CJUE, 4e ch., 25 mars 2021, n° C-588/16 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Generics (UK) Ltd
Défendeur :
Commission européenne, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Vilaras
Premier Président :
Juges :
M. Šváby (rapporteur), M. Rodin, Mme Jürimäe, M. Xuereb
Avocat général :
Mme Kokott
Avocats :
Me Vandenborre, Me Goetz, Me Brealey
LA COUR (quatrième chambre),
1 Par son pourvoi, Generics (UK) Ltd (ci-après « GUK ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 septembre 2016, Generics (UK)/Commission (T‑469/13, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:454), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant, d’une part, à l’annulation partielle de la décision C(2013) 3803 final de la Commission européenne, du 19 juin 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck) (ci-après la « décision litigieuse »), et, d’autre part, à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.
Le cadre juridique
2 L’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit :
« La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence :
a) elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [101 ou 102 TFUE] [...] »
3 L’article 31 de ce règlement dispose :
« La Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende ou une astreinte. Elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée. »
Les antécédents du litige
4 Le présent pourvoi s’inscrit dans le cadre de six pourvois connexes dirigés contre six arrêts du Tribunal prononcés à la suite de recours en annulation introduits contre la décision litigieuse, à savoir, outre le présent pourvoi, celui formé dans l’affaire C‑586/16 P [Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission] contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (T‑460/13, non publié, EU:T:2016:453), celui formé dans l’affaire C‑591/16 P (Lundbeck/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission (T‑472/13, EU:T:2016:449), celui formé dans l’affaire C‑601/16 P (Arrow Group et Arrow Generics/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (T‑467/13, non publié, EU:T:2016:450), celui formé dans l’affaire C‑611/16 P (Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (T‑471/13, non publié, EU:T:2016:460), ainsi que celui formé dans l’affaire C‑614/16 P (Merck/Commission) contre l’arrêt du 8 septembre 2016, Merck/Commission (T‑470/13, non publié, EU:T:2016:452).
5 Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 36 de l’arrêt attaqué dans les termes suivants :
« I – Sociétés en cause dans la présente affaire
1 H. Lundbeck A/S (ci-après “Lundbeck”) est une société de droit danois qui contrôle un groupe de sociétés spécialisé dans la recherche, le développement, la production, le marketing, la vente et la distribution de produits pharmaceutiques pour le traitement de pathologies affectant le système nerveux central, dont la dépression.
2 Lundbeck est un laboratoire de princeps, c’est-à-dire une entreprise qui concentre son activité dans la recherche de nouveaux médicaments et dans la commercialisation de ceux-ci.
3 Merck KGaA [...] est une société de droit allemand spécialisée dans le domaine pharmaceutique qui, au moment de la conclusion des accords concernés, détenait indirectement à 100 %, à travers le groupe Merck Generics Holding GmbH [...], sa filiale [GUK], une société responsable du développement et de la commercialisation de produits pharmaceutiques génériques au Royaume-Uni. Merck et GUK ont été considérées par la Commission [...] comme constituant une seule entreprise au sens du droit de la concurrence au moment des faits [ci-après “Merck (GUK)”].
II – Produit concerné et brevets concernant celui-ci
4 Le produit concerné par la présente affaire est le médicament antidépresseur contenant l’ingrédient pharmaceutique actif (ci-après l’“IPA”) citalopram.
5 En 1977, Lundbeck a déposé au Danemark une demande de brevet sur l’IPA citalopram ainsi que sur les deux procédés d’alkylation et de cyanation utilisés pour produire ledit IPA. Des brevets couvrant cet IPA et ces deux procédés (ci-après les “brevets originaires [de Lundbeck]”) ont été délivrés au Danemark et dans plusieurs pays de l’Europe occidentale entre [l’année] 1977 et [l’année] 1985.
6 En ce qui concerne l’Espace économique européen (EEE), la protection découlant des brevets originaires [de Lundbeck] ainsi que, le cas échéant, des certificats complémentaires de protection (CCP) prévus par le règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO [1992,] L 182, p. 1), a expiré entre [l’année] 1994 (pour l’Allemagne) et [l’année] 2003 (pour l’Autriche). En particulier, s’agissant du Royaume-Uni, les brevets originaires [de Lundbeck] ont expiré [au mois de] janvier 2002.
7 Au fil du temps, Lundbeck a développé d’autres procédés plus efficaces pour produire du citalopram, pour lesquels elle a demandé, et souvent obtenu, des brevets dans plusieurs pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de l’Office européen des brevets (OEB).
8 Ainsi, le 13 mars 2000, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités danoises concernant un procédé de production du citalopram qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une cristallisation. Des demandes analogues ont été introduites auprès d’autres pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’OMPI et de l’OEB. Lundbeck a obtenu des brevets protégeant le procédé utilisant la cristallisation dans plusieurs États membres au cours de la première moitié de l’année 2002, notamment le 30 janvier 2002 en ce qui concerne le Royaume-Uni [...] L’OEB a délivré un brevet [protégeant le procédé utilisant] la cristallisation le 4 septembre 2002.
9 Enfin, Lundbeck envisageait de lancer un nouveau médicament antidépresseur, le Cipralex, fondé sur l’IPA escitalopram (ou S-citalopram), pour la fin de l’année 2002 ou le début de l’année 2003. Ce nouveau médicament visait les mêmes patients que ceux susceptibles d’être soignés par le médicament breveté Cipramil de Lundbeck, fondé sur l’IPA citalopram. L’IPA escitalopram était protégé par des brevets valables jusqu’en 2012, à tout le moins.
III – Accords [en cause]
10 Au cours de l’année 2002, Lundbeck a conclu six accords concernant le citalopram (ci-après les « accords en cause ») avec quatre entreprises actives dans la production ou dans la vente de médicaments génériques (ci-après les “[fabricants de médicaments] génériques”), dont Merck (GUK).
11 Le premier accord conclu entre Lundbeck et Merck (GUK) a pris effet le 24 janvier 2002, pour une durée d’un an, et couvrait uniquement le territoire du Royaume-Uni (ci-après l’“accord UK”). Cet accord a ensuite été prorogé pour une période de six mois se terminant le 31 juillet 2003. Puis, après une brève entrée de Merck (GUK) sur le marché du Royaume-Uni entre le 1er et le 4 août 2003, une seconde prorogation de l’accord a été signée par les parties le 6 août 2003, pour une durée maximale de six mois pouvant être écourtée en cas d’absence d’action en justice de Lundbeck contre d’autres [fabricants de médicaments] génériques qui tenteraient d’entrer sur le marché ou à l’issue du litige entre Lundbeck et Lagap Pharmaceuticals Ltd, [un des autres fabricants de médicaments génériques].
12 Il ressort des termes de l’accord UK ce qui suit :
– il existe un risque que certaines actions envisagées par GUK concernant la commercialisation, la distribution et la vente du “Produit” puissent constituer une infraction aux droits de propriété intellectuelle de Lundbeck et qu’elles puissent donner lieu à des revendications de la part de celle-ci (point 2.1 de l’accord UK), ces “Produits” étant définis au point 1.1 de l’accord comme étant les “produits de citalopram développés par GUK sous forme de matière première, en vrac ou sous forme de comprimés tels que spécifiés en annexe et manufacturés en conformité avec la spécification de produits telle que fournie par GUK à la date de signature, jointe en annexe 2” ;
– Lundbeck paiera à GUK un montant de 2 millions de livres sterling (GBP), en échange de la livraison des “Produits”, dans les quantités prévues par l’accord, à la date du 31 janvier 2002 (point 2.2 de l’accord UK) ;
– GUK s’engage en outre, en échange d’un paiement supplémentaire de 1 million de GBP, à livrer les “Produits” tels que spécifiés dans [l’annexe] à la date du 2 avril 2002 (point 2.3 de l’accord UK) ;
– les paiements effectués et la livraison des “Produits” par GUK en application des points 2.2 et 2.3 de l’accord constitueront une résolution complète et finale de toute revendication que Lundbeck pourrait avoir contre GUK pour avoir enfreint ses droits de propriété intellectuelle en ce qui concerne les “Produits” livrés par GUK jusqu’à cette date (point 2.4 de l’accord UK) ;
– Lundbeck s’engage à vendre ses “Produits Finis” à GUK et GUK s’engage à acheter exclusivement ces “Produits Finis” auprès de Lundbeck pour revente par GUK et ses affiliés au Royaume-Uni pendant la durée et selon les termes de l’accord (point 3.2 de l’accord UK), ces “Produits Finis” étant définis au point 1.1 de l’accord comme étant les “produits contenant du citalopram sous forme de produits finis à fournir par [Lundbeck] à GUK conformément au présent accord” ;
– Lundbeck s’engage à payer un montant de 5 millions de GBP de profits nets garantis à GUK, à condition que GUK lui commande le volume de “Produits Finis” convenu pendant la durée de l’accord (ou un montant moindre à calculer au prorata des commandes effectuées) (point 6.2 de l’accord UK).
13 La première prorogation de l’accord UK prévoyait notamment le paiement d’un montant de 400 000 GBP par mois pour l’exécution du point 6.2 de cet accord par GUK et modifiait la définition des “profits nets”.
14 La seconde prorogation de l’accord UK prévoyait notamment le paiement d’un montant de 750 000 GBP par mois pour l’exécution du point 6.2 de cet accord par GUK.
15 L’accord UK a expiré le 1er novembre 2003, à la suite du règlement à l’amiable du litige [entre Lundbeck et Lagap Pharmaceuticals]. Au total, pendant toute la durée de l’accord, Lundbeck a transféré l’équivalent de 19,4 millions d’euros à GUK.
16 Un second accord a été conclu entre Lundbeck et GUK le 22 octobre 2002, couvrant l’EEE à l’exception du Royaume-Uni (ci-après l’“accord pour l’EEE”). Cet accord prévoyait le paiement d’un montant de 12 millions d’euros, en échange duquel GUK s’engageait à ne pas vendre ni fournir de produits pharmaceutiques contenant du citalopram sur tout le territoire de l’EEE (à l’exception du Royaume-Uni) et à entreprendre tous les efforts raisonnables afin que Natco Pharma Ltd (ci-après “Natco”), le producteur du citalopram générique que Merck (GUK) avait l’intention de commercialiser (ci-après le “citalopram de Natco”), cesse de fournir le citalopram ou des produits contenant du citalopram dans l’EEE pendant la durée de l’accord (points 1.1 et 1.2 de l’accord pour l’EEE). Lundbeck s’engageait à ne pas intenter d’actions en justice contre GUK, à condition que celle-ci respecte ses obligations en vertu du point 1.1 de l’accord (point 1.3 de l’accord pour l’EEE).
17 L’accord pour l’EEE a expiré le 22 octobre 2003. Au total, Lundbeck a transféré l’équivalent de 12 millions d’euros à GUK en vertu de cet accord.
IV – Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative
18 Au mois d’octobre 2003, la Commission a été informée par le Konkurrence- og Forbrugerstyrelsen (KFST, autorité de la concurrence et des consommateurs danoise) de l’existence des accords en cause.
19 Dès lors que la plupart de ces accords concernaient l’ensemble de l’EEE ou, en tout état de cause, d’autres États membres que le [Royaume de Danemark], il a été convenu que la Commission examinerait leur compatibilité avec le droit de la concurrence tandis que le KFST ne poursuivrait pas l’étude de cette question.
20 Entre [l’année] 2003 et [l’année] 2006, la Commission a effectué des inspections au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement [n° 1/2003], auprès de Lundbeck et d’autres sociétés actives dans le secteur pharmaceutique. Elle a également envoyé à Lundbeck et à une autre société des demandes de renseignements au sens de l’article 18, paragraphe 2, dudit règlement.
21 Le 15 janvier 2008, la Commission a adopté la décision portant ouverture d’une enquête concernant le secteur pharmaceutique, conformément à l’article 17 du règlement n° 1/2003 (affaire COMP/D 2/39514). L’article unique de cette décision précisait que l’enquête à mener concernerait l’introduction sur le marché de médicaments innovants et génériques à usage humain.
22 Le 8 juillet 2009, la Commission a adopté une communication ayant pour objet la synthèse de son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique. Cette communication comportait, dans une annexe technique, la version intégrale dudit rapport d’enquête, sous la forme d’un document de travail de la Commission, disponible uniquement en anglais.
23 Le 7 janvier 2010, la Commission a engagé la procédure formelle à l’égard de Lundbeck.
24 Au cours de l’année 2010 et du premier semestre de l’année 2011, la Commission a envoyé des demandes de renseignements à Lundbeck et, notamment, aux sociétés qui étaient parties aux accords en cause, dont [GUK].
25 Le 24 juillet 2012, la Commission a engagé une procédure à l’égard des sociétés qui étaient parties aux accords en cause et leur a envoyé une communication des griefs ainsi qu’à Lundbeck.
[...]
29 Le 19 juin 2013, la Commission a adopté la décision [litigieuse].
V – Décision [litigieuse]
30 Par la décision [litigieuse], la Commission a considéré que l’accord UK et l’accord pour l’EEE (ci-après, pris ensemble, les “accords litigieux”), tout comme d’ailleurs les autres accords en cause, constituaient une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord [sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3)] (article 1er, paragraphe 1, de la décision [litigieuse]). Les accords litigieux ont été considérés comme constituant une infraction unique et continue s’étendant du 24 janvier 2002 au 1er novembre 2003.
31 Ainsi qu’il résulte des résumés figurant aux considérants 824 et 874 de la décision [litigieuse], la Commission a fondé son appréciation, notamment, sur les éléments suivants :
– au moment de la conclusion des accords litigieux, Lundbeck et Merck (GUK) étaient à tout le moins des concurrents potentiels au Royaume-Uni et dans l’EEE et des concurrents effectifs au Royaume-Uni avant la seconde prorogation de l’accord UK ;
– Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit de Merck (GUK) en vertu des accords litigieux ;
– ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par Merck (GUK) de limitations apportées à son entrée sur le marché contenues dans lesdits accords, en particulier à son engagement de ne pas vendre le citalopram de Natco ou tout autre citalopram générique au Royaume-Uni et dans l’EEE pendant la période concernée ;
– ce transfert de valeur correspondait environ aux profits que Merck (GUK) espérait réaliser si elle était entrée avec succès sur le marché ;
– Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations en invoquant ses brevets de procédé, étant donné que les obligations pesant sur Merck (GUK) en vertu des accords litigieux allaient au-delà des droits conférés aux titulaires de brevets de procédé ;
– les accords litigieux ne prévoyaient aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre Merck (GUK) dans l’hypothèse où cette dernière serait entrée sur le marché avec du citalopram générique après l’expiration des accords litigieux.
32 La Commission a également imposé des amendes à toutes les parties aux accords en cause. À cette fin, elle a utilisé les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2). À l’égard de Lundbeck, la Commission a suivi la méthodologie générale décrite dans ces lignes directrices, fondée sur la valeur des ventes du produit concerné réalisées par chaque participant à une entente (considérants 1316 à 1358 de la décision [litigieuse]). En revanche, s’agissant des autres parties aux accords en cause, à savoir les [fabricants de médicaments] génériques, elle a eu recours à la possibilité, prévue au [point] 37 desdites lignes directrices, de s’écarter de cette méthodologie, au vu des particularités de l’affaire à l’égard de ces parties (considérant 1359 de la décision [litigieuse]).
33 Ainsi, s’agissant des parties aux accords en cause autres que Lundbeck, dont Merck (GUK), la Commission a considéré que, afin de déterminer le montant de base de l’amende et d’assurer un effet suffisamment dissuasif à celle-ci, il y avait lieu de tenir compte de la valeur des sommes que Lundbeck leur avait transférées en vertu des accords en cause, ce sans introduire de distinction entre les infractions selon la nature ou la portée géographique de celles-ci, ou en fonction des parts de marché des entreprises concernées, facteurs qui n’ont été abordés dans la décision [litigieuse] que dans un souci d’exhaustivité (considérant 1361 de la décision [litigieuse]). Afin de tenir compte des frais de distribution exposés par Merck (GUK), la Commission a néanmoins appliqué une réduction de 10 % au chiffre d’affaires de celle-ci (considérant 1373 de la décision [litigieuse]).
34 Compte tenu de la durée totale de l’enquête, la Commission a réduit de 10 % les montants des amendes imposées à tous les destinataires de la décision [litigieuse] (considérants 1349 et 1380 de la décision [litigieuse]).
35 Au vu de la scission intervenue entre Merck et GUK en 2007, la Commission a appliqué le plafond de 10 % du chiffre d’affaires prévu à l’article 23, [paragraphe 2, deuxième] alinéa, du règlement n° 1/2003 séparément à Merck et à GUK (considérant 1382 de la décision [litigieuse]).
36 Sur la base de ces considérations, la Commission a infligé une amende d’un montant de 21 411 000 euros à Merck, dont 7 766 843 euros solidairement avec GUK (article 2, paragraphe 1, de la décision [litigieuse]). »
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
6 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 août 2013, GUK a introduit un recours tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse et à la réduction de l’amende qui lui a été infligée par la Commission.
7 À l’appui de son recours, GUK a soulevé sept moyens. Les premier à troisième moyens sont tirés, en substance, d’erreurs de droit et d’appréciation concernant l’interprétation de la notion de « restriction par objet » découlant de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et son application aux accords litigieux. Le quatrième moyen porte sur la conclusion selon laquelle Merck (GUK) et Lundbeck se trouvaient dans un rapport de concurrence potentielle au moment de conclure les accords litigieux. Les cinquième, sixième et septième moyens sont tirés, en substance, respectivement, d’une violation de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, d’une violation des droits de la défense de GUK et d’« une demande d’annulation ou de réduction du montant de l’amende » qui lui a été infligée.
8 Le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité.
La procédure devant la Cour
9 Par acte déposé au greffe de la Cour le 18 novembre 2016, GUK a introduit le présent pourvoi.
10 À la suite de la demande de GUK, le président de la Cour a autorisé cette société à déposer une réplique.
11 Par actes déposés au greffe de la Cour le 28 juillet 2017, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans la présente affaire ainsi que dans les affaires C‑586/16 P [Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission], C‑601/16 P (Arrow Group et Arrow Generics/Commission), C‑611/16 P (Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission) et C‑614/16 P (Merck/Commission), mentionnées au point 4 du présent arrêt. Par ordonnances du 25 octobre 2017, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C‑586/16 P, non publiée, EU:C:2017:831), du 25 octobre 2017, Generics (UK)/Commission (C‑588/16 P, non publiée, EU:C:2017:829), du 25 octobre 2017, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (C‑601/16 P, non publiée, EU:C:2017:826), du 25 octobre 2017, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, non publiée, EU:C:2017:825), ainsi que du 25 octobre 2017, Merck/Commission (C‑614/16 P, non publiée, EU:C:2017:828), le président de la Cour a accueilli ces demandes. Toutefois, compte tenu notamment de l’ordonnance du président de la Cour du 5 juillet 2017, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, non publiée, EU:C:2017:532), ce dernier a réservé, à l’égard de cet État membre, dans l’ensemble de ces affaires, un traitement confidentiel, notamment, à la version confidentielle de la décision litigieuse, seule une version non confidentielle ayant été signifiée au Royaume-Uni.
12 Le 27 novembre 2018, la Cour a décidé que la présente affaire serait attribuée à la quatrième chambre devant statuer à la suite d’une audience de plaidoiries commune à la présente affaire et aux affaires C‑586/16 P (Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission), C‑591/16 P (Lundbeck/Commission), C‑601/16 P (Arrow Group et Arrow Generics/Commission), C‑611/16 P (Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission) et C‑614/16 P (Merck/Commission) ainsi qu’avec le bénéfice de conclusions.
13 Sur le fondement de l’article 61, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, celle-ci a, le 29 novembre 2018, transmis aux parties à la procédure dans la présente affaire, une série de questions écrites pour réponses orales lors de l’audience ainsi qu’un plan provisoire de l’audience de plaidoiries détaillant précisément son déroulement. À la suite des observations de ces parties, un plan définitif de l’audience leur a été transmis le 22 janvier 2019.
14 L’audience de plaidoiries commune à la présente affaire et aux affaires visées au point 12 du présent arrêt s’est tenue le 24 janvier 2019.
15 Le 6 février 2020, Mme l’avocate générale a, sur le fondement de l’article 62 du règlement de procédure, adressé aux parties à la procédure dans la présente affaire une question pour réponse écrite (ci-après la « question pour réponse écrite du 6 février 2020 »), par laquelle elle les invitait à prendre position sur l’éventuelle influence de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), sur les moyens soulevés dans la présente affaire relatifs à l’existence d’une concurrence potentielle entre Lundbeck et les fabricants de médicaments génériques ainsi qu’à la qualification des accords conclus entre Lundbeck et ces derniers de « restrictions par objet ». Les réponses à cette question sont parvenues à la Cour le 6 mars 2020.
16 Par décision du 10 mars 2020, la Cour a décidé, à la suite du prononcé de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), de statuer dans la présente affaire sans conclusions.
Les conclusions des parties devant la Cour
17 Par son pourvoi, GUK demande à la Cour :
– d’annuler tout ou partie de l’arrêt attaqué et
– d’ordonner toute autre mesure jugée nécessaire.
18 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi dans son intégralité et
– de condamner GUK aux dépens.
19 Le Royaume-Uni demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans son intégralité.
Sur le pourvoi
20 Au soutien de son pourvoi, GUK invoque six moyens.
21 Par son premier moyen, GUK reproche au Tribunal d’avoir qualifié, à tort, les accords litigieux de « restriction par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Par son deuxième moyen, GUK estime que les preuves retenues par le Tribunal à l’appui de cette qualification sont insuffisantes. Par son troisième moyen, GUK fait grief au Tribunal d’avoir renversé la charge de la preuve de l’existence d’une « restriction par objet ». Par son quatrième moyen, GUK fait valoir que le Tribunal a commis une erreur dans le cadre de l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE aux accords litigieux. Par son cinquième moyen, GUK estime que le Tribunal a exercé son pouvoir de contrôle juridictionnel ultra vires en constatant une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE qui ne ressort pas de la décision litigieuse. Enfin, par son sixième moyen, GUK considère que le Tribunal a effectué une application incorrecte de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003.
22 Dans le cadre de la deuxième branche de son deuxième moyen, GUK tente de remettre en cause la conclusion du Tribunal selon laquelle Merck (GUK) était une concurrente potentielle de Lundbeck.
23 Il convient donc d’examiner, tout d’abord, la deuxième branche du deuxième moyen, ensuite, le premier moyen, le deuxième moyen – à l’exclusion de sa deuxième branche – et le troisième moyen, pris ensemble, puis, successivement, les autres moyens.
Sur la deuxième branche du deuxième moyen
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
24 Pour rejeter le quatrième moyen d’annulation, tiré de l’absence d’un rapport de concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck au moment de la conclusion des accords litigieux, le Tribunal a notamment jugé, au point 102 de l’arrêt attaqué, que la jurisprudence exige uniquement de démontrer que Merck (GUK) disposait de possibilités réelles et concrètes et de la capacité d’entrer sur le marché, ce qui, selon le Tribunal, est certainement le cas lorsqu’un fabricant de médicaments génériques parvient à entrer, même à ses propres risques, sur le marché. Il a également jugé, au point 113 de cet arrêt, que la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant que l’existence d’obstacles juridiques découlant de l’existence d’un brevet ne suffisait pas pour exclure l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck au moment de la conclusion des accords litigieux, dans la mesure où il ne ressort pas des éléments du dossier que de tels obstacles étaient insurmontables et qu’ils étaient perçus comme tels par les parties à ces accords.
Argumentation des parties
25 Par la deuxième branche de son deuxième moyen, GUK rappelle d’abord que le Tribunal a conclu qu’elle était une concurrente potentielle de Lundbeck dans la mesure où il serait constant que l’entrée sur le marché d’un fabricant de médicaments génériques ne suppose pas que son produit ne soit pas contrefaisant, tout en reconnaissant qu’elle n’était pas certaine d’obtenir gain de cause à l’issue d’une éventuelle procédure contentieuse. À cet égard, GUK fait ensuite valoir que le Tribunal ne pouvait décider qu’il revenait à Lundbeck d’apporter la preuve de la contrefaçon de ses brevets de procédé, estimer qu’il était douteux que Lundbeck puisse obtenir des mesures provisoires et s’appuyer sur le fait que le citalopram générique de GUK avait été brièvement commercialisé au Royaume-Uni et dans l’EEE pour justifier l’absence d’appréciation du risque de contentieux. Ces deux premières considérations seraient incorrectes et la troisième constituerait une base insuffisante pour considérer que GUK était un concurrent potentiel, dès lors qu’elle aurait temporairement commercialisé son produit en Suède par l’entremise d’un distributeur.
26 Par ailleurs, le Tribunal n’aurait pas tenu compte de l’arrêt de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery, Royaume-Uni], du 23 octobre 2001, Smithkline Beecham Plc v. Generics (UK) Ltd [(2002) 25(1) IPD 25005], par lequel cette juridiction a imposé aux fabricants de médicaments génériques de fournir une information adéquate et en temps utile concernant le lancement d’un générique afin d’éviter des mesures d’injonction, ni du fait que GUK s’exposait au paiement d’une indemnité de 55 millions d’euros en cas d’entrée contrefaisante sur le marché. Dès lors, selon GUK, le Tribunal ne pouvait se contenter de constater que les obstacles à l’entrée sur le marché liés au contentieux en matière de brevets n’étaient « pas insurmontables », mais devait vérifier si cette entrée correspondait à une stratégie économiquement viable, conformément à la jurisprudence citée au point 71 de l’arrêt attaqué.
27 La Commission considère que la deuxième branche du deuxième moyen doit être rejetée.
Appréciation de la Cour
28 Il convient de relever d’emblée que la deuxième branche du deuxième moyen soulevée par GUK ne porte pas sur la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en raison de la qualification des accords litigieux de « restriction par objet », comme le laisse entendre l’intitulé de ce moyen aux termes duquel « [l]es éléments de preuve retenus à l’appui des conclusions du Tribunal ne constituent pas des preuves précises, fiables, cohérentes et globales, jugées nécessaires par la Cour pour satisfaire la charge de la preuve d’une “infraction par objet” ».
29 Par cette branche, GUK critique en réalité le constat d’un rapport de concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck, lequel s’inscrit dans le cadre d’une appréciation préalable comme le montre l’ordre de traitement des moyens dans l’arrêt attaqué, de telle sorte qu’il convient d’examiner ladite branche en premier lieu.
30 En particulier, GUK reproche au Tribunal d’avoir considéré, au point 102 de l’arrêt attaqué, que Merck (GUK) disposait de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché « même à ses propres risques » et d’avoir conclu, au point 113 de cet arrêt, que les obstacles liés au contentieux en matière de brevets n’étaient « pas insurmontables ». Or, il ne suffirait pas que le Tribunal observe que les obstacles auxquels Merck (GUK) était confrontée n’étaient « pas insurmontables » dès lors qu’il a jugé au point 71 de l’arrêt attaqué qu’une entreprise ne saurait être qualifiée de concurrent potentiel si son entrée sur le marché ne correspond pas à une stratégie économique viable.
31 À cet égard, il convient d’emblée de rappeler que, pour tomber sous l’interdiction de principe prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un comportement d’entreprises doit non seulement révéler l’existence d’une collusion entre elles – à savoir un accord entre entreprises, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée –, mais cette collusion doit également affecter défavorablement et de manière sensible le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 31].
32 Cette dernière exigence suppose, s’agissant d’accords de coopération horizontale conclus entre des entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production ou de distribution, que ladite collusion intervienne entre des entreprises se trouvant en situation de concurrence si ce n’est actuelle du moins potentielle [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 32].
33 Afin d’apprécier si une entreprise absente d’un marché se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec une ou plusieurs autres entreprises déjà présentes sur ce marché, il convient de déterminer s’il existe des possibilités réelles et concrètes que cette première intègre ledit marché et concurrence la ou les secondes [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 36 ainsi que jurisprudence citée].
34 Lorsque sont en cause des accords, tels que les accords litigieux, ayant pour conséquence de maintenir temporairement hors du marché plusieurs entreprises, il y a lieu de déterminer, au regard de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, s’il aurait existé, en l’absence desdits accords, des possibilités réelles et concrètes que ces entreprises accèdent audit marché et concurrencent l’entreprise qui y est établie [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 37 et 39].
35 Concernant plus particulièrement de tels accords intervenus dans le contexte de l’ouverture du marché d’un médicament contenant un principe actif récemment tombé dans le domaine public aux fabricants de médicaments génériques, il convient d’établir, en tenant dûment compte des contraintes réglementaires propres au secteur du médicament ainsi que des droits de propriété intellectuelle et en particulier des brevets détenus par les fabricants de médicaments princeps portant sur un ou plusieurs procédés de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 40 et 41], si le fabricant de médicaments génériques a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 58].
36 Pour ce faire, il y a lieu d’apprécier, premièrement, si, à la date de la conclusion de tels accords, ledit fabricant avait effectué des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps. Deuxièmement, il doit être vérifié que l’entrée sur le marché d’un tel fabricant de médicaments génériques ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 43 et 45]. Par ailleurs, le constat d’une concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments génériques et un fabricant de médicaments princeps peut être corroboré par des éléments supplémentaires, tels que la conclusion d’un accord entre eux alors que le premier n’était pas présent sur le marché concerné [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 54 à 56].
37 S’agissant, en particulier, de l’appréciation de l’existence sur le marché concerné de barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable, la Cour a indiqué que l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme une telle barrière insurmontable, nonobstant la présomption de validité attachée à ce brevet, dès lors que celle-ci ne renseigne nullement, aux fins de l’application des articles 101 et 102 TFUE, sur l’issue d’un éventuel litige relatif à la validité dudit brevet [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 46 à 51].
38 Partant, l’existence d’un tel brevet ne saurait, en tant que telle, empêcher de qualifier de « concurrent potentiel » du fabricant du médicament princeps concerné un fabricant de médicaments génériques qui a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et qui, par ses démarches, se montre prêt à contester la validité de ce brevet et à assumer le risque de se voir, lors de son entrée sur le marché, confronté à une action en contrefaçon introduite par le titulaire dudit brevet [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 46].
39 Il en découle que, en l’occurrence, et contrairement à ce que soutient GUK, aucune erreur de droit ne saurait être reprochée au Tribunal au motif qu’il a, en substance, considéré, au point 102 de l’arrêt attaqué, que le critère à prendre en considération pour constater l’existence d’un rapport de concurrence entre un fabricant de médicaments princeps et un fabricant de médicaments génériques est celui selon lequel ce dernier doit disposer de possibilités réelles et concrètes ainsi que de la capacité d’entrer sur le marché. Le Tribunal n’a pas non plus commis d’erreur de droit lorsqu’il a affirmé, au point 113 de l’arrêt attaqué, que l’existence d’obstacles juridiques découlant de l’existence d’un brevet ne suffisait pas pour exclure l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck au moment de la conclusion des accords litigieux, dans la mesure où, selon son appréciation souveraine des faits, il ne ressortait pas des éléments du dossier que de tels obstacles étaient insurmontables et qu’ils étaient perçus comme tels par les parties à ces accords.
40 En conséquence, la deuxième branche du deuxième moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
Sur les premier à troisième moyens
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
41 Par les points 130 à 343 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les premier à troisième moyens invoqués par GUK au soutien de son recours en annulation et tirés d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en raison de la qualification des accords litigieux de « restriction par objet ».
42 Après avoir effectué, aux points 132 à 138 de l’arrêt attaqué, un rappel des principes et de la jurisprudence applicables, le Tribunal a procédé, aux points 142 à 145 de cet arrêt, à une synthèse de la décision litigieuse à l’occasion de laquelle il a, notamment, relevé ce qui suit :
« 142 Il ressort [...] de la décision [litigieuse] que, même si les restrictions prévues par les accords litigieux entraient dans le champ d’application des brevets de [procédé de] Lundbeck (c’est-à-dire que ces accords empêchaient uniquement l’entrée sur le marché d’un citalopram générique jugé par les parties aux accords comme contrefaisant potentiellement ces brevets et non celle de tout type de citalopram générique), ceux-ci seraient malgré tout restrictifs de la concurrence par objet, dans la mesure notamment où ils avaient empêché ou rendu inutile tout type de contestation des brevets de [procédé de] Lundbeck devant les juridictions nationales, alors même que, selon la Commission, ce type de contestation faisait partie du jeu normal de la concurrence en matière de brevets (considérants 603 à 605, 625, 641 et 674 de la décision [litigieuse]).
143 En d’autres termes, selon la Commission, les accords litigieux avaient transformé l’incertitude quant à l’issue de telles actions contentieuses en la certitude que les génériques n’entreraient pas sur le marché, ce qui pouvait également constituer une restriction de la concurrence par objet lorsque de telles limitations ne résultaient pas d’une analyse, par les parties, des mérites du droit exclusif en cause, mais plutôt de l’importance du paiement inversé qui, dans un tel cas, éclipsait cette évaluation et incitait [le fabricant de médicaments] génériques à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché (considérant 641 de la décision [litigieuse]).
144 Il convient de souligner, à cet égard, que la Commission n’a pas établi, dans la décision [litigieuse], que tous les règlements amiables en matière de brevets contenant des paiements inversés étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais uniquement que le caractère disproportionné de tels paiements, combiné à plusieurs autres facteurs, tels que le fait que les montants de ces paiements semblaient correspondre au moins aux profits escomptés par les [fabricants de médicaments] génériques en cas d’entrée sur le marché, l’absence de clauses permettant aux [fabricants de médicaments] génériques de lancer leurs produits sur le marché à l’expiration des accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ou encore la présence, dans ces accords, de restrictions allant au-delà de la portée des brevets [de procédé] de Lundbeck, permettait de conclure que les accords litigieux avaient pour objet de restreindre la concurrence par objet, au sens de cette disposition, en l’espèce (considérants 661 et 662 de la décision [litigieuse]). »
43 Ensuite, le Tribunal a écarté chacun des arguments soulevés par GUK au regard du contenu des accords litigieux, aux points 154 à 205 de l’arrêt attaqué, de leur finalité, aux points 206 à 236 de cet arrêt, et de leur contexte, aux points 237 à 343 de ce même arrêt.
44 Dans ce cadre, il a relevé, au point 151 de l’arrêt attaqué, qu’il n’est pas requis que le même type d’accords que les accords litigieux ait déjà été condamné par la Commission pour que ces derniers puissent être considérés comme des « restrictions par objet ».
45 Concernant l’accord UK, le Tribunal a notamment relevé, aux points 170 à 177 de l’arrêt attaqué, que, même si la Commission n’avait pas établi à suffisance de droit que les restrictions contenues dans cet accord allaient au-delà du champ d’application des brevets de procédé de Lundbeck, ledit accord devait être qualifié de « restriction par objet » dans la mesure où, loin de régler un quelconque litige en matière de brevets entre les parties à l’accord UK, les engagements de GUK avaient été obtenus en contrepartie de paiements inversés importants qui avaient pour objectif d’empêcher Merck (GUK) d’entrer sur le marché pendant toute la durée de ce même accord avec ses produits génériques contenant le citalopram de Natco. Ce faisant, l’accord UK a, selon le Tribunal, transformé l’incertitude quant à l’issue d’éventuelles actions en contrefaçon en la certitude que Merck (GUK) n’entrerait pas avec ses produits génériques sur le marché pendant toute la durée de cet accord, alors même que les limitations à l’autonomie commerciale de Merck (GUK) résultaient non pas exclusivement d’une analyse, par les parties à l’accord, des brevets de procédé de Lundbeck, mais plutôt de l’importance du paiement inversé qui, dans un tel cas, l’a emporté sur cette évaluation et a incité Merck (GUK) à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché. En outre, le Tribunal a relevé aux points 176 et 177 de l’arrêt attaqué, que, même si Merck (GUK) avait pu, théoriquement, vendre d’autres types de produits finis que ceux de Lundbeck, Merck (GUK) n’avait aucun intérêt à le faire, puisqu’elle pouvait, sans prendre le moindre risque, obtenir la somme de 5 millions de GBP en tant que bénéfices garantis pour la vente du Cipramil, somme qualifiée de « profits nets » par l’accord UK.
46 Concernant l’accord pour l’EEE, le Tribunal a notamment relevé, au point 192 de l’arrêt attaqué, qu’il avait pour but non seulement d’éliminer Merck (GUK) des marchés de l’EEE, en tant que vendeur du citalopram de Natco, mais également d’éliminer Natco en tant que producteur de citalopram générique sur ce territoire.
47 Aux points 196 et 205 de cet arrêt, le Tribunal a également constaté que les accords litigieux n’étaient pas aptes à résoudre un différend ou un litige potentiel entre Merck (GUK) et Lundbeck.
48 Aux points 213, et 214 de ce même arrêt, il a en outre relevé que, afin d’établir l’existence d’une « restriction par objet » en l’espèce, la Commission n’avait pas à apprécier la portée des brevets de procédé de Lundbeck en démontrant que Merck (GUK) avait objectivement de réelles chances de l’emporter en cas de contentieux portant sur ces brevets, mais pouvait plutôt se fonder sur la perception qu’avaient les parties aux accords litigieux de leur position en matière de brevets et de leurs chances de l’emporter en cas de litige au moment de conclure ces accords, en s’appuyant sur des éléments objectifs, ce qu’elle aurait fait.
49 Aux points 243 à 245 ainsi qu’au point 250 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que GUK ne pouvait pas se prévaloir de la présomption de validité attachée aux brevets de procédé de Lundbeck dans la mesure où l’existence de tels brevets n’implique pas le droit d’exclure de manière temporaire ou définitive un concurrent réel ou potentiel du marché, sous couvert de régler certains litiges à l’amiable, lorsque l’issue de tels litiges est hautement incertaine et qu’il ressort à la fois du contenu des accords concernés et du contexte dans lequel ils s’inscrivent que l’objectif de ces accords est de restreindre la concurrence, et ce sans violer la jurisprudence issue de l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75).
50 Aux points 260 à 263 ainsi qu’au point 268 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé, en prenant appui notamment sur l’arrêt de la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis) du 17 juin 2013, Federal Trade Commission v. Actavis [570 U. S. (2013)], que l’existence d’un paiement inversé peut constituer une indication de l’existence d’une « restriction par objet », lorsqu’il apparaît qu’un tel paiement a incité le fabricant de médicaments génériques à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché, comme en l’espèce, et cela même si l’existence d’un paiement inversé dans le cadre d’un règlement amiable en matière de brevets n’est pas toujours problématique. Au point 261 de cet arrêt, le Tribunal a, par ailleurs, indiqué que, pour la Commission, les paiements inversés en cause présentaient un caractère disproportionné.
51 Aux points 271 à 274 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a encore indiqué que la Commission s’était conformée, dans sa qualification des accords litigieux de « restriction par objet », aux arrêts du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), et du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204).
52 Enfin, aux points 293 à 296 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a refusé de faire droit à l’argumentation de GUK selon laquelle la qualification de « restriction par objet » des accords litigieux supposait que les paiements inversés en cause aient été supérieurs aux bénéfices escomptés par Merck (GUK). À cet égard, il a considéré que cet élément n’avait été qu’un élément de contexte pris en considération par la Commission, en distinguant, aux points 293 et 294 de cet arrêt, les accords litigieux de celui conclu entre Lundbeck et Neolab Ltd qui avait aussi donné lieu à un paiement inversé mais dont il a estimé qu’il avait effectivement pour objet de régler un litige sans pour autant retarder l’entrée des médicaments génériques sur le marché.
Argumentation des parties
53 Par son premier moyen, GUK estime que les accords litigieux ont été, à tort, qualifiés de « restriction par objet » par le Tribunal, en violation de la jurisprudence issue de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204). Le constat effectué, au point 274 de l’arrêt attaqué, selon lequel les accords litigieux avaient permis de retarder l’entrée de GUK sur les marchés concernés, tout comme le constat effectué aux points 142 et 143 dudit arrêt, selon lequel les accords litigieux ont transformé l’incertitude quant à l’issue d’une action en justice en une certitude d’absence d’entrée sur le marché d’un fabricant de médicaments génériques, seraient insuffisants pour constater l’existence d’une « restriction par objet », d’autant que le Tribunal ferait état, à plusieurs reprises, du caractère incertain de ses conclusions concernant le contenu des accords amiables et de leurs implications, notamment aux points 221, 233 ou 296 de l’arrêt attaqué. Ainsi, le Tribunal exprimerait des doutes et des incertitudes sur des éléments essentiels de l’analyse, en particulier sur la probabilité de l’entrée de GUK sur le marché, sur la date de cette entrée ainsi que sur l’impact des sommes qu’elle a reçues.
54 Selon GUK, le Tribunal aurait également fait une application erronée de l’exigence portant sur l’expérience préalable d’accords constitutifs de « restrictions par objet », telle qu’elle serait précisée au point 21 de l’arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija (C‑345/14, EU:C:2015:784). En effet, alors que le Tribunal considère que les accords de règlement amiable de litiges en matière de brevets ne sont pas « factices », il ne mentionnerait aucun élément permettant d’étayer sa conclusion selon laquelle ces accords présenteraient, en tant que tels, un degré suffisant de nocivité. À cet égard, le Tribunal ne saurait se prévaloir, au point 263 de l’arrêt attaqué, de l’arrêt de la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis) du 17 juin 2013, Federal Trade Commission v. Actavis [570 U. S. (2013)], dans la mesure où il en retiendrait une lecture exactement opposée. Il ne saurait pas non plus se prévaloir des arrêts du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission (C‑286/13 P, EU:C:2015:184), et du 16 juillet 2015, ING Pensii (C‑172/14, EU:C:2015:484), qui ne concerneraient pas l’exercice de droits exclusifs.
55 Par son deuxième moyen, à l’exception de sa deuxième branche qui a déjà été rejetée comme étant non fondée au point 40 du présent arrêt, GUK estime que les preuves retenues par le Tribunal ne constituent pas des preuves précises, fiables, cohérentes et globales permettant de retenir la qualification de « restriction par objet » des accords litigieux, compte tenu de l’absence de contrôle approfondi effectué par celui-ci sur lesdites preuves, conformément aux points 44 et 45 de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204).
56 Premièrement, GUK estime que la conclusion du Tribunal selon laquelle l’accord pour l’EEE contenait des restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de procédé de Lundbeck est fondée sur une lecture décontextualisée de cet accord et contraire à celle retenue pour l’accord UK qui aurait tenu compte de l’accord d’approvisionnement exclusif portant sur le citalopram de Natco conclu entre GUK et Schweizerhall Pharma International GmbH.
57 Deuxièmement, GUK estime que le Tribunal ne pouvait déduire des éléments de preuve que Merck (GUK) était confiante quant au caractère non contrefaisant de son produit, compte tenu des doutes à cet égard mentionnés dans l’arrêt attaqué tant de sa part que de la part de Lundbeck.
58 Troisièmement, GUK fait grief au Tribunal d’avoir considéré, aux points 144 et 261 de l’arrêt attaqué, que le montant des paiements inversés était « disproportionné » alors qu’il a considéré, au point 296 de cet arrêt, que la Commission n’avait pas à démontrer que ces paiements excédaient les bénéfices escomptés et qu’il a admis, au point 260 dudit arrêt, que l’existence de paiements inversés n’est pas toujours problématique. De surcroît, selon GUK, il ne pouvait déduire du caractère disproportionné de ces paiements ainsi que d’autres facteurs que l’objet des accords litigieux était de restreindre la concurrence, ni affirmer que GUK n’avait pas fourni d’explication plausible quant aux raisons pour lesquelles Lundbeck lui aurait payé les montants en cause, et que ces accords ne faisaient aucune référence aux frais liés à un éventuel litige. Par ailleurs, dans la mesure où il s’est prévalu de l’arrêt de la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis) du 17 juin 2013, Federal Trade Commission v. Actavis [570 U.S. (2013)], le Tribunal aurait dû y relever que cette juridiction considère que « le montant du paiement inversé inexpliqué [peut] constituer un substitut pour la faiblesse du brevet » dans le contexte d’une étude approfondie du caractère raisonnable de la restriction en cause.
59 Quatrièmement, GUK soutient que le Tribunal ne pouvait considérer, au point 205 de l’arrêt attaqué, que les accords litigieux n’étaient pas aptes à résoudre les litiges en matière de brevets, tout en mentionnant le contentieux avec Lagap Pharmaceuticals comme une base permettant de résilier lesdits accords. À cet égard, la présence dans ces accords d’une clause explicite de renonciation de Lundbeck à introduire une action en contrefaçon de ses brevets de procédé à l’expiration desdits accords n’aurait pas été nécessaire dès lors que les accords litigieux prévoyaient leur résiliation en cas de défaite de Lundbeck dans le cadre du litige qui l’opposait à Lagap Pharmaceuticals puisque, dans ce cas, Lundbeck n’aurait plus eu aucun intérêt à introduire des recours contre d’autres fabricants de médicaments génériques.
60 Cinquièmement, de l’avis de GUK, l’arrêt attaqué serait incohérent en ce que ses conclusions concernant les accords litigieux seraient différentes de celles concernant l’accord conclu entre Lundbeck et Neolab, lequel a été considéré, au point 294 de l’arrêt attaqué, comme légitime sans explication claire et alors même, d’une part, qu’il prévoyait que Neolab suspendrait ses ventes jusqu’à l’arrêt mettant fin à l’instance dans l’affaire opposant Lundbeck à Lagap Pharmaceuticals en contrepartie d’une indemnisation versée en cas d’annulation du brevet en cause à la demande de Neolab et, d’autre part, que Neolab avait, par la suite, accepté de conclure avec Lundbeck un accord en contrepartie d’un paiement comptant.
61 Par son troisième moyen, GUK soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en renversant la charge de la preuve de l’existence d’une « restriction par objet » en exigeant de GUK, aux points 76, 77 et 83 de l’arrêt attaqué, qu’elle prouve qu’un litige se serait certainement produit et qu’elle aurait certainement succombé si Lundbeck avait introduit un recours. À cet égard, GUK indique que l’arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission (T‑442/08, EU:T:2013:188), visé par le Tribunal, n’est pas applicable au cas d’espèce dans la mesure où il concernait la preuve d’une pratique concertée. De plus, le Tribunal se serait appuyé à plusieurs reprises sur des éléments qui, de son propre aveu, étaient incertains ou douteux, en faisant profiter la Commission de ce doute, ainsi qu’il ressortirait des points 104, 122, 124 et 125 de l’arrêt attaqué. Il aurait également considéré qu’il n’était pas tenu d’apprécier si, sur la base des documents pertinents, il existait des preuves claires et convaincantes que Merck (GUK) avait des perspectives réalistes de l’emporter en cas de litige, privilégiant, aux points 212 et 214 de l’arrêt attaqué, la seule perception des parties aux accords litigieux quant à leurs chances de l’emporter en cas de litige au moment de conclure ces accords, et ce en contradiction avec l’arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission (T‑321/05, EU:T:2010:266, point 362). GUK fait encore valoir qu’un accord de règlement amiable de litiges relatifs aux brevets ne contribue pas à établir l’existence d’une infraction, mais ne fait que refléter l’exercice d’un droit conféré par un brevet et que de tels accords ne sont pas factices. À cet égard, GUK relève que la Cour, aux points 26 et 28 de l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75), a considéré que la Commission « ne [pouvait] s’abstenir de toute initiative lorsque la portée du brevet [concerné] est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles [101] et [102] [TFUE] », et estime que le Tribunal doit rechercher si « la Commission a apprécié de manière raisonnable la portée de ce brevet », ce qu’il se serait abstenu de faire. Enfin, le fait que des accords puissent se révéler être la solution la plus rentable ou la moins risquée n’exclurait certes pas l’application de l’article 101 TFUE, mais encore faudrait-il que soit établie l’existence de l’infraction.
62 La Commission estime que les premier à troisième moyens sont, en partie, irrecevables, et, en tout état de cause, non fondés.
Appréciation de la Cour
63 À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
64 Or, s’agissant des arguments de GUK avancés dans le cadre de son deuxième moyen et relatifs aux constats effectués par le Tribunal portant sur le champ d’application de l’accord pour l’EEE, sur le fait que les accords litigieux n’étaient pas aptes à résoudre un différend ou un litige potentiel entre Merck (GUK) et Lundbeck (point 205 de l’arrêt attaqué), ou sur le fait que Merck (GUK) était confiante quant au caractère non contrefaisant de son produit, il y a lieu de relever qu’ils tendent à remettre en cause la constatation ou l’appréciation des éléments de fait ou de preuve effectuée par le Tribunal, sans que GUK ait allégué et a fortiori démontré une quelconque dénaturation de ces éléments par celui-ci.
65 Partant, ces arguments sont irrecevables.
66 Pour le surplus, concernant la qualification d’une pratique collusoire de « restriction par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser, ainsi que le Tribunal l’a rappelé aux points 133 à 137 de l’arrêt attaqué, que la notion de « restriction par objet » doit être interprétée de manière stricte et ne peut être appliquée qu’à certains accords entre entreprises révélant, en eux-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire, dès lors que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 67 ainsi que jurisprudence citée].
67 Concernant des accords similaires de règlement amiable de litiges relatifs à un brevet de procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public conclus entre un fabricant de médicaments princeps et plusieurs fabricants de médicaments génériques et ayant eu pour effet de reporter l’entrée sur le marché de médicaments génériques en contrepartie de transferts de valeurs à caractère monétaire ou non monétaire du premier au profit des seconds, la Cour a retenu que de tels accords ne sauraient être considérés, dans tous les cas, comme des « restrictions par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85].
68 Toutefois, la qualification de « restriction par objet » doit être retenue lorsqu’il ressort de l’examen de l’accord de règlement amiable concerné que les transferts de valeurs prévus par celui-ci s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial tant du titulaire du brevet que du contrefacteur allégué à ne pas se livrer une concurrence par les mérites, dans la mesure où des accords par lesquels des concurrents substituent sciemment une coopération pratique entre eux aux risques de la concurrence relèvent manifestement de la qualification de « restriction par objet » [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 83 et 87].
69 Aux fins de cet examen, il convient, dans chaque cas d’espèce, d’apprécier si le solde positif net des transferts de valeurs du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques était suffisamment important pour inciter effectivement ce dernier à renoncer à entrer sur le marché concerné et, partant, à ne pas concurrencer par ses mérites le fabricant de médicaments princeps, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices que ce fabricant de médicaments génériques aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 93 et 94].
70 En l’occurrence, il ressort des points 143, 173, 196, 268 et 274 de l’arrêt attaqué que les accords litigieux ne visaient pas à régler un litige en matière de brevets, ont permis de retarder l’entrée sur le marché de Merck (GUK) et étaient assortis de paiements effectués par Lundbeck en faveur de Merck (GUK) qui, par leur importance, ont incité cette dernière à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché.
71 Concernant l’accord UK, le Tribunal a considéré, au point 174 de cet arrêt, que cet accord avait, en tout état de cause, transformé l’incertitude quant à l’issue d’éventuelles actions en contrefaçon en la certitude que Merck (GUK) n’entrerait pas avec ses produits génériques sur le marché pendant toute la durée dudit accord en raison de l’importance du transfert de valeur qui l’a incitée à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché. Il a également relevé, aux points 176 et 177 de ce même arrêt, et nonobstant certaines constatations équivoques telles que celles évoquées par GUK, que, au regard du montant de ce transfert de valeur, Merck (GUK) n’avait aucun intérêt à vendre d’autres types de produits finis que ceux de Lundbeck, puisqu’elle pouvait, sans prendre le moindre risque, obtenir la somme de 5 millions de GBP en tant que bénéfices garantis pour la vente du Cipramil produit par Lundbeck.
72 Dans le même sens et concernant l’accord pour l’EEE, le Tribunal a considéré, au point 192 de l’arrêt attaqué, que celui-ci avait pour but non seulement d’éliminer Merck (GUK) des marchés de l’EEE, en tant que vendeur du citalopram de Natco, mais également d’éliminer Natco en tant que producteur de citalopram générique sur ce territoire.
73 Compte tenu de ces constations factuelles, nettement plus étayées que ce que GUK prétend, et sans qu’il soit besoin de savoir, d’une part, si c’est à bon droit que le Tribunal a pu assimiler, aux points 271 à 274 de l’arrêt attaqué, les accords litigieux à ceux en cause dans l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), ou dans d’autres arrêts non visés par l’arrêt attaqué, et, d’autre part, si le Tribunal a interprété correctement l’arrêt de la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis) du 17 juin 2013, Federal Trade Commission v. Actavis [570 U. S. (2013)], qui ne saurait en aucun cas le lier, il y a lieu de considérer que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu parvenir à la conclusion que les accords litigieux relevaient de la qualification de « restriction par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
74 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par GUK.
75 Premièrement, celle-ci ne saurait se prévaloir, afin d’écarter la qualification de « restriction par objet » des accords litigieux, du fait que ceux-ci reflétaient l’exercice d’un droit conféré par un brevet.
76 En effet, si la conclusion par le titulaire d’un brevet d’un accord de règlement amiable avec un contrefacteur allégué n’excédant pas la portée et la durée de validité restante de ce brevet constitue certes l’expression du droit de propriété intellectuelle de ce titulaire et l’autorise, notamment, à s’opposer à toute contrefaçon, il n’en demeure pas moins que ledit brevet n’autorise pas son titulaire à conclure des contrats qui violeraient l’article 101 TFUE [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 97].
77 Ainsi, la circonstance selon laquelle les accords litigieux reflétaient l’exercice d’un droit conféré par un brevet ne saurait légitimer une violation de l’article 101 TFUE et plus encore une pratique collusoire dont il a été constaté qu’elle présente le degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifiée de « restriction par objet », ce que le Tribunal a en substance rappelé aux points 243 à 245 de l’arrêt attaqué.
78 Deuxièmement, GUK ne saurait pas davantage reprocher au Tribunal d’avoir qualifié les accords litigieux de « restriction par objet » en l’absence d’expérience préalable portant sur les accords constitutifs de « restriction par objet », au mépris du point 21 de l’arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija (C‑345/14, EU:C:2015:784).
79 En effet, comme l’a relevé à bon droit le Tribunal au point 151 de l’arrêt attaqué, il n’est nullement requis que le même type d’accords ait déjà été condamné par la Commission pour que les accords litigieux puissent être considérés comme des « restrictions par objet », et ce alors même qu’ils interviennent dans un contexte spécifique tel que celui des droits de propriété intellectuelle.
80 Aux fins de la qualification de « restriction par objet » d’un accord donné, seules importent les caractéristiques propres de celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85] dont doit être déduite l’éventuelle nocivité particulière pour la concurrence, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de cet accord, de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère, ce que confirme le point 21 de l’arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija (C‑345/14, EU:C:2015:784).
81 Or, les accords litigieux, qui ont permis de retarder l’entrée sur le marché de Merck (GUK) et qui étaient assortis de paiements effectués par Lundbeck en faveur de Merck (GUK), lesquels, par leur importance, ont incité cette dernière à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché, appartiennent à cette catégorie de pratiques revêtant une nocivité particulière pour la concurrence.
82 Troisièmement, GUK n’est pas fondée à reprocher au Tribunal, dans le cadre de son troisième moyen, de ne pas avoir imposé à la Commission d’apprécier objectivement les réelles chances pour Merck (GUK) d’obtenir gain de cause en cas de procédure contentieuse portant sur les brevets et, parallèlement, d’avoir tenu compte de la perception des parties aux accords litigieux.
83 À cet égard, ainsi qu’il ressort du point 60 de l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑591/16 P, Lundeck/Commission, tout comme l’appréciation de l’existence d’un éventuel rapport de concurrence potentielle entre les parties à un accord de règlement amiable, tel que les accords litigieux [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 50], l’appréciation de la force des brevets de procédé en cause comme des chances de succès de l’une ou l’autre des parties à l’accord de règlement amiable concerné n’est pas pertinente aux fins de la qualification de « restriction par objet », dès lors qu’il est constaté que c’est la perspective du transfert de valeur par le fabricant de médicaments princeps qui a incité le fabricant de médicaments génériques à renoncer à une entrée sur le marché [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 89], ce qu’a fait le Tribunal, notamment aux points 174, 176 et 177 de l’arrêt attaqué.
84 Aucune conclusion contraire ne saurait être déduite des points 26 et 28 de l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75). En effet, il ressort seulement du point 26 de cet arrêt que la Commission ne peut s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 et 102 TFUE. Or, une telle pertinence fait défaut lorsque, comme en l’espèce, malgré une éventuelle incertitude quant à la portée d’un brevet ou précisément en raison d’une telle incertitude, il est possible de constater un rapport de concurrence potentielle entre le titulaire de ce brevet et d’autres entreprises prêtes à entrer sur le marché pertinent en assumant le risque de contrefaire ledit brevet.
85 En tout état de cause, les points 26 et 28 de l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75), ne peuvent être compris comme exigeant que la Commission se livre à la même analyse que celle incombant aux juridictions appelées à connaître du bien-fondé d’actions relatives audits brevets, dès lors que le point 27 de ce même arrêt énonce que les constatations susceptibles d’être effectuées par la Commission ne préjugent en rien les appréciations que les juridictions nationales porteront sur les différends relatifs aux droits de brevet dont elles sont saisies.
86 Aux fins de la qualification de « restriction par objet », il importe également de relever que, contrairement à ce que soutient GUK, le Tribunal pouvait à bon droit tenir compte, comme il l’a fait au point 214 de l’arrêt attaqué, de la perception qu’avaient les parties au moment de conclure les accords litigieux de leur position en matière de brevets et de leurs chances d’obtenir gain de cause en cas de litige, conformément au principe de libre administration de la preuve prévalant en droit de l’Union (arrêt du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission, C‑469/15 P, EU:C:2017:308, point 38 ainsi que jurisprudence citée) mais également au point 26 de l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75), ainsi qu’il ressort du point 250 de l’arrêt attaqué.
87 Par ailleurs, il y a lieu d’ajouter à cet égard que, au même point 214 de l’arrêt attaqué, il est précisé que, en se fondant sur la perception des parties aux accords litigieux aux fins de la qualification de ces accords de « restriction par objet », la Commission s’était appuyée sur des éléments objectifs tels que des documents ou des éléments de preuve émanant des parties aux accords in tempore non suspecto.
88 Quatrièmement, GUK ne peut valablement reprocher au Tribunal d’avoir jugé, au point 296 de l’arrêt attaqué, qu’il ne pouvait être exigé de la Commission, aux fins d’établir l’existence d’une « restriction par objet », qu’elle démontre que les paiements inversés excédaient les bénéfices escomptés par Merck (GUK) en cas de commercialisation de ses médicaments génériques.
89 En effet, compte tenu de l’incertitude quant à l’issue d’une procédure contentieuse portant sur les brevets, il n’est nullement requis que les transferts de valeurs soient nécessairement supérieurs aux bénéfices que le fabricant de médicaments génériques concerné aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause à l’issue de cette procédure. Seul importe le fait que ces transferts de valeurs soient suffisamment avantageux pour inciter ce fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné et à ne pas concurrencer par ses mérites le fabricant de médicaments princeps concerné [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 94].
90 Or, ainsi que cela a déjà été relevé au point 70 du présent arrêt, le Tribunal a constaté, au point 268 de l’arrêt attaqué, que, en l’espèce, les paiements effectués par Lundbeck au bénéfice de GUK ont incité ce fabricant de médicaments génériques à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché.
91 Dès lors, il y a lieu de considérer que, compte tenu de l’importance des paiements inversés en l’espèce, le Tribunal a pu, à bon droit et en toute cohérence, qualifier les accords litigieux de « restriction par objet », et ce nonobstant, d’une part, le fait relevé par le Tribunal, aux points 260 et 293 de l’arrêt attaqué, que l’existence d’un paiement inversé dans le cadre d’un règlement amiable en matière de brevets n’est pas toujours problématique, notamment lorsque ce paiement est lié à la force du brevet et, d’autre part, le fait, mentionné aux points 293 et 294 de ce même arrêt, qu’un accord ayant donné lieu à des paiements inversés, mais dont le Tribunal a relevé les différences notables avec les accords litigieux, ait pu être considéré comme non problématique par la Commission.
92 Cinquièmement, GUK ne peut faire grief au Tribunal d’avoir renversé la charge de la preuve au motif que, à la suite de la Commission, il se serait appuyé sur des faits incertains pour qualifier les accords litigieux de « restriction par objet », imposant de ce fait à GUK de prouver que Lundbeck aurait introduit un recours et que GUK aurait succombé en toute hypothèse.
93 En effet, outre le fait que, à cet égard, GUK critique bon nombre de points de l’arrêt attaqué relatifs au rejet du quatrième moyen d’annulation, tiré de l’absence d’un rapport de concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck au moment de la conclusion des accords litigieux, et non au rejet des premier à troisième moyens portant sur la qualification de « restriction par objet » de ces accords, il ressort de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’est limité à constater le caractère incertain d’un certain nombre d’éléments, tels que l’introduction par Lundbeck d’une action en justice dirigée contre Merck (GUK) en cas d’entrée à risque de celle-ci sur le marché, le succès de Lundbeck dans l’hypothèse d’une telle action ou, à l’inverse, celui de Merck (GUK), pour en déduire, ainsi que cela ressort notamment du point 174 de l’arrêt attaqué, que, par les accords litigieux, Lundbeck et Merck (GUK) ont substitué à l’incertitude quant à l’issue d’éventuelles actions en contrefaçon la certitude que Merck (GUK) n’entrerait pas avec ses produits génériques sur le marché pendant toute la durée des accords litigieux.
94 Ce faisant, le Tribunal n’a aucunement mis à la charge de GUK l’obligation d’apporter la preuve que Lundbeck aurait introduit un recours contre elle et que GUK aurait succombé en toute hypothèse.
95 Il découle de ce qui précède que les premier à troisième moyens doivent être rejetés comme étant, en partie, irrecevables et, en partie, non fondés.
Sur le quatrième moyen
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
96 Pour rejeter les premier à troisième moyens soulevés par GUK au soutien de son recours en annulation et tirés de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en raison de la qualification de « restriction par objet » des accords litigieux, le Tribunal a notamment considéré, au point 266 de l’arrêt attaqué, que « la circonstance que l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel puisse se révéler être la solution la plus rentable ou la moins risquée pour une entreprise n’exclut aucunement l’application de l’article 101 TFUE [...], en particulier lorsqu’il s’agit de payer des concurrents réels ou potentiels pour qu’ils se tiennent à l’écart du marché et de partager avec ceux-ci les bénéfices résultant d’une rente de monopole, au détriment des consommateurs, comme en l’espèce ».
97 Pour rejeter le cinquième moyen soulevé par GUK au soutien de son recours en annulation et tiré de ce que la Commission a conclu à tort que les accords litigieux ne remplissaient pas les conditions d’exemption énoncées à l’article 101, paragraphe 3, TFUE, le Tribunal a rejeté, aux points 347 à 367 de l’arrêt attaqué, les allégations de celle-ci selon lesquelles les accords litigieux avaient permis à Merck (GUK) d’atteindre d’autres objectifs légitimes, à savoir accélérer le lancement du citalopram générique et éviter des frais de procédure importants ainsi que des risques de dédommagements. À cet effet, le Tribunal a considéré, au point 351 de cet arrêt, que lesdits accords avaient plutôt retardé l’entrée sur le marché de Merck (GUK) et conduit NM Pharma, le distributeur de Merck (GUK) pour la Suède, à se retirer du marché suédois. Aux points 353 et 354 dudit arrêt, il a également estimé que la volonté d’éviter des frais importants liés à une éventuelle procédure contentieuse n’était pas avérée dans la mesure où, d’une part, les accords litigieux ne contenaient aucun engagement de la part de Lundbeck de ne pas introduire de recours après l’expiration de ces accords et, d’autre part, GUK n’avait pas suffisamment mis en évidence que l’évitement de tels frais pouvait constituer des gains d’efficacité.
Argumentation des parties
98 Par son quatrième moyen, GUK soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne contrôlant pas pleinement le rejet par la Commission de la justification des accords litigieux au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
99 À cet égard, le Tribunal n’aurait, en premier lieu, pas sérieusement examiné les allégations de GUK concernant les effets des accords litigieux, consistant pour cette dernière à éviter un lancement à risque qui lui aurait fait supporter une forte responsabilité et aurait fait obstacle au lancement du citalopram de Natco. Le Tribunal n’aurait pas non plus examiné son argument selon lequel la durée des accords litigieux était nettement plus courte que la durée moyenne d’un contentieux en matière de brevets. GUK conteste également la conclusion du Tribunal, au point 351 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les accords litigieux ont « plutôt permis de retarder une entrée sur le marché potentiellement imminente » de Merck (GUK) en appréciant la valeur des brevets de procédé de Lundbeck alors que le Tribunal avait considéré, au point 212 de l’arrêt attaqué, qu’il n’appartenait pas à la Commission d’en apprécier la portée et la validité.
100 En second lieu, le Tribunal n’aurait pas examiné sérieusement et aurait écarté par une motivation sommaire, au point 266 de l’arrêt attaqué, les études économiques pertinentes, fiables et crédibles fournies par GUK démontrant que des paiements tels que ceux en cause pouvaient être légitimes et nécessaires pour parvenir à la solution de compromis envisagée par les accords litigieux.
Appréciation de la Cour
101 Par la seconde branche de son quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, qu’il convient d’examiner d’emblée, GUK reproche au Tribunal d’avoir insuffisamment tenu compte et écarté, au point 266 de l’arrêt attaqué, sans motivation suffisante, des études économiques produites par celle-ci afin d’établir que les paiements en cause pouvaient être légitimes.
102 À cet égard, il suffit de relever que cette branche est expressément dirigée contre un point de la motivation de l’arrêt attaqué ayant permis au Tribunal d’écarter non pas le cinquième moyen d’annulation, tiré de la violation de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, mais les premier à troisième moyens d’annulation, tirés de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en raison de la qualification de « restriction par objet » des accords litigieux.
103 En conséquence, en l’absence d’allégation, et a fortiori de démonstration, d’une dénaturation par le Tribunal de l’argumentation de GUK au soutien de laquelle celle-ci a fourni des études économiques et en l’absence de démonstration que ces études ont été soumises dans le cadre du cinquième moyen d’annulation, la seconde branche du présent moyen doit être considérée comme soulevant, au stade du pourvoi, une argumentation nouvelle et, partant, doit être rejetée comme étant irrecevable.
104 Par la première branche du quatrième moyen, GUK reproche au Tribunal, d’une part, de ne pas avoir suffisamment examiné ses arguments visant à mettre en évidence le caractère avantageux des accords litigieux pour Merck (GUK) ainsi que la durée nettement plus courte de ceux-ci par rapport à celle d’un contentieux en matière de brevets ainsi que de ne pas avoir suffisamment motivé le rejet de ceux-ci, et, d’autre part, de s’être contredit aux points 212 et 351 de l’arrêt attaqué.
105 À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que, dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, notamment, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par le requérant et, d’autre part, que le moyen tiré d’un défaut de réponse du Tribunal à des arguments invoqués en première instance revient, en substance, à invoquer une violation de l’obligation de motivation qui découle de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut et de l’article 117 du règlement de procédure du Tribunal (arrêt du 15 octobre 2020, Deza/Commission, C‑813/18 P, non publié, EU:C:2020:832, point 57 et jurisprudence citée).
106 Dans ce contexte, la Cour n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige, et la motivation du Tribunal peut donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (arrêt du 26 mai 2016, Rose Vision/Commission, C‑224/15 P, EU:C:2016:358, point 25 et jurisprudence citée).
107 Or, il ressort des points 349 à 366 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a écarté l’allégation de GUK tirée du défaut de satisfaction, en l’espèce, des conditions d’exemption prévues à l’article 101, paragraphe 3, TFUE en relevant, tout d’abord, que GUK n’avait pas démontré, d’une part, que les accords litigieux lui permettaient d’atteindre des objectifs légitimes et, d’autre part, que ces accords étaient nécessaires pour générer des gains d’efficacité, gains d’efficacité dont le Tribunal a, d’ailleurs, constaté qu’ils n’étaient pas suffisamment démontrés.
108 Une telle motivation a permis à GUK de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à ses arguments tendant à établir que, à tout le moins, deux des quatre conditions cumulatives visées à l’article 101, paragraphe 3, TFUE n’étaient pas satisfaites en l’espèce.
109 S’agissant plus particulièrement de la première allégation de GUK tenant au fait que le Tribunal aurait insuffisamment examiné les intérêts légitimes de Merck (GUK) à conclure les accords litigieux afin d’éviter de supporter une forte responsabilité, il convient de relever que, aux points 353 et 354 de l’arrêt attaqué, il a expressément retenu, d’une part, que ces accords ne permettaient pas d’éviter les coûts liés à un éventuel contentieux puisqu’ils ne contenaient aucun engagement de la part de Lundbeck de ne pas introduire de recours après l’expiration desdits accords et, d’autre part, que GUK n’avait pas suffisamment mis en évidence que l’évitement de tels coûts pouvait constituer des gains d’efficacité.
110 Ce faisant, le Tribunal a satisfait non seulement à son obligation de motivation en fournissant une réponse intelligible et pertinente à l’argumentation développée par GUK dans le cadre de son recours en annulation et tendant à établir les effets favorables des accords litigieux pour Merck (GUK), mais également au niveau de contrôle s’imposant à lui dans le cadre de l’appréciation des éléments de preuve convaincants devant être avancés par les entreprises se prévalant de l’exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, dans le respect, en outre, de la jurisprudence de la Cour (arrêt du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, points 82, 83 et 92 à 95).
111 Si, toutefois, par son argumentation, GUK tend à contester l’appréciation des éléments de fait et de preuve effectuée par le Tribunal, il suffit de rappeler, comme cela a déjà été relevé au point 63 du présent arrêt, qu’une telle appréciation ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, non alléguée en l’occurrence, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
112 S’agissant de la seconde allégation de GUK selon laquelle le Tribunal n’aurait pas examiné son argument tiré de la durée des accords litigieux, qui, selon elle, est nettement plus courte que la durée moyenne d’un contentieux en matière de brevets, il est certes vrai que cet argument n’a pas donné lieu à une réponse expresse du Tribunal. Toutefois, la motivation retenue par celui-ci, au point 351 de l’arrêt attaqué, permet aisément de comprendre les raisons pour lesquelles il n’a pas fait droit à cet argument. En effet, le Tribunal y relève, d’une part, que les accords litigieux ont plutôt permis de retarder une entrée sur le marché potentiellement immédiate de Merck (GUK) au Royaume-Uni, ainsi que sur d’autres marchés de l’EEE, et ont même conduit à ce que NM Pharma se retire du marché suédois alors qu’elle y était entrée pendant plus de cinq mois avec succès, et, d’autre part, qu’il n’y avait aucune certitude que Lundbeck introduise une action en contrefaçon contre Merck (GUK).
113 Quant à la seconde argumentation avancée dans le cadre de la première branche du présent moyen, prise d’une contradiction de motifs aux points 212 et 351 de l’arrêt attaqué, il convient de relever que, comme s’agissant de l’appréciation de l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre les parties à des accords tels que les accords litigieux ou encore de l’appréciation de leurs effets potentiels ou réels sur la concurrence en l’absence de qualification de ceux-ci de « restriction par objet » [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 50 et 119], s’il n’appartient pas aux autorités de concurrence comme aux juridictions nationales d’apprécier la force du brevet concerné ou la probabilité qu’un litige entre le titulaire de ce brevet et un fabricant de médicaments génériques pourrait aboutir au constat que ledit brevet est valide et contrefait afin de déterminer si des accords tels que les accords litigieux relèvent de la qualification de « restriction par objet », ce que le Tribunal a considéré en substance au point 212 de l’arrêt attaqué, il n’en demeure pas moins que ces autorités et juridictions ne sauraient faire abstraction de toute question relative au droit des brevets, susceptible d’influer sur la qualification desdits accords.
114 Or, au point 351 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a aucunement apprécié les chances de succès de Lundbeck dans ses actions en contrefaçon contre Merck (GUK) en cas d’entrée à risque de cette dernière sur le marché, mais s’est borné à relever qu’il n’y avait aucune certitude quant aux chances de succès de ces actions, ce qui constitue un élément susceptible d’influencer la qualification des accords litigieux [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 98].
115 Partant, il ne saurait être reproché au Tribunal de s’être contredit aux points 212 et 351 de l’arrêt attaqué.
116 Eu égard à ce qui précède, le quatrième moyen doit être rejeté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
Sur le cinquième moyen
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
117 Dans le cadre de sa réponse aux premier à troisième moyens d’annulation, tirés d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en raison de la qualification de « restriction par objet » des accords litigieux, le Tribunal a, aux points 154 à 205 de l’arrêt attaqué, écarté l’argumentation de GUK relative à l’appréciation de l’accord UK.
118 Pour ce faire, il a, aux points 155 à 179 de cet arrêt, notamment apprécié le contenu de l’accord UK et conclu que l’argument de GUK selon lequel cet accord ne contenait pas de restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de procédé de Lundbeck, même fondé, devait être rejeté comme inopérant et que l’argument selon lequel l’accord UK ne visait pas à restreindre les activités de Merck (GUK) devait être rejeté comme non fondé.
119 Au soutien de cette conclusion, le Tribunal a notamment énoncé, aux points 170 à 174 de l’arrêt attaqué, ce qui suit :
« 170 [...] il convient de constater que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit, dans la décision [litigieuse], que les restrictions contenues dans l’accord UK allaient au-delà du champ d’application des brevets [de procédé] de Lundbeck, c’est-à-dire que de telles restrictions n’auraient pas pu être obtenues par Lundbeck devant un juge compétent en matière de brevets si les produits génériques fondés sur le citalopram de Natco, que Merck (GUK) entendait commercialiser, avaient été jugés contrefaisants et si ces brevets avaient résisté aux éventuelles demandes reconventionnelles visant à remettre en cause leur validité.
171 Cependant, une telle constatation n’est pas susceptible d’avoir des conséquences dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision [litigieuse], dans la mesure où le grief avancé par [GUK] est inopérant pour les raisons exposées ci-après.
172 Premièrement, force est de constater que [GUK] ne conteste pas que, en vertu du point 1.1 de l’accord UK, elle s’est engagée à ne pas entrer sur le marché avec le citalopram de Natco et que, en vertu des points 2.2 et 2.3 du même accord, elle s’est engagée à livrer à Lundbeck l’intégralité de son stock de citalopram (considérants 771 et 772 de la décision [litigieuse]), ni le fait qu’elle a obtenu une somme de 3 millions de GBP de la part de Lundbeck en échange de cet engagement [...] De même, [GUK] ne conteste pas que, en vertu du point 2.7 de l’accord UK, elle s’est engagée à ne pas octroyer ou à ne pas vendre sous licence une copie de ses [autorisations sur le marché (AMM)] déjà obtenues au Royaume-Uni, pendant la durée de l’accord.
173 Or, comme le fait valoir la Commission, de tels engagements sont, en tout état de cause, anticoncurrentiels par leur objet même, qu’ils aillent au-delà du champ d’application des brevets de [procédé de] Lundbeck ou non, dans la mesure où, loin de régler un quelconque litige en matière de brevets entre les parties à l’accord UK, ils ont été obtenus en contrepartie de paiements inversés importants et où ils avaient pour objectif d’empêcher Merck (GUK) d’entrer sur le marché pendant toute la durée de l’accord avec ses produits génériques contenant le citalopram de Natco, sur lesquels elle avait fondé, jusqu’alors, toute sa stratégie pour entrer en concurrence avec Lundbeck sur le marché du Royaume-Uni.
174 Comme la Commission l’a souligné aux considérants 641 et 820 de la décision [litigieuse] notamment, ce qui importe, à cet égard, c’est que l’accord UK ait transformé l’incertitude quant à l’issue d’éventuelles actions en contrefaçon en la certitude que Merck (GUK) n’entrerait pas avec ses produits génériques sur le marché pendant toute la durée de cet accord, alors même que les limitations à l’autonomie commerciale de Merck (GUK) ne résultaient pas exclusivement d’une analyse, par les parties à l’accord, des brevets de [procédé de] Lundbeck, mais plutôt de l’importance du paiement inversé qui, dans un tel cas, l’a emporté sur cette évaluation et a incité Merck (GUK) à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché [...] »
Argumentation des parties
120 Par son cinquième moyen, GUK fait grief au Tribunal d’avoir exercé son pouvoir de contrôle juridictionnel ultra vires en retenant, aux points 171 à 178 de l’arrêt attaqué, une nouvelle violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE qui n’était pas constatée dans la décision litigieuse, et en substituant ses propres observations à celles de la Commission, portant ainsi également atteinte au droit à un recours effectif et à ses droits de la défense. En effet, alors que le Tribunal aurait considéré que la Commission n’avait pas établi que les restrictions contenues dans l’accord UK allaient au-delà du champ d’application des brevets de procédé de Lundbeck et que la Commission avait considéré le constat inverse comme essentiel dans sa constatation, le Tribunal aurait par lui-même estimé, en dehors de toute considération de la Commission à cet égard dans la décision litigieuse, que l’accord UK était en tout état de cause anticoncurrentiel par son objet, substituant ainsi sa motivation à celle de la Commission.
121 Le Tribunal aurait également procédé à une substitution de motifs en constatant, aux points 144 et 261 de l’arrêt attaqué, le caractère disproportionné des paiements prévus aux accords litigieux alors que la Commission ne se serait pas fondée sur cet élément. Une telle substitution de motifs aurait privé GUK de la possibilité de se défendre et ne pourrait être justifiée, par la constatation par le Tribunal, au point 375 de l’arrêt attaqué, que la communication des griefs faisait état du fait que les accords litigieux pourraient excéder le champ d’application des brevets de procédé de Lundbeck.
122 La Commission estime que le cinquième moyen est dépourvu de fondement.
Appréciation de la Cour
123 S’agissant de la première branche du cinquième moyen, tirée de l’exercice ultra vires par le Tribunal de son pouvoir de contrôle juridictionnel, il convient de rappeler que les juridictions de l’Union ne peuvent, dans le cadre du contrôle de légalité visé à l’article 263 TFUE, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte en cause et que, si l’article 261 TFUE et l’article 31 du règlement n° 1/2003 habilitent le juge de l’Union, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer sa propre appréciation pour la détermination du montant de cette sanction à celle de la Commission, la portée de cette compétence de pleine juridiction est strictement limitée à la détermination du montant de l’amende, excluant de ce fait que le Tribunal procède à ce titre à une quelconque modification des éléments constitutifs de l’infraction légalement constatée par la Commission dans la décision dont le Tribunal est saisi (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, points 73 à 77).
124 En l’occurrence, il ne saurait toutefois être valablement reproché au Tribunal d’avoir modifié les éléments constitutifs de l’infraction reprochée à GUK.
125 Il convient de rappeler que, au considérant 824 de la décision litigieuse, la Commission a relevé que l’accord UK constituait une « restriction par objet » au regard, en particulier, de six éléments factuels énumérés audit considérant. Un de ces éléments était le fait que, selon la Commission, les restrictions contenues dans l’accord UK allaient au-delà du champ d’application des brevets de procédé de Lundbeck, c’est-à-dire que de telles restrictions n’auraient pas pu être obtenues par Lundbeck devant un juge compétent en matière de brevets si les produits génériques fondés sur le citalopram de Natco, que Merck (GUK) entendait commercialiser, avaient été jugés contrefaisants et si ces brevets avaient résisté aux éventuelles demandes reconventionnelles visant à remettre en cause leur validité. Ainsi qu’il ressort du point 170 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la Commission n’avait pas établi à suffisance de droit, dans la décision litigieuse, cet élément factuel.
126 Toutefois, pour les motifs exposés aux points 171 à 178 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en substance, estimé que les autres éléments factuels énumérés au considérant 824 de la décision litigieuse suffisaient à eux seuls pour établir la qualification de « restriction par objet » de l’accord UK, de telle sorte que l’omission de démontrer à suffisance de droit que cet accord allait au-delà du champ d’application des brevets de procédé de Lundbeck ne saurait affecter cette qualification dudit accord. Ce faisant, le Tribunal n’a nullement substitué sa propre appréciation à celle de la Commission, mais s’est limité à considérer, en substance, que la référence à la portée de l’accord UK et au fait qu’il aille ou non au-delà du champ d’application des brevets de procédé de Lundbeck ne constituerait pas un élément essentiel pour ladite qualification, mais serait un motif surabondant de la décision litigieuse. C’est ainsi que le Tribunal a pu rejeter, au point 179 de l’arrêt attaqué, ce volet de l’argumentation de GUK comme étant inopérant.
127 S’agissant de la seconde branche du cinquième moyen, tirée d’une substitution de motifs effectuée par le Tribunal en ce qu’il aurait constaté le caractère disproportionné des paiements prévus aux accords litigieux contrairement à la décision litigieuse, il est certes avéré que le Tribunal a, aux points 144 et 261 de l’arrêt attaqué, employé les termes « caractère disproportionné d’un(de) tel(s) paiement(s) » alors même que ceux-ci ne sont pas utilisés dans la décision litigieuse.
128 Il ne saurait pour autant en être déduit que, de ce seul fait, il a procédé à une substitution des motifs de la décision litigieuse, à laquelle il ne saurait effectivement se livrer dans le cadre du contrôle de la légalité de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2017, Toshiba/Commission, C‑623/15 P, non publié, EU:C:2017:21, point 43).
129 En effet, non seulement ces termes n’ont été employés qu’à deux reprises dans l’arrêt attaqué, et cela uniquement dans le cadre du rappel par le Tribunal de la motivation de la décision litigieuse, mais, surtout, l’emploi desdits termes, pour regrettable qu’il soit, n’a eu aucune incidence sur le raisonnement du Tribunal. Ainsi que cela ressort notamment des points 144, 174, 175, 178, 268 et 269 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, tout comme la Commission, a apprécié la qualification de « restriction par objet » des accords litigieux non pas au regard du caractère disproportionné des paiements effectués par Lundbeck au bénéfice de Merck (GUK), mais sur le fondement d’un faisceau d’indices concordants au nombre desquels figurent lesdits paiements dont a été pris en considération l’effet incitatif pour Merck (GUK) à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché, sans égard à leur caractère proportionné ou disproportionné.
130 Pour la même raison, c’est également sans fondement que GUK fait valoir que l’emploi des termes « caractère disproportionné d’un(de) tel(s) paiement(s) » l’aurait privée de la possibilité de se défendre.
131 En conséquence, la deuxième branche du cinquième moyen et, partant, le cinquième moyen dans son ensemble doivent être rejetés comme étant non fondés.
Sur le sixième moyen
Sur les points pertinents de l’arrêt attaqué
132 Pour rejeter le septième moyen d’annulation relatif à « une demande d’annulation ou de réduction du montant de l’amende » infligée à GUK par la décision litigieuse, le Tribunal a notamment retenu, aux points 407, 408 et 409 de l’arrêt attaqué, ce qui suit :
« 407 [...] selon la jurisprudence, il n’est pas nécessaire que [GUK] ait eu effectivement conscience d’enfreindre l’article 101, paragraphe 1, TFUE en concluant les accords litigieux pour pouvoir établir que l’infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence, au sens de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 1/2003, l’important étant de déterminer si, au vu de la teneur des accords, de leur contexte juridique et économique et du comportement des parties, celles-ci avaient conscience ou devaient avoir conscience du fait que les restrictions prévues par ces accords étaient susceptibles d’enfreindre les règles de concurrence du traité (voir, en ce sens, arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, EU:C:1983:310, point 45 ; du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, EU:C:1983:313, point 107, et du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, EU:C:2013:404, point 37).
408 Or, en l’espèce, la Commission a rappelé, à juste titre, aux considérants 1312 et 1313 de la décision [litigieuse], qu’une lecture littérale de l’article 101, paragraphe 1, TFUE permettait de comprendre que des accords entre concurrents visant à exclure certains d’entre eux du marché étaient illégaux. La circonstance que, dans le cas d’espèce, les accords litigieux ont été conclus dans le cadre de règlements amiables portant sur des droits de propriété intellectuelle ne saurait permettre à [GUK] d’inférer que l’illégalité de ceux-ci au regard du droit de la concurrence était totalement imprévisible.
409 En effet, il ressort du considérant 190 de la décision [litigieuse], par exemple, que, lorsque NM Pharma s’est vu proposer le même type d’accord par Lundbeck, elle a estimé ne pas pouvoir engager de discussions sur ce sujet en raison de son code de conduite et de sa politique antitrust. De même, il ressort du considérant 265 de la décision [litigieuse] que, en réaction à un courriel envoyé à Merck (GUK), daté du 18 janvier 2002 et contenant des estimations chiffrées des profits qui seraient réalisés en cas d’achat du citalopram de Lundbeck, un employé de Lundbeck a commenté qu’il “désapprouv[ait] fortement le contenu de ce courriel [...], cela [étant] illégal”. »
Argumentation des parties
133 Par son sixième moyen, dirigé contre les points 407 et 408 de l’arrêt attaqué, GUK fait valoir que le Tribunal a procédé à une application incorrecte de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 en omettant d’indiquer les éléments de preuve clairs, précis et cohérents susceptibles de démontrer qu’elle avait commis de propos délibéré ou par négligence l’infraction alléguée, alors même qu’il n’existait aucun précédent à la date des accords litigieux.
134 La Commission estime que le sixième moyen n’est pas fondé.
Appréciation de la Cour
135 S’agissant de la question de savoir si une infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence et est, de ce fait, susceptible d’être sanctionnée par une amende en vertu de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 1/2003, il est jurisprudence constante que cette condition est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité (arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, EU:C:2013:404, point 37 ainsi que jurisprudence citée).
136 Il en découle que la sanction d’un comportement visé notamment à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne suppose nullement que les entreprises concernées aient entendu enfreindre lesdites règles de concurrence. Seul importe de savoir si, objectivement, elles pouvaient, au besoin en s’entourant des conseils appropriés (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 219), déterminer que leur comportement avait un caractère anticoncurrentiel.
137 Partant et contrairement à ce qu’a retenu le Tribunal au point 407 de l’arrêt attaqué, la question n’est pas de savoir si GUK avait conscience ou devait avoir conscience du fait que les restrictions prévues par les accords litigieux étaient susceptibles d’enfreindre les règles de concurrence du traité.
138 Pour autant, au point 408 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a retenu à bon droit que le libellé de l’article 101, paragraphe 1, TFUE permettait objectivement de comprendre que les accords litigieux étaient illégaux, et cela nonobstant le fait qu’il n’existait aucun précédent à la date de leur conclusion, ainsi qu’il a déjà été relevé en substance au point 81 du présent arrêt.
139 À cet égard, le Tribunal a constaté, toujours à bon droit, au point 409 de l’arrêt attaqué, que la prévisibilité du caractère infractionnel des accords litigieux découlait également, d’une part, du fait qu’un fabricant de médicaments génériques avait refusé de s’engager sur la voie d’accords analogues aux accords litigieux en raison de sa politique antitrust et, d’autre part, du fait qu’un employé de Lundbeck avait fortement désapprouvé les démarches préalables à la conclusion des accords litigieux au motif qu’elles étaient illégales.
140 En conséquence, la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu au point 408 de l’arrêt attaqué est conforme à la jurisprudence rappelée au point 135 du présent arrêt.
141 Il s’ensuit que le sixième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
142 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
143 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
144 La Commission ayant conclu à la condamnation de GUK aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
145 L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
146 Par conséquent, le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Generics (UK) Ltd est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens.