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Décisions

CJUE, 4e ch., 25 mars 2021, n° C-586/16 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sun Pharmaceutical Industries Ltd, Ranbaxy (UK) Ltd

Défendeur :

Commission européenne, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Vilaras

Juges :

M. Šváby (rapporteur), M. Rodin, Mme Jürimäe, M. Xuereb

Avocat général :

Mme Kokott

Avocats :

Me Vidal, Me Kennelly, Me Penny

CJUE n° C-586/16 P

25 mars 2021

LA COUR (quatrième chambre),

1 Par leur pourvoi, Sun Pharmaceutical Industries Ltd et Ranbaxy (UK) Ltd demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 septembre 2016, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (T‑460/13, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:453), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant, d’une part, à l’annulation partielle de la décision C(2013) 3803 final de la Commission européenne, du 19 juin 2013, relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck) (ci-après la « décision litigieuse »), et, d’autre part, à la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée par cette décision.

Le cadre juridique

Le règlement (CE) n° 1/2003

2 L’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit :

« La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence :

a) elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [101 ou 102 TFUE] [...] »

3 L’article 25, paragraphes 3 et 4, de ce règlement dispose :

« 3. La prescription en matière d’imposition d’amendes ou d’astreintes est interrompue par tout acte de la Commission ou d’une autorité de concurrence d’un État membre visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction. L’interruption de la prescription prend effet le jour où l’acte est notifié à au moins une entreprise ou association d’entreprises ayant participé à l’infraction. Constituent notamment des actes interrompant la prescription :

a) les demandes de renseignements écrites de la Commission ou de l’autorité de concurrence d’un État membre ;

b) les mandats écrits d’inspection délivrés à ses agents par la Commission ou par l’autorité de concurrence d’un État membre ;

c) l’engagement d’une procédure par la Commission ou par une autorité de concurrence d’un État membre ;

d) la communication des griefs retenus par la Commission ou par une autorité de concurrence d’un État membre.

4. L’interruption de la prescription vaut à l’égard de toutes les entreprises et associations d’entreprises ayant participé à l’infraction. »

Les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale de 2001

4 Les points 25 et 26 des lignes directrices sur l’applicabilité de l’article [101 TFUE] aux accords de coopération horizontale (JO 2001, C 3, p. 2, ci-après les « lignes directrices sur les accords de coopération horizontale de 2001 ») énoncent :

« Accords tombant presque toujours sous le coup de l’article [101], paragraphe 1

25. Une autre catégorie d’accords peut être considérée d’emblée comme tombant généralement sous le coup de l’article [101], paragraphe 1. Il s’agit des accords de coopération qui ont pour objet de restreindre la concurrence en fixant les prix, en limitant la production ou en répartissant les marchés ou la clientèle. Ces restrictions sont considérées comme les plus dangereuses, car elles ont une incidence directe sur le résultat du jeu de la concurrence. La fixation des prix et la limitation de la production ont comme conséquence directe que les utilisateurs paient des prix plus élevés ou ne disposent pas des quantités souhaitées. La répartition des marchés ou des clients réduit le choix des utilisateurs et, partant, se traduit aussi par des prix plus élevés ou une réduction de la production. Ces coopérations sont donc présumées produire des effets négatifs sur le marché et sont, par conséquent, presque toujours interdites.

Accords susceptibles de tomber sous le coup de l’article [101], paragraphe 1

26. Les accords qui n’entrent pas dans les catégories précitées doivent faire l’objet d’un complément d’analyse afin de déterminer s’ils relèvent de l’article [101], paragraphe 1. L’analyse doit faire appel à des critères liés au marché, tels que la position des parties sur les marchés ainsi que d’autres facteurs structurels. »

Les lignes directrices sur le calcul des amendes de 2006 

5 Les points 6, 13 et 22 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices sur le calcul des amendes de 2006 ») énoncent :

« 6. [...] la combinaison de la valeur des ventes en relation avec l’infraction et de la durée [de l’infraction] est considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction. La référence à ces indicateurs donne une bonne indication de l’ordre de grandeur de l’amende et ne devrait pas être comprise comme la base d’une méthode de calcul automatique et arithmétique.

[...]

13. En vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecteavec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’[Espace économique européen (EEE)]. La Commission utilisera normalement les ventes de l’entreprise durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction (ci-après la “valeur des ventes”).

[...]

22. Afin de décider si la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération dans un cas donné devrait être au bas ou au haut de cette échelle, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, tels que la nature de l’infraction, la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction, et la mise en œuvre ou non de l’infraction. »

Les lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2014

6 Sous l’intitulé « Limitation contre rémunération dans les accords de règlement », les points 238 et 239 des lignes directrices concernant l’application de l’article 101 [TFUE] à des catégories d’accords de transfert de technologie (JO 2014, C 89, p. 3, ci-après les « lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2014 ») sont libellés en ces termes :

« 238. Les accords de règlement du type “pay-for-restriction” (limitation contre rémunération) ou “pay-for-delay” (report contre rémunération) n’impliquent souvent aucun transfert de droits sur technologie, mais reposent sur un transfert de valeur d’une partie en échange d’une limitation de l’entrée et/ou de l’expansion sur le marché de l’autre partie et peuvent relever de l’article 101, paragraphe 1.

239. Si, toutefois, un tel accord de règlement porte également sur la concession des droits sur technologie concernés par le litige sous-jacent et entraîne un report ou toute autre limitation de la capacité du preneur à lancer le produit sur l’un quelconque des marchés en question, ledit accord peut tomber sous le coup de l’article 101, paragraphe 1, et devrait alors être apprécié notamment au regard de l’article 4, paragraphe 1, points c) et d), du règlement d’exemption par catégorie [...] Si les parties à un tel accord sont des concurrents réels ou potentiels et qu’un important transfert de valeur a eu lieu du donneur au preneur, la Commission sera particulièrement attentive au risque de répartition des marchés/partage du marché. »

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

7 Le présent pourvoi s’inscrit dans le cadre de six pourvois connexes dirigés contre six arrêts du Tribunal prononcés à la suite des recours en annulation introduits contre la décision litigieuse, à savoir, outre le présent pourvoi, celui formé dans l’affaire C‑588/16 P [Generics (UK)/Commission] contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Generics (UK)/Commission (T‑469/13, non publié, EU:T:2016:454), celui formé dans l’affaire C‑591/16 P (Lundbeck/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission (T‑472/13, EU:T:2016:449), celui formé dans l’affaire C‑601/16 P (Arrow Group et Arrow Generics/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (T‑467/13, non publié, EU:T:2016:450), celui formé dans l’affaire C‑611/16 P (Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (T‑471/13, non publié, EU:T:2016:460), et celui formé dans l’affaire C‑614/16 P (Merck/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Merck/Commission (T‑470/13, non publié, EU:T:2016:452).

8 Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 34 de l’arrêt attaqué dans les termes suivants :

« 1 H. Lundbeck A/S (ci-après “Lundbeck”) est une société de droit danois qui contrôle un groupe de sociétés spécialisé dans la recherche, le développement, la production, le marketing, la vente et la distribution de produits pharmaceutiques pour le traitement de pathologies affectant le système nerveux central, dont la dépression.

2 Lundbeck est un laboratoire de princeps, à savoir une entreprise qui concentre son activité dans la recherche de nouveaux médicaments et dans la commercialisation de ceux-ci.

3 Ranbaxy Laboratories Ltd était une société de droit indien spécialisée dans le développement et la production d’ingrédients pharmaceutiques actifs (ci-après les “IPA”) génériques ainsi que de médicaments génériques. Le 25 mars 2015, elle a cessé d’exister, à la suite de sa fusion avec la société de droit indien [Sun Pharmaceuticals Industries].

4 Ranbaxy (UK) [...] est une société de droit anglais qui était une filiale de Ranbaxy Laboratories, chargée de la vente des produits de cette dernière au Royaume-Uni. Elle est désormais une filiale de Sun Pharmaceuticals Industries.

Produit concerné et brevets portant sur celui-ci

5 Le produit concerné par la présente affaire est le médicament antidépresseur contenant un IPA dénommé citalopram.

6 En 1977, Lundbeck a déposé au Danemark une demande de brevet sur l’IPA citalopram ainsi que sur les deux procédés d’alkylation et de cyanation utilisés pour produire ledit IPA. Des brevets couvrant cet IPA et ces procédés (ci-après les “[brevets originaires de Lundbeck]”) ont été délivrés au Danemark et dans plusieurs pays de l’Europe occidentale entre [l’année] 1977 et [l’année] 1985.

7 En ce qui concerne l’[EEE], la protection découlant des [brevets originaires de Lundbeck] ainsi que, le cas échéant, des certificats complémentaires de protection (CCP) prévus par le règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO [1992,] L 182, p. 1), a expiré entre [l’année] 1994 (pour l’Allemagne) et [l’année] 2003 (pour l’Autriche). En particulier, s’agissant du Royaume-Uni, ces brevets ont expiré [au mois de] janvier 2002.

8 Au fil du temps, Lundbeck a développé d’autres procédés plus efficaces pour produire du citalopram, pour lesquels elle a demandé, et souvent obtenu, des brevets dans plusieurs pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de l’Office européen des brevets (OEB).

9 En particulier, premièrement, en 1998 et 1999, Lundbeck a introduit auprès de l’OEB deux demandes de brevets concernant la production du citalopram par des procédés utilisant respectivement de l’iode et de l’amide. L’OEB a délivré à Lundbeck un brevet protégeant le procédé utilisant l’amide (ci-après le “brevet sur l’amide”) le 19 septembre 2001 et un brevet protégeant le procédé utilisant l’iode (ci-après le “brevet sur l’iode”) le 26 mars 2003.

10 Deuxièmement, le 13 mars 2000, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités danoises concernant un procédé de production du citalopram, qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une cristallisation. Des demandes analogues ont été introduites dans d’autres pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’OMPI et de l’OEB. Lundbeck a obtenu des brevets protégeant le procédé utilisant la cristallisation [...] dans plusieurs États membres au cours de la première moitié de l’année 2002, notamment le 30 janvier 2002 en ce qui concerne le Royaume-Uni. L’OEB a délivré un brevet [protégeant le procédé utilisant] la cristallisation le 4 septembre 2002. Par ailleurs, aux Pays-Bas, Lundbeck avait déjà obtenu, le 6 novembre 2000, un modèle d’utilité concernant ce procédé, soit un brevet valable six ans, concédé sans examen préalable.

11 Enfin, Lundbeck envisageait de lancer un nouveau médicament antidépresseur, le Cipralex, fondé sur un IPA dénommé escitalopram (ou S-citalopram), pour le milieu de l’année 2002 ou le début de l’année 2003. Ce nouveau médicament visait les mêmes patients que ceux susceptibles d’être soignés par le médicament breveté Cipramil de Lundbeck, fondé sur l’IPA citalopram. L’IPA escitalopram était protégé par des brevets valables jusqu’en 2012, à tout le moins.

Accord conclu par Lundbeck avec Ranbaxy Laboratories

12 Au cours de l’année 2002, Lundbeck a conclu six accords concernant le citalopram [(ci-après les “accords en cause”)] avec des entreprises actives dans la production ou dans la vente de médicaments génériques (ci-après les “[fabricants de médicaments génériques]”), dont Ranbaxy Laboratories.

13 L’accord pertinent en l’espèce (ci-après l’“accord litigieux”), conclu entre Lundbeck et Ranbaxy Laboratories, a pris effet le 16 juin 2002, pour une durée de 360 jours. En vertu d’un addendum signé le 19 février 2003 (ci-après l’“addendum”), cet accord a été prorogé jusqu’au 31 décembre 2003. La durée globale de celui-ci est dès lors comprise entre le 16 juin 2002 et le 31 décembre 2003 (ci-après la “période pertinente”).

14 Aux termes du préambule de l’accord litigieux (ci-après le “préambule”), est indiqué ce qui suit :

– Ranbaxy Laboratories a demandé en Inde deux brevets de procédé concernant le citalopram et a produit des médicaments contenant du citalopram avec l’intention de les mettre sur le marché, notamment dans l’EEE (deuxième et troisième considérants du préambule ainsi qu’annexe A de l’accord litigieux) ;

– Lundbeck a soumis à des tests de laboratoire ce citalopram et en a conclu que les procédés utilisés pour le produire violaient le brevet sur l’amide et le brevet sur l’iode [mentionnés au point 9 de l’arrêt attaqué], ce dernier n’ayant pas encore été concédé (voir point 9 [de l’arrêt attaqué]), alors que Ranbaxy Laboratories conteste l’existence de telles violations (cinquième à huitième considérants du préambule) ;

– Lundbeck et Ranbaxy Laboratories sont parvenues à un accord afin d’éviter un litige en matière de brevets qui serait coûteux et chronophage et dont l’issue ne pourrait pas être prévue avec une certitude absolue (neuvième considérant du préambule).

15 Aux termes de l’accord litigieux, notamment, est indiqué ce qui suit :

– “[s]ous réserve des conditions et des paiements de la part de Lundbeck prévus dans [cet accord], Ranbaxy Laboratories ne revendique aucun droit sur la [d]emande de [b]revet [visée dans le préambule] ou sur toute méthode de production utilisée par Ranbaxy Laboratories et annule, arrête et renonce à la fabrication ou à la vente de produits pharmaceutiques basés sur celles-ci [notamment dans l’EEE] pendant la durée de cet accord” [point 1.1 de l’accord litigieux et point 1.0 de l’addendum] ;

– “en cas de violation des obligations prévues [au point] 1.1 [de l’accord litigieux] ou à la demande de Lundbeck”, Ranbaxy Laboratories et Ranbaxy (UK) acceptent de se soumettre aux injonctions provisoires adoptées par les juridictions nationales compétentes, sans que Lundbeck doive fournir un dépôt de garantie ou un engagement autre que ceux découlant de cet accord (point 1.2 de l’accord litigieux) ;

– compte tenu de l’accord intervenu entre les parties, Lundbeck paie à Ranbaxy Laboratories un montant de 9,5 millions de dollars des États-Unis (USD), par tranches échelonnées pendant la période pertinente (point 1.3 de l’accord litigieux et point 2.0 de l’addendum) ;

– Lundbeck vend à Ranbaxy Laboratories ou à Ranbaxy (UK) des comprimés de Cipramil (voir point 11 [de l’arrêt attaqué]), avec une remise de 40 % sur le prix hors usine, afin que celles-ci les vendent sur le marché du Royaume-Uni (point 1.3 et annexe B de l’accord litigieux) ;

– Lundbeck et Ranbaxy Laboratories s’engagent, pendant la période pertinente, à ne pas introduire d’actions en justice l’une contre l’autre fondées sur n’importe quel brevet visé plus haut dans l’accord litigieux lui-même (point 1.4 de l’accord litigieux).

Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative

16 Au mois d’octobre 2003, la Commission [...] a été informée par le Konkurrence- og Forbrugerstyrelsen (KFST, autorité de la concurrence et des consommateurs danoise) de l’existence des accords en cause.

17 Dès lors que la plupart de ceux-ci concernaient l’ensemble de l’EEE ou, en tout état de cause, des États membres autres que le Royaume du Danemark, il a été convenu que la Commission examinerait leur compatibilité avec le droit de la concurrence tandis que le KFST ne poursuivrait pas l’étude de cette question.

18 Entre [l’année] 2003 et [l’année] 2006, la Commission a effectué des inspections au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), auprès de Lundbeck et d’autres sociétés actives dans le secteur pharmaceutique. Elle a également envoyé à Lundbeck et à une autre société des demandes de renseignements au sens de l’article 18, paragraphe 2, dudit règlement.

19 Le 15 janvier 2008, la Commission a adopté la décision portant ouverture d’une enquête concernant le secteur pharmaceutique, conformément à l’article 17 du règlement n° 1/2003 (affaire COMP/D 2/39514). L’article unique de cette décision précisait que l’enquête à mener concernerait l’introduction sur le marché des médicaments innovants et génériques à usage humain.

20 Le 8 juillet 2009, la Commission a adopté une communication ayant pour objet la synthèse de son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique. Cette communication comportait la version intégrale dudit rapport d’enquête, en tant qu’“annexe technique”, sous la forme d’un document de travail de la Commission, disponible uniquement en anglais.

21 Le 7 janvier 2010, la Commission a engagé une procédure à l’égard de Lundbeck.

22 Au cours de l’année 2010 et de la première moitié de l’année 2011, la Commission a envoyé des demandes de renseignements à Lundbeck et, notamment, aux autres sociétés qui étaient parties aux accords en cause, dont [...] Ranbaxy Laboratories et Ranbaxy (UK).

23 Le 24 juillet 2012, la Commission a engagé une procédure à l’égard notamment des [fabricants de médicaments génériques] qui étaient parties aux accords en cause et leur a envoyé une communication des griefs ainsi qu’à Lundbeck.

[...]

27 Le 19 juin 2013, la Commission a adopté la décision [litigieuse].

Décision [litigieuse]

28 Par la décision [litigieuse], la Commission a considéré que l’accord litigieux, tout comme d’ailleurs les autres accords en cause, constituait une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord [sur l’Espace économique européen du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3], commise par Lundbeck ainsi que par Ranbaxy Laboratories et Ranbaxy (UK) (ci-après, prises conjointement, “Ranbaxy”) (article 1er, paragraphe 4, de la décision [litigieuse]).

29 Ainsi que cela résulte du résumé figurant au considérant 1174 de la décision [litigieuse], à cette fin, la Commission a fondé son appréciation, notamment, sur les éléments suivants :

– au moment de la conclusion de l’accord litigieux, Lundbeck et Ranbaxy étaient des concurrents à tout le moins potentiels au sein de l’EEE ;

– en vertu de l’accord litigieux, Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit de Ranbaxy ;

– ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par Ranbaxy des limitations apportées à son entrée sur le marché contenues dans ledit accord, en particulier à l’engagement de Ranbaxy de ne pas produire et de ne pas vendre son citalopram dans l’EEE pendant la période pertinente, que ce fût au moyen de ses propres filiales ou par le biais de tiers ;

– ce transfert de valeur dépassait considérablement les profits que Ranbaxy aurait pu obtenir par la vente du citalopram générique qu’elle avait produit jusqu’alors ;

– Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations en invoquant ses brevets de procédé, étant donné que les obligations pesant sur Ranbaxy à la suite de l’accord litigieux allaient au-delà des droits conférés au titulaire de brevets de procédé ;

– l’accord litigieux ne prévoyait aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre Ranbaxy dans l’hypothèse où cette dernière serait entrée sur le marché avec son citalopram générique après l’expiration de l’accord litigieux.

30 La Commission a également imposé des amendes à toutes les parties aux accords en cause. À cette fin, elle a utilisé les lignes directrices [sur le calcul des amendes de 2006]. Si, à l’égard de Lundbeck, la Commission a suivi la méthodologie générale décrite dans les lignes directrices [sur le calcul des amendes] de 2006, fondée sur la valeur des ventes du produit concerné réalisées par cette entreprise (considérants 1316 à 1358 de la décision [litigieuse]), en revanche, s’agissant des autres parties aux accords en cause, à savoir les [fabricants de médicaments génériques], elle a eu recours à la possibilité, prévue au [point] 37 de celles-ci, de s’écarter de cette méthodologie, au vu des particularités de l’affaire à l’égard de ces parties (considérant 1359 de la décision [litigieuse]).

31 Ainsi, s’agissant des parties aux accords en cause autres que Lundbeck, dont Ranbaxy, la Commission a considéré que, afin de déterminer le montant de base de l’amende et d’assurer un effet suffisamment dissuasif à celle-ci, il y avait lieu de tenir compte de la valeur des sommes que Lundbeck leur avait transférée en vertu des accords en cause, et ce sans introduire de distinction entre les infractions selon la nature ou la portée géographique de celles-ci, ou en fonction des parts de marché des entreprises concernées, facteurs qui n’ont été abordés que dans un souci d’exhaustivité (considérant 1361 de la décision [litigieuse]).

32 En ce qui concerne Ranbaxy, la Commission a considéré que le montant total que celle-ci avait reçu de Lundbeck correspondait à la somme des paiements prévus par l’accord litigieux et son addendum, soit 9,5 millions de USD, plus la valeur de la remise de 40 % sur l’achat du Cipramil auprès de Lundbeck, dont Ranbaxy avait bénéficié en vertu de cet accord (voir point 15, quatrième tiret, [de l’arrêt attaqué]), estimée s’élever à 3 millions de livres sterling (GBP). Converti en euros, ce montant total était de 12,7 millions (considérant 587 de la décision [litigieuse]). Pour tenir compte, cependant, des frais de distribution exposés par Ranbaxy, la Commission a appliqué une réduction de 10 % au chiffre d’affaires de celle-ci, découlant de la distribution du Cipramil acheté à Lundbeck (considérant 1373 et note en bas de page n° 2264 de la décision [litigieuse]). Le montant de base a ainsi été fixé à 11,5 millions d’euros (considérant 1374 de la décision [litigieuse]).

33 Compte tenu de la durée totale de l’enquête, la Commission a réduit de 10 % les montants des amendes imposées à tous les destinataires de la décision [litigieuse] (considérants 1349 et 1380 de la décision [litigieuse]).

34 Sur la base de ces considérations, la Commission a infligé une amende d’un montant de 10 323 000 euros solidairement à Ranbaxy Laboratories et à Ranbaxy (UK) (article 2, paragraphe 4, de la décision [litigieuse]). »

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

9 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 août 2013, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK) (ci-après, prises ensemble, « Sun Pharmaceutical ») ont introduit un recours tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse et à la réduction de l’amende qui leur a été infligée par la Commission.

10 À l’appui de son recours, Sun Pharmaceutical a invoqué quatre moyens, tirés, en substance, le premier, « du fait que l’accord litigieux ne constitue pas une “restriction par objet” », le deuxième, « de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne la concurrence potentielle », le troisième, de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation dans l’interprétation de l’accord litigieux et, le quatrième, du caractère injustifié et disproportionné de l’amende infligée.

11 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ce recours dans son intégralité.

La procédure devant la Cour

12 Par acte déposé au greffe de la Cour le 18 novembre 2016, Sun Pharmaceutical a introduit le présent pourvoi.

13 À la suite de la demande de Sun Pharmaceutical de déposer un mémoire en réplique, le président de la Cour a, par décision du 13 février 2017, rejeté cette demande.

14 Par actes déposés au greffe de la Cour le 28 juillet 2017, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans la présente affaire ainsi que dans les affaires C‑588/16 P [Generics (UK)/Commission], C‑601/16 P (Arrow Group et Arrow Generics/Commission), C‑611/16 P (Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission) et C‑614/16 P (Merck/Commission), mentionnées au point 7 du présent arrêt. Par ordonnances du 25 octobre 2017, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C‑586/16 P, non publiée, EU:C:2017:831), du 25 octobre 2017, Generics (UK)/Commission (C‑588/16 P, non publiée, EU:C:2017:829), du 25 octobre 2017, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (C‑601/16 P, non publiée, EU:C:2017:826), du 25 octobre 2017, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, non publiée, EU:C:2017:825), ainsi que du 25 octobre 2017, Merck/Commission (C‑614/16 P, non publiée, EU:C:2017:828), le président de la Cour a accueilli ces demandes. Toutefois, compte tenu notamment de l’ordonnance du président de la Cour du 5 juillet 2017, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, non publiée, EU:C:2017:532), ce dernier a réservé, à l’égard de cet État membre, dans l’ensemble de ces affaires, un traitement confidentiel, notamment, à la version confidentielle de la décision litigieuse, seule une version non confidentielle ayant été signifiée au Royaume-Uni.

15 Le 27 novembre 2018, la Cour a décidé que la présente affaire serait attribuée à la quatrième chambre devant statuer à la suite d’une audience de plaidoiries commune à la présente affaire et aux affaires C‑588/16 P [Generics (UK)/Commission], C‑591/16 P (Lundbeck/Commission), C‑601/16 P (Arrow Group et Arrow Generics/Commission), C‑611/16 P (Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission) et C‑614/16 P (Merck/Commission) ainsi qu’avec le bénéfice de conclusions.

16 Sur le fondement de l’article 61, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, celle-ci a, le 29 novembre 2018, transmis aux parties à la procédure dans la présente affaire, une série de questions écrites pour réponses orales lors de l’audience ainsi qu’un plan provisoire de l’audience de plaidoiries détaillant précisément son déroulement. À la suite des observations de ces parties, un plan définitif de l’audience leur a été transmis le 22 janvier 2019.

17 L’audience de plaidoiries commune à la présente affaire et aux affaires visées au point 15 du présent arrêt s’est tenue le 24 janvier 2019.

18 Le 6 février 2020, Mme l’avocate générale a, sur le fondement de l’article 62 du règlement de procédure, adressé aux parties à la procédure dans la présente affaire une question pour réponse écrite (ci-après la « question pour réponse écrite du 6 février 2020 ») par laquelle elle les invitait à prendre position sur l’éventuelle influence de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), sur les moyens soulevés dans la présente affaire relatifs à l’existence d’une concurrence potentielle entre Lundbeck et les fabricants de médicaments génériques ainsi qu’à la qualification des accords conclus entre Lundbeck et ces derniers de « restrictions par objet ». Les réponses à cette question sont parvenues à la Cour le 6 mars 2020.

19 Par décision du 10 mars 2020, la Cour a décidé, à la suite du prononcé de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), de statuer dans la présente affaire sans conclusions.

Les conclusions des parties devant la Cour

20 Par son pourvoi, Sun Pharmaceutical demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué, en ce qu’il la concerne ;

– d’annuler l’article 1er, point 4, de la décision litigieuse, en ce qu’il la concerne ;

– d’annuler l’article 2, point 4, de la décision litigieuse, en ce qu’il lui inflige des amendes ou, subsidiairement, d’en réduire le montant, et

– de condamner la Commission aux dépens et autres frais exposés par Sun Pharmaceutical dans le cadre de la présente affaire et d’adopter toute autre mesure jugée opportune.

21 La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner Sun Pharmaceutical aux dépens.

22 Le Royaume-Uni demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans son intégralité.

Sur le pourvoi

23 Au soutien de son pourvoi, Sun Pharmaceutical invoque trois moyens.

24 Par son premier moyen, Sun Pharmaceutical critique le Tribunal pour avoir fait une application erronée de la notion de « restriction par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Par son deuxième moyen, Sun Pharmaceutical reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit et/ou une dénaturation des éléments de preuve en retenant l’existence d’une concurrence potentielle entre elle et Lundbeck. Enfin, par son troisième moyen, Sun Pharmaceutical considère que le Tribunal a commis une erreur de droit et/ou une dénaturation manifeste des éléments de preuve en confirmant l’amende qui lui a été infligée par la Commission.

25 Il convient d’examiner, tout d’abord, le deuxième moyen, puis le premier moyen et, enfin, le troisième moyen.

Sur le deuxième moyen

Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué

26 Après avoir rappelé aux points 58 à 74 de l’arrêt attaqué, les principes et la jurisprudence applicables à l’appréciation de l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre entreprises, le Tribunal a successivement apprécié les différents éléments de preuve utilisés par la Commission afin d’établir l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Sun Pharmaceutical et Lundbeck.

27 Dans ce cadre, aux points 82 à 110 de l’arrêt attaqué, il a considéré que le compte rendu d’une réunion tenue le 17 avril 2002 entre Sun Pharmaceutical et Lundbeck (ci-après la « réunion du 17 avril 2002 »), dont il a rappelé le contenu, en particulier l’affirmation de Sun Pharmaceutical selon laquelle elle disposait d’un procédé qui ne violait pas les brevets de procédé de Lundbeck, lui permettait de constater, au point 87 de cet arrêt, que cette dernière avait décidé de conclure l’accord litigieux ce qui démontrait qu’elle prenait au sérieux la menace que représentait Sun Pharmaceutical, perception qui pouvait être prise en considération en vue d’évaluer la situation concurrentielle entre les deux fabricants de médicaments au moment de la conclusion de cet accord. Aux points 97 à 109 de ce même arrêt, le Tribunal a également pris en considération d’autres éléments retenus par la Commission à cette fin, relatifs notamment à la situation du marché qui s’ouvrait aux médicaments génériques ainsi qu’aux démarches entreprises par Sun Pharmaceutical pour préparer son entrée sur le marché avec son citalopram générique.

28 Aux points 112 à 162 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les arguments de Sun Pharmaceutical tendant à démontrer que les démarches entreprises par celle-ci afin d’obtenir les autorisations nécessaires à son entrée sur le marché ne pouvaient pas être réalisées dans le délai visé dans le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002. Tout en relevant que ces arguments étaient inopérants, le Tribunal a estimé qu’ils ne pouvaient remettre en cause le constat selon lequel Lundbeck avait ressenti une pression concurrentielle de la part de Sun Pharmaceutical.

29 Aux points 138 à 150 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ajouté que ce constat ne pouvait être remis en cause par la présomption de validité du brevet sur l’amide et du brevet sur l’iode dès lors que cette présomption ne saurait équivaloir à une présomption d’illégalité des produits génériques dont le détenteur de brevets estime qu’ils violent ceux-ci.

Argumentation des parties

30 Par son deuxième moyen, Sun Pharmaceutical fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit et/ou une dénaturation manifeste des éléments de preuve du dossier en constatant l’existence d’une « concurrence potentielle » importante entre elle et Lundbeck. À cet égard, elle estime que le Tribunal a erronément appliqué le standard de preuve qu’il a pourtant exactement rappelé aux points 65 et 66 de l’arrêt attaqué, en effectuant des constats essentiels sans preuve à l’appui et, subsidiairement, en exerçant son pouvoir d’appréciation en faveur de la Commission.

31 En l’occurrence, Sun Pharmaceutical reproche au Tribunal d’avoir examiné des preuves émanant uniquement de Lundbeck, qui lui auraient été inaccessibles et qui n’auraient pas éclairé la volonté commune des parties à l’accord litigieux. Il aurait également tenu pour fiables les documents détenus par Lundbeck, alors que les preuves produites suscitaient des doutes légitimes. À cet égard, Sun Pharmaceutical soutient que le Tribunal a fait preuve de naïveté et a manifestement dénaturé les éléments de preuve en estimant qu’elle était d’une parfaite franchise dans le cadre de ses négociations avec Lundbeck. Enfin, le Tribunal se serait contenté d’un nombre extrêmement faible de preuves directes émanant de Sun Pharmaceutical. Dès lors, il y aurait lieu de partir de la prémisse que Sun Pharmaceutical était dans l’impossibilité de commercialiser le citalopram dans l’EEE sans IPA non contrefaisant et sans obtenir d’abord une autorisation de mise sur le marché (AMM) ou une modification d’importance majeure de cette AMM, dite de « type II », au sens de l’article 3 du règlement (CE) n° 541/95 de la Commission, du 10 mars 1995, concernant l’examen des modifications des termes d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament délivrée par l’autorité compétente d’un État membre (JO 1995, L 55, p. 7).

32 Sun Pharmaceutical conteste avoir affirmé, au cours de la réunion du 17 avril 2002, qu’elle était convaincue de l’absence de risque de contrefaçon, comme il ressortirait des points 85 et 94 à 96 de l’arrêt attaqué. Elle considère également que le Tribunal a commis une erreur de droit en retenant la possibilité réelle et concrète d’une entrée sur le marché sur la base du compte rendu de la réunion du 17 avril 2002 et, partant, l’opinion erronée et subjective de l’une des parties à l’accord litigieux, tout en admettant, au point 88 de ce même arrêt, que la perception par Lundbeck ne saurait suffire à elle-seule. En effet, premièrement, concernant l’obtention d’une AMM, Sun Pharmaceutical fait valoir que toutes les preuves démontreraient que, le 17 avril 2002, elle n’était pas en situation de pouvoir déposer une demande d’AMM et que ses déclarations en sens contraire faites à Lundbeck étaient exagérés et irréalistes. De plus, le délai de huit mois pour obtenir une AMM serait illusoire, ce que confirmerait la note n° 1889 en bas de page de la décision litigieuse. En outre, le constat de son défaut d’empressement dans sa démarche d’obtention d’une AMM, évoqué au point 118 de l’arrêt attaqué, tout comme l’affirmation du Tribunal, aux points 116 à 119 de ce même arrêt, selon laquelle la durée nécessaire à la délivrance d’une AMM à Sun Pharmaceutical importait peu pour identifier un rapport de concurrence potentielle, procéderaient d’une dénaturation des éléments de fait ou des éléments de preuve. Deuxièmement, concernant la possibilité d’une modification de type II, telle que mentionnée au point 31 du présent arrêt, il n’existerait absolument aucune preuve de l’existence d’un éventuel partenaire nord-européen voire d’un quelconque accord avec Alfred E. Tiefenbacher GmbH & Co qui est un fabricant de médicaments génériques. De plus, l’approche statistique, retenue par le Tribunal au point 133 de l’arrêt attaqué, pour constater que Sun Pharmaceutical avait encore des possibilités réelles de modifier une AMM existante dans le délai indiqué lors de la réunion du 17 avril 2002 serait purement théorique. Troisièmement, s’agissant de la possibilité du rachat d’une AMM, elle ne serait aucunement prouvée. Par ailleurs, les autres preuves éparses retenues par le Tribunal ne pourraient remédier à la dénaturation des faits évoquée par Sun Pharmaceutical.

33 La Commission estime que le deuxième moyen n’est pas fondé.

Appréciation de la Cour

34 À titre liminaire, il convient de relever que le deuxième moyen se divise, en substance, en deux branches, la première, portant sur le critère retenu par le Tribunal pour établir l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Sun Pharmaceutical et Lundbeck et, la seconde, relative à l’appréciation des éléments de preuve par le Tribunal au terme de laquelle celui-ci a conclu que Sun Pharmaceutical et Lundbeck étaient effectivement, au moment de la conclusion de l’accord litigieux, dans un tel rapport de concurrence.

35 S’agissant, en premier lieu, du critère retenu par le Tribunal pour établir l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Sun Pharmaceutical et Lundbeck, il y a lieu d’emblée de rappeler que, pour tomber sous l’interdiction de principe prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un comportement d’entreprises doit non seulement révéler l’existence d’une collusion entre elles – à savoir un accord entre entreprises, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée –, mais cette collusion doit également affecter défavorablement et de manière sensible le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 31].

36 Cette dernière exigence suppose, s’agissant d’accords de coopération horizontale conclus entre des entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production ou de distribution, que ladite collusion intervienne entre des entreprises se trouvant en situation de concurrence si ce n’est actuelle du moins potentielle [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 32].

37 Afin d’apprécier si une entreprise absente d’un marché se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec une ou plusieurs autres entreprises déjà présentes sur ce marché, il convient de déterminer s’il existe des possibilités réelles et concrètes que cette première intègre ledit marché et concurrence la ou les secondes [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 36 ainsi que jurisprudence citée].

38 Lorsque sont en cause des accords, tels que l’accord litigieux, ayant pour conséquence de maintenir temporairement hors du marché plusieurs entreprises, il y a lieu de déterminer, au regard de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, s’il aurait existé, en l’absence desdits accords, des possibilités réelles et concrètes que ces entreprises accèdent audit marché et concurrencent l’entreprise qui y est établie [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 37 et 39].

39 Concernant plus particulièrement de tels accords intervenus dans le contexte de l’ouverture du marché d’un médicament contenant un principe actif récemment tombé dans le domaine public aux fabricants de médicaments génériques, il convient d’établir, en tenant dûment compte des contraintes réglementaires propres au secteur du médicament ainsi que des droits de propriété intellectuelle et en particulier des brevets détenus par les fabricants de médicaments princeps portant sur un ou plusieurs procédés de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 40 et 41], si le fabricant de médicaments génériques a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 58].

40 Pour ce faire, il y a lieu d’apprécier, premièrement, si, à la date de la conclusion de tels accords, ledit fabricant avait effectué des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps. Deuxièmement, il doit être vérifié que l’entrée sur le marché d’un tel fabricant de médicaments génériques ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 43 et 45]. Par ailleurs, le constat d’une concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments génériques et un fabricant de médicaments princeps peut être corroboré par des éléments supplémentaires, tels que la conclusion d’un accord entre eux alors que le premier n’était pas présent sur le marché concerné [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 54 à 56].

41 S’agissant, en particulier, de l’appréciation de l’existence sur le marché concerné de barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable, la Cour a indiqué que l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme une telle barrière insurmontable, nonobstant la présomption de validité attachée à ce brevet, dès lors que celle-ci ne renseigne nullement, aux fins de l’application des articles 101 et 102 TFUE, sur l’issue d’un éventuel litige relatif à la validité dudit brevet [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 46 à 51].

42 Partant, l’existence d’un tel brevet ne saurait, en tant que telle, empêcher de qualifier de « concurrent potentiel » du fabricant du médicament princeps concerné un fabricant de médicaments génériques qui a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et qui, par ses démarches, se montre prêt à contester la validité de ce brevet et à assumer le risque de se voir, lors de son entrée sur le marché, confronté à une action en contrefaçon introduite par le titulaire dudit brevet [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 46].

43 Par ailleurs, la Cour a également précisé qu’il n’appartenait pas à l’autorité de concurrence concernée de procéder à un examen de la force du brevet en cause ou de la probabilité avec laquelle un litige entre son titulaire et un fabricant de médicaments génériques pourrait aboutir au constat que le brevet est valide et contrefait [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 50].

44 Il en découle que, en l’occurrence, et contrairement à ce que soutient Sun Pharmaceutical, aucune erreur de droit ne saurait être reprochée au Tribunal dans l’appréciation et l’application du critère pris en considération pour constater, au point 162 de l’arrêt attaqué, que Sun Pharmaceutical avait, au moment où l’accord litigieux a été conclu, des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché avec son IPA dans un délai suffisamment court pour qu’il puisse être qualifié de concurrent potentiel de Lundbeck, et ne se heurtait à aucune barrière à l’entrée présentant un caractère insurmontable.

45 En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 44] et ainsi que celle-ci l’a relevé dans l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑591/16 P, Lundeck/Commission (point 88), le Tribunal s’est fondé sur un faisceau d’indices concordants établissant, en l’espèce, tant la situation objective des parties à l’accord litigieux sur le marché du citalopram que la perception subjective que chacune d’elles avaient de l’autre partie ainsi que de la force des brevets de procédé en cause, tout en tenant dûment compte des contraintes réglementaires propres au secteur du médicament et des droits de propriété intellectuelle.

46 Le Tribunal a ainsi constaté, aux points 82 à 96 de l’arrêt attaqué, que le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002 constituait un élément probant très pertinent afin d’établir l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Sun Pharmaceutical et Lundbeck mais également, aux points 97 à 109 de cet arrêt, que les brevets originaires de Lundbeck avaient expiré, permettant ainsi aux fabricants de médicaments génériques d’entrer sur le marché en les exploitant, et que plusieurs éléments attestaient des démarches entreprises par Sun Pharmaceutical pour préparer son entrée sur le marché du citalopram générique. De surcroît, aux points 112 à 161 dudit arrêt attaqué, il a ajouté, à toutes fins utiles, d’une part, que, au regard des démarches effectuées par Sun Pharmaceutical pour préparer son entrée sur le marché avec du citalopram générique, y compris en ce qui concerne le processus nécessaire pour obtenir une AMM ou une autorisation équivalente, celle-ci avait une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché, ce qui avait décidé Lundbeck à conclure avec elle l’accord litigieux et, d’autre part, que la présomption de validité du brevet sur l’amide et du brevet sur l’iode ne faisait pas obstacle, au regard des circonstances de l’espèce, à cette conclusion.

47 S’agissant, en deuxième lieu, des preuves prises en considération par le Tribunal, il convient de rappeler qu’il résulte de l’article 256 TFUE ainsi que de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Une telle dénaturation doit apparaître de manière manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 12 janvier 2017, Timab Industries et CFPR/Commission, C‑411/15 P, EU:C:2017:11, point 89).

48 Or, premièrement, en ce que Sun Pharmaceutical reproche au Tribunal d’avoir fait preuve de naïveté en estimant qu’elle était d’une parfaite franchise dans le cadre de ses négociations avec Lundbeck, il convient de relever non seulement que Sun Pharmaceutial n’identifie pas le point de l’arrêt attaqué où ce constat aurait été effectué, mais surtout qu’elle n’indique pas de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal ni ne démontre les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit celui-ci à la dénaturation alléguée. Partant, cette allégation de Sun Pharmaceutical doit également être écartée comme étant irrecevable (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 78 et jurisprudence citée).

49 Deuxièmement, en ce que Sun Pharmaceutical reproche au Tribunal d’avoir considéré, au point 118 de l’arrêt attaqué, qu’elle n’était pas particulièrement pressée d’obtenir une AMM, il suffit de relever que, en tout état de cause, cette allégation est inopérante dans la mesure où, à la supposer établie, elle est dirigée contre un motif de l’arrêt attaqué présentant un caractère surabondant, ainsi que cela ressort des points 114 à 117 de ce même arrêt. Or, il est de jurisprudence constante que les griefs dirigés contre un motif surabondant d’une décision du Tribunal ne sauraient entraîner l’annulation de cette décision et sont donc inopérants (arrêt du 16 septembre 2020, Edison/EUIPO, C‑121/19 P, EU:C:2020:714, point 44).

50 Troisièmement, en ce que Sun Pharmaceutical reproche au Tribunal d’avoir, aux points 116 à 119 de l’arrêt attaqué, dénaturé les éléments de fait ou de preuve en considérant que la durée nécessaire à la délivrance d’une AMM à celle-ci importait peu pour identifier un rapport de concurrence potentielle entre elle et Lundbeck, il convient de constater qu’une telle allégation procède d’une lecture erronée de ces points. Il ressort en effet clairement du point 119 de cet arrêt non pas que la durée nécessaire à la délivrance d’une AMM à Sun Pharmaceutical importait peu pour identifier un rapport de concurrence potentielle entre elle et Lundbeck mais uniquement que, « si l’aboutissement de [la procédure pour la délivrance d’une AMM] est indispensable pour qu’une concurrence effective puisse exister, le chemin pour y parvenir, lorsqu’il est emprunté par une entreprise préparant sérieusement, depuis longtemps, son entrée sur le marché, relève de la concurrence potentielle, bien qu’il puisse en réalité requérir une période plus étendue que celle envisagée par les intéressés ». De surcroît et en tout état de cause, une telle allégation est inopérante pour les motifs énoncés au point précédent.

51 Quant à l’argumentation de Sun Pharmaceutical relative à d’autres erreurs d’appréciation des faits ou des preuves que le Tribunal aurait commises, elle doit être rejetée comme étant irrecevable conformément à la jurisprudence citée au point 47 du présent arrêt.

52 Eu égard à ce qui précède, le deuxième moyen doit être rejeté.

Sur le premier moyen

Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué

53 À la suite d’observations liminaires exposées aux points 206 à 212 de l’arrêt attaqué par lesquels il a rappelé la jurisprudence de la Cour relative aux « restrictions par objet » ainsi que présenté, aux points 213 à 220 de cet arrêt, une synthèse de la décision litigieuse dans le cadre de laquelle il a notamment relevé, au point 218 dudit arrêt, que la Commission n’avait pas affirmé que tous les règlements amiables en matière de brevets contenant des paiements inversés étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, le Tribunal a vérifié l’existence d’une « restriction par objet » en l’espèce.

54 Dans ce cadre, le Tribunal a d’abord relevé, aux points 221 et 222 de l’arrêt attaqué, que, en vertu de l’accord litigieux qui pouvait être assimilé à un accord d’exclusion de marché, Sun Pharmaceutical, concurrente potentielle de Lundbeck, s’était engagée à ne pas entrer sur le marché pendant la période pertinente.

55 Aux points 233 à 241 de cet arrêt, il a ensuite relevé, entre autres, que l’accord litigieux n’avait réglé aucun litige, qu’il avait une portée bien plus étendue que celle des éventuelles actions en justice que Lundbeck aurait pu introduire à l’encontre de Sun Pharmaceutical et que, en tout état de cause, cette dernière avait accepté des limitations importantes de son autonomie commerciale en contrepartie d’un paiement de la part de Lundbeck, dont le montant était fixé en tenant compte des profits attendus en cas d’entrée de Sun Pharmaceutical sur le marché avec son citalopram générique et donc étroitement lié à ces profits escomptés.

56 Aux points 247 à 250 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté le caractère proconcurrentiel allégué de l’accord litigieux en constatant que ses stipulations relatives à la distribution du Cipramil, laquelle était assortie d’une remise de 40 % sur le prix « départ usine » de ce médicament vendu par Lundbeck, générant une perte de revenus de 3 millions de GBP pour cette dernière, servaient à compléter la récompense revenant à Sun Pharmaceutical en contrepartie de son abstention de produire et de vendre son propre citalopram pendant la période pertinente.

57 Aux points 252 à 262 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a encore confirmé l’analogie faite par la Commission entre l’accord litigieux et les accords en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643) et a jugé que c’était à bon droit que la Commission avait appliqué par analogie la jurisprudence issue de cet arrêt.

58 Aux points 265 à 267 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a admis que, aux fins de la qualification d’une pratique collusoire de « restriction par objet », l’intention des parties en cause pouvait être prise en compte.

59 Aux points 270 à 279 de l’arrêt attaqué, il a refusé d’écarter la qualification de « restriction par objet » de l’accord litigieux en raison du manque allégué de précédent ou d’une insécurité juridique, estimant, au point 272 de cet arrêt, que l’exigence d’expérience quant aux effets négatifs sur la concurrence de telles restrictions ne requérait pas que cette qualification ait été préalablement retenue par la Commission pour des accords similaires.

Argumentation des parties

60 Par son premier moyen, Sun Pharmaceutical critique le Tribunal pour avoir fait une application erronée de la notion de « restriction par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en qualifiant ainsi l’accord litigieux, dès lors que ce dernier visait, à première vue, à régler un litige en matière de brevets opposant Sun Pharmaceutical à Lundbeck, ce qui imposait à la Commission de procéder à un examen des effets de cet accord.

61 En l’occurrence, Sun Pharmaceutical soutient, premièrement, que tant le Tribunal, au point 242 de l’arrêt attaqué, que la Commission ont admis que les accords de règlement amiable en matière de brevets pouvaient être légitimes et légalement conclus avant l’apparition de tout contentieux. Ce constat impliquerait une analyse de chaque accord au cas par cas, au regard des faits, du contexte et des circonstances, à l’exception des intentions des parties dès lors qu’elles impliquent des appréciations subjectives non compatibles avec l’exigence selon laquelle une « restriction par objet » doit être facilement décelable. À ce dernier égard, il ressortirait clairement des conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:1958, points 44 et 110) que la prise en considération de l’intention des parties à un accord aux fins de l’appréciation de cet accord est contraire à l’exigence selon laquelle le contexte et l’intention des parties peuvent seulement conforter ou neutraliser l’existence d’une infraction par objet, ainsi que cela ressortirait de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 88). Dès lors qu’il appartiendrait à la Commission de vérifier si l’accord litigieux a été principalement motivé par la force des brevets de procédé en cause, dont elle doit apprécier la solidité, ou par le paiement inversé, le caractère infractionnel d’un tel accord ne serait pas facilement décelable.

62 Or, pour Sun Pharmaceutical, le Tribunal aurait lui-même admis, aux points 239 à 241 de l’arrêt attaqué, que Lundbeck avait tout intérêt à verser les montants prévus par l’accord litigieux dans la mesure où, même si elle avait pu défendre ses brevets de procédé, l’entrée illégale sur le marché du médicament générique vendu par Sun Pharmaceutical aurait entraîné une baisse de 20 % du prix du médicament vendu par Lundbeck. De même, si Sun Pharmaceutical avait perdu le litige en matière de brevets contre Lundbeck, l’indemnité qu’elle aurait dû verser aurait excédé les bénéfices qu’elle aurait réalisés entre-temps.

63 En outre, le Tribunal se serait contredit en qualifiant l’accord litigieux de « restriction par objet » en raison du montant important des paiements inversés effectués, tout en admettant, aux mêmes points 239 à 241 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas en mesure de les évaluer et que la Commission n’en avait pas rapporté la preuve.

64 Sun Pharmaceutical critique également la distinction qui est faite, aux points 242 et 243 de l’arrêt attaqué, entre l’accord litigieux et l’accord conclu entre Lundbeck et Neolab Ltd, lequel n’avait pas été considéré comme problématique alors qu’il aurait également impliqué une exclusion du marché.

65 Sun Pharmaceutical reproche encore au Tribunal de n’avoir pas pris en considération les effets proconcurrentiels de la fourniture de Cipramil par Lundbeck, et d’avoir considéré qu’il n’existait aucune différence en termes de concurrence entre un paiement en espèces et la fourniture d’un produit à prix réduit lui permettant d’entrer sur le marché et profitant au consommateur, ce qu’elle aurait déjà indiqué dans sa réponse à la question pour réponse écrite du 6 février 2020.

66 Deuxièmement, Sun Pharmaceutical soutient que le Tribunal n’a pas fait état de la moindre « expérience » montrant que des restrictions, comme celles en cause, contenues dans un accord de règlement amiable de litiges relatifs aux brevets étaient constamment prohibées, ainsi que cela serait exigé par l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51). Au point 279 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait fait référence à une telle expérience – ce que la Commission n’aurait pas fait – sans toutefois fournir d’élément l’établissant. De plus, l’assimilation effectuée par le Tribunal de l’accord litigieux à un accord d’exclusion de marché serait non seulement irrecevable, dans la mesure où elle n’aurait pas été effectuée par la Commission, mais également infondée dans la mesure où l’accord litigieux se distinguerait nettement de celui en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), lequel n’était pas un accord amiable en matière de brevets et avait été conclu entre concurrents actuels. Or, en l’espèce, les fabricants de médicaments génériques pouvaient être amenés à ne pas intégrer le marché du fait de l’exercice légal de ses droits par Lundbeck ou encore de la non-délivrance d’une AMM. Par ailleurs, Sun Pharmaceutical fait état de plusieurs arrêts de la Cour dans lesquels il aurait été considéré que, dans le contexte des droits de propriété intellectuelle, des interdictions d’exporter, des protections territoriales absolues ou des licences exclusives ouvertes n’auraient pas été qualifiées de « restriction par objet ». En outre, elle relève que, au point 235 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré l’accord litigieux comme étant constitutif d’une « restriction par objet », en ce sens que cet accord « reflétait la reconnaissance [justifiée] par les parties que Lundbeck avait droit à l’exclusivité convenue ». Or, un tel raisonnement serait contraire aux points 238 et 239 des lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2014, en vertu desquels des accords, tels que l‘accord litigieux, conclus dans le domaine des transferts de technologie ne seraient pas qualifiés de « restriction par objet », ainsi qu’au point 17 du 6th Report on the Monitoring of Patent Settlements (6e rapport sur le contrôle des règlements portant sur les brevets) de la Commission, du 2 décembre 2015.

67 La Commission estime que le premier moyen n’est pas fondé.

Appréciation de la Cour

68 Concernant la qualification d’une pratique collusoire de « restriction par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser, ainsi que le Tribunal l’a rappelé aux points 207 à 209 de l’arrêt attaqué, que la notion de « restriction par objet » doit être interprétée de manière stricte et ne peut être appliquée qu’à certains accords entre entreprises révélant, en eux-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire, dès lors que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 67 ainsi que jurisprudence citée].

69 Concernant des accords similaires de règlement amiable de litiges relatifs à un brevet de procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public conclus entre un fabricant de médicaments princeps et plusieurs fabricants de médicaments génériques et ayant eu pour effet de reporter l’entrée sur le marché de médicaments génériques en contrepartie de transferts de valeurs à caractère monétaire ou non monétaire du premier au profit des seconds, la Cour a jugé que de tels accords ne sauraient être considérés, dans tous les cas, comme des « restrictions par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85], ce que la Commission a d’ailleurs indiqué dans la décision litigieuse, ainsi que cela ressort du point 218 de l’arrêt attaqué.

70 Toutefois, la qualification de « restriction par objet » doit être retenue lorsqu’il ressort de l’examen de l’accord de règlement amiable concerné que les transferts de valeurs prévus par celui-ci s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial tant du titulaire du brevet que du contrefacteur allégué à ne pas se livrer une concurrence par les mérites, dans la mesure où des accords par lesquels des concurrents substituent sciemment une coopération pratique entre eux aux risques de la concurrence relèvent manifestement de la qualification de « restriction par objet » [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 83 et 87].

71 Aux fins de cet examen, il convient, dans chaque cas d’espèce, d’apprécier si le solde positif net des transferts de valeurs du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques était suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné et, partant, à ne pas concurrencer par ses mérites le fabricant de médicaments princeps, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices que ce fabricant de médicaments génériques aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 93 et 94].

72 En l’occurrence, il ressort des points 221, 233, 234, 236 et 241 de l’arrêt attaqué que l’accord litigieux, qui n’a réglé aucun litige entre les parties, a eu pour effet de maintenir Sun Pharmaceutical, qui était une concurrente potentielle de Lundbeck, en dehors du marché du citalopram générique, quel que soit son procédé de fabrication, et cela en contrepartie de transferts de valeurs par Lundbeck.

73 Concernant plus particulièrement le montant de ces transferts de valeurs, le Tribunal a relevé, aux points 236, 237 et 241 de l’arrêt attaqué, qu’ils ont été un élément déterminant dans la limitation de l’autonomie commerciale de Sun Pharmaceutical et qu’ils entretiennent un lien étroit avec les profits attendus par celle-ci en cas d’entrée sur le marché avec le citalopram produit selon les procédés dont elle disposait lors de la conclusion de l’accord litigieux.

74 Compte tenu de ces constatations factuelles et sans qu’il soit besoin de savoir si c’est à bon droit que le Tribunal a pu assimiler, au point 222 de l’arrêt attaqué, l’accord litigieux à un accord d’exclusion voire à un accord de répartition de marché ou encore considérer à la suite de la Commission, aux points 252 à 261 de ce même arrêt, que les accords en cause étaient analogues à ceux en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), il y a lieu de considérer que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu parvenir à la conclusion que l’accord litigieux relevait de la qualification de « restriction par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

75 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par Sun Pharmaceutical.

76 Premièrement, celle-ci ne saurait valablement soutenir, pour écarter la qualification de « restriction par objet » de l’accord litigieux que, par celui-ci, Lundbeck poursuivait des objectifs légitimes, à savoir la défense de ses brevets de procédé ainsi qu’éviter une entrée illégale sur le marché du médicament générique vendu par Sun Pharmaceutical susceptible, ainsi que l’a relevé le Tribunal aux points 239 à 241 de l’arrêt attaqué, d’entraîner une baisse de 20 % du prix du médicament vendu par Lundbeck.

77 En effet, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑591/16 P, Lundeck/Commission (point 121), si la conclusion par le titulaire d’un brevet d’un accord de règlement amiable avec un contrefacteur allégué n’excédant pas la portée et la durée de validité restante de ce brevet constitue certes l’expression du droit de propriété intellectuelle de ce titulaire et l’autorise, notamment, à s’opposer à toute contrefaçon, il n’en demeure pas moins que ledit brevet n’autorise pas son titulaire à conclure des contrats qui violeraient l’article 101 TFUE [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 97]. Il en va ainsi même si lesdits contrats tendent à préserver les intérêts commerciaux du titulaire du brevet en cause que celui-ci estimerait mis à mal par une réglementation insuffisamment protectrice de ses droits de propriété intellectuelle, dès lors qu’il revient aux autorités publiques et non à des entreprises privées non seulement de définir le cadre légal pertinent tout comme d’assurer le respect de celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 88].

78 En conséquence, la circonstance selon laquelle, par l’accord litigieux, Lundbeck cherchait à éviter une entrée illégale sur le marché du médicament générique vendu par Sun Pharmaceutical susceptible d’entraîner une baisse de 20 % du prix du médicament qu’elle vendait ne saurait légitimer une violation de l’article 101 TFUE et plus encore une pratique collusoire dont il a été constaté qu’elle présente le degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifiée de « restriction par objet » et ainsi ne saurait justifier d’écarter, en dépit de cette dernière constatation, ladite qualification et d’imposer à la Commission de démontrer les effets anticoncurrentiels d’une telle pratique.

79 Deuxièmement, Sun Pharmaceutical ne saurait faire grief au Tribunal de ne pas avoir procédé à une appréciation de la force des brevets de procédés en cause aux fins de la qualification de l’accord litigieux.

80 En effet, ainsi qu’il ressort du point 60 de l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑591/16 P, Lundeck/Commission, tout comme l’appréciation de l’existence d’un éventuel rapport de concurrence potentielle entre les parties à un accord de règlement amiable tel que l’accord litigieux [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 50,], l’appréciation de la force des brevets de procédé en cause n’est pas pertinente aux fins de la qualification de « restriction par objet », dès lors qu’il est constaté que c’est la perspective du transfert de valeur par le fabricant de médicaments princeps qui a incité le fabricant de médicaments génériques à renoncer à une entrée sur le marché [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 89].

81 Troisièmement, Sun Pharmaceutical ne saurait critiquer le Tribunal pour ne pas avoir pris en considération les effets proconcurrentiels de l’accord litigieux, allégués par celle-ci, afin d’écarter la qualification de « restriction par objet » de cet accord.

82 S’il est vrai que la présence d’effets proconcurentiels dans le cadre d’accords de règlement amiable, tels que l’accord litigieux, est susceptible de remettre en cause l’appréciation globale du caractère suffisamment nocif de la pratique collusoire concernée à l’égard de la concurrence et, en conséquence, sa qualification de « restriction par objet », il n’en demeure pas moins que ces effets doivent être avérés, pertinents, propres à l’accord concerné mais également suffisamment importants, de sorte qu’ils permettent de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence de cet accord [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 103, 106 et 107].

83 En l’occurrence, aux points 247 à 250 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a non seulement pris en compte les stipulations de l’accord litigieux en vertu desquelles Sun Pharmaceutical distribuait le Cipramil produit par Lundbeck et bénéficiait d’une remise de 40 % sur le prix « départ usine » de ce médicament, mais a surtout considéré que ces stipulations ne pouvaient avoir un caractère proconcurrentiel dès lors qu’elles servaient à compléter la récompense revenant à Sun Pharmaceutical en contrepartie de son abstention de produire et de vendre son propre citalopram pendant la période pertinente. Or, il n’est ni allégué ni a fortiori démontré que par ces points de l’arrêt attaqué le Tribunal aurait commis une dénaturation des éléments de fait ou de preuve, ce que ne saurait en tout état de cause établir le fait évoqué par Sun Pharmaceutical, uniquement dans sa réponse à la question pour réponse écrite du 6 février 2020, selon lequel la perte de revenus de Lundbeck générée par ladite remise aurait pour partie profité au consommateur.

84 Dès lors et compte tenu des constatations effectuées aux points 72 et 73 du présent arrêt, le Tribunal pouvait sans commettre d’erreur de droit, et nonobstant les allégations de Sun Pharmaceutical quant aux effets proconcurrentiels desdites stipulations, qualifier l’accord litigieux de « restriction par objet ».

85 Quatrièmement, Sun Pharmaceutical ne peut légitimement reprocher au Tribunal d’avoir à tort considéré, au point 272 de l’arrêt attaqué, que l’absence de condamnation antérieure par la Commission d’accords similaires à l’accord litigieux, et donc d’expérience préalable à cet égard, ne privait pas celle-ci de la possibilité de qualifier cet accord de « restriction par objet ».

86 Si, certes, la qualification de « restriction par objet » peut être retenue s’agissant de pratiques collusoires dont l’expérience montre qu’elles entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 64 ainsi que jurisprudence citée], le fait que la Commission n’ait pas, dans le passé, estimé qu’un accord similaire à l’accord litigieux était, de par son objet même, restrictif de la concurrence n’est pas de nature, en soi, à l’empêcher de le faire à l’avenir, comme l’a relevé à juste titre le Tribunal au point 272 de l’arrêt attaqué. En effet, et comme l’a retenu à bon droit le Tribunal à ce point, seul importe l’examen individuel et circonstancié de la pratique concernée qui doit mettre en évidence la nocivité suffisante de celle-ci, en l’occurrence la substitution volontaire d’une coopération pratique aux risques de la concurrence par les mérites, substitution dont l’expérience prouve qu’elle est particulièrement nocive au libre jeu de la concurrence.

87 Pour la même raison, est non pertinent le fait que la Commission ait eu à connaître antérieurement à l’accord litigieux d’un accord similaire à celui-ci, en l’occurrence l’accord conclu entre Lundbeck et Neolab, au sujet duquel elle n’aurait pas émis de doutes, dès lors qu’il présentait des différences notables avec l’accord litigieux, ainsi que cela a été mis en évidence par le Tribunal aux points 242 et 243 de l’arrêt attaqué.

88 Cinquièmement, la qualification de « restriction par objet » de l’accord litigieux retenue par le Tribunal ne saurait pas davantage être critiquée par Sun Pharmaceutical sur le fondement des points 238 et 239 des lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2014, lesquels ne s’appliquent pas à l’accord litigieux à défaut pour Sun Pharmaceutical de mettre en évidence que celui-ci prévoit la concession de droits sur technologie, ou du point 17 du rapport mentionné au point 66 du présent arrêt, lequel se borne à indiquer que les accords limitant l’accès au marché et prévoyant des transferts de valeurs supposent une appréciation au cas par cas, ainsi qu’il a déjà été indiqué aux points 69 et 70 du présent arrêt.

89 Sixièmement, c’est à tort que Sun Pharmaceutical reproche au Tribunal de s’être fondé exclusivement ou principalement sur l’intention des parties à l’accord litigieux pour qualifier cet accord de « restriction par objet ». Non seulement, comme l’a rappelé à bon droit le Tribunal, aux points 212 et 265 de l’arrêt attaqué, la qualification de « restriction par objet » d’un accord peut tenir compte de l’intention des parties (arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 54, et jurisprudence citée), mais, de plus, ni le Tribunal ni la Commission ne se sont fondés exclusivement ou principalement sur l’intention des parties à l’accord litigieux, tenant compte principalement d’éléments de nature objective, notamment ceux rappelés aux points 72 et 73 du présent arrêt.

90 Septièmement, contrairement à ce que soutient Sun Pharmaceutical, il ne saurait être reproché au Tribunal de s’être contredit en affirmant tout à la fois, aux points 239 à 241 de l’arrêt attaqué, qu’il ne pouvait que constater l’existence d’un « lien étroit » entre le manque à gagner potentiel de Sun Pharmaceutical et le paiement inversé effectué et, au point 279 de cet arrêt, que ce paiement inversé était « fixé en tenant compte des profits escomptés par ce concurrent en cas d’entrée sur le marché ». Une telle allégation procède d’une lecture erronée du point 241 dudit arrêt, par lequel le Tribunal a expressément constaté l’existence d’un lien étroit entre les profits escomptés par Sun Pharmaceutical et le montant des sommes payées par Lundbeck, ce que confirment pleinement les points 236 et 237 de ce même arrêt.

91 Eu égard à ce qui précède, le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

Sur le troisième moyen

Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué

92 Après avoir procédé, aux points 299 à 301 de l’arrêt attaqué, à des rappels relatifs à l’étendue de son contrôle juridictionnel, le Tribunal a écarté les trois branches du quatrième moyen invoqué par Sun Pharmaceutical au soutien de son recours en annulation, dont le rejet des seules première et troisième branches est contesté dans le cadre du troisième moyen du pourvoi.

93 Aux points 304 à 313 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’argumentation de Sun Pharmaceutical selon laquelle l’interprétation extensive et nouvelle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE effectuée dans la décision litigieuse et dont découlerait l’amende infligée violerait les principes de sécurité juridique, de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), de non-rétroactivité de l’interprétation nouvelle d’une disposition établissant une infraction et de protection de la confiance légitime. À cet égard, il a estimé que ces principes ne sauraient être interprétés comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale, dès lors que celle-ci était raisonnablement prévisible, ce qu’il a estimé être le cas en renvoyant, au point 307 de l’arrêt attaqué, à l’examen du troisième moyen d’annulation, et eu égard aux caractéristiques de l’accord litigieux ainsi qu’au contexte dans lequel celui-ci était intervenu.

94 Aux points 357 à 375 de l’arrêt attaqué, il a rejeté l’allégation de violation de la durée raisonnable de l’enquête mentionnée au point 19 de l’arrêt attaqué, d’une part, en écartant, au point 367 de cet arrêt, toute violation de l’article 25 du règlement n° 1/2003 en raison du caractère prescrit de la sanction de l’accord litigieux et, d’autre part, en relevant, aux points 370 à 374 dudit arrêt, premièrement, qu’un communiqué de presse du KFST du 28 janvier 2004, dont il ressortait, selon Sun Pharmaceutical que la Commission avait considéré que des accords tels que l’accord litigieux se trouvaient dans une « zone grise », ne saurait avoir incité celle-ci à ne pas prendre de mesures pour assurer sa défense, deuxièmement, que Sun Pharmaceutical s’était limitée à invoquer de manière générale qu’elle aurait pu produire des courriers électroniques internes et d’autres documents attestant des difficultés nées de la durée de la procédure administrative en cause et, troisièmement, que, au vu dudit communiqué de presse du KFST et de l’enquête mentionnée au point 19 de l’arrêt attaqué, une entreprise diligente aurait dû conserver tout document utile pour assurer sa défense dans le cadre d’une éventuelle procédure pour violation du droit de la concurrence, et ce au moins jusqu’à l’expiration du délai maximal de prescription prévu par le droit de l’Union.

Argumentation des parties

95 Par son troisième moyen, divisé en trois branches et dirigé contre les points 283, 307, 367 et 372 de l’arrêt attaqué, Sun Pharmaceutical soutient que le Tribunal a, à tort, confirmé intégralement l’amende qui lui a été infligée par la Commission.

96 Premièrement, selon Sun Pharmaceutical, à supposer que la Cour confirme la qualification de « restriction par objet » de l’accord litigieux, il conviendrait de tenir compte du fait qu’elle présente, au regard des circonstances atténuantes du cas d’espèce et du calcul du montant de l’amende, un caractère nouveau, compte tenu du communiqué de presse du KFST du 28 janvier 2004, non démenti par la Commission voire confirmé par le point 29 des lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2014 mais également du fait que ce n’est que postérieurement audit communiqué de presse que la Commission s’est orientée vers la qualification de « restriction par objet ».

97 Deuxièmement, à l’encontre du point 283 de l’arrêt attaqué, Sun Pharmaceutical fait valoir que les points 25 et 26 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale de 2001 prévoyaient que le domaine des accords considérés comme étant des « restrictions par objet » était circonscrit aux accords de fixation des prix, de répartition de marché et de réduction de la production et que ce n’est que par la suite que la Commission a étendu la portée de cette qualification. Elle conteste également l’assimilation de l’accord litigieux à un accord de répartition de clients ou de limitation de la production compte tenu du droit légitime d’invoquer des droits de propriété intellectuelle afin d’exclure des concurrents et de limiter la production. De plus, il ne serait pas clair que l’accord litigieux a limité la production dans la mesure où il a permis à Sun Pharmaceutical d’entrer sur le marché beaucoup plus rapidement grâce à l’acquisition à prix réduits par celle-ci de produits de Lundbeck, qu’elle pouvait étiqueter sous son propre nom.

98 Troisièmement, concernant le point 367 de l’arrêt attaqué, Sun Pharmaceutical considère que la réduction de 10 % de l’amende qui lui a été infligée afin de tenir compte de la durée de la procédure ne saurait compenser le fait que la Commission ne l’a informée que six ans après l’expiration de l’accord litigieux du début de la procédure, la privant de la possibilité de produire des pièces à décharge et donc d’exercer ses droits de la défense. En outre, dans la mesure où la Commission n’aurait pas adopté d’actes à l’égard de Sun Pharmaceutical avant le 12 mars 2010 et aurait informé uniquement Lundbeck de la procédure ayant abouti à la décision litigieuse, le pouvoir de sanction de la Commission serait prescrit conformément à l’article 25, paragraphes 3 et 4, du règlement n° 1/2003.

99 Pour sa part, la Commission considère que le troisième moyen est non fondé. En particulier, elle estime que Sun Pharmaceutical ne peut se prévaloir de la violation de ses droits de la défense, à défaut pour celle-ci de s’en être prévalue à l’occasion de la procédure administrative.

Appréciation de la Cour

100 Par les première et deuxième branches de son troisième moyen, Sun Pharmaceutical critique le Tribunal pour avoir intégralement confirmé le montant de l’amende qui lui a été infligée.

101 À cet égard, il convient de relever d’emblée que la deuxième branche du présent moyen, dirigé contre le point 283 de l’arrêt attaqué et tiré de la violation des points 25 et 26 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale de 2001, a été soulevée pour la première fois dans le cadre du présent pourvoi et, partant, est irrecevable.

102 En effet, non seulement le point 283 de l’arrêt attaqué que critique Sun Pharmaceutical s’inscrit dans le cadre de la réponse du Tribunal au premier moyen d’annulation, tiré « du fait que l’accord litigieux ne constitue pas une “restriction par objet” », et non au quatrième moyen, tiré du caractère injustifié de l’amende infligée par la Commission, mais également les points 25 et 26 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale de 2001 n’ont à aucun moment été invoqués au soutien de ce dernier moyen d’annulation, seules étant visées, au titre de la deuxième branche de celui-ci, les lignes directrices sur le calcul des amendes de 2006, ainsi que cela ressort des points 314 à 352 de l’arrêt attaqué.

103 Concernant la première branche du présent moyen par laquelle Sun Pharmaceutical fait valoir que le caractère nouveau de la qualification de « restriction par objet » de l’accord litigieux doit faire obstacle à l’imposition d’une amende, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il ressort des points 85 et 86 du présent arrêt, que celle-ci ne pouvait se prévaloir de l’absence d’expérience antérieure de la Commission portant sur des accords constitutifs de « restriction par objet » similaires pour faire obstacle à cette qualification de l’accord litigieux dès lors que ce dernier avait pour objet de substituer une coopération pratique aux risques de la concurrence par les mérites.

104 L’imposition d’une amende s’impose également lorsque les parties à un tel accord ne pouvaient raisonnablement envisager qu’une restriction de concurrence dont l’expérience prouve qu’elle est particulièrement nocive au libre jeu de la concurrence ne soit pas sanctionnée à la mesure de ses effets sur celle-ci.

105 Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit et, en particulier, sans violer le principe de sécurité juridique que le Tribunal a refusé, aux points 307 et 308 de l’arrêt attaqué, de réduire l’amende infligée à Sun Pharmaceutical à zéro ou à un montant inférieur à celui fixé par la Commission dans la décision litigieuse.

106 Par la troisième branche de son troisième moyen, Sun Pharmaceutical fait grief au Tribunal d’avoir commis deux erreurs de droit, la première en omettant de constater la prescription du pouvoir de la Commission de prononcer des amendes à son égard conformément à l’article 25, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1/2003 et, la seconde, en omettant de constater la violation de ses droits de la défense à raison de la tardiveté de l’action de la Commission.

107 S’agissant de la violation alléguée de l’article 25, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1/2003 au motif que la Commission n’a pas arrêté d’actes à l’encontre de Sun Pharmaceutical avant le 12 mars 2010, soit plus de six années après l’expiration de l’accord litigieux, il suffit de relever, à l’instar du Tribunal au point 367 de l’arrêt attaqué, d’abord, que, en vertu de l’article 25, paragraphe 2, de ce règlement, la prescription court, pour les infractions continues, comme en l’espèce, à compter du jour où l’infraction a pris fin, ensuite, que, en application de l’article 25, paragraphes 3 et 4, dudit règlement, des demandes de renseignements, l’engagement d’une procédure et l’envoi d’une communication des griefs interrompent la prescription, et ce pour tous les participants à une infraction et, enfin, que, conformément à l’article 25, paragraphe 5, de ce même règlement, la prescription court à nouveau à partir de chaque interruption en étant toutefois acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait prononcé une amende ou une astreinte.

108 Or, ainsi qu’il ressort notamment du point 363 de l’arrêt attaqué, la Commission a, aux fins de l’adoption, le 19 juin 2013, de la décision litigieuse, notamment, procédé, au mois de janvier 2005, à des inspections dans plusieurs locaux de Lundbeck, adressé, en 2006, des demandes de renseignements à Lundbeck et à d’autres entreprises impliquées, ouvert, le 7 janvier 2010, la procédure formelle d’examen à l’encontre de Lundbeck, et ouvert, le 24 juillet 2012, la procédure formelle d’examen notamment à l’encontre de Sun Pharmaceutical.

109 Dès lors, Sun Pharmaceutical ne saurait se prévaloir de la prescription du pouvoir de la Commission de prononcer des amendes à son égard.

110 S’agissant de la prétendue violation des droits de la défense de Sun Pharmaceutical à raison de la tardiveté des mesures adoptées par la Commission à son égard, il importe de relever d’emblée que la Commission n’est pas fondée à soutenir que Sun Pharmaceutical ne peut se prévaloir d’une telle violation, à défaut pour celle-ci de s’en être prévalue à l’occasion de la procédure administrative.

111 En effet, s’agissant de l’application des articles 101 et 102 TFUE, aucune disposition du droit de l’Union n’impose au destinataire de la communication des griefs de contester les différents éléments de fait ou de droit au cours de la procédure administrative, sous peine de ne plus pouvoir le faire ultérieurement au stade de la procédure juridictionnelle (arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 89).

112 Pour autant, il ressort des points 370 à 374 de l’arrêt attaqué que, sur la base de constatations de nature factuelle dont il n’est pas allégué qu’elles résultent d’une dénaturation des éléments de fait et de preuve, le Tribunal a, en substance, estimé que Sun Pharmaceutical n’avait pas démontré à suffisance de droit qu’elle avait éprouvé des difficultés pour se défendre contre les allégations de la Commission.

113 Dès lors, c’est à bon droit que le Tribunal a pu rejeter le moyen d’annulation tiré de la violation des droits de la défense de Sun Pharmaceutical.

114 En conséquence, le troisième moyen du présent pourvoi doit être rejeté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

115 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

116 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

117 La Commission ayant conclu à la condamnation de Sun Pharmaceutical aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

118 L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

119 Par conséquent, le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Sun Pharmaceutical Industries Ltd et Ranbaxy (UK) Ltd sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens.