Livv
Décisions

Cass. com., 17 mars 2021, n° 19-12.290

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Collectivités Territoriales Ressources (SAS)

Défendeur :

Marson Conseils (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP L. Poulet-Odent, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin

Versailles, 12e ch., du 4 déc. 2018

4 décembre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 décembre 2018), la société Marson conseils, spécialisée dans le conseil aux collectivités locales en matière de taxe locale sur la publicité extérieure (la TLPE), entrée en vigueur en 2009, constatant que l'une de ses concurrentes, la société Collectivités territoriales ressources (la société CTR), avait conclu plus de cent contrats sans que ceux-ci aient été précédés d'une mise en concurrence, l'a assignée en responsabilité pour concurrence déloyale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. La société CTR fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il lui interdit de poursuivre le démarchage pour obtenir la conclusion de contrats portant sur la TLPE sans mise en concurrence, sous astreinte de 5 000 euros par marché conclu illégalement, et ce dans les trente jours de la signification dudit jugement, alors :

« 1°) que les marchés publics doivent en principe être passés par appel à la concurrence, dans le cadre des procédures formalisées, spécialement par l'appel d'offres non négocié qui est la procédure de droit commun ; que, cependant, ces marchés peuvent être soumis à une procédure adaptée ; qu'ils peuvent même être conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque, au jugement du pouvoir adjudicateur, les circonstances le justifient ou que le montant estimé du marché est inférieur à un seuil réglementairement fixé (art. 28 al. 5 du code des marchés publics) ; que les marchés publics de services obéissent en principe à ces règles générales puisqu'ils sont « soumis (…) aux règles prévues par le présent titre [III] » (art. 29 al. 1), lequel les organisent ; qu'il en est ainsi, notamment, des « services de conseil en gestion et services connexes », dans la catégorie desquels entre le conseil en optimisation sur la TLPE ; qu'il s'ensuit que les contrats ayant pour objet ce conseil en optimisation peuvent être conclus sans publicité ni concurrence préalables si les conditions susvisées sont remplies ; qu'en jugeant dès lors, par motifs propres et adoptés, que ces contrats devaient toujours être soumis à appel d'offres, ce qui justifiait l'interdiction faite sous astreinte à la société CTR d'en conclure de gré à gré, la cour a violé les articles 28 et 29 du code des marchés publics ;

2°) que tout jugement, à peine de censure, doit être motivé ; que ne répond pas à cette exigence fondamentale une motivation inintelligible ; qu'en l'espèce, pour justifier la nécessité de soumettre à l'appel d'offres les contrats conclus avec des collectivités territoriales pour l'optimisation de la TLPE et, partant, l'interdiction faite sous astreinte à la société CTR, pour l'avenir, d'en poursuivre la conclusion sans concurrence, la cour a retenu que « l'article 29 point 11 du code des marchés publics (…) soumet à l'appel d'offres, les services de conseil en gestion et services connexes au nombre desquels appartient le conseil en optimisation sur la taxe locale sur la publicité extérieure, et dont le seuil ne saurait dépendre du montant de la collecte de la taxe à laquelle le conseil peut a posteriori donner lieu » ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs inintelligibles, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) qu'à supposer que la cour ait entendu viser dans cette motivation – contre l'évidence – non pas le seuil de la TPLE mais le seuil réglementairement fixé pour autoriser la conclusion des marchés de service « sans publicité ni mise en concurrence préalables », que cette motivation encourrait la censure ; qu'en se déterminant ainsi, en effet, pour décider d'interdire à la société CTR, sous astreinte, de conclure au gré à gré à l'avenir auprès des collectivités territoriales des contrats portant sur l'optimisation de la TLPE, sans rechercher si le seuil réglementaire, indépendant du montant collecté de la taxe, était atteint, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles 28 et 29 du code des marchés publics ;

4°) que les marchés de service visés par l'article 29 du code des marchés publics étant soumis aux règles du titre III de ce code, ils peuvent en particulier être conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque le pouvoir adjudicateur décide, sous sa responsabilité, que les circonstances le justifient ou que le montant estimé du marché est inférieur au seuil réglementaire applicable ; qu'ainsi en est-il des marchés de service portant sur l'optimisation de la TLPE, que la société CTR a dès lors la faculté de conclure avec un pouvoir adjudicateur si ce dernier juge que les conditions de cette conclusion sont réunies ; qu'en interdisant dès lors à la société CTR, pour l'avenir, de rechercher auprès des collectivités territoriales la conclusion de tout contrat portant sur l'optimisation de la collecte de la TLPE sans mise en concurrence, sous astreinte de 5 000 euros par marché prétendument conclu illégalement, y compris supposément lorsqu'un pouvoir adjudicateur jugerait que de tels contrats peuvent être conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables, la cour a violé les articles 28 et 29 du code des marchés publics ;

5°) qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'interdit à une société commerciale de proposer ses services à une personne publique ; qu'en interdisant à la société CTR, par voie de confirmation, et ce sous astreinte, de conclure des contrats portant sur la TLPE, sans avoir retenu aucun élément permettant de justifier que les contrats litigieux conclus avec des collectivités territoriales l'aient été à la suite de démarchage, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles 28 et 29 du code des marchés publics. »

Réponse de la Cour

3. Il résulte des dispositions de l'article 28, II du code des marchés publics, applicable à la procédure, que le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les situations décrites au II de l'article 35, ou lorsque ces formalités sont impossibles ou manifestement inutiles en raison notamment de l'objet du marché, de son montant ou du faible degré de concurrence dans le secteur considéré.

4. En application du III du même texte, le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables si son montant estimé est inférieur à 25 000 euros HT. Lorsqu'il fait usage de cette faculté, le pouvoir adjudicateur veille à choisir une offre répondant de manière pertinente au besoin, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même prestataire lorsqu'il existe une pluralité d'offres potentielles susceptibles de répondre au besoin.

5. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'un marché peut être passé sans publicité ni mise en concurrence dans un certain nombre d'hypothèses, que les pouvoirs et autorités adjudicateurs doivent apprécier, sous le contrôle éventuel du juge administratif ou judiciaire dont, selon leur nature, leurs décisions relèvent.

6. Après avoir, par motifs adoptés, constaté que plusieurs décisions de juridictions administratives, produites aux débats, ont unanimement considéré que les contrats de recherche d'économie conclus par la société CTR avec des collectivités locales étaient des marchés qui auraient dû être soumis aux règles de mise en concurrence édictées par le code des marchés publics, alors applicable, l'arrêt relève que si des exceptions à la mise en concurrence sont prévues par ce code, ces décisions ont considéré que les marchés relatifs à la TLPE n'en relevaient pas. Il en déduit que la société CTR, qui ne pouvait ignorer ces décisions rendues au sujet de ses propres contrats ni l'effet d'éviction causé par ses pratiques sur ses concurrents, a commis des actes de concurrence déloyale en continuant à démarcher activement les collectivités locales afin de les convaincre de passer de tels marchés sans mise en concurrence.

7. Par ces seuls motifs, la cour d'appel, qui n'a pas jugé que les contrats litigieux devaient toujours être soumis à appel d'offres ni même qu'ils devaient toujours être soumis à un appel à concurrence et qui n'a pas interdit à la société CTR de démarcher des collectivités publiques pour proposer ses services ni de conclure avec celles qui le décideraient, dans les cas prévus par l'article 28 du code des marchés publics, alors applicable, et sous leur responsabilité, des contrats de gré à gré non précédés d'une mise en concurrence, et sans avoir à procéder à la recherche inopérante invoquée par la troisième branche, a pu faire interdiction à cette société de poursuivre le démarchage des collectivités territoriales pour obtenir la conclusion de contrats de conseils en recherche d'économie portant sur la TLPE, sans mise en concurrence, sous astreinte de 5 000 euros par marché conclu illégalement.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.