CJUE, 4e ch., 25 mars 2021, n° C-614/16 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Merck KGaA, Generics (UK) Ltd
Défendeur :
Commission européenne, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Vilaras
Juges :
M. Šváby (rapporteur), M. Rodin, Mme Jürimäe, M. Xuereb
Avocat général :
Mme Kokott
Avocats :
M. Bär-Bouyssière , Mme Smith, Mme Kreisberger, Mme Mackersie
LA COUR (quatrième chambre),
1 Par son pourvoi, Merck KGaA demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 septembre 2016, Merck/Commission (T‑470/13, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:452), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision C(2013) 3803 final de la Commission européenne, du 19 juin 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck) (ci-après la « décision litigieuse »), et, d’autre part, à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.
Le cadre juridique
Le règlement (CE) no 1/2003
2 L’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), dispose :
« La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence :
a) elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [101 ou 102 TFUE][...] »
La communication relative à des orientations informelles de 2004
3 Le point 4 de la communication de la Commission relative à des orientations informelles sur des questions nouvelles qui se posent dans des affaires individuelles au regard des articles [101 et 102 TFUE] (lettres d’orientation) (JO 2004, C 101, page 78, ci-après la « communication relative à des orientations informelles de 2004 ») prévoit :
« Parallèlement à la réforme des règles d’application des articles [101 et 102 TFUE] instaurée par le [règlement no 1/2003], la Commission a mené une révision des règlements d’exemption par catégorie, des communications et des lignes directrices de la Commission, en vue de mieux aider les opérateurs économiques à s’autoévaluer. Elle a aussi produit des lignes directrices concernant l’application de l’article [101], paragraphe 3[, TFUE]. Dans la grande majorité des cas, ces divers instruments permettent aux entreprises d’évaluer valablement leurs accords au regard de l’article [101 TFUE]. En outre, la Commission a pour pratique de n’infliger des amendes plus que symboliques que dans les cas où il est établi, soit dans des instruments horizontaux soit dans la jurisprudence et la pratique, qu’un comportement donné constitue une infraction. »
Les lignes directrices concernant l’application de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE]
4 Le point 21 des lignes directrices concernant l’application de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE] (JO 2004, C 101, p. 97) énonce :
« Les accords ayant pour objet de restreindre le jeu de la concurrence sont ceux qui, par nature, ont la capacité de le faire. Il s’agit de restrictions qui, au regard des objectifs poursuivis par les règles [de concurrence de l’Union], sont tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la concurrence, qu’il est inutile, aux fins de l’application de l’article [101, paragraphe 1, TFUE] de démontrer qu’elles ont des effets concrets sur le marché. Cette présomption repose sur la gravité de la restriction et sur l’expérience qui montre que les restrictions de concurrence par objet sont susceptibles d’avoir des effets négatifs sur le marché et de mettre en péril les objectifs poursuivis par les [règles de concurrence de l’Union]. Les restrictions de concurrence par objet, comme la fixation des prix et le partage du marché, entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant ainsi à une mauvaise répartition des ressources parce que les biens et services demandés par les clients ne sont pas produits. Elles provoquent aussi une réduction du bien-être des consommateurs, en raison des prix plus élevés que ceux-ci doivent payer pour se procurer ces biens et services. »
Les lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2004
5 Le point 209 des lignes directrices relatives à l’application de l’article [101 TFUE] aux accords de transfert de technologie (JO 2004, C 101, p. 2, ci-après les « lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2004 ») prévoit :
« Dans le cadre d’un accord de règlement et de non-revendication, des clauses de non-contestation sont généralement considérées comme ne relevant pas de l’article [81, paragraphe 1, TFUE]. Une caractéristique propre à de tels accords est que les parties conviennent de ne pas contester a posteriori les droits de propriété intellectuelle qu’ils couvrent. En effet, le véritable objectif de l’accord est de régler les litiges existants et/ou d’éviter des litiges futurs. »
Les antécédents du litige
6 Le présent pourvoi s’inscrit dans le cadre de six pourvois connexes dirigés contre six arrêts du Tribunal prononcés à la suite de recours en annulation introduits contre la décision litigieuse, à savoir, outre le présent pourvoi, celui formé dans l’affaire C‑586/16 P [Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission] contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (T‑460/13, non publié, EU:T:2016:453), celui formé dans l’affaire C‑588/16 P [Generics (UK)/Commission] contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Generics (UK)/Commission (T‑469/13, non publié, EU:T:2016:454), celui formé dans l’affaire C‑591/16 P (Lundbeck/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission (T‑472/13, EU:T:2016:449), celui formé dans l’affaire C‑601/16 P (Arrow Group et Arrow Generics/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (T‑467/13, non publié, EU:T:2016:450), et celui formé dans l’affaire C‑611/16 P (Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (T‑471/13, non publié, EU:T:2016:460).
7 Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 36 de l’arrêt attaqué, dans les termes suivants :
« I – Sociétés en cause dans la présente affaire
1 H. Lundbeck A/S (ci-après “Lundbeck”) est une société de droit danois qui contrôle un groupe de sociétés spécialisé dans la recherche, le développement, la production, le marketing, la vente et la distribution de produits pharmaceutiques pour le traitement de pathologies affectant le système nerveux central, dont la dépression.
2 Lundbeck est un laboratoire de princeps, c’est-à-dire une entreprise qui concentre son activité dans la recherche de nouveaux médicaments et dans la commercialisation de ceux-ci.
3 Merck [...] est une société de droit allemand spécialisée dans le domaine pharmaceutique qui, au moment de la conclusion des accords concernés, détenait indirectement à 100 %, à travers le groupe Merck Generics Holding GmbH, sa filiale Generics [(UK) Ltd] (ci-après “GUK” [...]), une société responsable du développement et de la commercialisation de produits pharmaceutiques génériques au Royaume-Uni. Merck et GUK ont été considérées par la Commission [...] comme constituant une seule entreprise au sens du droit de la concurrence au moment des faits [ci-après “Merck (GUK)”].
II – Produit concerné et brevets concernant celui-ci
4 Le produit concerné par la présente affaire est le médicament antidépresseur contenant l’ingrédient pharmaceutique actif (ci-après l’“IPA”) citalopram.
5 En 1977, Lundbeck a déposé au Danemark une demande de brevet sur l’IPA citalopram ainsi que sur les deux procédés d’alkylation et de cyanation utilisés pour produire ledit IPA. Des brevets couvrant cet IPA et ces deux procédés (ci-après les “brevets originaires [de Lundbeck]”) ont été délivrés au Danemark et dans plusieurs pays de l’Europe occidentale entre [l’année] 1977 et [l’année] 1985.
6 En ce qui concerne l’Espace économique européen (EEE), la protection découlant des brevets originaires [de Lundbeck] ainsi que, le cas échéant, des certificats complémentaires de protection (CCP) prévus par le règlement (CEE) no 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO [1992,] L 182, p. 1), a expiré entre [l’année] 1994 (pour l’Allemagne) et [l’année] 2003 (pour l’Autriche). En particulier, s’agissant du Royaume-Uni, les brevets originaires [de Lundbeck] ont expiré [au mois de] janvier 2002.
7 Au fil du temps, Lundbeck a développé d’autres procédés plus efficaces pour produire du citalopram, pour lesquels elle a demandé, et souvent obtenu, des brevets dans plusieurs pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de l’Office européen des brevets (OEB).
8 Ainsi, le 13 mars 2000, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités danoises concernant un procédé de production du citalopram qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une cristallisation. Des demandes analogues ont été introduites auprès d’autres pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’OMPI et de l’OEB. Lundbeck a obtenu des brevets protégeant le procédé utilisant la cristallisation dans plusieurs États membres au cours de la première moitié de l’année 2002, notamment le 30 janvier 2002 en ce qui concerne le Royaume-Uni. L’OEB a délivré un brevet sur la cristallisation le 4 septembre 2002.
9 Enfin, Lundbeck envisageait de lancer un nouveau médicament antidépresseur, le Cipralex, fondé sur l’IPA escitalopram (ou S-citalopram), pour la fin de l’année 2002 ou le début de l’année 2003. Ce nouveau médicament visait les mêmes patients que ceux susceptibles d’être soignés par le médicament breveté Cipramil de Lundbeck, fondé sur l’IPA citalopram. L’IPA escitalopram était protégé par des brevets valables jusqu’en 2012, à tout le moins.
III – Accords litigieux
10 Au cours de l’année 2002, Lundbeck a conclu six accords concernant le citalopram (ci-après les “accords en cause”) avec quatre entreprises actives dans la production ou dans la vente de médicaments génériques (ci-après les “[fabricants de médicaments] génériques”), dont Merck (GUK).
11 Le premier accord conclu entre Lundbeck et Merck (GUK) a pris effet le 24 janvier 2002, pour une durée d’un an, et couvrait uniquement le territoire du Royaume-Uni (ci-après l’“accord UK”). Cet accord a ensuite été prorogé pour une période de six mois se terminant le 31 juillet 2003. Puis, après une brève entrée de Merck (GUK) sur le marché du Royaume-Uni entre le 1er et le 4 août 2003, une seconde prorogation de [cet] accord a été signée par les parties le 6 août 2003, pour une durée maximale de six mois pouvant être écourtée en cas d’absence d’action en justice de Lundbeck contre d’autres [fabricants de médicaments] génériques qui tenteraient d’entrer sur le marché ou à l’issue du litige entre Lundbeck et Lagap Pharmaceuticals Ltd, [un des autres fabricants] de génériques.
12 Il ressort des termes de l’accord UK ce qui suit :
– il existe un risque que certaines actions envisagées par GUK concernant la commercialisation, la distribution et la vente du “Produit” puissent constituer une infraction aux droits de propriété intellectuelle de Lundbeck et qu’elles puissent donner lieu à des revendications de la part de celle-ci (point 2.1 de l’accord UK), ces “Produits” étant définis au point 1.1 de [cet] accord comme étant les “produits de citalopram développés par GUK sous forme de matière première, en vrac ou sous forme de comprimés tels que spécifiés en Annexe et manufacturés en conformité avec la spécification de produits telle que fournie par GUK à la date de signature, jointe en Annexe 2” ;
– Lundbeck paiera à GUK un montant de 2 millions de livres sterling (GBP), en échange de la livraison des “Produits”, dans les quantités prévues par l’accord [UK], à la date du 31 janvier 2002 (point 2.2 de l’accord UK) ;
– GUK s’engage en outre, en échange d’un paiement supplémentaire de 1 million de GBP, à livrer les “Produits” tels que spécifiés dans l’[A]nnexe à la date du 2 avril 2002 (point 2.3 de l’accord UK) ;
– les paiements effectués et la livraison des “Produits” par GUK en application des points 2.2 et 2.3 de l’accord [UK] constitueront une résolution complète et finale de toute revendication que Lundbeck pourrait avoir contre GUK pour avoir enfreint ses droits de propriété intellectuelle en ce qui concerne les “Produits” livrés par GUK jusqu’à cette date (point 2.4 de l’accord UK) ;
– Lundbeck s’engage à vendre ses “Produits Finis” à GUK et GUK s’engage à acheter exclusivement ces “Produits Finis” auprès de Lundbeck pour revente par GUK et ses affiliés au Royaume-Uni pendant la durée et selon les termes de l’accord (point 3.2 de l’accord UK), ces “Produits Finis” étant définis au point 1.1 de l’accord [UK] comme étant les “produits contenant du citalopram sous forme de produits finis à fournir par [Lundbeck] à GUK conformément au présent accord” ;
– Lundbeck s’engage à payer un montant de 5 millions de GBP de profits nets garantis à GUK, à condition que GUK lui commande le volume de “Produits Finis” convenu pendant la durée de l’accord [UK] (ou un montant moindre à calculer au prorata des commandes effectuées) (point 6.2 de l’accord UK).
13 La première prorogation de l’accord UK prévoyait notamment le paiement d’un montant de 400 000 GBP par mois pour l’exécution du point 6.2 de cet accord par GUK et modifiait la définition des “profits nets”.
14 La seconde prorogation de l’accord UK prévoyait notamment le paiement d’un montant de 750 000 GBP par mois pour l’exécution du point 6.2 de cet accord par GUK.
15 L’accord UK a expiré le 1er novembre 2003, à la suite du règlement à l’amiable du litige [entre Lundbeck et Lagap Pharmaceuticals]. Au total, pendant toute la durée de l’accord [UK], Lundbeck a transféré l’équivalent de 19,4 millions d’euros à GUK.
16 Un second accord a été conclu entre Lundbeck et GUK le 22 octobre 2002, couvrant l’EEE à l’exception du Royaume-Uni (ci-après l’“accord pour l’EEE”). Cet accord prévoyait le paiement d’un montant de 12 millions d’euros, en échange duquel GUK s’engageait à ne pas vendre ni fournir de produits pharmaceutiques contenant du citalopram sur tout le territoire de l’EEE (à l’exception du Royaume-Uni) et à entreprendre tous les efforts raisonnables afin que Natco Pharma Ltd, le producteur du citalopram générique que Merck (GUK) avait l’intention de commercialiser , cesse de fournir le citalopram ou des produits contenant du citalopram dans l’EEE pendant la durée de l’accord (points 1.1 et 1.2 de l’accord pour l’EEE). Lundbeck s’engageait à ne pas intenter d’actions en justice contre GUK, à condition que celle-ci respecte ses obligations en vertu du point 1.1 de l’accord (point 1.3 de l’accord pour l’EEE).
17 L’accord pour l’EEE a expiré le 22 octobre 2003. Au total, Lundbeck a transféré l’équivalent de 12 millions d’euros à GUK en vertu de cet accord.
IV – Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative
18 Au mois d’octobre 2003, la Commission a été informée par le Konkurrence- og Forbrugerstyrelsen (KFST, autorité de la concurrence et des consommateurs danoise) de l’existence des accords en cause.
19 Dès lors que la plupart de ces accords concernaient l’ensemble de l’EEE ou, en tout état de cause, d’autres États membres que le [Royaume de] Danemark, il a été convenu que la Commission examinerait leur compatibilité avec le droit de la concurrence tandis que le KFST ne poursuivrait pas l’étude de cette question.
20 Entre [l’année] 2003 et [l’année] 2006, la Commission a effectué des inspections au sens de l’article 20, paragraphe 4, du [règlement no 1/2003], auprès de Lundbeck et d’autres sociétés actives dans le secteur pharmaceutique. Elle a également envoyé à Lundbeck et à une autre société des demandes de renseignements au sens de l’article 18, paragraphe 2, dudit règlement.
21 Le 15 janvier 2008, la Commission a adopté la décision [ouvrant une enquête sur] le secteur pharmaceutique, conformément à l’article 17 du règlement (CE) no 1/2003 (affaire no COMP/D 2/39.514). L’article unique de cette décision précisait que l’enquête à mener concernerait l’introduction sur le marché de médicaments innovants et génériques à usage humain.
22 Le 8 juillet 2009, la Commission a adopté une communication ayant pour objet la synthèse de son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique. Cette communication comportait, dans une annexe technique, la version intégrale dudit rapport d’enquête, sous la forme d’un document de travail de la Commission, disponible uniquement en [langue anglaise].
23 Le 7 janvier 2010, la Commission a engagé la procédure formelle à l’égard de Lundbeck.
24 Au cours de l’année 2010 et du premier semestre de l’année 2011, la Commission a envoyé des demandes de renseignements à Lundbeck et, notamment, aux sociétés qui étaient parties aux accords en cause, dont [Merck].
25 Le 24 juillet 2012, la Commission a engagé une procédure à l’égard des [fabricants de médicaments] génériques qui étaient parties aux accords en cause et leur a envoyé une communication des griefs ainsi qu’à Lundbeck.
[...]
29 Le 19 juin 2013, la Commission a adopté la décision [litigieuse].
V – Décision [litigieuse]
30 Par la décision [litigieuse], la Commission a considéré que l’accord UK et l’accord pour l’EEE (ci-après, pris ensemble, les “accords litigieux”), tout comme d’ailleurs les autres accords en cause, constituaient une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord [sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3)] (article 1er, paragraphe 1, de la décision [litigieuse]). Les accords litigieux ont été considérés comme constituant une infraction unique et continue s’étendant du 24 janvier 2002 au 1er novembre 2003.
31 Ainsi qu’il résulte des résumés figurant aux considérants 824 et 874 de la décision [litigieuse], la Commission a fondé son appréciation, notamment, sur les éléments suivants :
– au moment de la conclusion des accords litigieux, Lundbeck et Merck (GUK) étaient à tout le moins des concurrents potentiels au Royaume-Uni et dans l’EEE et des concurrents effectifs au Royaume-Uni avant la seconde prorogation de l’accord UK ;
– Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit de Merck (GUK) en vertu des accords litigieux ;
– ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par Merck (GUK) de limitations apportées à son entrée sur le marché contenues dans lesdits accords, en particulier à son engagement de ne pas vendre [l’IPA citalopram produit par Natco Pharma] ou tout autre citalopram générique au Royaume-Uni et dans l’EEE pendant la période pertinente ;
– ce transfert de valeur correspondait environ aux profits que Merck (GUK) espérait réaliser si elle était entrée avec succès sur le marché ;
– Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations en invoquant ses brevets de procédé, étant donné que les obligations pesant sur Merck (GUK) en vertu des accords litigieux allaient au-delà des droits conférés aux titulaires de brevets de procédé ;
– les accords litigieux ne prévoyaient aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre Merck (GUK) dans l’hypothèse où cette dernière serait entrée sur le marché avec du citalopram générique après l’expiration des accords litigieux.
32 La Commission a également imposé des amendes à toutes les parties aux accords en cause. À cette fin, elle a utilisé les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement [(CE)] no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2). À l’égard de Lundbeck, la Commission a suivi la méthodologie générale décrite dans [ces lignes directrices], fondée sur la valeur des ventes du produit concerné réalisées par chaque participant à une entente (considérants 1316 à 1358 de la décision [litigieuse]). En revanche, s’agissant des autres parties aux accords en cause, à savoir les [fabricants de médicaments] génériques, elle a eu recours à la possibilité, prévue au [point] 37 desdites lignes directrices, de s’écarter de cette méthodologie, au vu des particularités de l’affaire à l’égard de ces parties (considérant 1359 de la décision [litigieuse]).
33 Ainsi, s’agissant des parties aux accords en cause autres que Lundbeck, dont Merck (GUK), la Commission a considéré que, afin de déterminer le montant de base de l’amende et d’assurer un effet suffisamment dissuasif à celle-ci, il y avait lieu de tenir compte de la valeur des sommes que Lundbeck leur avait transférées en vertu des accords en cause, ce sans introduire de distinction entre les infractions selon la nature ou la portée géographique de celles-ci, ou en fonction des parts de marché des entreprises concernées, facteurs qui n’ont été abordés dans la décision [litigieuse] que dans un souci d’exhaustivité (considérant 1361 de la décision [litigieuse]). Afin de tenir compte des frais de distribution exposés par Merck (GUK), la Commission a néanmoins appliqué une réduction de 10 % au chiffre d’affaires de celle-ci (considérant 1373 de la décision [litigieuse]).
34 Compte tenu de la durée totale de l’enquête, la Commission a réduit de 10 % les montants des amendes imposées à tous les destinataires de la décision [litigieuse] (considérants 1349 et 1380 de la décision [litigieuse]).
35 Au vu de la scission intervenue entre Merck et GUK en 2007, la Commission a appliqué le plafond de 10 % du chiffre d’affaires prévu à l’article 23, [paragraphe 2, deuxième] alinéa, [du règlement no 1/2003] séparément à Merck et à GUK (considérant 1382 de la décision [litigieuse]).
36 Sur la base de ces considérations, la Commission a infligé une amende d’un montant de 21 411 000 euros à Merck, dont 7 766 843 euros solidairement avec GUK (article 2, paragraphe 1, de la décision [litigieuse]). »
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
8 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 août 2013, Merck a introduit un recours tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse et à la réduction de l’amende qui lui a été infligée par la Commission.
9 À l’appui de son recours, Merck a soulevé treize moyens, le premier, tiré d’une erreur d’appréciation de la Commission quant à la notion de « restriction par objet », au sens de l’article 101 TFUE, le deuxième, tiré de ce que la « théorie du préjudice » appliquée par la Commission était fondamentalement erronée, le troisième, tiré de ce que l’approche de la Commission était contraire au principe de sécurité juridique, le quatrième, tiré de l’erreur de la Commission qui n’aurait pas tenu compte du contexte matériel, économique et juridique, qui aurait montré que, sans les accords litigieux, Merck (GUK) n’aurait pas lancé le citalopram plus rapidement sur le marché du Royaume-Uni et sur les autres marchés de l’EEE, le cinquième, tiré d’une erreur d’appréciation de la Commission quant à la portée des accords litigieux, le sixième, tiré d’une erreur de droit et de fait commise par la Commission en constatant que Lundbeck et Merck (GUK) étaient des concurrents potentiels, le septième, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission en concluant que Merck (GUK) avait une intention anticoncurrentielle en concluant les accords litigieux, le huitième, tiré d’une erreur de fait commise par la Commission dans le cadre de ses conclusions relatives au montant et à l’objet du transfert de valeur entre Lundbeck et Merck (GUK), le neuvième, tiré de ce que la Commission n’avait pas correctement apprécié les arguments de Merck au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, le dixième, tiré de ce que la Commission avait omis de tenir dûment compte des preuves fournies par Merck en vue de réfuter la présomption d’influence décisive de celle-ci sur sa filiale GUK et commis une erreur de droit en constatant que cette présomption n’était pas réfutée, le onzième, tiré d’une violation du délai raisonnable, le douzième, tiré d’une violation du droit des parties à être entendues et, le treizième, tiré d’une erreur d’appréciation de la Commission quant aux sanctions infligées.
10 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ce recours dans son intégralité.
La procédure devant la Cour
11 Par acte déposé au greffe de la Cour le 28 novembre 2016, Merck a introduit le présent pourvoi.
12 Par actes déposés au greffe de la Cour le 28 juillet 2017, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans la présente affaire ainsi que dans les affaires C‑586/16 P [Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission], C‑588/16 P [Generics (UK)/Commission], C‑601/16 P (Arrow Group et Arrow Generics/Commission) et C‑611/16 P (Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission). Par ordonnances du 25 octobre 2017, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C‑586/16 P, non publiée, EU:C:2017:831), du 25 octobre 2017, Generics (UK)/Commission (C‑588/16 P, non publiée, EU:C:2017:829), du 25 octobre 2017, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (C‑601/16 P, non publiée, EU:C:2017:826), du 25 octobre 2017, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, non publiée, EU:C:2017:825), et du 25 octobre 2017, Merck/Commission (C‑614/16 P, non publiée, EU:C:2017:828), le président de la Cour a accueilli ces demandes. Toutefois, compte tenu notamment de l’ordonnance du président de la Cour du 5 juillet 2017, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, non publiée, EU:C:2017:532), ce dernier a réservé, à l’égard de cet État membre, dans l’ensemble de ces affaires, un traitement confidentiel, notamment, à la version confidentielle de la décision litigieuse, seule une version non confidentielle de celle-ci ayant été signifiée au Royaume-Uni.
13 Le 27 novembre 2018, la Cour a décidé que la présente affaire serait attribuée à la quatrième chambre devant statuer à la suite d’une audience de plaidoiries commune à la présente affaire et aux affaires C‑586/16 P [Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission], C‑588/16 P [Generics (UK)/Commission], C‑591/16 P (Lundbeck/Commission), C‑601/16 P (Arrow Group et Arrow Generics/Commission) et C‑611/16 P (Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission) ainsi qu’avec le bénéfice de conclusions.
14 Sur le fondement de l’article 61, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, celle-ci a, le 29 novembre 2018, transmis aux parties à la procédure dans la présente affaire une série de questions écrites pour réponses orales lors de l’audience ainsi qu’un plan provisoire de l’audience de plaidoiries détaillant précisément son déroulement. À la suite des observations de ces parties, un plan définitif de l’audience leur a été transmis le 22 janvier 2019.
15 L’audience de plaidoiries commune à la présente affaire et aux affaires visées au point 13 du présent arrêt s’est tenue le 24 janvier 2019.
16 Le 6 février 2020, Mme l’avocate générale a, sur le fondement de l’article 62 du règlement de procédure, adressé aux parties à la procédure dans la présente affaire une question pour réponse écrite, par laquelle elle les invitait à prendre position sur l’éventuelle influence de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), sur les moyens soulevés dans la présente affaire relatifs à l’existence d’une concurrence potentielle entre Lundbeck et les fabricants de médicaments génériques ainsi qu’à la qualification des accords conclus entre Lundbeck et ces derniers de « restrictions par objet ». Les réponses à cette question sont parvenues à la Cour le 6 mars 2020.
17 Par décision du 10 mars 2020, la Cour a décidé, à la suite du prononcé de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), de statuer dans la présente affaire sans conclusions.
Les conclusions des parties devant la Cour
18 Par son pourvoi, Merck demande à la Cour :
– d’annuler le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué ;
– d’annuler l’article 1, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, de la décision litigieuse ainsi que ses articles 3 et 4 dans la mesure où ils la concernent ;
– à titre subsidiaire, d’annuler ou de réduire la sanction qui lui a été infligée ;
– d’annuler le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué, et
– de condamner la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que ceux qu’elle a exposés, relatifs tant à la procédure de première instance qu’au pourvoi.
19 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi dans son intégralité et
– de condamner Merck aux dépens.
20 Le Royaume-Uni demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans son intégralité.
Sur le pourvoi
21 Au soutien de son pourvoi, Merck invoque trois moyens.
22 Par son premier moyen, Merck fait grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en qualifiant les accords litigieux de « restrictions de la concurrence par objet ». Par son deuxième moyen, Merck reproche au Tribunal d’avoir à tort conclu que Lundbeck et Merck (GUK) étaient des concurrents potentiels. Par son troisième moyen, Merck estime que le Tribunal a, à tort, confirmé l’amende qui lui a été infligée par la Commission.
23 Il convient d’examiner, tout d’abord, le deuxième moyen, puis, successivement, les premier et troisième moyens.
Sur le deuxième moyen
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
24 Par une partie de son quatrième moyen ainsi que par son sixième moyen invoqués à l’appui de son recours en annulation, Merck a fait valoir que la Commission avait commis une erreur de droit et de fait en constatant que Lundbeck et Merck (GUK) étaient des concurrents potentiels.
25 Ces moyens ont été rejetés par le Tribunal après que celui-ci a procédé au rappel de l’analyse relative à la concurrence potentielle effectuée dans la décision litigieuse ainsi que des principes et de la jurisprudence applicable, dans le cadre duquel il a indiqué, au point 86 de l’arrêt attaqué, que le fait même qu’une entreprise déjà présente sur un marché cherchât à conclure des accords ou à mettre en place des mécanismes d’échanges d’informations avec d’autres entreprises qui n’étaient pas présentes sur ce marché constituait un indice sérieux du fait que celui-ci n’était pas impénétrable.
26 Tout d’abord, dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’une possibilité réelle et concrète pour Merck (GUK) d’intégrer les marchés du Royaume-Uni et de l’EEE et d’entrer en concurrence avec Lundbeck, le Tribunal a considéré, aux points 120 à 124 de l’arrêt attaqué, que le lancement « à risque » par Merck (GUK) de son produit générique constituait une possibilité concrète d’entrée sur le marché en dépit des brevets de procédé détenus par Lundbeck et qu’il était difficilement contestable que ceux-ci ne constituaient pas des barrières insurmontables pour les fabricants de médicaments génériques tels que Merck (GUK), qui étaient non seulement désireux d’entrer sur le marché du citalopram mais également prêts à le faire et qui avaient déjà effectué des investissements considérables à cette fin au moment de conclure les accords litigieux, ce qu’il a réaffirmé au point 129 de ce arrêt. Au point 128 de ce même arrêt, le Tribunal a constaté que, même si Merck (GUK) avait fait l’objet d’actions en contrefaçon de la part de Lundbeck et que ses produits s’étaient révélés contrefaisants, elle aurait sans doute pu, dans un délai raisonnable, se procurer du citalopram auprès d’autres fournisseurs, dont le caractère contrefaisant n’était pas établi.
27 Ensuite, aux points 146 à 168 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’ensemble des arguments de Merck relatifs à l’absence de voies d’accès au marché qui auraient permis à Merck (GUK) de lancer son générique sur le marché avant l’expiration des accords litigieux.
28 Dans ce cadre, il a notamment considéré, aux points 150 à 161 de l’arrêt attaqué, premièrement, que Merck ne pouvait prétendre que toute entrée sur le marché du citalopram aurait été impossible avant l’expiration des accords litigieux, même en l’absence de ceux-ci, en raison des actions en justice qui auraient pu être intentées par Lundbeck, deuxièmement, qu’il n’appartenait pas à la Commission de démontrer que Merck (GUK) serait entrée sur le marché avec certitude avant l’expiration des accords litigieux en l’absence de ceux-ci, mais uniquement qu’elle disposait de possibilités réelles et concrètes à cet effet, troisièmement, que la Commission n’était pas tenue de démontrer que ces possibilités se seraient matérialisées avec certitude, quatrièmement, que, au vu des démarches administratives effectuées par Merck (GUK), au moins deux des huit voies d’accès possibles au marché identifiées par la Commission au considérant 635 de la décision litigieuse et visées aux points 147, 154 et 156 de l’arrêt attaqué, à savoir le lancement « à risque » par Merck (GUK) de son produit générique et la possibilité d’obtenir l’annulation des brevets de procédé de Lundbeck devant les juridictions nationales, constituaient des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché pour Merck (GUK) et, cinquièmement, que Merck ne pouvait prétendre que les cinquième à huitième voies d’accès possibles au marché identifiées par la Commission ne représentaient pas des possibilités réelles.
29 Aux points 163 à 168 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a enfin rejeté l’allégation de Merck selon laquelle la Commission aurait dû examiner si Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels dans chaque État membre de l’EEE afin de pouvoir conclure à l’existence d’une concurrence potentielle entre elles dans l’ensemble de l’EEE. À cet effet, il a notamment relevé, au point 167 de cet arrêt, ce qui suit :
« [...] le fait même que l’accord pour l’EEE couvre l’ensemble du territoire de l’EEE (à l’exclusion du Royaume-Uni) démontre que Lundbeck percevait Merck (GUK) comme une menace potentielle sur l’ensemble de ce territoire et que cette dernière disposait de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur les marchés de l’EEE au moment de conclure les accords litigieux. »
Argumentation des parties
30 Par son deuxième moyen, composé de trois branches, Merck estime que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels.
31 À titre liminaire, Merck fait valoir que la qualité de concurrent potentiel suppose des possibilités réelles et concrètes – et non purement théoriques – que l’entreprise concernée intègre un marché, que l’entrée sur ce marché soit une stratégie économiquement viable et que cette entrée puisse s’effectuer suffisamment rapidement. Elle ajoute que cette qualité doit être démontrée sur la base d’éléments de fait et non de simples hypothèses, en prenant essentiellement appui sur la capacité et non sur les intentions de l’entreprise concernée.
32 Au titre de la première branche de ce moyen, dirigée contre les points 146 à 168 de l’arrêt attaqué, Merck estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en n’examinant pas si les huit voies d’accès possibles au marché identifiées par la Commission, qui, selon Merck, seraient hypothétiques et évoquées dans l’abstrait, étaient économiquement viables ou effectivement praticables dans un laps de temps suffisamment bref. En outre, en ce qu’il a considéré qu’au moins deux de ces voies, à savoir le lancement « à risque », par Merck (GUK), de son produit générique et la possibilité d’obtenir en justice la nullité des brevets de procédé de Lundbeck, constituaient des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché, le Tribunal n’aurait pas justifié ses conclusions ni démontré que ces voies étaient suffisamment rapides pour exercer une pression concurrentielle. Merck relève encore que le fait d’avoir entrepris des démarches pour préparer une entrée sur le marché ne démontre pas que ces voies étaient économiquement viables et n’offre pas le niveau de certitude requis pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck. Enfin, l’affirmation, au point 128 de l’arrêt attaqué, selon laquelle Merck (GUK) aurait pu se procurer du citalopram auprès d’autres fournisseurs, dont le caractère contrefaisant n’était pas établi, est totalement abstraite et déconnectée de tout test de praticabilité technique, commerciale ou juridique. Par ailleurs, Merck reproche au Tribunal d’avoir tenu compte de la perception de Lundbeck quant au fait que Merck (GUK) constituait une menace potentielle.
33 Au titre de la deuxième branche du deuxième moyen, dirigée contre les points 124 et 150 de l’arrêt attaqué, Merck critique le Tribunal pour avoir renversé la charge de la preuve en considérant que Merck (GUK) devait démontrer que lesdites voies d’accès possibles au marché concerné étaient impossibles ou insurmontables alors qu’il appartenait à la Commission de démontrer le caractère réel et concret de ces voies.
34 Au titre de la troisième branche de ce moyen, dirigée contre les points 86 et 167 de l’arrêt attaqué, Merck soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en prenant en considération le fait que Merck (GUK) et Lundbeck aient conclu les accords litigieux aux fins d’apprécier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre elles. En effet, s’il existe un réel différend entre des parties à un accord portant sur un brevet, le fait qu’il soit réglé à l’amiable ne donnerait en lui-même aucune information sur l’existence entre elles d’une concurrence potentielle.
Appréciation de la Cour
35 Pour tomber sous l’interdiction de principe prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un comportement d’entreprises doit non seulement révéler l’existence d’une collusion entre elles – à savoir un accord entre entreprises, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée –, mais cette collusion doit également affecter défavorablement et de manière sensible le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 31].
36 Cette dernière exigence suppose, s’agissant d’accords de coopération horizontale conclus entre des entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production ou de distribution, que ladite collusion intervienne entre des entreprises se trouvant en situation de concurrence si ce n’est actuelle du moins potentielle [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 32].
37 Afin d’apprécier si une entreprise absente d’un marché se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec une ou plusieurs autres entreprises déjà présentes sur ce marché, il convient de déterminer s’il existe des possibilités réelles et concrètes que cette première intègre ledit marché et concurrence la ou les secondes [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 36 ainsi que jurisprudence citée].
38 Lorsque sont en cause des accords, tels que les accords litigieux, ayant pour conséquence de maintenir temporairement hors du marché plusieurs entreprises, il y a lieu de déterminer, au regard de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, s’il aurait existé, en l’absence desdits accords, des possibilités réelles et concrètes que ces entreprises accèdent audit marché et concurrencent les entreprises qui y sont établies [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 37 et 39].
39 Concernant plus particulièrement de tels accords intervenus dans le contexte de l’ouverture du marché d’un médicament contenant un principe actif récemment tombé dans le domaine public aux fabricants de médicaments génériques, il convient d’établir, en tenant dûment compte des contraintes réglementaires propres au secteur du médicament ainsi que des droits de propriété intellectuelle et en particulier des brevets détenus par les fabricants de médicaments princeps portant sur un ou plusieurs procédés de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 40 et 41], si le fabricant de médicaments génériques a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 58].
40 Pour ce faire, il y a lieu d’apprécier, premièrement, si, à la date de la conclusion de tels accords, ledit fabricant avait effectué des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps. Deuxièmement, il doit être vérifié que l’entrée sur le marché d’un tel fabricant de médicaments génériques ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 43 et 45]. Par ailleurs, le constat d’une concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments génériques et un fabricant de médicaments princeps peut être corroboré par des éléments supplémentaires, tels que la conclusion d’un accord entre eux alors que le premier n’était pas présent sur le marché concerné [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 54 à 56].
41 S’agissant en particulier de l’appréciation de l’existence sur le marché concerné de barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable, la Cour a indiqué que l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme une telle barrière insurmontable, nonobstant la présomption de validité attachée à ce brevet, dès lors que celle-ci ne renseigne nullement, aux fins de l’application des articles 101 et 102 TFUE, sur l’issue d’un éventuel litige relatif à la validité dudit brevet [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 46 à 51].
42 Partant, l’existence d’un tel brevet ne saurait, en tant que telle, empêcher de qualifier de « concurrent potentiel » du fabricant du médicament princeps concerné un fabricant de médicaments génériques qui a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et qui, par ses démarches, se montre prêt à contester la validité de ce brevet et à assumer le risque de se voir, lors de son entrée sur le marché, confronté à une action en contrefaçon introduite par le titulaire dudit brevet [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 46].
43 Par ailleurs, la Cour a également précisé qu’il n’appartenait pas à l’autorité de concurrence concernée de procéder à un examen de la force du brevet en cause ou de la probabilité qu’un litige entre son titulaire et un fabricant de médicaments génériques pourrait aboutir au constat que ce brevet est valide et contrefait [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 50].
44 En l’occurrence, le Tribunal a considéré, aux points 120 à 129 de l’arrêt attaqué, d’une part, que les brevets de procédé de Lundbeck ne constituaient pas une barrière insurmontable pour les fabricants de médicaments génériques tels que Merck (GUK) et, d’autre part, que cette dernière était non seulement désireuse mais également prête à courir le risque d’une entrée sur le marché en dépit des brevets de procédé détenus par Lundbeck et qu’elle avait effectué à cet effet des démarches importantes ainsi que des investissements considérables. Il a en outre relevé, au point 149 de l’arrêt attaqué, que Merck (GUK) avait déjà obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le Royaume-Uni le 9 janvier 2002 et qu’elle s’apprêtait à obtenir des AMM similaires dans plusieurs autres États membres de l’EEE.
45 Il en découle que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que Merck (GUK) et Lundbeck se trouvaient, au moment de la conclusion des accords litigieux, dans un rapport de concurrence potentielle.
46 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de Merck selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur de droit en n’examinant pas si les huit voies d’accès possibles au marché, telles qu’identifiées par la Commission dans la décision litigieuse, étaient économiquement viables ou effectivement praticables dans un laps de temps suffisamment bref.
47 À cet égard, il importe de rappeler que, aux fins de l’établissement de l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre des entreprises telles que Merck (GUK) et Lundbeck, et comme l’a relevé à bon droit le Tribunal aux points 151 et 152 de l’arrêt attaqué, il convient de démontrer non pas que l’entreprise absente du marché concerné entrera effectivement et avec certitude sur celui-ci et, plus encore, qu’elle sera en mesure, par la suite, de s’y maintenir, mais uniquement qu’il existe des possibilités réelles et concrètes que celle-ci intègre ledit marché et concurrence l’entreprise déjà présente sur ce même marché [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 36 et 38 ainsi que jurisprudence citée].
48 Dès lors, contrairement à ce que soutient Merck, il n’appartenait pas au Tribunal d’examiner si les voies d’accès au marché à la disposition de Merck (GUK), telles qu’identifiées par la Commission dans la décision litigieuse, étaient économiquement viables.
49 Il ne lui appartenait pas non plus, comme l’a relevé en substance le Tribunal au point 153 de l’arrêt attaqué, d’examiner si l’ensemble desdites voies d’accès au marché étaient toutes effectivement praticables ou constituaient des possibilités réelles et concrètes d’entrée sur le marché, dès lors, d’une part, ainsi qu’il ressort de ce point, que, au moins deux de ces mêmes voies d’accès au marché, à savoir le lancement « à risque » par Merck (GUK) de son produit générique et la possibilité d’obtenir l’annulation des brevets de procédé de Lundbeck devant les juridictions nationales, constituaient des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché pour Merck (GUK) et, d’autre part, que le Tribunal a expliqué de manière détaillée, aux points 149 à 161 de ce même arrêt, les raisons qui justifiaient son appréciation.
50 Par ailleurs, à supposer que, par son argumentation, Merck conteste l’appréciation effectuée par le Tribunal quant à l’existence d’une possibilité réelle et concrète pour Merck (GUK) d’entrer sur le marché soit par la voie du lancement « à risque », par Merck (GUK), de son produit générique, soit par celle de l’annulation des brevets de procédé de Lundbeck devant les juridictions nationales, il suffit de rappeler qu’il résulte de l’article 256 TFUE ainsi que de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
51 Or, Merck n’a, à cet égard, aucunement allégué de dénaturation des éléments de fait ou de preuve par le Tribunal. Partant, son argumentation sur ce point est irrecevable.
52 En outre, Merck ne saurait faire grief au Tribunal d’avoir, au point 167 de l’arrêt attaqué, tenu compte, pour établir l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck, de la perception par Lundbeck que Merck (GUK) constituait une menace potentielle.
53 En effet, si l’existence d’une concurrence potentielle entre deux entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production doit s’apprécier au regard des éléments objectifs rappelés au point 40 du présent arrêt, il n’en demeure pas moins que celle-ci peut être corroborée par des éléments complémentaires [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 54], en ce compris des éléments de nature subjective [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 42], dès lors que ceux-ci ne s’avèrent pas déterminants aux fins de l’appréciation effectuée.
54 Or, il ressort des points 115 à 162 de l’arrêt attaqué que le Tribunal, à la suite de la Commission, s’est fondé essentiellement sur des éléments de preuve objectifs, ainsi que cela ressort des points 107 et 108 de l’arrêt attaqué.
55 Enfin, en ce que Merck critique le point 128 de l’arrêt attaqué selon lequel, même si Lundbeck avait introduit des actions en contrefaçon contre Merck (GUK) et que les produits de cette dernière s’étaient révélés contrefaisants, elle aurait sans doute pu, malgré tout, se procurer dans un délai raisonnable du citalopram auprès d’autres fournisseurs, dont le caractère contrefaisant n’était pas établi, il y a lieu de relever que cette considération relève de l’appréciation par le Tribunal des éléments de fait et de preuve à sa disposition et que Merck n’a aucunement allégué une dénaturation de ces éléments par le Tribunal. Dès lors, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 50 du présent arrêt, ce grief doit être écarté comme étant irrecevable.
56 En conséquence, la première branche du présent moyen doit être rejetée comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondée.
57 Concernant la deuxième branche du présent moyen, dirigée contre les points 124 et 150 de l’arrêt attaqué, et tirée du renversement de la charge de la preuve par le Tribunal, lequel aurait mis à la charge de Merck (GUK) l’obligation de démontrer que les voies d’accès possibles au marché concerné étaient impossibles ou insurmontables, il suffit de relever que l’argumentation de Merck procède d’une lecture erronée de ces points.
58 En effet, auxdits points, le Tribunal a uniquement considéré, à l’appui d’une motivation suffisante, d’une part, que les brevets de procédé de Lundbeck ne constituaient pas des barrières insurmontables et, d’autre part, que Merck ne pouvait prétendre que toute entrée sur le marché du citalopram aurait été impossible avant l’expiration des accords litigieux, même en l’absence de ceux-ci, en raison des actions en justice qui auraient pu être intentées par Lundbeck.
59 Partant, le Tribunal n’a ni expressément ni implicitement imposé à Merck de démontrer que les voies d’accès possibles au marché concerné étaient impossibles ou insurmontables.
60 À cet égard, le fait que le Tribunal n’ait pas fait droit à l’argumentation de Merck n’implique aucunement, contrairement à ce que fait valoir celle-ci, qu’il ait inversé la charge de la preuve mais seulement qu’il a estimé que les arguments avancés par Merck n’étaient pas suffisamment convaincants.
61 En conséquence, la deuxième branche du présent moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
62 Concernant, enfin, la troisième branche du présent moyen dirigée contre les points 86 et 167 de l’arrêt attaqué, il suffit de relever que, par celle-ci, Merck reproche au Tribunal d’avoir pris en considération, pour apprécier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck, le fait qu’elles aient conclu les accords litigieux, alors qu’un tel élément est parfaitement pertinent voire constitue un indice fort à cette fin [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 55].
63 En conséquence, la troisième branche du deuxième moyen doit être écartée et le deuxième moyen du pourvoi doit être rejeté dans son ensemble comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
Sur le premier moyen
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
64 Par ses premier, deuxième, quatrième, cinquième, septième et huitième moyens invoqués à l’appui de son recours en annulation et tirés, en substance, de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, Merck a fait valoir que la Commission avait commis plusieurs erreurs de droit et d’appréciation en considérant que les accords litigieux devaient être qualifiés, dans la décision litigieuse, de « restrictions par objet ».
65 Après avoir rappelé, aux points 185 à 199 de l’arrêt attaqué, les principes et la jurisprudence applicables concernant la qualification de « restriction par objet » ainsi que l’analyse effectuée par la Commission dans la décision litigieuse, le Tribunal a rejeté chacun de ces moyens aux points 200 à 422 de cet arrêt.
66 Pour rejeter le premier moyen d’annulation, le Tribunal a jugé, aux points 200 à 215 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas commis d’erreur dans son interprétation de la notion de « restriction par objet ». À cet égard, il a notamment jugé, respectivement aux points 210 et 212 de cet arrêt, que les accords litigieux s’apparentaient à des accords d’exclusion de marché et qu’il n’était pas requis que le même type d’accords que les accords litigieux ait déjà été condamné par la Commission pour que ces derniers puissent être considérés comme des « restrictions par objet ».
67 En vue du rejet du deuxième moyen d’annulation, tiré de ce que la « théorie du préjudice » sur laquelle la Commission s’est fondée afin de conclure que les accords litigieux constituaient une restriction de la concurrence par objet était fondamentalement erronée, le Tribunal a notamment retenu, aux points 225 et 231 de l’arrêt attaqué, que s’il n’appartenait pas à la Commission de définir la portée des brevets de procédé de Lundbeck, elle pouvait néanmoins tenir compte de l’existence de ces brevets et examiner la perception, par les parties aux accords litigieux, desdits brevets à la date de conclusion de ces accords. Aux points 239 à 251 de cet arrêt, le Tribunal a considéré que les accords litigieux étaient comparables, en dépit de certaines spécificités, à des accords d’exclusion de marché relevant de la qualification de « restriction par objet », à l’instar notamment de ceux en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643). À cet égard, il a souligné, aux points 247 à 250 dudit arrêt, premièrement, que les accords litigieux avaient permis de retarder l’entrée de Merck (GUK) sur les marchés concernés, en permettant ainsi à Lundbeck de garder des prix élevés pour le Cipramil et de disposer de conditions plus favorables pour le lancement du Cipralex, qui était censé remplacer le Cipramil à brève échéance, deuxièmement, que ces accords ont incité Merck (GUK) à s’engager à ne pas entrer avec ses produits génériques sur les marchés concernés pendant la durée desdits accords au moyen d’un paiement inversé important et, troisièmement, qu’ils ont transformé l’incertitude, qui existait au moment de la conclusion des accords litigieux, de l’issue d’éventuelles actions en contrefaçon engagées par Lundbeck en cas d’entrée sur le marché de Merck (GUK) avec ses produits génériques en la certitude que Merck (GUK) n’entrerait pas sur le marché avec ses produits génériques pendant la durée de ces mêmes accords au moyen de paiements inversés importants.
68 En outre, le Tribunal a rappelé qu’un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif de la concurrence même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais qu’il poursuit d’autres objectifs légitimes. Au point 261 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a également ajouté que, par les accords litigieux, Lundbeck et Merck (GUK) avaient accepté de ne pas se faire concurrence sur le marché du citalopram pendant une certaine période, au détriment des consommateurs qui auraient pu bénéficier de médicaments génériques à un prix beaucoup plus bas en cas d’entrée de ces médicaments sur le marché. Aux points 285 à 291 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a encore jugé qu’il convenait de prendre en considération, aux fins de la qualification de « restriction par objet » des accords litigieux, le fait que les paiements inversés effectués par Lundbeck au profit de Merck (GUK) correspondaient, selon celle-ci, aux bénéfices qu’elle estimait pouvoir obtenir en entrant sur le marché du citalopram avec ses produits génériques et que, en l’absence d’autres explications plausibles, c’était principalement l’importance du paiement inversé en faveur de Merck (GUK) qui avait incité cette dernière à accepter les limitations régissant sa conduite et non l’existence des brevets de procédé de Lundbeck ou encore la volonté d’éviter les frais liés à un éventuel contentieux, ce que le Tribunal a rappelé à nouveau au point 304 de l’arrêt attaqué dans le cadre du rejet du quatrième moyen d’annulation.
69 Pour rejeter le cinquième moyen d’annulation, le Tribunal a estimé, aux points 345 et 346 de l’arrêt attaqué, que, concernant l’accord UK, l’erreur commise par la Commission quant à la portée de cet accord était inopérante dès lors que cet accord, à supposer même qu’il n’allât pas au-delà du champ d’application des brevets de procédé de Lundbeck, demeurait restrictif de la concurrence par objet dans la mesure où il avait, en tout état de cause, « transformé l’incertitude quant à l’issue d’éventuelles actions en contrefaçon en la certitude que Merck (GUK) n’entrerait pas avec ses produits génériques sur le marché pendant toute la durée de cet accord, alors même que les limitations à l’autonomie commerciale de Merck (GUK) résultaient non pas exclusivement d’une analyse, par les parties [audit] accord, des brevets [de procédé] de Lundbeck, mais plutôt de l’importance du paiement inversé qui, dans un tel cas, l’a emporté sur cette évaluation et a incité Merck (GUK) à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché ». Concernant l’accord pour l’EEE, le Tribunal a d’abord considéré, aux points 352 à 366 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas commis d’erreur quant à sa portée. Le Tribunal a ensuite relevé, au point 374 de l’arrêt attaqué, qu’il était à tout le moins douteux que l’objectif des accords litigieux ait été de régler à l’amiable un litige en matière de brevets tout en estimant, dans le cadre de sa réponse au septième moyen d’annulation et plus spécialement au point 390 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait commis aucune erreur en constatant que Merck (GUK) avait une intention anticoncurrentielle en concluant les accords litigieux.
70 Enfin, en réponse au huitième moyen invoqué à l’appui de son recours en annulation, tiré d’une erreur de fait commise par la Commission dans le cadre de ses conclusions relatives au montant et à l’objet du transfert de valeur entre Lundbeck et Merck (GUK), le Tribunal a notamment retenu, aux points 400, 406, 412 et 413 de l’arrêt attaqué, d’une part, que les paiements versés à Merck (GUK), d’un montant total de 9,65 millions de GBP, en vertu de l’accord UK, avaient été versés non pas en contrepartie de services de distribution, mais en vue de compenser les bénéfices que Merck (GUK) estimait pouvoir réaliser en cas de commercialisation de son citalopram générique ainsi qu’en contrepartie des engagements pris par Merck (GUK) en vertu de l’accord UK, et, d’autre part, que, sur les 3 millions de GBP versés à Merck (GUK) en échange de son engagement de livrer tous ses produits de citalopram générique à Lundbeck, la somme de 2 millions de GBP, versée en échange de son engagement de ne pas entrer sur le marché, constituait un bénéfice net pour Merck (GUK).
Argumentation des parties
71 Par son premier moyen, composé de sept branches, Merck reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en considérant que les accords de règlement amiable en matière de brevets constituaient des « restrictions de la concurrence par objet », en méconnaissance de l’arrêt du 11 septembre 2014 (CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204).
72 À titre liminaire, Merck estime, premièrement, que la notion de « restriction par objet » doit être interprétée de manière restrictive, dans la mesure où cette notion est source de prévisibilité et donc de sécurité juridique pour les entreprises, source d’économie procédurale pour les autorités de concurrence, a un effet dissuasif et contribue à la prévention des comportements anticoncurrentiels. Partant, selon Merck, les accords ayant des effets ambivalents sur le marché ne peuvent recevoir cette qualification, sauf à condamner des accords inoffensifs dont les effets négatifs sur la concurrence ne sont pas établis. Merck relève par ailleurs que, aux fins de la qualification d’un accord de « restriction par objet », l’expérience est importante ainsi qu’il ressortirait notamment du point 51 de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204), du point 21 des lignes directrices de la Commission concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, mentionnées au point 4 du présent arrêt et de la jurisprudence de la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis). Dès lors, au premier examen d’une pratique, les autorités de concurrence ne pourraient emprunter le raccourci de la « restriction par objet », du moins lorsque les effets de cet accord sur la concurrence ne sont pas certains ou dépendent d’une nouvelle analyse qu’il reste à établir. Enfin, conformément aux points 56 et 69 de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204), la qualification de « restriction par objet » ne pourrait être appliquée à des pratiques ayant de simples effets potentiels sur la concurrence, dans la mesure où elles ne présenteraient pas le degré suffisant de nocivité, puisqu’elles seraient seulement aptes à restreindre la concurrence mais ne la restreindraient pas effectivement, ni a fortiori de manière manifeste comme il ressortirait du point 22 de l’arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija (C‑345/14, EU:C:2015:784).
73 Deuxièmement, Merck considère que l’approche correcte pour apprécier si des accords écrits présentent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence doit se concentrer principalement sur le libellé de ceux-ci, conformément au point 65 de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204), et n’accorder qu’une importance limitée au contexte juridique et économique, dont l’examen ne doit pas être confondu avec l’analyse complète des effets de ces accords, ce que confirmeraient les points 41 et 44 des conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:1958). Or, le Tribunal n’aurait pas examiné si le libellé des accords litigieux présentait un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence.
74 Par la première branche du premier moyen, dirigée contre les points 185 à 192 et 208 à 212 de l’arrêt attaqué, Merck fait valoir que, aux fins de la qualification des accords litigieux de « restriction par objet », le Tribunal a commis une erreur en ne tenant pas suffisamment compte du libellé de ces accords. Il aurait également commis une erreur en niant le fait que l’expérience en lien avec le même type d’accords que les accords litigieux soit une considération pertinente. Or, antérieurement à la décision litigieuse, il n’aurait pas existé en Europe d’expérience dans le domaine des accords de règlement amiable en matière de brevets, comme la Commission l’aurait elle-même considéré en 2004 ainsi que cela ressortirait du communiqué de presse du KFST. Par ailleurs, le Tribunal aurait nié la nécessité de s’appuyer sur l’expérience en se prévalant, au point 212 de l’arrêt attaqué, de l’examen individuel et circonstancié des accords litigieux.
75 Par la deuxième branche du premier moyen, Merck considère que le Tribunal n’a pas adopté l’approche correcte pour juger si les accords de règlement amiable en matière de brevets présentaient un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence. Selon Merck, il aurait dû examiner le libellé des accords litigieux aux fins de déterminer s’ils présentaient un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence. À cet égard, il ressortirait d’une analyse sommaire des accords litigieux que le non-déploiement du citalopram par Merck (GUK) devait être compris dans le contexte d’un litige en contrefaçon entre les parties. Or, dans ce contexte, les accords litigieux ne présenteraient pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, dans la mesure où, si le citalopram de Merck (GUK) violait les brevets de procédé de Lundbeck, son non-déploiement ne restreindrait pas le jeu de la concurrence. Toutefois, le Tribunal se serait appuyé sur des éléments extérieurs aux accords litigieux eux-mêmes, en l’occurrence l’enquête de secteur menée par la Commission ainsi qu’une théorie nouvelle de la nocivité liée aux paiements inversés. En conséquence, Merck soutient que les accords litigieux ne sauraient avoir un effet négatif sur la concurrence, sauf à prendre en considération le contexte juridique et économique de ces accords, comme ce fut le cas dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75) et du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission (C‑457/10 P, EU:C:2012:770), dans le cadre desquelles l’examen du contexte aurait permis d’établir qu’il n’y avait aucun litige entre les parties. Mais tel ne serait pas le cas en l’espèce. En effet, selon Merck (GUK), le litige entre elle et Lundbeck était « véritable », dans la mesure où Lundbeck était titulaire du brevet protégeant le procédé utilisant la cristallisation en ce qui concerne le Royaume-Uni, lequel était régulièrement enregistré, pratiquait une stratégie générale agressive vis-à-vis des fabricants de médicaments génériques, pouvait obtenir des mesures provisoires pour empêcher Merck (GUK) d’entrer sur le marché et qu’il n’existait aucune certitude quant à l’issue d’une action contentieuse, ainsi que cela ressort des points 123, 125, 242, 250 et 261 de l’arrêt attaqué. Dès lors, il ne pourrait être présumé avec le degré de certitude requis que les accords litigieux nuisent à la concurrence. De plus, le Tribunal reconnaîtrait lui-même que les accords litigieux ont pu avoir comme objectif d’éviter les incertitudes liées à un éventuel procès.
76 Par la troisième branche du premier moyen, dirigée contre les points 210 et 239 à 251 de l’arrêt attaqué, Merck fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que les accords litigieux présentaient un degré de nocivité suffisant à l’égard de la concurrence au motif qu’ils équivalaient à des accords d’exclusion du marché, s’apparentant à celui en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), qui visait un accord pur et simple d’exclusion de marché. Or, les faits de cette affaire ne seraient pas comparables aux faits de l’espèce dans la mesure où, comme le reconnaîtrait le Tribunal au point 245 de l’arrêt attaqué, Lundbeck détenait des brevets de procédé permettant d’empêcher l’entrée sur le marché de produits contrefaisants.
77 Par la quatrième branche du premier moyen, dirigée contre le point 250 de l’arrêt attaqué, Merck soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que les accords de règlement amiable en matière de brevets présentent un degré de nocivité suffisant à l’égard de la concurrence au motif qu’ils évitent un procès dont l’issue est incertaine. Selon Merck, cette approche, d’une part, repose sur la supposition d’effets potentiels de tels accords sur la concurrence et non sur le constat d’effets réels qui dépendent de l’issue du litige, ce que la Cour aurait expressément refuser de prendre en considération pour constater une « restriction par objet », et, d’autre part, est contredite par le point 209 des lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2004 et affaiblit la sécurité juridique. Merck ajoute que l’affirmation du Tribunal, au point 248 de l’arrêt attaqué, selon laquelle un accord n’est pas exclu du champ d’application du droit de la concurrence du seul fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il est destiné à mettre fin à une contestation portant sur un brevet ne suffirait pas à justifier la qualification de « restriction par objet » des accords litigieux. De même, l’affirmation exposée au point 225 de l’arrêt attaqué selon laquelle la Commission ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 et 102 TFUE ne saurait justifier l’approche ex ante de la Commission fondée sur la perception subjective du brevet concerné par les parties au moment de la conclusion de l’accord concerné, ces deux aspects étant sans rapport.
78 Par la cinquième branche du premier moyen, dirigée contre les points 285 à 290 ainsi que les points 345 et 346 de l’arrêt attaqué, Merck reproche au Tribunal d’avoir considéré que le paiement effectué par Lundbeck au profit de Merck (GUK) constituait l’un des principaux facteurs à prendre en compte permettant d’établir l’existence d’une « restriction par objet », supplantant l’évaluation de la solidité des brevets, et avait conduit Merck (GUK) à ne pas entrer sur le marché. Premièrement, même si ce paiement avait conduit Merck (GUK) à conclure les accords litigieux, les clauses de ces accords ne pourraient être présumées anticoncurrentielles dès lors qu’elles peuvent n’avoir aucun impact sur le jeu de la concurrence. Deuxièmement, la prise en considération du contexte auquel est identifié le paiement, ainsi que cela ressortirait du point 285 de l’arrêt attaqué, ne pourrait pas compenser l’omission d’une identification effective d’un objectif anticoncurrentiel. Troisièmement, la supposition, selon laquelle un paiement « disproportionné » est le signe de la faiblesse d’un brevet serait directement contredite par la propre constatation du Tribunal, effectuée aux points 287 et 288 de cet arrêt, selon laquelle l’asymétrie des risques existant entre les parties à des accords peut conduite le fabricant de médicaments princeps, dans certains cas, à effectuer un paiement inversé pour éviter un risque même minime que les génériques n’entrent sur le marché, et ce même lorsque le brevet qu’il détient est solide. Ainsi l’analyse pourrait faire intervenir des considérations de fait et des facteurs économiques qui ne trouvent aucune place dans une analyse contextuelle, ce qui expliquerait que la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis) ait rejeté la présomption sur laquelle reposent les analyses « per se » et « quick look » s’agissant des paiements inversés, en tenant compte des complexités associées aux paiements inversés, et ce malgré une abondante jurisprudence antérieure en sens contraire.
79 Par la sixième branche du premier moyen, dirigée contre les points 198 à 292 de l’arrêt attaqué, Merck fait grief au Tribunal d’avoir invoqué, à l’appui de sa constatation de l’existence d’une restriction par objet, « plusieurs autres facteurs », à savoir le caractère disproportionné des paiements définis comme des paiements correspondant au profit escompté par Merck, le fait que les accords litigieux ne prévoyaient pas l’entrée du générique sur le marché après leur expiration, la présence de restrictions allant au-delà de la portée des brevets de procédé de Lundbeck, lesquels seraient tous extérieurs au libellé des accords litigieux et dépasseraient les limites d’une simple prise en considération du contexte, allant ainsi à l’encontre des principes exposés dans l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204). En outre, l’approche du Tribunal, parfois fondée sur un faisceau d’indices, parfois sur les éléments essentiels que sont le paiement et l’élimination de l’incertitude liée à un éventuel litige, empêcherait d’identifier si les accords de règlement amiable en tant que tels constituent des « restrictions par objet », conduisant à penser qu’une appréciation de leurs effets est nécessaire.
80 Par la septième branche du premier moyen, dirigée contre les points 352 à 366 de l’arrêt attaqué, Merck reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en jugeant que l’accord pour l’EEE dépassait, en droit ou en fait, la portée des brevets de procédé de Lundbeck. En conséquence, « la construction contractuelle des accords litigieux concernant leur champ d’application » n’aurait pas dû être prise en considération lors de leur qualification de « restriction par objet » par le Tribunal.
81 La Commission soutient que le premier moyen doit être rejeté.
Appréciation de la Cour
82 Par la septième branche de son premier moyen, Merck conteste l’appréciation faite par le Tribunal de la portée de l’accord pour l’EEE et, partant, l’appréciation des éléments de fait et de preuve effectuée par celui-ci.
83 Or, ainsi que cela a été rappelé au point 50 du présent arrêt, une telle contestation est irrecevable au stade du pourvoi, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments qui n’est, en l’occurrence, ni alléguée ni a fortiori démontrée.
84 S’agissant des autres branches de ce moyen, il convient de rappeler, ainsi que le Tribunal l’a relevé aux points 186 et 187 de l’arrêt attaqué, que la notion de « restriction par objet » doit être interprétée de manière stricte et ne peut être appliquée qu’à certains accords entre entreprises révélant, en eux-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire, dès lors que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 67 ainsi que jurisprudence citée].
85 Concernant des accords similaires de règlement amiable de litiges relatifs à un brevet de procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public conclus entre un fabricant de médicaments princeps et plusieurs fabricants de médicaments génériques et ayant eu pour effet de reporter l’entrée sur le marché de médicaments génériques en contrepartie de transferts de valeurs à caractère monétaire ou non monétaire du premier au profit des seconds, la Cour a jugé que de tels accords ne sauraient être considérés, dans tous les cas, comme des « restrictions par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85].
86 Toutefois, la qualification de « restriction par objet » doit être retenue lorsqu’il ressort de l’examen de l’accord de règlement amiable concerné que les transferts de valeurs prévus par celui-ci s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial tant du titulaire du brevet que du contrefacteur allégué à ne pas se livrer une concurrence par les mérites, dans la mesure où des accords par lesquels des concurrents substituent sciemment une coopération pratique entre eux aux risques de la concurrence relèvent manifestement de la qualification de « restriction par objet » [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 83 et 87].
87 Aux fins de cet examen, il convient, dans chaque cas d’espèce, d’apprécier si le solde positif net des transferts de valeurs du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques était suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné et, partant, à ne pas concurrencer par ses mérites le fabricant de médicaments princeps, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices que ce fabricant de médicaments génériques aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 93 et 94].
88 Il découle de ce qui précède que la qualification de « restriction par objet » d’accords tels que les accords litigieux suppose, ainsi qu’il ressort du point 131 de l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑591/16 P, Lundbeck/Commission, d’apprécier les caractéristiques propres de ceux-ci dont doit être déduite l’éventuelle nocivité particulière pour la concurrence, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de ces accords, de leurs objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent, dans le cadre de laquelle le montant des transferts de valeurs revêt une importance particulière [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 89].
89 Ainsi, contrairement à ce que soutient Merck en substance, notamment dans le cadre de ses observations liminaires ainsi que des première, deuxième et sixième branches du présent moyen, la qualification de « restriction par objet » d’un accord ne doit pas s’effectuer principalement ni a fortiori exclusivement au regard du libellé de celui-ci, même si ce libellé peut constituer un élément important à cet effet.
90 En outre, à l’inverse de ce que fait valoir Merck, la nécessité de procéder à une analyse des accords litigieux aux fins de leur qualification n’est pas de nature à exclure la qualification de « restriction par objet », qui n’est donc pas réservée aux seuls accords qui présentent prima facie ou au regard de leur seul libellé un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence.
91 De même, ne saurait faire obstacle en tant que tel à la qualification de « restriction par objet » d’un accord particulier le fait que celui-ci puisse relever d’une catégorie plus générale d’accords dont il a pu être considéré notamment par la Commission, comme l’a relevé le Tribunal au point 195 de l’arrêt attaqué, qu’ils ne relèvent pas tous de la qualification de « restriction par objet », voire peuvent ne pas présenter de difficultés au regard du droit de la concurrence.
92 Contrairement à ce que soutient Merck dans le cadre de la cinquième branche du présent moyen, la qualification de « restriction par objet » ne nécessite pas que les parties auxdits accords poursuivent un objectif anticoncurrentiel, même si un tel objectif peut néanmoins être pris en considération, ainsi que cela a été rappelé au point 84 du présent arrêt.
93 En l’occurrence, il ressort des points 249, 250, 261, 285, 304, 374 et 390 de l’arrêt attaqué, d’une part, que les accords litigieux, dont l’objectif était non pas de régler à l’amiable un litige en matière de brevets mais bien d’éviter la concurrence sur le marché du citalopram, ont incité Merck (GUK) à s’engager à ne pas entrer avec ses médicaments génériques sur le marché pendant la durée de ces accords en contrepartie des paiements inversés importants effectués par Lundbeck et correspondant, selon Merck (GUK), aux bénéfices qu’elle estimait pouvoir obtenir en entrant sur le marché, et, d’autre part, qu’ils ont eu pour effet de transformer l’incertitude existant au moment de leur conclusion quant à l’issue d’éventuelles actions en contrefaçon introduites par Lundbeck en cas d’entrée sur le marché de Merck (GUK) en la certitude que cette dernière n’entrerait pas sur le marché avec ses médicaments génériques, et ce au détriment des consommateurs qui auraient dans le cas contraire pu bénéficier de médicaments génériques à un prix beaucoup plus bas.
94 En outre, le Tribunal a écarté, dans le cadre du rejet du huitième moyen d’annulation qui n’est pas contesté dans le cadre du présent pourvoi, l’ensemble des arguments de Merck quant au caractère objectivement justifié des paiements effectués par Lundbeck au profit de Merck (GUK). À cet effet, il a notamment estimé, aux points 400 et 406 de l’arrêt attaqué, que les paiements d’un montant total de 9,65 millions de GBP prévus par l’accord UK ont été versés non pas en contrepartie de services de distribution mais plutôt en contrepartie des engagements pris par Merck (GUK) en vertu de cet accord. S’agissant des 3 millions de GBP versés par Lundbeck à Merck (GUK) pour l’achat du stock de comprimés de citalopram générique au titre de l’accord UK, il a également considéré, aux points 412 et 413 de cet arrêt, que 2 de ces 3 millions de GBP constituaient un bénéfice pour cette dernière, qui n’avait par ailleurs pas apporté d’éléments permettant d’établir le contraire.
95 Compte tenu de ces constatations factuelles et sans qu’il soit besoin de déterminer si c’est à bon droit que le Tribunal a pu, aux points 210 et 239 à 251 de l’arrêt attaqué, assimiler les accords litigieux à des accords d’exclusion de marché ou à des accords analogues à ceux en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643) ni d’apprécier si le Tribunal, aux points 272 et 273 de l’arrêt attaqué, a interprété correctement l’arrêt de la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis) du 17 juin 2013, Federal Trade Commission v. Actavis [570 U. S. (2013)], il y a lieu de considérer que c’est sans commettre d’erreur de droit que celui-ci a conclu que les accords litigieux relevaient de la qualification de « restriction par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
96 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par Merck.
97 Premièrement, Merck ne peut utilement se prévaloir, ainsi qu’elle le fait dans le cadre de la première branche du présent moyen, du fait que l’expérience requise par la jurisprudence aux fins de la qualification d’un accord de « restriction par objet » faisait défaut en l’espèce.
98 À cet égard, comme l’a relevé à bon droit le Tribunal au point 212 de l’arrêt attaqué, il n’est nullement requis que le même type d’accords que les accords litigieux ait déjà été condamné par la Commission pour que ces derniers puissent être considérés comme restrictifs de la concurrence par objet, et ce quand bien même ils interviennent dans un contexte spécifique tel que celui des droits de propriété intellectuelle.
99 Ainsi qu’il a été rappelé au point 88 du présent arrêt, aux fins de la qualification de « restriction par objet » d’un accord donné, seules importent les caractéristiques propres de celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85] dont doit être déduite l’éventuelle nocivité particulière de cet accord pour la concurrence, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée dudit accord, de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère.
100 Or, comme il a été relevé au point 93 du présent arrêt, les accords litigieux, qui ont permis de retarder l’entrée sur le marché de Merck (GUK) et qui prévoyaient le versement de paiements par Lundbeck en faveur de Merck (GUK) lesquels, par leur importance, ont incité cette dernière à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché, appartiennent à cette catégorie de pratiques revêtant une nocivité particulière pour la concurrence.
101 Deuxièmement, Merck ne saurait, dans le cadre de la quatrième branche du présent moyen, faire grief au Tribunal d’avoir tenu compte, afin de qualifier les accords litigieux de « restriction par objet », de la perception qu’avaient les parties à ces accords de la force des brevets de procédé de Lundbeck.
102 En effet, le Tribunal pouvait à bon droit tenir compte de la perception qu’avaient les parties, au moment de conclure les accords litigieux, de la force de ces brevets et de la chance de ces parties de l’emporter en cas de litige, conformément au principe de libre administration de la preuve prévalant en droit de l’Union (arrêt du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission, C‑469/15 P, EU:C:2017:308, point 38 ainsi que jurisprudence citée) et au point 26 de l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75), comme l’a relevé le Tribunal au point 231 de l’arrêt attaqué.
103 Par ailleurs, il y a lieu de relever que la prise en considération de la perception des brevets de procédé de Lundbeck par les parties aux accords litigieux constitue un élément tout à fait pertinent afin de déterminer si, comme le faisait valoir Merck dans le cadre de la première branche de son deuxième moyen d’annulation, la Commission n’avait pas dûment tenu compte du fait que Lundbeck détenait un brevet protégeant le procédé utilisant la cristallisation en ce qui concerne le Royaume-Uni.
104 Troisièmement, c’est à tort que Merck fait grief au Tribunal, dans le cadre de ses observations liminaires et des deuxième et quatrième branches du présent moyen, d’avoir qualifié les accords litigieux de « restriction par objet » en se fondant sur des effets anticoncurrentiels supposés et non sur les effets réels de ces accords, au motif essentiellement que lesdits accords n’ont pas produit d’effets dépassant ceux de l’absence de mise sur le marché par Merck (GUK) de son citalopram générique.
105 Une telle argumentation prend pour fondement un postulat itérativement invoqué par Merck mais néanmoins inexact, selon lequel il était avéré, à la date de conclusion des accords litigieux, que Merck (GUK) enfreignait les brevets de procédé de Lundbeck. Or, ainsi que l’a relevé le Tribunal aux points 242, 250 et 261 de l’arrêt attaqué, à cette date, tant Lundbeck que Merck (GUK) doutaient de la validité desdits brevets, ce qui les a précisément conduits à conclure les accords litigieux.
106 Dès lors, à la date de conclusion des accords litigieux et comme cela découle du rejet du deuxième moyen du pourvoi, Merck (GUK) et Lundbeck se trouvaient dans un rapport de concurrence potentielle, que ces accords ont amoindri si ce n’est anéanti à tout le moins pour la durée de ceux-ci, permettant de ce fait à Lundbeck de maintenir des prix élevés pour son médicament princeps et de disposer de conditions plus favorables pour le lancement de son nouveau médicament, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 247 de l’arrêt attaqué.
107 Quatrièmement, Merck ne saurait valablement soutenir, comme elle le fait dans le cadre des deuxième et cinquième branches du présent moyen, que la qualification de « restriction par objet » des accords litigieux aurait dû être écartée au motif que ceux-ci poursuivaient un objectif légitime, à savoir éviter un procès, ou encore tendaient à répondre à l’asymétrie des risques entre le titulaire de brevets et les fabricants de médicaments génériques.
108 Concernant, d’une part, l’argument selon lequel lesdits accords tendaient à éviter un procès destiné à assurer la défense des brevets de procédé de Lundbeck, il y a lieu de rappeler, comme cela a été mentionné en substance à bon droit par le Tribunal aux points 248 et 289 de l’arrêt attaqué, que, si la conclusion par le titulaire d’un brevet d’un accord de règlement amiable avec un contrefacteur allégué n’excédant pas la portée et la durée de validité restante du brevet constitue certes l’expression du droit de propriété intellectuelle de son titulaire et l’autorise, notamment, à s’opposer à toute contrefaçon, il n’en demeure pas moins que ledit brevet n’autorise pas son titulaire à conclure des accords qui violeraient l’article 101 TFUE [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 97].
109 Une telle affirmation ne permet certes pas, en tant que telle, de justifier la qualification de « restriction par objet » d’une pratique collusoire, comme le fait valoir à bon droit Merck. Toutefois, lorsqu’elle est assortie, comme en l’espèce, de la démonstration que ladite pratique présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, elle peut valablement permettre au Tribunal de rejeter l’argumentation selon laquelle la qualification de « restriction par objet » devrait être écartée au motif que les accords concernés constituent des accords de règlement amiable intervenus en matière de brevets.
110 Concernant, d’autre part, l’argument selon lequel les accords litigieux constitueraient une réponse au fait, par ailleurs constaté par le Tribunal au point 288 de l’arrêt attaqué, que les dommages-intérêts auxquels peuvent prétendre les fabricants de médicaments princeps en cas d’entrée illégale de médicaments génériques sur le marché seraient souvent largement inférieurs aux dommages subis par ces premiers, il importe de rappeler qu’il revient aux autorités publiques et non à des entreprises privées d’assurer le respect des prescriptions légales [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 88].
111 Ainsi, il ne saurait être admis que des entreprises essaient de pallier les effets de règles juridiques qu’elles considèrent comme excessivement défavorables par la conclusion d’ententes ayant pour objet de corriger ces désavantages sous prétexte que ces règles créent un déséquilibre à leur détriment.
112 En conséquence, les circonstances évoquées par Merck ne sauraient légitimer une violation de l’article 101 TFUE et plus encore une pratique collusoire dont il a été constaté qu’elle présente le degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifiée de « restriction par objet ».
113 Cinquièmement, Merck ne saurait se prévaloir valablement d’une violation par le Tribunal du point 209 des lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2004, ces dernières ne s’appliquant pas aux accords litigieux, à défaut pour Merck d’avoir mis en évidence devant le Tribunal, comme cela a été relevé à bon droit par le Tribunal au point 112 de l’arrêt attaqué, ainsi que devant la Cour, que ceux-ci prévoient la concession de droits sur technologie.
114 Eu égard à ce qui précède, le premier moyen doit être rejeté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
Sur le troisième moyen
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
115 Aux points 491 à 521 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le treizième moyen invoqué par Merck à l’appui de son recours en annulation, tiré d’une erreur d’appréciation de la Commission quant aux sanctions infligées à Merck (GUK).
116 À cet effet, le Tribunal a, tout d’abord, écarté le grief tiré de l’incompétence de la Commission pour infliger une amende en l’espèce, en relevant ce qui suit :
« 501 [...] selon la jurisprudence, il n’est pas nécessaire que [Merck] ait eu effectivement conscience d’enfreindre l’article 101, paragraphe 1, TFUE en concluant les accords litigieux pour pouvoir établir que l’infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence, au sens de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1/2003, l’important étant de déterminer si, au vu de la teneur des accords, de leur contexte juridique et économique et du comportement des parties, celles-ci avaient conscience ou devaient avoir conscience du fait que les restrictions prévues par ces accords étaient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres. En d’autres termes, la condition de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1/2003 est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité (voir, en ce sens, arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, [...] EU:C:1983:310, point 45 ; du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, [...] EU:C:1983:313, point 107, et [du 18 juin 2013,] Schenker & Co. e.a., [C‑681/11], EU:C:2013:404, point 37).
502 Or, en l’espèce, la Commission a rappelé, à juste titre, aux considérants 1312 et 1313 de la décision [litigieuse], qu’une lecture littérale de l’article 101, paragraphe 1, TFUE permettait de comprendre que des accords entre concurrents visant à exclure certains d’entre eux du marché étaient illégaux. La circonstance que, dans le cas d’espèce, les accords litigieux ont été conclus dans le cadre de règlements amiables portant sur des droits de propriété intellectuelle ne saurait permettre à [Merck] d’inférer que l’illégalité de ceux-ci au regard du droit de la concurrence était totalement imprévisible.
503 En effet, il ressort du considérant 190 de la décision [litigieuse], par exemple, que, lorsque NM Pharma[, le distributeur de Merck (GUK) pour la Suède,] s’est vu proposer le même type d’accord par Lundbeck, elle a estimé ne pas pouvoir engager de discussions sur ce sujet en raison de son code de conduite et de sa politique antitrust. De même, il ressort du considérant 265 de la décision [litigieuse] que, en réaction à un courriel envoyé à Merck (GUK), daté du 18 janvier 2002 et contenant des estimations chiffrées des profits qui seraient réalisés en cas d’achat du citalopram de Lundbeck, un employé de Lundbeck a commenté qu’il “désapprouv[ait] fortement le contenu de ce courriel [...], cela [étant] illégal”.
504 De même, il n’est pas requis, afin d’établir une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, que la Commission démontre que les mêmes types de pratiques ou d’accords ont déjà été condamnés auparavant au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dès lors qu’il était suffisamment établi au moment de la conclusion des accords litigieux que le fait d’exclure des concurrents réels ou potentiels du marché constituait une restriction de la concurrence par objet (points 456 à 463 [de l’arrêt attaqué]). »
117 Le Tribunal a ensuite écarté le grief tiré de la violation du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) par une motivation non contestée dans le cadre du présent pourvoi ainsi que le grief tiré de l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant uniquement l’imposition d’une amende symbolique.
118 À ce dernier égard, il a jugé ce qui suit :
« 519 Il y a lieu de relever [...] que, à supposer que [la communication relative à des orientations informelles de 2004 et en particulier son point 4] puissent revêtir un caractère contraignant pour la Commission au même titre que ses lignes directrices (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, points 59 et 60 [ainsi que] jurisprudence citée), celles-ci n’ont été adoptées et publiées au Journal officiel de l’Union européenne qu’en 2004, c’est-à-dire après l’expiration des accords litigieux. [Merck] ne saurait donc invoquer ces orientations pour prétendre qu’elle ne pouvait s’attendre, au moment de conclure les accords litigieux, à ce qu’une amende plus que symbolique lui soit infligée (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2010, Deltafina/Commission, T‑29/05, EU:T:2010:355, point 430).
520 En tout état de cause, il était suffisamment établi dans la pratique et dans la jurisprudence qu’un comportement visant à exclure des concurrents du marché constituait une restriction de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (points 185 à 188 et 512 [de l’arrêt attaqué]). »
Argumentation des parties
119 Par son troisième moyen, dirigé contre les points 499 à 521 de l’arrêt attaqué, Merck fait grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en confirmant le montant de l’amende infligée par la Commission au motif que Merck (GUK) ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement. Selon Merck, il conviendrait de vérifier si Merck (GUK) ne pouvait pas ignorer que les accords litigieux seraient traités comme des accords d’exclusion du marché. Or, Merck (GUK) aurait ignoré qu’il en fût ainsi. De plus, la Commission elle-même n’aurait pas été certaine que les accords litigieux restreignaient la concurrence comme cela ressortirait du point 254 de l’arrêt attaqué, ce qui l’aurait conduite à engager une enquête approfondie. Enfin, selon Merck, le Tribunal ne pouvait opposer à Merck (GUK) que Lundbeck estimait que son comportement pouvait être illégal.
120 À titre subsidiaire, Merck soutient que le Tribunal aurait également conclu à tort que la Commission pouvait infliger une amende plus que symbolique dès lors que celle-ci aurait, au point 4 de la communication relative à des orientations informelles de 2004, indiqué n’infliger de telles amendes que dans les cas où il est établi qu’un comportement donné constitue une infraction. Or, tel ne serait pas le cas s’agissant des paiements inversés.
121 La Commission soutient que le troisième moyen n’est pas fondé.
Appréciation de la Cour
122 Concernant la première branche du troisième moyen, il est de jurisprudence constante que, s’agissant de la question de savoir si une infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence et est, de ce fait, susceptible d’être sanctionnée par une amende en vertu de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1/2003, cette condition est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité (arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, EU:C:2013:404, point 37 ainsi que jurisprudence citée).
123 Il en découle que la sanction d’un comportement visé notamment à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne suppose nullement que les entreprises concernées aient entendu enfreindre lesdites règles de concurrence. Seul importe de savoir si, objectivement, elles pouvaient, au besoin en s’entourant des conseils appropriés (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 219), déterminer que leur comportement avait un caractère anticoncurrentiel.
124 Partant, et contrairement à ce qu’a retenu le Tribunal au point 501 de l’arrêt attaqué, la question n’est pas de savoir si l’auteur de l’infraction en cause avait conscience ou devait avoir conscience du fait que les restrictions prévues par les accords concernés étaient susceptibles d’enfreindre les règles de concurrence du traité.
125 Pour autant, au point 502 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a retenu à bon droit que le libellé de l’article 101, paragraphe 1, TFUE permettait objectivement de comprendre que des accords pouvaient être considérés comme illégaux, et cela nonobstant le fait qu’il n’existât aucun précédent à la date de leur conclusion, ce que la Cour a déjà relevé en substance au point 100 du présent arrêt.
126 En ce sens, il a relevé, toujours à bon droit, au point 503 de l’arrêt attaqué, que la prévisibilité du caractère infractionnel des accords litigieux découlait également, d’une part, du fait qu’un fabricant de médicaments génériques avait refusé de s’engager sur la voie d’accords analogues aux accords litigieux en raison de sa politique antitrust et, d’autre part, du fait qu’un employé de Lundbeck avait fortement désapprouvé les démarches entreprises préalablement aux accords litigieux au motif qu’elles étaient illégales.
127 En conséquence, la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu aux points 502 et 503 de l’arrêt attaqué est conforme à la jurisprudence rappelée au point 122 du présent arrêt.
128 Cette conclusion ne saurait pas davantage être critiquée aux motifs que la Commission elle-même n’était pas certaine que les accords litigieux restreignaient la concurrence.
129 Comme l’a relevé le Tribunal aux points 267 et 268 de l’arrêt attaqué, au soutien du rejet des moyens d’annulation tirés de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à raison de la qualification des accords litigieux de « restriction par objet », les doutes de la Commission évoqués par Merck, outre le fait qu’ils n’étaient émis qu’à l’issue d’une appréciation préliminaire, ont été exprimés non pas dans un communiqué émanant directement de la Commission ou de ses services mais dans un communiqué d’une autorité nationale de la concurrence, qui ne pouvait faire naître à l’égard des entreprises une confiance légitime en ce que leur comportement n’enfreignait pas l’article 101 TFUE.
130 En outre, il ressort des mêmes points de l’arrêt attaqué que le KFST avait indiqué dans son communiqué que les doutes de la Commission tenaient notamment à l’importance des paiements effectués par Lundbeck et que tous les accords qui avaient pour objet d’acheter l’exclusion du marché d’un concurrent étaient anticoncurrentiels.
131 Enfin, la conclusion exposée au point 127 du présent arrêt ne saurait pas être valablement critiquée au motif que, pour établir que Merck ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, le Tribunal ne pouvait s’appuyer sur des documents établissant que Lundbeck estimait que son comportement pouvait être illégal.
132 Comme l’a admis en substance et à bon droit le Tribunal au point 503 de l’arrêt attaqué, et ainsi qu’il a été jugé par la Cour au point 164 de l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑591/16 P, Lundbeck/Commission, la perception qu’a un cocontractant ou un cocontractant potentiel du caractère illégal d’un accord constitue un élément parfaitement à même d’étayer la constatation que celui-ci, comme son cocontractant, ne pouvaient ignorer le caractère anticoncurrentiel de leur accord.
133 Concernant la seconde branche du présent moyen, il suffit de relever, ainsi que l’a fait en substance le Tribunal au point 520 de l’arrêt attaqué, que les accords litigieux, qui ne visaient pas à régler un litige en matière de brevets, qui ont permis de retarder l’entrée sur le marché d’un fabricant de médicaments génériques et qui prévoyaient que Lundbeck effectuerait des paiements en faveur de Merck (GUK), lesquels, par leur importance, ont incité ce dernier à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché, constituaient des « restrictions de la concurrence par objet » et donc a fortiori des « restrictions de concurrence », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, permettant à la Commission de les sanctionner, sans se départir du point 4 de la communication relative à des orientations informelles de 2004.
134 Eu égard à ce qui précède, le troisième moyen doit être rejeté comme étant non fondé. En conséquence, le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
135 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
136 La Commission ayant conclu à la condamnation de Merck aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
137 L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
138 Par conséquent, le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Merck KGaA est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens.