ce brevet et à assumer le risque de se voir, lors de son entrée sur le marché, confronté à une action en contrefaçon introduite par le titulaire dudit brevet [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 46].
58 Par ailleurs, la Cour a également précisé qu’il n’appartenait pas à l’autorité de concurrence concernée de procéder à un examen de la force du brevet en cause ou de la probabilité qu’un litige entre son titulaire et un fabricant de médicaments génériques puisse aboutir au constat que ce brevet est valide et contrefait [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 50].
59 En l’occurrence, il ressort de l’arrêt attaqué et plus particulièrement de ses points 58, 85, 91, 92, 123, 139, 143 et 154 que le groupe Alpharma avait entrepris de nombreuses démarches aux fins de l’obtention d’AMM et consenti des investissements importants afin d’entrer sur le marché du citalopram générique mais également qu’il disposait, au moment de la conclusion de l’accord litigieux, d’au moins deux possibilités réelles et concrètes d’entrée sur le marché. La première, à savoir l’entrée sur le marché au moyen de comprimés fabriqués selon le procédé de Cipla, que le groupe Alpharma avait reçus ou commandés auprès de Tiefenbacher, n’avait pas été remise en cause par les éléments nouveaux portés à la connaissance du groupe Alpharma aux mois de janvier et février 2002 quant au caractère possiblement contrefaisant du procédé de Cipla. La seconde possibilité était celle d’entrer sur le marché au moyen de comprimés de citalopram fabriqués selon le procédé de Matrix, lequel était dépourvu de risque de contrefaçon, dont le groupe Alpharma ne disposait pas mais qu’il pouvait obtenir à court terme au moyen du contrat conclu par celui-ci avec Tiefenbacher.
60 En outre, le Tribunal a jugé, aux points 88 et 136 de l’arrêt attaqué, que le groupe Alpharma estimait que le brevet de Lundbeck protégeant le procédé utilisant la cristallisation en ce qui concerne le Royaume-Uni ne constituait pas une barrière à son entrée sur le marché et que, en cas de contentieux, ce groupe disposait de chances raisonnables d’obtenir l’annulation de ce brevet de procédé.
61 Par ailleurs, le Tribunal a relevé, au point 132 de cet arrêt, que, selon Lundbeck elle-même, le groupe Alpharma constituait un concurrent potentiel.
62 Eu égard à ces constatations, c’est à bon droit, et notamment sans violer la présomption de validité attachée aux nouveaux brevets de procédé de Lundbeck ni inverser la charge de la preuve, que le Tribunal a jugé que le groupe Alpharma et Lundbeck se trouvaient, au moment de la conclusion de l’accord litigieux, dans un rapport de concurrence potentielle.
63 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’allégation des requérantes selon laquelle le Tribunal aurait fait abstraction des preuves contemporaines à l’accord litigieux selon lesquelles le groupe Alpharma et Lundbeck considéraient que les produits de ce groupe contrefaisaient les nouveaux brevets de procédé de Lundbeck. En effet, cette allégation est irrecevable, à défaut, conformément à l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure, de viser avec précision un point des motifs de l’arrêt attaqué mais également d’identifier les preuves contemporaines à l’accord litigieux dont le Tribunal aurait fait abstraction.
64 Enfin, s’agissant de l’allégation des requérantes tirée du fait que, au point 108 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se serait fondé sur des preuves ne figurant pas dans la décision litigieuse, sans leur permettre de réfuter leur pertinence et, partant, en violant leurs droits de la défense, il suffit de relever, ainsi que le démontre la locution « [e]n tout état de cause » figurant au début du point 108 de l’arrêt attaqué, que ce point énonce un motif surabondant de l’arrêt attaqué, par rapport à ceux, non contestés par les requérantes, exposés aux points 104 à 106 de cet arrêt, pour justifier le rejet de l’argument de celles-ci résumé au point 103 dudit arrêt. Partant, l’argument des requérantes relatif au point 108 de l’arrêt attaqué doit être écarté comme étant inopérant (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2016, SV Capital/ABE, C‑577/15 P, EU:C:2016:947, point 65).
65 Eu égard à ce qui précède, le premier moyen doit être rejeté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé et le deuxième moyen doit être rejeté comme étant, en partie, inopérant et, en partie, non fondé.
Sur les troisième et quatrième moyens
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
66 Dans le cadre du rejet du deuxième moyen soulevé par les requérantes au soutien de leur recours en annulation, tiré d’erreurs de droit et d’appréciation quant à la qualification du groupe Alpharma de concurrent potentiel de Lundbeck, le Tribunal a relevé, aux points 119 et 120 de l’arrêt attaqué, ce qui suit :
« 119 [...] il doit certes être relevé que l’obtention par Lundbeck, le 30 janvier 2002, du brevet [protégeant le procédé utilisant] la cristallisation au Royaume-Uni a surpris le groupe Alpharma, dans la mesure où celui-ci s’attendait à ce que la demande que Lundbeck avait présentée à cette fin le 12 mars 2001 fût rejetée, ainsi que cela ressort d’une déclaration du directeur du groupe Alpharma responsable notamment de la propriété industrielle [...], produite par les requérantes.
120 De même, s’il découle du courriel du 17 septembre 2001, partiellement cité au considérant 482 de la décision [litigieuse] et produit en version intégrale devant le Tribunal, que Tiefenbacher avait rassuré le groupe Alpharma quant au fait que le procédé de Cipla ne violait pas les nouveaux brevets [de procédé] de Lundbeck, par la suite, ce groupe était parvenu à la conclusion que ce procédé violait le brevet [de Lundbeck protégeant le procédé utilisant la cristallisation en ce qui concerne le Royaume-Uni], ainsi que cela résulte notamment du courriel du 19 février 2002. »
67 Par leur premier moyen soulevé dans le cadre de leur recours en annulation, les requérantes ont fait valoir que la Commission, en considérant que, par l’accord litigieux, le groupe Alpharma s’était engagé à ne vendre aucun citalopram générique pendant la période pertinente, a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’interprétation de la portée de cet accord.
68 Pour rejeter ce moyen, le Tribunal, aux points 164 à 243 de l’arrêt attaqué, a successivement écarté les arguments avancés par les requérantes et relatifs au libellé du point 1.1 de l’accord litigieux, à son préambule, aux circonstances relatives à sa conclusion, à l’ordonnance par consentement intervenue à la suite de l’accord litigieux pour mettre fin à l’action en contrefaçon RU et à la date à laquelle le groupe Alpharma est entré sur le marché.
69 Aux points 244 à 247 de cet arrêt, le Tribunal a finalement jugé que les requérantes n’avaient pas réussi à réfuter les éléments ayant permis à la Commission de prouver que l’accord litigieux comportait des restrictions dépassant celles que Lundbeck aurait pu obtenir en s’appuyant sur ses nouveaux brevets de procédé et en obtenant gain de cause en cas de contentieux à cet égard.
70 Par leur troisième moyen soulevé dans le cadre de leur recours en annulation, les requérantes ont fait valoir que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation quant à la qualification de l’accord litigieux de « restriction de la concurrence par objet ».
71 Le Tribunal a rejeté ce moyen aux points 248 à 333 de l’arrêt attaqué.
72 À cet effet, le Tribunal a, tout d’abord, exposé, aux points 251 à 257 de l’arrêt attaqué, des observations liminaires à l’occasion desquelles il a rappelé la jurisprudence de la Cour relative à la qualification de « restriction par objet ».
73 Il a ensuite relevé, dans le cadre d’un rappel de l’analyse de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet effectuée dans la décision litigieuse, notamment ce qui suit :
« 261 Il ressort [...] de la décision [litigieuse] que, même si les restrictions prévues par les accords en cause entraient dans le champ d’application des [nouveaux brevets de procédé] de Lundbeck, c’est-à-dire que ces accords empêchaient uniquement l’entrée sur le marché du citalopram générique produit par un procédé jugé par les parties à ceux-ci comme contrefaisant potentiellement ces brevets, sans viser tout citalopram générique, ces accords seraient malgré tout restrictifs de la concurrence par objet, dans la mesure notamment où ils avaient empêché ou rendu inutile tout type de contestation des [nouveaux brevets de procédé] de Lundbeck devant les juridictions nationales, alors même que, selon la Commission, ce type de contestation faisait partie du jeu normal de la concurrence en matière de brevets (considérants 603 à 605, 625, 641 et 674 de la décision [litigieuse]).
262 En d’autres termes, selon la Commission, les accords en cause avaient transformé l’incertitude quant à l’issue de telles actions contentieuses en la certitude que les génériques n’entreraient pas sur le marché, ce qui pouvait également constituer une restriction de la concurrence par objet lorsque de telles limitations ne résultaient pas d’une analyse, par les parties à ces accords, des mérites du droit exclusif en cause, mais plutôt de l’importance du paiement inversé prévu qui, dans un tel cas, éclipsait cette évaluation et incitait [le fabricant de médicaments] génériques à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché (considérant 641 de la décision [litigieuse]).
263 Il convient de souligner, à cet égard, que la Commission n’a pas affirmé, dans la décision [litigieuse], que tous les règlements amiables en matière de brevets contenant des paiements inversés étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais uniquement que le caractère disproportionné de tels paiements, combiné à plusieurs autres facteurs, tels que le fait que les montants de ces paiements semblaient correspondre au moins aux profits escomptés par les [fabricants de médicaments] génériques en cas d’entrée sur le marché, l’absence de clauses permettant aux [fabricants de médicaments] génériques de lancer leurs produits sur le marché à l’expiration des accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ou encore la présence, dans ces accords, de restrictions allant au-delà de la portée des [nouveaux brevets de procédé] de Lundbeck, permettait de conclure que les accords en cause avaient pour objet de restreindre la concurrence, au sens de cette disposition, en l’espèce (voir considérants 661 et 662 de la décision [litigieuse]). »
74 Enfin, le Tribunal a procédé à l’appréciation de l’existence d’une « restriction par objet » en l’espèce aux points 266 à 333 de l’arrêt attaqué.
75 Dans ce cadre, il a notamment retenu, au point 268 de cet arrêt, que, à supposer même que la portée de l’accord litigieux coïncidât avec celle des nouveaux brevets de procédé de Lundbeck, il devrait être conclu que le groupe Alpharma avait renoncé, en contrepartie d’un paiement inversé, à la possibilité d’intégrer le marché avec le citalopram produit selon le procédé de Cipla, qui était censé contrefaire un brevet à l’égard duquel il existait des chances raisonnables qu’il pût être annulé alors que cette possibilité était réelle et concrète pour le groupe Alpharma, si bien que le paiement a été déterminant dans son choix de renoncer à celle-ci.
76 Aux points 277 à 279 de cet arrêt, le Tribunal a refusé de qualifier l’accord litigieux de règlement amiable. À cet effet, il a, d’une part, rappelé la jurisprudence de la Cour selon laquelle un accord n’est pas immunisé contre le droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets. D’autre part, il a retenu que l’accord litigieux avait une portée plus étendue que celle de l’action en contrefaçon RU et que ladite action avait seulement été suspendue pour la durée de cet accord, ce qui excluait que ledit accord mette fin à un litige.
77 Au point 287 dudit arrêt, pour écarter l’argumentation des requérantes selon laquelle la Commission n’avait pas établi avec certitude que le groupe Alpharma obtiendrait gain de cause dans le cadre d’un éventuel contentieux relatif aux nouveaux brevets de procédé de Lundbeck, le Tribunal a jugé qu’il n’était aucunement nécessaire que la Commission établisse avec certitude que le groupe Alpharma l’aurait emporté s’il avait choisi la voie contentieuse.
78 Concernant le montant du paiement effectué par Lundbeck au profit du groupe Alpharma, le Tribunal a notamment relevé, respectivement aux points 296 et 298 de ce même arrêt, que la Commission avait remarqué à juste titre que le montant de ce paiement était lié aux profits attendus par le groupe Alpharma et que ce montant constituait un bénéfice certain pour celui-ci, alors que le bénéfice pouvant découler de l’entrée sur le marché était aléatoire.
79 Aux points 301 à 310 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que c’était à bon droit que la Commission avait assimilé les circonstances de l’espèce à celles qui caractérisaient l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643).
80 Aux points 311 à 326 de cet arrêt, le Tribunal a également refusé de faire droit à l’argumentation des requérantes selon laquelle l’accord litigieux ne pouvait être qualifié de « restriction par objet » en l’absence de précédent et en raison de l’insécurité juridique entourant ce type d’accords.
81 À cet effet, il a tout d’abord, aux points 315 à 317 dudit arrêt, rappelé la jurisprudence de la Cour concernant l’application du droit de la concurrence dans le domaine spécifique des droits de propriété intellectuelle. Il a ensuite constaté, au point 318 de ce même arrêt, que tant Lundbeck que le groupe Alpharma étaient conscients que leur conduite était à tout le moins susceptible de poser des problèmes du point de vue du droit de la concurrence. Aux points 319 et 320 à 325 de l’arrêt attaqué, il a respectivement considéré qu’il n’était pas requis que le même type d’accords que l’accord litigieux ait déjà été condamné par la Commission pour que celui-ci puisse être considéré comme une « restriction de la concurrence par objet » et que le communiqué de presse du KFST, du 28 janvier 2004 (ci-après le « communiqué de presse du KFST »), invoqué par les requérantes, ne faisait pas obstacle à une telle qualification en l’espèce. Il a ensuite conclu, au point 326 de l’arrêt attaqué, que, « déjà à l’époque de la conclusion de l’accord litigieux, il était établi que le titulaire d’un brevet n’était pas en droit de payer un concurrent potentiel pour que celui-ci renonçât à plusieurs voire à toutes possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché en contrepartie d’un montant payé par ledit titulaire et fixé en tenant compte des profits escomptés par ce concurrent en cas d’entrée sur le marché ».
Argumentation des parties
82 Par leur troisième moyen, dirigé contre les points 248 à 333 de l’arrêt attaqué, les requérantes estiment que le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant, en violation de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204), que l’accord litigieux constituait une « restriction par objet ».
83 Premièrement, aux points 57 et 58 de cet arrêt, la Cour énoncerait que la qualification de « restriction par objet » exige une forte probabilité de nuire à la concurrence et qu’elle doit être appréciée restrictivement dans la mesure où elle priverait les défendeurs de garanties procédurales élémentaires et ne saurait conduire à interdire des accords qui pourraient s’avérer pro-concurrentiels. En l’espèce, les requérantes critiquent le point 287 de l’arrêt attaqué par lequel le Tribunal aurait déduit du fait que le groupe Alpharma était un concurrent potentiel de Lundbeck, quod non, le fait que l’accord litigieux était de nature à restreindre la concurrence avec un degré de probabilité élevé. Or, à supposer même que le groupe Alpharma ait été un concurrent potentiel de Lundbeck, cela permettrait de déduire non pas que l’accord litigieux était susceptible de restreindre la concurrence avec un degré de probabilité élevé mais seulement qu’il était probable qu’il restreigne la concurrence.
84 À cet égard, les requérantes soutiennent qu’il était indispensable d’établir le « scénario contrefactuel », à savoir déterminer ce qui se serait passé en l’absence de l’accord litigieux. Ainsi, afin de démontrer que l’accord litigieux était susceptible d’engendrer des effets négatifs sur la concurrence avec un degré de probabilité élevé, la Commission aurait dû établir que, en l’absence de l’accord litigieux, il aurait été très probable que le groupe Alpharma obtienne gain de cause dans le cadre d’un contentieux relatif aux nouveaux brevets de procédé de Lundbeck ou qu’il conclue un accord moins restrictif que l’accord litigieux, lui permettant d’entrer plus tôt sur le marché. Or, même à admettre les chances de succès du groupe Alpharma envisagées par Lundbeck – à savoir 50 % à 60 % de voir le brevet de Lundbeck protégeant le procédé utilisant la cristallisation en ce qui concerne le Royaume-Uni annulé – cela ne permettrait pas de considérer que l’accord litigieux était susceptible de restreindre la concurrence avec un degré de probabilité élevé, et ce d’autant que le groupe Alpharma aurait découvert tardivement le caractère contrefaisant de son produit, ainsi que cela ressortirait des points 119 à 121 de l’arrêt attaqué.
85 Par ailleurs, selon les requérantes, la solution retenue par le Tribunal pourrait confiner à l’absurde s’il devait être ultérieurement établi que les nouveaux brevets de procédé de Lundbeck étaient valables. En effet, les accords en cause constitueraient toujours une restriction par objet quand bien même le brevet concerné serait ultérieurement réputé valable et la vente des produits contrefaisants illégale.
86 Deuxièmement, les requérantes font valoir que, dans l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204), la Cour a insisté sur l’importance de l’expérience acquise en ce qui concerne des types d’accords analogues à l’accord litigieux. Or, aux points 311 à 326 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait à tort rejeté l’argument selon lequel il était inapproprié de qualifier l’accord litigieux de « restriction par objet » en l’absence d’expérience dans le domaine des accords de règlement amiable de litiges en matière de brevets prévoyant des paiements inversés. Ce faisant, il aurait dénié toute spécificité à l’accord litigieux par rapport à la pratique décisionnelle et juridictionnelle européenne intéressant le droit de la concurrence en lien avec les droits de propriété intellectuelle mais également fait abstraction des positions doctrinales très partagées sur ce type d’accords. De surcroît, les requérantes soutiennent que le Tribunal ne pouvait déduire, au point 318 de l’arrêt attaqué, que l’accord litigieux constituait une « restriction par objet » du fait que Lundbeck et le groupe Alpharma étaient conscients que leur accord était susceptible de poser des problèmes au regard du droit de la concurrence ou avait fait l’objet d’une consultation juridique pour avis. De même, les requérantes font valoir que, au point 319 de l’arrêt attaqué, et sauf à violer l’exigence d’interprétation stricte de la notion de « restriction par objet », le Tribunal ne pouvait estimer que l’expérience portant sur la forme générale de collusion permettait de retenir cette qualification en l’espèce, compte tenu de la spécificité des accords de règlement amiable de litiges en matière de brevets prévoyant des paiements inversés, qui se situeraient à l’intersection du droit de la concurrence et du droit des brevets et qui, d’ailleurs, se distingueraient nettement de ceux visés dans l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), cité par le Tribunal aux points 301 à 310 de l’arrêt attaqué. En effet, l’accord litigieux pourrait s’expliquer par la volonté légitime de Lundbeck de se protéger contre une entrée contrefaisante sur son marché de médicaments et les conséquences en découlant ainsi que par la volonté légitime du groupe Alpharma d’éviter les conséquences financières et juridiques de son entrée, dont l’illégalité aurait été découverte tardivement, sur le marché et de gérer un stock important de produits contrefaisants. Les requérantes critiquent encore le Tribunal pour ne pas avoir tenu compte, aux points 320, 321 et 325 de l’arrêt attaqué, du communiqué de presse du KFST selon lequel les accords en cause se trouvaient dans une « zone d’ombre juridique » ainsi que des doutes de la Commission portant sur la qualification de ces accords, ce qui justifia une enquête sectorielle à l’issue de laquelle elle estima que de tels accords devaient faire l’objet d’un examen au cas par cas en tenant compte de tous les faits pertinents. Or, de tels éléments ne permettraient pas de conclure, comme l’a fait le Tribunal au point 326 de l’arrêt attaqué, que l’accord litigieux pouvait être qualifié de « restriction par objet ».
87 Par leur quatrième moyen, dirigé contre les points 160 à 247 de l’arrêt attaqué, les requérantes font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit et violé le principe de présomption d’innocence en omettant d’examiner si la Commission avait prouvé ses allégations selon lesquelles, d’une part, la restriction prévue dans l’accord litigieux dépassait le cadre des nouveaux brevets de procédé de Lundbeck et, d’autre part, le groupe Alpharma s’était engagé contractuellement à ne pas vendre du citalopram fabriqué selon un procédé ne contrefaisant pas ces brevets, ce que soutenaient pourtant les requérantes dans le cadre de leur premier moyen d’annulation. Ce faisant, au point 162 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait libéré la Commission de la charge de la preuve pesant sur elle et, partant, inversé cette charge en imposant, aux points 162 à 243 de cet arrêt, aux requérantes de prouver qu’il n’existait pas de restriction à la vente d’un citalopram non contrefaisant.
Appréciation de la Cour
88 À titre liminaire, il y a lieu de relever que, par leur quatrième moyen, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir violé le principe de la présomption d’innocence et d’avoir inversé la charge de la preuve en écartant leur premier moyen invoqué au soutien de leur recours en annulation, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’interprétation par la Commission de la portée de l’accord litigieux.
89 À cet égard, il ressort du point 157 de l’arrêt attaqué que les requérantes ont soutenu dans le cadre de ce premier moyen que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que, par l’accord litigieux, le groupe Alpharma s’était engagé à ne vendre aucun citalopram générique pendant la période pertinente dans la mesure où elle n’aurait pas disposé d’éléments de preuve en ce sens.
90 Il ressort également des points 244 à 247 de cet arrêt que le Tribunal a considéré que la Commission avait prouvé à suffisance de droit que l’interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’accord litigieux permettait de conclure que les obligations assumées par le groupe Alpharma en vertu du point 1.1 de cet accord n’étaient pas limitées au citalopram produit selon des procédés dont ce groupe et Lundbeck avaient admis qu’ils contrefaisaient les nouveaux brevets de procédé de Lundbeck, en rejetant, aux points 162 à 243 dudit arrêt, successivement l’ensemble des arguments des requérantes relatifs à la lettre de l’accord litigieux, aux circonstances de sa conclusion ainsi qu’aux événements intervenus postérieurement à celle-ci.
91 Dès lors, par leur quatrième moyen, les requérantes se limitent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau l’ensemble des éléments de fait et de preuve soumis au Tribunal quant à la portée de l’accord litigieux.
92 À cet égard, il résulte de l’article 256 TFUE ainsi que de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
93 Or, les requérantes n’ont aucunement allégué ni a fortiori démontré une dénaturation des éléments de fait ou de preuve par le Tribunal.
94 Par ailleurs, le fait que le Tribunal n’ait pas fait droit à leur argumentation implique non pas, comme le font valoir les requérantes, qu’il a violé le principe de présomption d’innocence ou inversé la charge de la preuve mais seulement qu’il a estimé que les arguments avancés par celles-ci n’étaient pas suffisamment convaincants.
95 Partant, le quatrième moyen doit être rejeté comme étant irrecevable.
96 Concernant le troisième moyen, il convient de rappeler que la Cour a déjà eu l’occasion de préciser, ainsi que le Tribunal l’a relevé aux points 252 à 254 ainsi qu’au point 256 de l’arrêt attaqué, que la notion de « restriction par objet » doit être interprétée de manière stricte et ne peut être appliquée qu’à certains accords entre entreprises révélant, en eux-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire, dès lors que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 67 ainsi que jurisprudence citée].
97 Concernant des accords similaires de règlement amiable de litiges relatifs à un brevet de procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public conclus entre un fabricant de médicaments princeps et plusieurs fabricants de médicaments génériques et ayant eu pour effet de reporter l’entrée sur le marché de médicaments génériques en contrepartie de transferts de valeurs à caractère monétaire ou non monétaire du premier au profit des seconds, la Cour a jugé que de tels accords ne sauraient être considérés, dans tous les cas, comme des « restrictions par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85].
98 Toutefois, la qualification de « restriction par objet » doit être retenue lorsqu’il ressort de l’examen de l’accord de règlement amiable concerné que les transferts de valeurs prévus par celui-ci s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial tant du titulaire du brevet que du contrefacteur allégué à ne pas se livrer une concurrence par les mérites, dans la mesure où des accords par lesquels des concurrents substituent sciemment une coopération pratique entre eux aux risques de la concurrence relèvent manifestement de la qualification de « restriction par objet » [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 83 et 87].
99 Aux fins de cet examen, il convient, dans chaque cas d’espèce, d’apprécier si le solde positif net des transferts de valeurs du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques était suffisamment important pour inciter effectivement ce dernier à renoncer à entrer sur le marché concerné et, partant, à ne pas concurrencer par ses mérites le fabricant de médicaments princeps, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices que ce fabricant de médicaments génériques aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 93 et 94].
100 En l’occurrence, il ressort de l’arrêt attaqué, et notamment de ses points 261, 263, 268, 296, 298 et 326, tout d’abord, que l’accord litigieux prévoyait l’engagement du groupe Alpharma de ne pas entrer sur le marché pendant la durée de cet accord, en contrepartie des paiements effectués à son profit par Lundbeck, dont le montant était lié aux profits attendus par le groupe Alpharma. Le Tribunal a également indiqué que, à supposer que ce montant doive être porté à un montant inférieur à celui de 10 millions d’USD retenu par la Commission, il constituerait néanmoins un bénéfice certain pour le groupe Alpharma dès lors que le bénéfice pouvant découler de son entrée sur le marché était aléatoire.
101 Aux points 278 et 279 de cet arrêt, le Tribunal a ensuite considéré que l’accord litigieux avait une portée plus étendue que celle de l’action en contrefaçon RU, qui concernait spécifiquement les comprimés que le groupe Alpharma avait déjà reçus ou commandés, et qui a d’ailleurs été seulement suspendue par l’accord litigieux, ce que corrobore la déclaration de Lundbeck, reprise dans la décision litigieuse, selon laquelle cet accord ne mettait pas fin à un litige.
102 Ce faisant, le Tribunal rejoint l’appréciation effectuée par la Commission dans la décision litigieuse et rappelée au point 262 de l’arrêt attaqué selon laquelle, en substance, l’accord litigieux avait transformé l’incertitude quant à l’issue d’actions contentieuses relatives aux nouveaux brevets de procédé de Lundbeck en la certitude que le groupe Alpharma n’entrerait pas sur le marché, alors même que cet accord avait été conclu non pas à la suite d’une analyse, par ce groupe, des mérites des brevets de procédé en cause, mais plutôt en raison de l’importance du paiement inversé prévu qui incitait celui-ci à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché.
103 Dès lors et sans qu’il soit besoin de déterminer si c’est à bon droit que le Tribunal a pu, aux points 301 à 310 de l’arrêt attaqué, assimiler l’accord litigieux aux accords en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), il y a lieu de considérer que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a conclu que l’accord litigieux relevait de la qualification de « restriction par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
104 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par les requérantes.
105 Premièrement, celles-ci ne sont pas fondées à reprocher au Tribunal de ne pas avoir jugé, au point 287 de l’arrêt attaqué, que la Commission était tenue d’apprécier objectivement les réelles chances pour le groupe Alpharma de l’emporter en cas de contentieux portant sur les nouveaux brevets de procédé de Lundbeck.
106 À cet égard, ainsi qu’il ressort du point 60 de l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑591/16 P, Lundeck/Commission, et du point 80 de l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑588/16 P, Generics (UK)/Commission, tout comme l’appréciation de l’existence d’un éventuel rapport de concurrence potentielle entre les parties à un accord de règlement amiable, tel que l’accord litigieux [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 50], l’appréciation de la force des brevets de procédé en cause comme des chances de succès de l’une ou l’autre des parties à l’accord de règlement amiable concerné n’est pas pertinente aux fins de la qualification de « restriction par objet » de cet accord, dès lors qu’il est constaté, ainsi qu’il ressort en substance du point 346 de l’arrêt attaqué, que c’est la perspective du transfert de valeur par le fabricant de médicaments princeps qui a incité le fabricant de médicaments génériques à renoncer à une entrée sur le marché [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 89].
107 En effet, la qualification de « restriction par objet » de l’accord litigieux dépend de la seule question de savoir si les parties à cet accord ont substitué sciemment une coopération pratique entre eux aux risques de la concurrence, comme cela ressort du point 98 du présent arrêt.
108 Deuxièmement, les requérantes ne peuvent davantage faire grief au Tribunal d’avoir retenu la qualification de « restriction par objet » de l’accord litigieux alors que celui-ci répondait à des préoccupations légitimes de la part tant du groupe Alpharma que de Lundbeck, en ce sens qu’il permettait, à ce groupe, d’éviter les conséquences financières et juridiques d’une entrée illégale sur le marché ainsi que la gestion d’un stock important de produits contrefaisants et, à Lundbeck, de se prémunir contre l’asymétrie des risques existant entre le titulaire de brevets de procédé et les fabricants de médicaments génériques.
109 Comme cela a été jugé à bon droit par le Tribunal aux points 277 et 317 de l’arrêt attaqué, un accord, d’une part, n’est pas immunisé contre le droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, EU:C:1988:448, point 15) et, d’autre part, peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais qu’il poursuit également d’autres objectifs légitimes (arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, point 21).
110 De plus, la circonstance que l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel puisse constituer la solution la plus rentable ou la moins risquée pour une entreprise ne saurait pas davantage exclure la qualification de « restriction par objet ».
111 En particulier, la Cour a déjà eu l’occasion de refuser d’écarter la qualification de « restriction par objet » s’agissant d’accords tels que l’accord litigieux pour des motifs tenant au fait que les dommages-intérêts auxquels peuvent prétendre les fabricants de médicaments princeps en cas d’entrée illégale de médicaments génériques sur le marché seraient souvent largement inférieurs aux dommages subis par ces premiers, dès lors qu’il revient aux autorités publiques et non à des entreprises privées d’assurer le respect des prescriptions légales [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 88].
112 Partant, les intérêts évoqués par les requérantes ne peuvent permettre à un accord, dont il a été constaté au point 103 du présent arrêt qu’il présente le degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifié de « restriction par objet », d’échapper à cette qualification.
113 Troisièmement, les requérantes ne peuvent à bon droit faire reproche au Tribunal d’avoir admis l’objet anticoncurrentiel de l’accord litigieux sans avoir procédé à l’examen du « scénario contrefactuel ».
114 En effet, ainsi qu’il ressort du point 139 de l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑591/16 P, Lundbeck/Commission, cet examen permet d’apprécier les effets d’une pratique collusoire au regard de l’article 101 TFUE lorsque l’analyse de ladite pratique ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence à même de permettre sa qualification de « restriction par objet » [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 115 et 118 ainsi que jurisprudence citée].
115 En conséquence, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑591/16 P, Lundbeck/Commission (point 140), et sauf à nier la distinction nette existant entre les notions de « restriction par objet » et de « restriction par effet » issue de la lettre même de l’article 101, paragraphe 1, TFUE [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 63], l’examen du « scénario contrefactuel », qui a pour finalité de mettre en évidence les effets d’une pratique collusoire déterminée, ne saurait s’imposer aux fins de la qualification d’une pratique collusoire de « restriction par objet ».
116 Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑601/16 P, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (point 86), l’appréciation qu’il convient de réaliser, conformément aux points 98 et 99 du présent arrêt, afin de déterminer si un accord tel que l’accord litigieux relève ou non de la qualification de « restriction par objet », n’a aucunement pour finalité d’identifier et de quantifier les effets anticoncurrentiels d’une pratique mais uniquement de déterminer la gravité objective de celle-ci, pouvant précisément justifier que ses effets n’aient pas à être appréciés.
117 Comme indiqué au point 131 de l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑591/16 P, Lundbeck/Commission, et au point 87 de l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑601/16 P, Arrow Group et Arrow Generics/Commission, le fait que cette appréciation doive être effectuée, au besoin, à l’issue d’une analyse détaillée de l’accord concerné et particulièrement de l’effet incitatif des transferts de valeurs qu’il prévoit mais également de ses objectifs ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère n’implique pas davantage une appréciation des effets anticoncurrentiels de cet accord sur le marché. Il suppose uniquement de procéder à une appréciation globale et minutieuse des accords complexes eux-mêmes afin non seulement d’écarter la qualification de « restriction par objet » lorsqu’un doute apparaît quant à leur suffisante nocivité pour la concurrence mais également d’éviter que des accords puissent échapper à cette même qualification en raison de leur seule complexité et alors même que l’analyse de ceux-ci révélerait qu’ils présentent objectivement un degré suffisant de nocivité pour la concurrence.
118 Quatrièmement, les requérantes ne peuvent utilement se prévaloir du fait que l’expérience requise par la jurisprudence afin de qualifier l’accord litigieux de « restriction par objet » faisait défaut en l’espèce.
119 À cet égard, comme l’a relevé à bon droit le Tribunal au point 319 de l’arrêt attaqué, il n’est nullement requis que le même type d’accords que l’accord litigieux ait déjà été condamné par la Commission pour que celui-ci puisse être considéré comme restrictif de la concurrence par objet, et ce alors même qu’il intervient dans un domaine spécifique tel que celui des droits de propriété intellectuelle.
120 Aux fins de la qualification de « restriction par objet » d’un accord donné, seules importent les caractéristiques propres de celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85], dont doit être déduite l’éventuelle nocivité particulière pour la concurrence, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de cet accord, de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère.
121 Or, l’accord litigieux, qui a permis de retarder l’entrée sur le marché du groupe Alpharma et qui était assorti de paiements effectués par Lundbeck en faveur de celui-ci, lesquels, par leur importance, ont incité ce groupe à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché, appartient à cette catégorie de pratiques revêtant une nocivité particulière pour la concurrence.
122 Cinquièmement, les requérantes ne sauraient à bon droit critiquer le Tribunal pour avoir considéré que le communiqué de presse du KFST ne faisait pas obstacle à la qualification de « restriction par objet » de l’accord litigieux.
123 En effet, comme l’a relevé le Tribunal aux points 320 à 324 de l’arrêt attaqué, si ce communiqué fait état de la position de la Commission quant au caractère anticoncurrentiel des accords en cause, cette position, outre le fait qu’elle n’était émise qu’à l’issue d’une appréciation préliminaire, a été exprimée non pas dans un communiqué émanant directement de la Commission ou de ses services mais dans un communiqué d’une autorité nationale de la concurrence, qui ne pouvait faire naître à l’égard des entreprises une confiance légitime en ce que leur comportement n’enfreignait pas l’article 101 TFUE.
124 De plus, il ressort des mêmes points de l’arrêt attaqué que le KFST avait indiqué dans ledit communiqué que ladite position de la Commission tenait notamment à l’importance des paiements effectués par Lundbeck et que tous les accords qui ont pour objet d’acheter l’exclusion du marché d’un concurrent sont anticoncurrentiels.
125 Dès lors et compte tenu de ces constatations, c’est à bon droit que le Tribunal a pu retenir, au point 326 de l’arrêt attaqué, la qualification de « restriction par objet » de l’accord litigieux en dépit du communiqué de presse du KFST.
126 Sixièmement, les requérantes reprochent à tort au Tribunal d’avoir, au point 318 de l’arrêt attaqué, retenu le fait que le groupe Alpharma et Lundbeck étaient conscients que l’accord litigieux était susceptible de poser des problèmes au regard du droit de la concurrence et le fait que cet accord avait fait l’objet d’une consultation juridique pour avis, en tant qu’élément justifiant la qualification de cet accord de « restriction par objet ».
127 En effet, cet argument repose sur une lecture erronée du point 318 de l’arrêt attaqué. La considération énoncée à ce point par le Tribunal s’inscrit dans le contexte de l’examen, par celui-ci, de l’argumentation des requérantes tirée d’une prétendue insécurité juridique quant au caractère anticoncurrentiel d’accords tels que l’accord litigieux. Le Tribunal s’y est, en substance, limité à constater que, en dépit de l’insécurité juridique alléguée, tant Lundbeck que le groupe Alpharma étaient conscients du fait que leur conduite était à tout le moins susceptible de poser des problèmes du point de vue du droit de la concurrence.
128 Compte tenu de ce qui précède, les troisième et quatrième moyens doivent être rejetés comme étant, respectivement, irrecevable et non fondé.
Sur le cinquième moyen
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
129 Par leur cinquième moyen soulevé dans le cadre de leur recours en annulation, les requérantes ont fait valoir que la Commission avait violé leurs droits de la défense en omettant de les informer, dans un délai raisonnable, de l’existence d’une enquête les concernant et des griefs qu’elle retenait à leur égard, les conduisant partant à ne pas disposer d’éléments de preuve à décharge.
130 Pour rejeter ce moyen, le Tribunal a, aux points 353 à 358 de l’arrêt attaqué, rappelé la jurisprudence relative à l’observation d’un délai raisonnable dans le cadre de la procédure administrative en matière de politique de concurrence ainsi que les modalités d’établissement d’une atteinte aux droits de la défense en raison du non-respect de ce délai, en rappelant notamment les points 42, 43 et 54 de l’arrêt du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission (C‑113/04 P, EU:C:2006:593), ainsi que les points 118 et 120 à 122 de l’arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C‑201/09 P et C‑216/09 P, EU:C:2011:190).
131 Aux points 360 et 361 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a d’abord jugé que ni la première ni la seconde phase de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse n’avait excédé une durée raisonnable.
132 Il a ensuite jugé, au point 362 de cet arrêt, que, « dans la mesure où les requérantes fondent leur moyen sur la date à laquelle la Commission a eu connaissance pour la première fois de l’accord litigieux pour établir que celle-ci a méconnu son obligation d’adopter une décision dans un délai raisonnable et a ainsi violé leurs droits de la défense, il importe de souligner qu’une telle approche n’est nullement suivie par la jurisprudence, qui prend comme point de départ la date des premières mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction ».
133 Enfin, pour écarter toute violation de la durée raisonnable de la procédure administrative, il a, aux points 367 à 371 de l’arrêt attaqué, retenu ce qui suit :
« 367 [...] il convient de relever que les requérantes se limitent à invoquer la perte de trois catégories de documents, à savoir les projets et commentaires relatifs à l’accord litigieux, par exemple le projet mentionné dans le courriel [d’un collaborateur du groupe Alpharma] du 20 février 2002, les plans d’activité relatifs au citalopram et les documents de leur conseiller externe.
368 À cet égard, à supposer que, par leurs allégations, les requérantes aient réuni les conditions de précision et de spécificité requises par la jurisprudence rappelée au point 357 [de l’arrêt attaqué], il y a lieu de constater que, au vu du communiqué de presse du KFST et de l’enquête sectorielle que la Commission avait ouverte, une entreprise diligente aurait dû conserver tout document utile pour assurer sa défense dans le cadre d’une éventuelle procédure pour violation du droit de la concurrence, et ce au moins jusqu’à l’expiration du délai maximal de prescription prévu par le droit de l’Union (voir point 363 [de l’arrêt attaqué]).
369 Or, la diligence relève des conditions requises par la jurisprudence (voir point 358 [de l’arrêt attaqué]) afin qu’une partie puisse utilement invoquer la violation de ses droits de la défense en raison de la durée prétendument déraisonnable de la procédure.
370 À défaut d’explications par les requérantes de la survenance d’événements particuliers et autres que le simple écoulement du temps pour justifier l’égarement des documents en question, leur argument ne saurait être accueilli.
371 En ce qui concerne plus particulièrement les documents du conseiller externe du groupe Alpharma, que celui-ci aurait détruits en 2007 en conformité avec la réglementation du barreau danois, il doit être remarqué que les requérantes n’ont pas donné davantage de précisions quant à cette réglementation et que, en tout état de cause, si elles avaient été diligentes, elles auraient pu garder elles-mêmes des copies de ces documents. »
Argumentation des parties
134 Par leur cinquième moyen, dirigé contre les points 361 à 364 et 366 à 371 de l’arrêt attaqué, les requérantes soutiennent, d’une part, que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’appréciation de la durée de l’enquête et a porté atteinte à leurs droits de la défense, en violation du point 341 de l’arrêt du 15 juillet 2015, SLM et Ori Martin/Commission (T‑389/10 et T‑419/10, EU:T:2015:513). Il aurait à tort pris en considération la seule période postérieure à la notification au groupe Alpharma des mesures indiquant qu’une infraction lui était reprochée, à savoir l’année 2010 pour Alpharma LLC et l’année 2011 pour Xellia, et non la date de réception par la Commission d’informations sur l’infraction, à savoir le mois d’octobre 2003 qui correspond à la date de la communication à la Commission par le KFST des informations portant sur les accords en cause. Ce faisant, il n’aurait pas jugé que la Commission était tenue d’exposer les raisons pour lesquelles cette durée n’était pas excessive. D’autre part, le Tribunal aurait à tort mis à la charge du groupe Alpharma une obligation renforcée de conservation des documents pour une période antérieure au moment où il a été informé de l’enquête le concernant, en contrariété avec l’arrêt du 16 juin 2011, Heineken Nederland et Heineken/Commission (T‑240/07, EU:T:2011:284, point 301). En particulier, il ne pouvait considérer que le groupe Alpharma était tenu à une telle obligation au motif que la Commission avait enquêté sur les activités de Lundbeck et entrepris une enquête sectorielle, alors qu’il ne serait pas démontré que ce groupe avait eu connaissance de ces enquêtes.
Appréciation de la Cour
135 Le cinquième moyen du pourvoi est, en substance, composé de deux branches.
136 Par la première branche, les requérantes contestent la date retenue par le Tribunal de début de la procédure engagée par la Commission et ayant abouti à la décision litigieuse aux fins de l’appréciation du caractère raisonnable de la durée de cette procédure.
137 Par la seconde branche du présent moyen, les requérantes critiquent le Tribunal pour avoir refusé de constater la violation de leurs droits de la défense en raison de la durée déraisonnable de ladite procédure au motif qu’elles n’avaient pas satisfait à leur obligation de diligence qui aurait dû les conduire à conserver tout document utile pour assurer leur défense dans le cadre de cette même procédure.
138 S’agissant de la première branche du présent moyen, il convient de relever, comme l’a rappelé le Tribunal au point 356 de l’arrêt attaqué, que, aux fins de l’application du principe du délai raisonnable, une distinction entre les deux phases de la procédure administrative menée par la Commission, à savoir la phase d’instruction antérieure à la communication des griefs et celle correspondant au reste de la procédure administrative, doit être opérée, la première s’étendant des premières mesures adoptées par la Commission impliquant le reproche adressé à une entreprise d’avoir commis une infraction jusqu’à la communication des griefs et la seconde s’étendant de cette communication des griefs jusqu’à la décision finale adoptée par la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission, C‑113/04 P, EU:C:2006:593, points 42 et 43).
139 En l’occurrence, il ressort des points 359 et 361 de l’arrêt attaqué que les premières mesures impliquant un reproche de la Commission adressé à Zoetis, devenue Alpharma LLC, et à Xellia ont été adoptées respectivement le 19 mars 2010 et le 14 mars 2011. Or les requérantes n’allèguent ni a fortiori ne démontrent que ces dates procéderaient d’une dénaturation des éléments de fait, notamment en ce que la réception par la Commission des informations transmises par le KFST au mois d’octobre 2003 et relatives aux accords en cause ou une quelconque démarche postérieure de la Commission visée au point 359 de l’arrêt attaqué auraient impliqué un reproche de cette dernière à l’égard du groupe Alpharma.
140 Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu juger, au point 361 de l’arrêt attaqué, que la première phase de la procédure concernant Zoetis et Xellia avait débuté respectivement le 19 mars 2010 et le 14 mars 2011.
141 S’agissant de la seconde branche du présent moyen, il y a lieu de relever que le Tribunal a, pour deux motifs, refusé de faire droit aux allégations des requérantes tirées de la violation de leurs droits de la défense en raison de la durée importante ayant séparé la conclusion de l’accord litigieux et l’adoption de la décision litigieuse, qui les aurait conduites à ne pas être en mesure de retrouver certains documents qu’elles ont estimés déterminants pour leur défense.
142 D’une part, il a jugé, au point 367 de l’arrêt attaqué, premièrement, que les requérantes se limitaient à invoquer la perte de trois catégories de documents, à savoir les projets et commentaires relatifs à l’accord litigieux, par exemple le projet mentionné dans le courriel d’un collaborateur du groupe Alpharma du 20 février 2002, les plans d’activité relatifs au citalopram et les documents d’un conseiller externe à ce groupe. Deuxièmement, le Tribunal a considéré, au point 370 de cet arrêt, que les requérantes ne fournissaient pas d’explications quant à la survenance d’événements particuliers, autres que le simple écoulement du temps, pour justifier l’égarement des documents en question. Troisièmement, il a estimé, au point 371 dudit arrêt que, concernant les documents du conseiller externe du groupe Alpharma, que celui-ci aurait détruits en 2007 en conformité avec la réglementation du barreau danois, les requérantes n’avaient pas donné davantage de précisions quant à cette réglementation et que, en tout état de cause, si elles avaient été diligentes, elles auraient pu garder elles-mêmes des copies de ces documents.
143 D’autre part, le Tribunal a considéré, aux points 368 et 369 de l’arrêt attaqué, que les requérantes ne pouvaient invoquer la violation de leurs droits de la défense en raison de la durée prétendument déraisonnable de la procédure, à défaut pour celles-ci d’avoir satisfait à leur devoir de diligence tel que rappelé par l’arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C‑201/09 P et C‑216/09 P, EU:C:2011:190, points 120 à 122), cité au point 358 de l’arrêt attaqué. À cet égard, le Tribunal a considéré que, eu égard au communiqué de presse du KFST et à l’enquête sectorielle que la Commission avait ouverte, une entreprise diligente se devait de conserver tout document utile pour assurer sa défense dans le cadre d’une éventuelle procédure pour violation du droit de la concurrence, et ce au moins jusqu’à l’expiration du délai maximal de prescription prévu par le droit de l’Union.
144 Concernant ce deuxième motif retenu par le Tribunal, il convient de relever que, aux points 368 et 369 de l’arrêt attaqué, le Tribunal applique une jurisprudence sans rapport avec le grief soulevé par les requérantes et, de ce fait, met à la charge de celles-ci une obligation de diligence issue d’une jurisprudence qui n’est pas applicable à la situation dans laquelle elles se trouvaient.
145 Alors même, d’une part, que le Tribunal avait constaté à bon droit au point 361 de l’arrêt attaqué que la procédure administrative avait débuté à l’égard de Zoetis et de Xellia, respectivement, le 19 mars 2010 et le 14 mars 2011 et ne présentait pas une durée déraisonnable et, d’autre part, que les requérantes faisaient grief à la Commission, ainsi que cela ressort du point 349 de cet arrêt et de leur recours en annulation, de ne les avoir informées de l’enquête initiée par la Commission au mois de décembre 2003, portant sur les accords en cause, que huit à neuf ans après le début de celle-ci, les conduisant à ne plus être en mesure de réunir les preuves utiles pour se défendre, le Tribunal a fait directement application de la jurisprudence relative à la violation des droits de la défense en raison du caractère déraisonnable de la durée de la première phase de la procédure administrative menée par la Commission et, en particulier, des points 43, 54 et 60 à 71 de l’arrêt du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission (C‑113/04 P, EU:C:2006:593), ainsi que des points 118 à 122 de l’arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C‑201/09 P et C‑216/09 P, EU:C:2011:190), visés aux points 357, 358, 362 et 369 de l’arrêt attaqué.
146 Ce faisant et quand bien même n’était pas contestée la durée de la procédure administrative menée par la Commission, le Tribunal a considéré, aux points 368 et 369 de l’arrêt attaqué, qu’il lui revenait de s’assurer, aux fins d’apprécier la violation des droits de la défense de Zoetis et de Xellia, que ces sociétés s’étaient effectivement conformées à leur obligation de diligence qui, conformément aux arrêts cités au point précédent, s’impose à toute entreprise ayant été informée de l’ouverture d’une procédure engagée à son encontre.
147 Ainsi, alors même que les requérantes reprochaient à la Commission de ne pas avoir ouvert suffisamment tôt la procédure administrative engagée à l’égard de Zoetis et de Xellia, ce qui emporterait violation de leurs droits de la défense, le Tribunal leur oppose une obligation de diligence découlant d’une jurisprudence applicable à la seule période postérieure à l’ouverture de la procédure administrative par la Commission.
148 Partant, et comme le font valoir à bon droit les requérantes, le Tribunal a commis une erreur de droit.
149 Toutefois, si les motifs d’une décision du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif de celle-ci apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette décision et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs (arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 48).
150 En l’occurrence, tel est le cas.
151 Si, certes, le Tribunal ne pouvait pas opposer aux requérantes l’obligation de diligence applicable à des entreprises se trouvant dans une situation différente, telle que celle en cause dans les arrêts cités au point 145 du présent arrêt, il n’en demeure pas moins que, à tout le moins dans le cas d’espèce, le Tribunal pouvait leur opposer un devoir spécifique de prudence leur imposant de veiller à la bonne conservation en leurs livres ou archives des éléments permettant de retracer leur activité, afin, notamment, de disposer des preuves nécessaires dans l’hypothèse d’actions administratives ou judiciaires ultérieures.
152 En effet, l’ouverture, le 15 janvier 2008, d’une enquête de secteur sur le fondement de l’article 17 du règlement n° 1/2003 visant, ainsi que cela ressort en substance du point 22 de l’arrêt attaqué, du considérant 12 de la décision litigieuse ainsi que des considérants 3 à 5 de la décision du 15 janvier 2008 ouvrant une enquête sur le secteur pharmaceutique, à examiner les accords conclus entre les sociétés pharmaceutiques, tels que les accords de règlement amiable de litiges relatifs aux brevets de procédé, afin de déterminer s’ils enfreignent les articles 101 et 102 TFUE, constitue, d’une part, un élément que des fabricants de médicaments génériques, tels que Zoetis et Xellia, dont le Tribunal a relevé au point 189 de l’arrêt attaqué qu’elles étaient des opérateurs avertis et expérimentés dans le secteur pharmaceutique, ne pouvaient ignorer et, d’autre part, un élément qui devait les conduire à se prémunir contre la perte, en raison de l’écoulement du temps, de preuves susceptibles de leur être utiles dans la perspective de procédures administratives ou judiciaires ultérieures.
153 En effet, il ressort clairement tant des travaux préparatoires du règlement n° 1/2003 que de l’article 17, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement que les enquêtes de secteur constituent un instrument destiné à confirmer des présomptions de restriction de concurrence dans le secteur concerné par ces enquêtes.
154 Ainsi, lorsque la Commission procède à l’ouverture de telles enquêtes, les entreprises appartenant au secteur concerné et tout particulièrement celles qui ont conclu des accords expressément visés par la décision d’ouverture de l’enquête en cause, comme c’était le cas de Zoetis et de Xellia, doivent s’attendre à ce que des procédures individuelles puissent éventuellement être ouvertes à leur encontre à l’avenir, et ce d’autant que le considérant 8 de la décision du 15 janvier 2008 ouvrant une enquête sur le secteur pharmaceutique énonce expressément que, « [d]ans la mesure où l’enquête sur le secteur pharmaceutique révélerait l’existence éventuelle d’accords ou de pratiques anticoncurrentiels ou d’abus de position dominante, la Commission [...] pourrai[t] envisager [...] [l’ouverture d’]enquêtes à l’égard d’entités individuelles qui pourraient déboucher sur des décisions au titre de [l’article 101 et/ou de l’article 102 TFUE] ».
155 Dès lors, sans qu’il soit besoin de déterminer si Zoetis et Xellia avaient ou non eu connaissance du communiqué de presse du KFST, il y a lieu de considérer, compte tenu de ce qui précède et de l’ouverture par la Commission, le 15 janvier 2008, de l’enquête portant sur le secteur pharmaceutique, soit moins de quatre ans et demi après l’expiration de l’accord litigieux, que les requérantes ne sauraient valablement soutenir que l’ouverture par la Commission de la procédure administrative à l’égard de Zoetis et Xellia avait, par sa tardiveté, porté atteinte aux droits de la défense de celles-ci et devait emporter l’annulation de la décision litigieuse.
156 Il doit en aller d’autant plus ainsi que, au point 371 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé, sans que les requérantes ne contestent ce point dans le cadre du présent pourvoi, que, « [e]n ce qui concerne plus particulièrement les documents du conseiller externe du groupe Alpharma, que celui-ci aurait détruits en 2007[, soit antérieurement à l’ouverture de l’enquête de secteur par la Commission,] en conformité avec la réglementation du barreau danois, il doit être remarqué que les requérantes n’ont pas donné davantage de précisions quant à cette réglementation et que, en tout état de cause, si elles avaient été diligentes, elles auraient pu garder elles-mêmes des copies de ces documents ».
157 Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter le cinquième moyen.
Sur le sixième moyen
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
158 Par leur sixième moyen soulevé dans le cadre de leur recours en annulation, les requérantes ont fait valoir que la Commission avait violé le principe de non-discrimination en ce qu’elle avait sanctionné, s’agissant de l’accord litigieux, tant A.L. Industrier, société mère du groupe Alpharma, et Xellia, société filiale du groupe Alpharma, qu’Alpharma LLC, société mère intermédiaire du groupe Alpharma, alors que, s’agissant de l’accord conclu entre Lundbeck, d’une part, et Merck KGaA et Generics (UK) Ltd, d’autre part, elle avait sanctionné uniquement Merck, société mère du groupe Merck, et Generics (UK), société filiale du groupe Merck, à l’exclusion de Merck Generics Holding GmbH, société mère intermédiaire du groupe Merck.
159 Pour rejeter ce moyen, le Tribunal a, aux points 387 à 392 de l’arrêt attaqué, jugé ce qui suit :
« 387 [...] il doit être relevé que, pendant la période pertinente, Alpharma ApS, Alpharma Inc. et A.L. Industrier formaient une entreprise unique, alors que tel n’était plus le cas lors de l’adoption de la décision [litigieuse]. En effet, à ce moment-là, Xellia, qui a succédé à Alpharma ApS, Zoetis, qui a succédé à Alpharma Inc., et A.L. Industrier relevaient chacune d’entreprises différentes, ainsi que cela ressort des considérants 50 à 52 et 1269 à 1275 de la décision [litigieuse].
[...]
389 [...] il résulte clairement de la décision [litigieuse], notamment des considérants 43, 1275, 1284 et 1286, que la Commission a retenu qu’A.L. Industrier, qui contrôlait Alpharma Inc., formait avec celle-ci une entreprise unique, incluant également Alpharma ApS. Du reste, les requérantes ne contestent pas que ces trois sociétés formaient une entreprise unique lors de la conclusion de l’accord litigieux.
390 S’agissant du groupe Merck, il résulte de la décision [litigieuse] (note en bas de page n° 31) que Generics (UK), qui était la société ayant signé avec Lundbeck deux accords en cause, était, pendant la période couverte par ceux-ci, contrôlée par Merck Generics Holding, laquelle était à son tour contrôlée par Merck. De même, la décision [litigieuse] expose que, en 2007, Generics (UK) a été vendue à une autre entreprise, si bien qu’elle est sortie du groupe Merck (considérant 33).
391 En revanche, il résulte de la réponse de la Commission à une question du Tribunal et d’un document que celle-ci a produit à cette occasion que, au moment de l’adoption de la décision [litigieuse], Merck et Merck Generics Holding faisaient encore partie de la même entreprise. Bien que, comme le font valoir les requérantes, cette circonstance n’ait pas été mentionnée dans la décision [litigieuse], il y a lieu de constater que ledit document fait partie du dossier administratif de la Commission, de sorte que celle-ci en disposait lorsqu’elle a adopté cette décision.
392 Par ailleurs, il convient d’observer que, au vu de la situation financière d’A.L. Industrier, il était tout à fait justifié que la Commission tînt Zoetis pour solidairement responsable de l’infraction commise par Xellia, dès lors que, autrement, seule cette dernière aurait été redevable de la presque totalité de l’amende liée à l’infraction commise par le groupe Alpharma, ce qui aurait rendu moins certain le paiement de cette amende. En revanche, tant que Merck contrôle Merck Generics Holding, les ressources financières de cette dernière peuvent être utilisées pour payer l’amende infligée au groupe Merck, sans qu’il soit indispensable à cette fin de la viser dans le dispositif de la décision [litigieuse]. »
Argumentation des parties
160 Par leur sixième moyen dirigé contre les points 378 à 394 de l’arrêt attaqué, les requérantes soutiennent que le Tribunal a violé le principe d’égalité de traitement en confirmant la décision litigieuse en ce qu’elle était adressée à Zoetis, devenue Alpharma LLC, et non à Merck Generics Holding, alors que rien dans cette décision ne justifierait de distinguer les situations de ces deux entreprises. En outre, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir procédé par substitution de motifs et d’avoir violé la jurisprudence aux termes de laquelle l’absence de motivation ne saurait être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de la décision en cause au cours de la procédure devant les instances de l’Union, en renvoyant au point 74 de l’arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission (C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479).
161 La Commission estime que ce moyen est dépourvu de fondement.
Appréciation de la Cour
162 Par la première branche du sixième moyen du pourvoi, les requérantes reprochent en substance au Tribunal d’avoir violé le principe d’égalité de traitement en rejetant le sixième moyen invoqué par celles-ci au soutien de leur recours en annulation.
163 À cet égard, il convient de rappeler que, lorsqu’une entreprise enfreint les règles de la concurrence de l’Union, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (arrêt du 27 avril 2017, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑516/15 P, EU:C:2017:314, point 49).
164 Lorsqu’une telle entreprise est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales, l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 ne détermine pas quelle personne morale ou physique la Commission est dans l’obligation de tenir pour responsable de l’infraction et de sanctionner par l’imposition d’une amende (arrêt du 27 avril 2017, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑516/15 P, EU:C:2017:314, points 50 et 51 ainsi que jurisprudence citée).
165 Pour autant, dans l’exercice de son pouvoir de sanction tel qu’encadré par la jurisprudence rappelée au point précédent, la Commission ne saurait enfreindre le principe d’égalité de traitement qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 24 septembre 2020, Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi/Commission, C‑601/18 P, EU:C:2020:751, point 101 ainsi que jurisprudence citée), comme l’a relevé le Tribunal au point 386 de l’arrêt attaqué.
166 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, dès lors qu’une entreprise a, par son comportement, violé l’article 101 TFUE, elle ne saurait échapper à toute sanction au motif qu’un autre opérateur économique ne se serait pas vu infliger d’amende [arrêt du 9 mars 2017, Samsung SDI et Samsung SDI (Malaysia)/Commission, C‑615/15 P, non publié, EU:C:2017:190, point 37 ainsi que jurisprudence citée]. En particulier, une entreprise qui s’est vu infliger une amende du fait de sa participation à une entente, en violation des règles de concurrence, ne peut demander l’annulation ou la réduction de cette amende, au motif qu’un autre participant à la même entente n’aurait pas été sanctionné pour une partie, ou pour l’intégralité, de sa participation à ladite entente [arrêt du 9 mars 2017, Samsung SDI et Samsung SDI (Malaysia)/Commission, C‑615/15 P, non publié, EU:C:2017:190, point 38 ainsi que jurisprudence citée].
167 En l’occurrence, le Tribunal a, en tout état de cause, constaté, aux points 387 à 392 de l’arrêt attaqué, qu’Alpharma LLC et Merck Generics Holding se trouvaient dans des situations différentes au moment de l’adoption de la décision litigieuse, en raison, d’une part, du fait que, Xellia, Zoetis, devenue Alpharma LLC, et A.L. Industrier relevaient chacune d’entreprises différentes alors que Merck et Merck Generics Holding, respectivement société faîtière et société mère de Generics (UK), laquelle est sortie du groupe Merck postérieurement à l’expiration des accords en cause, faisaient partie de la même entreprise et, d’autre part, de la situation financière spécifique des sociétés impliquées dans les accords en cause.
168 Partant, à défaut de se trouver dans une situation comparable à celle de Merck Generics Holding, les requérantes ne sauraient valablement reprocher au Tribunal une violation du principe d’égalité de traitement.
169 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par le fait invoqué par les requérantes dans le cadre de la seconde branche du présent moyen, selon lequel, pour justifier la différence de traitement entre Zoetis, devenue Alpharma LLC, et Merck Generics Holding, le Tribunal aurait complété la motivation de la décision litigieuse en indiquant que Zoetis ne faisait pas partie de la même entreprise qu’A.L. Industrier au moment de l’adoption de la décision litigieuse.
170 Outre le fait que cette précision apportée par le Tribunal à la seconde phrase du point 387 de l’arrêt attaqué ne constitue qu’un des deux motifs de distinction de la situation des requérantes et de celle de Merck Generics Holding, le second motif lié à la situation financière spécifique des sociétés impliquées dans les accords en cause, tel qu’il figure au point 392 de l’arrêt attaqué n’étant pas contestée par les requérantes, il convient de relever que, comme l’a indiqué le Tribunal au point 387 de l’arrêt attaqué, ladite précision ressort de la décision litigieuse elle-même.
171 Or, dans la mesure où la motivation d’un acte doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C‑350/88, EU:C:1990:71, point 16 ainsi que jurisprudence citée) en tenant compte s’il y a lieu du fait que cet acte est intervenu dans un contexte connu de son destinataire (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2020, Rosneft e.a./Conseil, C‑732/18 P, non publié, EU:C:2020:727, point 77 ainsi que jurisprudence citée), le fait qu’une explication donnée par la Commission dans le cadre de ses observations écrites devant le Tribunal, ainsi que cela ressort du point 379 de l’arrêt attaqué, ne figure pas de manière explicite et exhaustive dans la décision litigieuse ne saurait nécessairement avoir pour effet d’empêcher le Tribunal de tenir compte de cette explication ainsi que des éléments contenus dans cette décision afin de répondre à l’argumentation d’un requérant (voir, par analogie, arrêt du 30 septembre 2003, Freistaat Sachsen e.a./Commission, C‑57/00 P et C‑61/00 P, EU:C:2003:510, points 62 et 63).
172 Il doit en aller tout particulièrement ainsi lorsque le Tribunal doit répondre à une argumentation, telle que celle des requérantes, selon laquelle la Commission aurait violé le principe d’égalité de traitement au stade de la rédaction de la décision litigieuse, alors que, ainsi que cela a été rappelé au point 164 du présent arrêt, la Commission est en principe libre de choisir au sein d’une entreprise constituée de plusieurs personnes physiques ou morales celle qu’elle tient pour responsable de l’infraction et ne saurait raisonnablement se voir imposer d’expliquer dans le cadre de sa décision et pour chaque société qui en est destinataire les raisons pour lesquelles elle tient pour responsable soit l’ensemble, soit uniquement une partie des personnes physiques ou morales composant la ou les entreprises ayant pris part à une pratique contraire à l’article 101 ou à l’article 102 TFUE.
173 Eu égard à ce qui précède, le sixième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur le septième moyen
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
174 Aux points 401 à 407 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté la seconde branche du septième moyen soulevée par les requérantes au soutien de leur recours en annulation, par laquelle celles-ci faisaient valoir que la Commission avait, aux fins du calcul de l’amende qui leur a été infligée, omis de prendre en considération la situation d’insécurité juridique quant à l’appréciation de l’accord litigieux à l’aune du droit de la concurrence.
175 Dans un premier temps, il a rappelé, aux points 403 à 405 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence de la Cour relative à l’exigence de prévisibilité des infractions ainsi que celle relative à la condition que l’infraction aux articles 101 et 102 TFUE soit commise « de propos délibéré ou par négligence », au sens de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 1/2003. Le Tribunal a également estimé, au point 407 de cet arrêt, que le groupe Alpharma n’ignorait pas que la conclusion de l’accord litigieux pouvait être problématique au regard du droit de la concurrence.
176 Dans un second temps, le Tribunal a indiqué qu’il résultait des points 314 et 318 de l’arrêt attaqué qu’il n’existait pas d’insécurité juridique quant à la possibilité de qualifier de « restriction par objet » un accord ayant les caractéristiques de l’accord litigieux et étant intervenu dans le contexte de celui-ci.
Argumentation des parties
177 Par leur septième moyen, dirigé contre les points 401 à 407 de l’arrêt attaqué, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir violé le principe de sécurité juridique en considérant qu’il n’existait pas d’incertitude juridique quant à la qualification de restriction par objet de l’accord litigieux et, partant, en permettant à la Commission de leur infliger une amende d’un montant très élevé. Cette situation d’insécurité juridique serait démontrée par les déclarations du KFST mais également par la durée de l’enquête sectorielle ayant précédé la procédure à l’issue de laquelle a été adoptée la décision litigieuse ainsi que par la longueur de cette décision.
178 La Commission soutient que ce moyen est dépourvu de fondement.
Appréciation de la Cour
179 Comme l’a rappelé à juste titre le Tribunal au point 405 de l’arrêt attaqué, une entreprise peut être sanctionnée pour un comportement entrant dans le champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE dès lors qu’elle ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, EU:C:2013:404, point 37).
180 Il en découle, comme l’a rappelé le Tribunal au point 404 de l’arrêt attaqué et ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑588/16 P, Generics (UK)/Commission (point 137), que le fait qu’une telle entreprise ait qualifié de manière juridiquement erronée le comportement sur lequel la constatation de l’infraction se fonde ne peut pas avoir pour effet de l’exonérer de l’infliction d’une amende pour autant que celle-ci pouvait objectivement déterminer que ce comportement avait un caractère anticoncurrentiel, au besoin en s’entourant des conseils appropriés (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, EU:C:2013:404, point 38).
181 En l’occurrence, le Tribunal a relevé à juste titre, aux points 315 à 317 de l’arrêt attaqué, auxquels renvoie le point 406 de ce même arrêt, qu’il était de jurisprudence établie, ainsi qu’il est rappelé au point 109 du présent arrêt, qu’un accord n’est pas immunisé contre le droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets.
182 Par ailleurs, le Tribunal a relevé en substance, au point 318 de l’arrêt attaqué, également visé par le point 406 de ce même arrêt, que, tant du point de vue de Lundbeck que de celui du groupe Alpharma, l’accord litigieux était à tout le moins susceptible de poser des problèmes au regard du droit de la concurrence, Lundbeck ayant estimé que « la conclusion d’accords avec les [fabricants de médicaments] génériques était considérée comme “difficile” du point de vue du droit de la concurrence » et le groupe Alpharma ayant soumis pour avis une ébauche de l’accord litigieux à un conseiller expert en droit de la concurrence.
183 Dès lors, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré, au point 407 de l’arrêt attaqué, que le groupe Alpharma n’ignorait pas que la conclusion de l’accord litigieux pouvait être problématique au regard du droit de la concurrence. Partant, les requérantes ne sauraient reprocher au Tribunal d’avoir violé le principe de sécurité juridique en permettant à la Commission de leur infliger une amende en raison de la conclusion de l’accord litigieux.
184 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par le communiqué de presse du KFST pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 123 et 124 du présent arrêt.
185 En effet, si ledit communiqué ne fait pas obstacle à la qualification de « restriction par objet » de l’accord litigieux, il ne peut a fortiori empêcher la sanction de celui-ci, même par une amende d’un montant considéré par les requérantes comme étant très élevé.
186 Ne saurait pas davantage faire obstacle à cette sanction le fait avancé par les requérantes que l’insécurité juridique entourant des accords tels que l’accord litigieux serait confirmée par la durée de l’enquête sectorielle ayant précédé la procédure à l’issue de laquelle a été adoptée la décision litigieuse ainsi que par la longueur de cette décision.
187 Outre le fait que, selon l’arrêt attaqué, les requérantes n’ont fait valoir ces éléments ni dans le cadre de leur troisième moyen d’annulation, tiré de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en raison de la qualification de l’accord litigieux de « restriction par objet », ni dans le cadre de leur septième moyen d’annulation, tiré d’erreurs affectant le calcul du montant de l’amende qui leur a été infligée, il suffit de relever, ainsi que cela ressort des points 153 et 154 du présent arrêt, qu’une telle enquête est ouverte afin de confirmer ou d’infirmer des présomptions de restriction de concurrence dans le secteur concerné par celle-ci et que rien ne permet d’accréditer la thèse selon laquelle la durée de celle-ci permettrait de lever les doutes émis par la Commission sur les accords spécifiques visés par cette même enquête.
188 De même, la longueur d’une décision est dépourvue de pertinence à cet égard dès lors qu’il a déjà été rappelé au point 120 du présent arrêt que la qualification de « restriction par objet » d’un accord peut supposer une analyse détaillée de celui-ci, de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. S’agissant plus particulièrement de la décision litigieuse, il convient de relever que celle-ci a concerné cinq entreprises distinctes ainsi que six accords différents supposant une appréciation spécifique et a été adressée à douze sociétés.
189 En conséquence, il convient de rejeter le septième moyen comme étant non fondé.
Sur le huitième moyen
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
190 Pour rejeter le septième moyen soulevé par les requérantes au soutien de leur recours en annulation et tiré d’erreurs affectant le calcul du montant de l’amende qui leur a été infligée, le Tribunal a notamment jugé, tout d’abord, au point 398 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait à bon droit considéré que l’infraction en cause présentait un caractère grave. Ensuite, concernant la fixation du montant base de l’amende, il a relevé, aux points 414 à 433 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait fait usage du point 37 des lignes directrices sur le calcul des amendes de 2006 pour s’écarter de la méthodologie générale de calcul des amendes prévue par ces lignes directrices et avait retenu comme montant de base la valeur des paiements que le groupe Alpharma avait reçus de Lundbeck, ce que les requérantes ne reprochaient pas à la Commission.
Argumentation des parties
191 Par leur huitième moyen, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir rejeté leurs arguments tirés de la non-prise en considération par la Commission de la gravité de l’infraction lors de la détermination du montant de l’amende qui leur a été infligée. Le Tribunal aurait admis, en violation de l’article 21, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, que la Commission fixe, ainsi que cela ressort du point 1361 de la décision litigieuse, le montant des amendes infligées aux fabricants de médicaments génériques sans introduire de distinction entre les infractions selon leur nature ou leur portée géographique ou en fonction des parts de marché de ceux-ci, et ce tout particulièrement alors que, en l’espèce, l’infraction a été qualifiée de « très grave » dans la communication des griefs puis simplement de « grave » dans la décision litigieuse.
192 La Commission estime que le huitième moyen doit être rejeté.
Appréciation de la Cour
193 Il convient de relever, ainsi que cela ressort des points 419 et 421 de l’arrêt attaqué, que le montant de l’amende infligée au groupe Alpharma a été calculé non pas en application de la méthodologie générale prévue par les lignes directrices sur le calcul des amendes de 2006, mais en recourant à une méthode s’en écartant comme l’y autorise son point 37, ce que les requérantes n’ont pas contesté. En effet, la Commission n’est pas tenue par ces lignes directrices et en particulier ses points 19 à 22 qui lui imposent de déterminer un montant de base de l’amende en fonction d’un degré précis de gravité de l’infraction concernée.
194 Dès lors le huitième moyen du pourvoi doit être compris comme tendant à remettre en cause non pas la méthodologie retenue par la Commission et confirmée par le Tribunal, mais le montant même de l’amende infligée par la décision litigieuse en raison de l’infraction commise, dont le Tribunal a à bon droit constaté la gravité au point 398 de l’arrêt attaqué.
195 À cet égard, il est de jurisprudence constante qu’il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit de l’Union (arrêt du 26 septembre 2018, Philips et Philips France/Commission, C‑98/17 P, non publié, EU:C:2018:774, point 107 ainsi que jurisprudence citée).
196 Ce n’est que dans la mesure où la Cour estimerait que le niveau de la sanction est non seulement inapproprié, mais également excessif, au point d’être disproportionné, qu’il y aurait lieu de constater une erreur de droit commise par le Tribunal, en raison du caractère inapproprié du montant d’une amende (arrêt du 26 septembre 2018, Philips et Philips France/Commission, C‑98/17 P, non publié, EU:C:2018:774, point 107 ainsi que jurisprudence citée).
197 Ainsi, un moyen remettant en cause le montant de l’amende apprécié par le Tribunal mais qui n’établit pas les raisons pour lesquelles ce montant serait excessif, au point d’en être disproportionné est irrecevable (arrêt du 25 juillet 2018, Orange Polska/Commission, C‑123/16 P, EU:C:2018:590, point 115).
198 Or, en l’occurrene, les requérantes n’ont nullement fait valoir ni a fortiori établi que l’amende qui leur a été infligée par la décision litigieuse et qui a été confirmée par le Tribunal était excessive au point d’être disproportionnée.
199 Partant, le huitième moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant irrecevable.
Sur le neuvième moyen
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
200 Pour rejeter le huitième moyen invoqué par les requérantes au soutien de leur recours en annulation, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation ayant trait au plafonnement de l’amende dont A.L. Industrier, société mère du groupe Alpharma au moment de l’accord litigieux, était codébitrice, en ce que la Commission aurait retenu à cet effet le chiffre d’affaires de l’année 2011 et non celui plus élevé de l’année 2012, ce qui aurait mis à la charge d’A.L. Industrier une quote-part supérieure de l’amende infligée solidairement à A.L. Industrier, à Alpharma LLC et à Xellia Pharmaceuticals, le Tribunal a, aux points 449 à 456 de l’arrêt attaqué, d’une part, relevé que la Commission avait retenu non pas le dernier exercice complet précédant la date de l’adoption de la décision litigieuse, à savoir celui de l’année 2012, mais le précédent, à savoir celui de l’année 2011, au motif que ce dernier constituait le dernier exercice complet d’activité normale, et, d’autre part, considéré que la Commission était fondée à procéder ainsi dans la mesure où l’exercice de l’année 2012 était un exercice de liquidation des actifs d’A.L. Industrier faisant apparaître des revenus étrangers à des activités économiques normales.
201 Aux points 458 et 459 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé ce qui suit :
« 458 [...] il convient de relever que, selon la jurisprudence, l’objectif visé par l’établissement, à l’article 23, paragraphe 2, [du règlement n° 1/2003] d’une limite égale à 10 % du chiffre d’affaires de chaque entreprise ayant participé à une infraction est notamment d’éviter que l’infliction d’une amende d’un montant supérieur à cette limite ne dépasse la capacité de paiement de l’entreprise à la date où elle est reconnue responsable de l’infraction et où une sanction pécuniaire lui est infligée par la Commission (arrêt [du 4 septembre 2014,] YKK e.a./Commission, [C‑408/12 P, EU:C:2014:2153], point 63 ; voir également, en ce sens, arrêts [du 15 juin 2005,] Tokai Carbon e.a./Commission, [T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non publié, EU:T:2005:220], point 389, et du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission, T‑54/06, EU:T:2011:667, point 91).
459 Par conséquent, la Commission, après avoir exclu que le plafond applicable à A.L. Industrier puisse être fixé en tenant compte de l’année 2012, c’est-à-dire de l’année précédant immédiatement celle de l’adoption de la décision [litigieuse], ne pouvait remonter jusqu’à [l’année] 2005, mais devait utiliser le chiffre d’affaires de la dernière année, antérieure à [l’année] 2012, au cours de laquelle les activités économiques d’A.L. Industrier avaient été normales, indépendamment des secteurs d’activités de celle-ci. »
Argumentation des parties
202 Par leur neuvième moyen, dirigé contre les points 458 et 459 de l’arrêt attaqué, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir violé l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 ainsi que les arrêts du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission (C‑76/06 P, EU:C:2007:326, point 20), et du 15 mai 2014, 1. garantovaná/Commission (C‑90/13 P, non publié, EU:C:2014:326, points 15 à 17), en appliquant un critère erroné pour déterminer l’exercice social pertinent aux fins de la détermination du plafond de l’amende pouvant être infligée à A.L. Industrier.
203 Le Tribunal aurait interprété de manière trop restrictive l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 en ne retenant que l’objectif consistant à éviter que les amendes dépassent la capacité de paiement des entreprises sans le mettre en balance avec l’autre objectif visant à assurer un effet suffisamment dissuasif aux amendes infligées. Ce faisant, en retenant le chiffre d’affaires de cette société pour l’année 2011, il aurait infligé à A.L. Industrier une amende inappropriée au regard de sa capacité de paiement et de sa situation économique réelle durant la période infractionnelle. Dans leur mémoire en réplique, les requérantes précisent que, au point 459 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait rejeté l’année 2005 comme année de référence au seul motif qu’elle ne serait pas la dernière année d’exercice normal des activités d’A.L. Industrier, antérieure à l’année 2012.
204 La Commission estime, pour sa part, que le neuvième moyen est irrecevable, au motif que la constatation selon laquelle le dernier exercice complet reflétant des activités économiques normales d’AL Industrier est celui correspondant à l’année 2011 constitue une question de fait, et, en tout état de cause, non fondé.
Appréciation de la Cour
205 D’emblée, il convient de relever que, par le présent moyen, les requérantes critiquent non pas l’appréciation effectuée par le Tribunal quant au caractère normal de l’exercice social de l’année 2011 ou de l’année 2005, laquelle est une appréciation de fait insusceptible d’être remise en cause dans le cadre d’un pourvoi en l’absence d’allégation et, a fortiori, de démonstration par les requérantes d’une dénaturation des faits ou des éléments de preuve, mais le critère employé par le Tribunal pour écarter la prise en considération de l’exercice social de l’année 2012.
206 Ce faisant et contrairement à ce que soutient la Commission, ce moyen est recevable.
207 Il l’est également dans la mesure où l’éventuelle constatation d’une erreur de droit du Tribunal quant au critère appliqué dans le choix de l’exercice social ayant servi de base pour l’application du plafonnement de la quote-part d’amende solidaire imposée à A.L. Industrier n’aurait pas pour conséquence d’imposer à cette société, à l’égard de laquelle la décision litigieuse est devenue définitive, une augmentation de sa quote-part de responsabilité solidaire, ce que ne demandent d’ailleurs pas les requérantes, et n’aurait des conséquences qu’à l’égard de ces dernières.
208 Quant au fond, il convient de rappeler que l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003 prévoit un mécanisme de plafonnement de l’amende infligée par la Commission aux entreprises pour violation des articles 101 et 102 TFUE visant à éviter que ces amendes soient disproportionnées par rapport à l’importance des entreprises concernées (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, EU:C:2007:326, point 24) et, de ce fait, dépassent 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par celles-ci au cours de l’exercice social précédant celui au cours duquel la décision de la Commission les sanctionnant a été adoptée.
209 À ce dernier égard, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que, pour la détermination de la notion d’« exercice social précédent », la Commission doit apprécier, dans chaque cas d’espèce et en tenant compte du contexte ainsi que des objectifs poursuivis par le régime de sanctions établi par le règlement n° 1/2003, l’impact recherché sur l’entreprise concernée, notamment en tenant compte d’un chiffre d’affaires qui reflète la situation économique réelle de celle-ci durant la période au cours de laquelle l’infraction a été commise (arrêt du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, EU:C:2007:326, point 25).
210 Ainsi, il lui est loisible de ne pas retenir le dernier exercice social précédant celui au cours duquel la décision de la Commission est adoptée si celui-ci ne correspond pas à un exercice complet d’activité économique normale pendant une période de douze mois (arrêt du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, EU:C:2007:326, point 26).
211 Toutefois et compte tenu de la lettre, du contexte ainsi que des objectifs poursuivis par le régime de sanctions établi par le règlement n° 1/2003, il lui revient de retenir le premier exercice social complet d’activité économique normale précédent.
212 En l’occurrence, il ressort des points 451 et 459 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré, d’une part, que le dernier exercice social précédant la décision litigieuse, à savoir celui correspondant à l’année 2012, ne constituait pas un exercice social d’activité économique normale dans la mesure où il était un exercice de liquidation d’actifs et, d’autre part, que l’exercice social correspondant à l’année 2011 constituait un exercice d’activité économique normale.
213 Compte tenu de ces constatations qui relèvent de l’appréciation souveraine des faits par le Tribunal et à l’égard desquelles les requérantes n’ont pas invoqué de dénaturation, c’est à bon droit, et sans qu’il eût été besoin d’apprécier l’opportunité de recourir au chiffre d’affaires d’un exercice social préalable, en l’occurrence celui correspondant à l’année 2005, que le Tribunal a pu retenir le chiffre d’affaires de l’exercice social correspondant à l’année 2011 aux fins du calcul du plafonnement de l’amende infligée à A.L. Industrier en application de l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003.
214 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le neuvième moyen du pourvoi comme étant non fondé et, partant, le pourvoi dans son ensemble.
Sur les dépens
215 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
216 La Commission ayant conclu à la condamnation des requérantes aux dépens et celles-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission.
217 L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
218 Par conséquent, le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Xellia Pharmaceuticals ApS et Alpharma LLC sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens.