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Décisions

CJUE, 4e ch., 19 septembre 2019, n° C-251/18

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Trace Sport SAS

Défendeur :

Inspecteur van de Belastingdienst/Douane, kantoor Eindhoven

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Vilaras

Juges :

Mme Jürimäe , M. Šváby, M. Rodin , M. Piçarra

Avocat général :

Mme Pitruzzella

Avocat :

Me Tuominen

CJUE n° C-251/18

19 septembre 2019

LA COUR (quatrième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur la validité du règlement d’exécution (UE) no 501/2013 du Conseil, du 29 mai 2013, portant extension du droit antidumping définitif institué par le règlement d’exécution (UE) no 990/2011 sur les importations de bicyclettes originaires de la République populaire de Chine aux importations de bicyclettes expédiées d’Indonésie, de Malaisie, du Sri Lanka et de Tunisie, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de ces pays (JO 2013, L 153, p. 1, ci-après le « règlement litigieux »), dans la mesure où ce règlement concerne Kelani Cycles (Pvt) Ltd et Creative Cycles (Pvt) Ltd, deux producteurs-exportateurs de bicyclettes établis au Sri Lanka.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Trace Sport SAS à l’Inspecteur van de Belastingdienst/Douane, kantoor Eindhoven (inspecteur du service des impôts/douane, bureau d’Eindhoven, Pays-Bas) (ci-après l’« inspecteur ») au sujet de la légalité de deux avis de paiement de droits de douane pour l’importation de bicyclettes originaires et expédiées du Sri Lanka.

Le cadre juridique

Le règlement de base

3 À l’époque de l’adoption du règlement litigieux, les dispositions régissant l’adoption de mesures antidumping par l’Union européenne figuraient dans le règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 2009, L 343, p. 51, et rectificatif JO 2010, L 7, p. 22), tel que modifié par le règlement (UE) no 1168/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012 (JO 2012, L 344, p. 1) (ci-après le « règlement de base »).

4 L’article 13 du règlement de base, intitulé « Contournement », était libellé comme suit :

« 1. Les droits antidumping institués en vertu du présent règlement peuvent être étendus aux importations en provenance de pays tiers de produits similaires, légèrement modifiés ou non, ainsi qu’aux importations de produits similaires légèrement modifiés en provenance du pays soumis aux mesures ou de parties de ces produits, lorsque les mesures en vigueur sont contournées. En cas de contournement des mesures en vigueur, des droits antidumping n’excédant pas le droit résiduel institué conformément à l’article 9, paragraphe 5, peuvent être étendus aux importations en provenance de sociétés bénéficiant d’un droit individuel dans les pays soumis aux mesures. Le contournement se définit comme une modification de la configuration des échanges entre les pays tiers et la Communauté ou entre des sociétés du pays soumis aux mesures et la Communauté, découlant de pratiques, d’opérations ou d’ouvraisons pour lesquelles il n’existe pas de motivation suffisante ou de justification économique autre que l’imposition du droit, en présence d’éléments attestant qu’il y a préjudice ou que les effets correctifs du droit sont compromis en termes de prix et/ou de quantités de produits similaires et d’éléments de preuve, si nécessaire fondés sur les dispositions de l’article 2, de l’existence d’un dumping en liaison avec les valeurs normales précédemment établies pour les produits similaires.

Les pratiques, opérations ou ouvraisons visées à l’alinéa qui précède englobent, entre autres, les légères modifications apportées au produit concerné afin qu’il relève de codes douaniers qui ne sont normalement pas soumis aux mesures, pour autant que ces modifications ne changent rien à ses caractéristiques essentielles ; l’expédition du produit soumis aux mesures via des pays tiers ; la réorganisation, par des exportateurs ou des producteurs, de leurs schémas et circuits de vente dans le pays soumis aux mesures de telle manière que leurs produits sont en fin de compte exportés vers la Communauté par l’intermédiaire de producteurs bénéficiant d’un taux de droit individuel inférieur au taux applicable aux produits des fabricants, et, dans les circonstances visées au paragraphe 2, les opérations d’assemblage dans la Communauté ou dans un pays tiers.

2. Une opération d’assemblage dans la Communauté ou dans un pays tiers est considérée comme contournant les mesures en vigueur lorsque :

a) l’opération a commencé ou s’est sensiblement intensifiée depuis ou juste avant l’ouverture de l’enquête antidumping et que les pièces concernées proviennent du pays soumis aux mesures ; et

b) les pièces constituent 60 % ou plus de la valeur totale des pièces du produit assemblé ; cependant, il ne sera en aucun cas considéré qu’il y a contournement lorsque la valeur ajoutée aux pièces incorporées au cours de l’opération d’assemblage ou d’achèvement de la fabrication est supérieure à 25 % du coût de fabrication ; et

c) les effets correctifs du droit sont compromis en termes de prix et/ou de quantités de produit similaire assemblé et qu’il y a la preuve d’un dumping en liaison avec les valeurs normales précédemment établies pour les produits similaires.

3. Une enquête est ouverte, en vertu du présent article, à l’initiative de la Commission ou à la demande d’un État membre ou de toute partie intéressée, sur la base d’éléments de preuve suffisants relatifs aux facteurs énumérés au paragraphe 1. L’enquête est ouverte, après consultation du comité consultatif, par un règlement de la Commission qui peut également enjoindre aux autorités douanières de rendre l’enregistrement des importations obligatoire conformément à l’article 14, paragraphe 5, ou d’exiger des garanties. L’enquête est effectuée par la Commission avec l’aide éventuelle des autorités douanières et doit être conclue dans les neuf mois. Lorsque les faits définitivement établis justifient l’extension des mesures, celle-ci est décidée par le Conseil, statuant sur proposition de la Commission, après consultation du comité consultatif. La proposition est adoptée par le Conseil à moins qu’il ne décide, en statuant à la majorité simple, de la rejeter dans un délai d’un mois à partir de sa présentation par la Commission. L’extension prend effet à compter de la date à laquelle l’enregistrement a été rendu obligatoire conformément à l’article 14, paragraphe 5, ou à laquelle les garanties ont été exigées. Les dispositions de procédure correspondantes du présent règlement concernant l’ouverture et la conduite des enquêtes s’appliquent dans le cadre du présent article.

4. Les importations ne doivent pas être soumises à enregistrement conformément à l’article 14, paragraphe 5, ou faire l’objet de mesures si elles sont effectuées par des sociétés bénéficiant d’exemptions. Les demandes d’exemption, dûment étayées par des éléments de preuve, doivent être présentées dans les délais fixés par le règlement de la Commission portant ouverture de l’enquête. Lorsque les pratiques, opérations ou ouvraisons constituant un contournement interviennent en dehors de la Communauté, des exemptions peuvent être accordées aux producteurs du produit concerné à même de démontrer qu’ils ne sont pas liés à un producteur soumis aux mesures et dont il a été constaté qu’ils ne s’adonnent pas à des pratiques de contournement telles que définies aux paragraphes 1 et 2 du présent article. Lorsque les pratiques, opérations ou ouvraisons constituant un contournement interviennent dans la Communauté, des exemptions peuvent être accordées aux importateurs à même de démontrer qu’ils ne sont pas liés à des producteurs soumis aux mesures.

Ces exemptions sont accordées par une décision de la Commission après consultation du comité consultatif ou par une décision du Conseil qui impose des mesures et restent applicables pendant la période et dans les conditions qui y sont mentionnées.

[...] »

5 L’article 18, paragraphe 1, de ce règlement prévoyait :

« Lorsqu’une partie intéressée refuse l’accès aux informations nécessaires ou ne les fournit pas dans les délais prévus par le présent règlement ou fait obstacle de façon significative à l’enquête, des conclusions préliminaires ou finales, positives ou négatives, peuvent être établies sur la base des données disponibles. [...] »

Les règlements antidumping relatifs aux bicyclettes et le règlement litigieux

6 Au cours de l’année 1993, le Conseil de l’Union européenne a institué un droit antidumping définitif de 30,6 % sur les importations dans l’Union de bicyclettes originaires de Chine. Par la suite, ce droit a été maintenu au même niveau. Au cours de l’année 2005, ledit droit a été relevé à un taux de 48,5 %. Il a été maintenu à ce dernier niveau par le règlement d’exécution (UE) no 990/2011 du Conseil, du 3 octobre 2011, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de bicyclettes originaires de la République populaire de Chine à l’issue d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures effectué en vertu de l’article 11, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1225/2009 (JO 2011, L 261, p. 2).

7 Saisie d’une demande, la Commission a adopté, le 25 septembre 2012, le règlement (UE) no 875/2012 ouvrant une enquête concernant l’éventuel contournement des mesures antidumping instituées par le règlement d’exécution no 990/2011 par des importations de bicyclettes expédiées d’Indonésie, de la Malaisie, du Sri Lanka et de la Tunisie, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de l’Indonésie, de la Malaisie, du Sri Lanka et de la Tunisie, et soumettant ces importations à enregistrement (JO 2012, L 258, p. 21).

8 Au terme de cette enquête, le Conseil a adopté, le 29 mai 2013, le règlement litigieux.

9 Il ressort du considérant 22 de ce règlement que la Commission a procédé à des visites de vérification sur place auprès de six sociétés sri-lankaises, parmi lesquelles figurait Kelani Cycles.

10 Aux considérants 35 à 42 dudit règlement, le Conseil a indiqué, en substance, s’agissant du degré de coopération des sociétés sri-lankaises, que, parmi les six sociétés sri-lankaises ayant introduit une demande d’exemption au titre de l’article 13, paragraphe 4, du règlement de base, seules trois ont été considérées comme ayant coopéré. Pour ces trois sociétés, l’une ayant retiré sa demande d’exemption et les deux autres n’ayant pas coopéré de manière satisfaisante, les conclusions ont été fondées sur les données disponibles, conformément à l’article 18 du règlement de base.

11 Au considérant 58 du règlement litigieux, le Conseil a conclu à l’existence d’une modification de la configuration des échanges entre le Sri Lanka et l’Union, au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base.

12 Aux considérants 77 à 82 du règlement litigieux, le Conseil a analysé la nature des pratiques de contournement à l’origine de cette modification de la configuration des échanges entre ce pays tiers et l’Union.

13 S’agissant des pratiques de réexpédition, les considérants 77 à 79 de ce règlement énoncent :

« (77) Les exportations des sociétés sri-lankaises ayant initialement coopéré s’élevaient à 69 % du total des exportations sri-lankaises vers l’Union durant la [période de référence, allant du 1er septembre 2011 au 31 août 2012]. Pour trois des six sociétés ayant initialement coopéré, l’enquête n’a pas révélé de pratiques de réexpédition. Pour les exportations restantes vers l’Union, aucune coopération n’a été obtenue, comme expliqué aux considérants 35 à 42.

(78) Par conséquent, à la lumière du considérant 58, qui conclut à l’existence d’une modification de la configuration des échanges entre le Sri Lanka et l’Union au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base et du fait que les producteurs/exportateurs sri-lankais ne se sont pas tous fait connaître et n’ont pas tous coopéré, il peut être conclu que les exportations de ces producteurs/exportateurs peuvent être mises au compte des pratiques de réexpédition.

(79) L’existence de pratiques de réexpédition de produits d’origine chinoise via le Sri Lanka est donc confirmée. »

14 Aux considérants 81 et 82 du règlement litigieux, le Conseil a indiqué que l’existence d’opérations d’assemblage, au sens de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base, n’avait pas été établie.

15 Aux considérants 92, 96 et 110 du règlement litigieux, le Conseil a constaté, premièrement, l’absence de motivation ou de justification économique autre que l’intention d’éviter les mesures antidumping en vigueur, deuxièmement, la neutralisation des effets correctifs de ces mesures et, troisièmement, l’existence d’un dumping par rapport à la valeur normale précédemment établie.

16 Dans ces conditions, le Conseil a conclu, au considérant 115 du règlement litigieux, à l’existence d’un contournement, au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, par des opérations de réexpédition via le Sri Lanka.

17 En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement litigieux, le droit antidumping définitif de 48,5 %, prévu à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement d’exécution no 990/2011, a été étendu aux importations de bicyclettes expédiées du Sri Lanka, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de ce pays. L’article 1er, paragraphe 3, du règlement litigieux prévoit la perception du droit étendu sur ces mêmes importations enregistrées conformément au règlement no 875/2012.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

18 Au cours des périodes courant, respectivement, du 27 septembre au 15 octobre 2012 et du 13 février au 21 mai 2013 inclus, deux représentants en douane, agissant au nom et pour le compte d’un importateur de bicyclettes établi en France, à savoir Trace Sport, ont effectué, aux Pays-Bas, des déclarations de mise en libre pratique de bicyclettes expédiées depuis le Sri Lanka. Dans l’ensemble de ces déclarations, ce sont des producteurs-exportateurs sri-lankais, à savoir, selon le cas, Kelani Cycles ou Creative Cycles, qui ont été déclarés comme exportateurs de ces bicyclettes.

19 À l’issue de contrôles a posteriori de la validité desdites déclarations, l’inspecteur a considéré qu’un droit antidumping de 48,5 % devait être payé pour les bicyclettes déclarées pour mise en libre pratique au cours de la période allant du 27 septembre 2012 au 5 juin 2013 inclus.

20 Les 27 février et 29 avril 2014, l’inspecteur a donc émis deux avis de paiement pour des montants s’élevant, respectivement, à 229 990,88 euros et à 234 275,37 euros.

21 Par deux décisions du 24 septembre 2015, l’inspecteur a confirmé ces avis et rejeté les réclamations formées par Trace Sport contre ces derniers.

22 Devant la juridiction de renvoi, Trace Sport conteste ces deux décisions.

23 Cette juridiction souligne que, contrairement à ce que Trace Sport allègue devant elle, le règlement litigieux est applicable au litige au principal.

24 En revanche, ladite juridiction s’interroge sur la validité de ce règlement eu égard aux arguments que Trace Sport tire, devant elle, de l’arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/City Cycle Industries (C‑248/15 P, C‑254/15 P et C‑260/15 P, EU:C:2017:62). Selon Trace Sport, le Conseil ne pouvait déduire des informations dont il disposait qu’il y avait eu une opération de réexpédition à l’échelle du Sri Lanka ni que Kelani Cycles et Creative Cycles étaient impliquées dans de telles opérations. Lors de l’audience qui s’est tenue devant cette même juridiction, Trace Sport aurait, par ailleurs, souligné qu’elle avait demandé une audition auprès de la Commission pour présenter des pièces initialement produites par Kelani Cycles, dont la Commission aurait refusé de tenir compte.

25 La juridiction de renvoi fait observer que, aux considérants 39 et 42 du règlement litigieux, Kelani Cycles a été considérée comme n’ayant pas coopéré, tandis que Creative Cycles, qui n’est pas explicitement mentionnée dans ce règlement, doit être considérée comme faisant partie des producteurs-exportateurs sri-lankais visés au considérant 78 dudit règlement, qui ne se sont pas fait connaître. Le Conseil aurait fondé la conclusion selon laquelle ces producteurs-exportateurs participaient à des opérations de réexpédition sur le constat de la modification de la configuration des échanges entre le Sri Lanka et l’Union et du défaut de coopération desdits producteurs-exportateurs. Or, dans l’arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/City Cycle Industries (C‑248/15 P, C‑254/15 P et C‑260/15 P, EU:C:2017:62), la Cour aurait jugé que le Conseil ne pouvait valablement déduire l’existence de pratiques de réexpédition à l’échelle du Sri Lanka des informations dont il disposait. Selon la juridiction de renvoi, la conclusion tirée par la Cour dans cet arrêt s’agissant du producteur-exportateur City Cycle Industries serait également valable pour Kelani Cycles et Creative Cycles.

26 Observant toutefois que l’article 1er, paragraphes 1 et 3, du règlement litigieux n’a été annulé qu’à l’égard de City Cycle Industries et que, selon le point 185 de l’arrêt du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma (C‑659/13 et C‑34/14, EU:C:2016:74), cette annulation ne signifie pas que ce règlement est également nul à l’égard d’autres producteurs-exportateurs, la juridiction de renvoi estime qu’il est nécessaire d’interroger la Cour sur la validité de ce règlement à l’égard de Kelani Cycles et de Creative Cycles.

27 C’est dans ces conditions que le Rechtbank Noord-Holland (tribunal de la province de Hollande du Nord, Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le règlement [litigieux] est-il valide dans la mesure où il concerne le producteur-exportateur Kelani Cycles ?

2)  Le règlement [litigieux] est-il valide dans la mesure où il concerne le producteur-exportateur Creative Cycles ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

28 Dans leurs observations soumises à la Cour, le gouvernement néerlandais, le Conseil et la Commission émettent des doutes quant à la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle au regard de la jurisprudence issue des arrêts du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf (C‑188/92, EU:C:1994:90, points 13, 14 et 16), du 15 février 2001, Nachi Europe (C‑239/99, EU:C:2001:101, points 30 et 37), ainsi que du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma (C‑659/13 et C‑34/14, EU:C:2016:74, point 56), au motif que Trace Sport aurait sans aucun doute pu former, devant le juge de l’Union, un recours en annulation contre le règlement litigieux en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

29 À cet égard, il est de jurisprudence constante que le principe général qui garantit à tout justiciable le droit d’exciper, dans le cadre d’un recours formé contre une mesure nationale qui lui fait grief, de l’invalidité de l’acte de l’Union servant de fondement à cette mesure ne s’oppose pas à ce qu’un tel droit soit subordonné à la condition que l’intéressé n’ait pas disposé du droit d’en demander directement l’annulation au juge de l’Union, en vertu de l’article 263 TFUE. Toutefois, ce n’est que dans l’hypothèse où il peut être considéré qu’une personne aurait été, sans aucun doute, recevable à demander l’annulation de l’acte en cause que cette personne est empêchée d’exciper de l’invalidité de cet acte devant la juridiction nationale compétente (arrêt du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C‑659/13 et C‑34/14, EU:C:2016:74, point 56 ainsi que jurisprudence citée).

30 Ce n’est donc que dans l’hypothèse où il pourrait être considéré que Trace Sport aurait eu, sans aucun doute, qualité pour agir en annulation du règlement litigieux, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qu’elle serait empêchée d’exciper de l’invalidité de ce règlement devant la juridiction de renvoi.

31 D’emblée, il y a lieu de constater que c’est en vertu d’actes pris par les autorités nationales compétentes que le paiement des droits antidumping étendus par le règlement litigieux est imposé aux opérateurs concernés, tels que Trace Sport. Il s’ensuit qu’il ne saurait être considéré que ce règlement ne comporte manifestement pas de mesures d’exécution au sens de l’article 263, quatrième alinéa, dernier membre de phrase, TFUE (voir, par analogie, arrêt du 18 octobre 2018, Rotho Blaas, C‑207/17, EU:C:2018:840, points 38 et 39).

32 Ce n’est donc que dans l’hypothèse où il pourrait être considéré qu’un importateur tel que Trace Sport est, sans aucun doute, directement et individuellement concerné par le règlement litigieux, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qu’il serait empêché d’exciper de l’ invalidité de ce règlement devant les juridictions de renvoi.

33 À cet égard, il convient de relever que les règlements qui instituent un droit antidumping ont un caractère normatif, en ce qu’ils s’appliquent à la généralité des opérateurs économiques intéressés (arrêt du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C‑659/13 et C‑34/14, EU:C:2016:74, point 58 ainsi que jurisprudence citée).

34 Il en va de même, pour les mêmes motifs, d’un règlement, tel que le règlement litigieux, portant extension d’un droit antidumping en raison de pratiques de contournement. En effet, un tel règlement a pour objet d’étendre le champ d’un droit antidumping instauré par un règlement tel que celui visé au point précédent.

35 Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un opérateur peut être concerné de manière directe et individuelle par un règlement instituant un droit antidumping. Ainsi, dans sa jurisprudence, la Cour a identifié certaines catégories d’opérateurs économiques pouvant être concernés individuellement par un règlement instituant un droit antidumping, sans préjudice de la possibilité pour d’autres opérateurs d’être individuellement concernés en raison de certaines qualités qui leur sont particulières et qui les caractérisent par rapport à toute autre personne (arrêt du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C‑659/13 et C‑34/14, EU:C:2016:74, point 59 ; voir également, en ce sens, arrêt du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C‑358/89, EU:C:1991:214, point 16).

36 Selon la jurisprudence de la Cour, peuvent être individuellement concernés par un règlement instituant un droit antidumping, premièrement, ceux d’entre les producteurs et les exportateurs du produit en cause auxquels les pratiques de dumping ont été imputées, en utilisant des données relatives à leur activité commerciale, deuxièmement, les importateurs dudit produit dont les prix de revente ont été pris en compte pour la construction des prix à l’exportation et qui sont, dès lors, concernés par les constatations relatives à l’existence d’une pratique de dumping ainsi que, troisièmement, les importateurs associés avec des exportateurs du produit en cause, notamment dans l’hypothèse où le prix à l’exportation a été calculé à partir des prix de revente sur le marché de l’Union pratiqués par ces importateurs et dans celle où le droit antidumping lui-même a été calculé en fonction de ces prix de revente (arrêt du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C‑659/13 et C‑34/14, EU:C:2016:74, points 60 à 62 ainsi que jurisprudence citée).

37 Il découle de cette jurisprudence que la qualité d’importateur, même associé aux exportateurs du produit en cause, ne saurait suffire, à elle seule, pour considérer qu’un importateur est individuellement concerné par un règlement instituant un droit antidumping. Au contraire, l’individualisation d’un importateur, même associé auxdits exportateurs, requiert la démonstration que des données relatives à son activité commerciale ont été prises en compte aux fins de la constatation des pratiques de dumping ou, à défaut, la démonstration d’autres qualités qui lui sont particulières et qui le caractérisent par rapport à toute autre personne.

38 Au regard de ladite jurisprudence, il ne saurait être exclu qu’un importateur du produit en cause puisse, en démontrant l’existence de certaines qualités qui lui sont particulières et qui le caractérisent par rapport à toute autre personne, être considéré comme étant individuellement concerné par un règlement portant extension d’un droit antidumping en raison de pratiques de contournement, tel que le règlement litigieux.

39 Dans leurs observations soumises à la Cour, le gouvernement néerlandais, le Conseil et la Commission ont soutenu que tel est le cas de Trace Sport. À cet égard, ils soulignent que, d’une part, Trace Sport est une société établie en France dont le propriétaire, une personne physique, détient également, à travers des sociétés offshore, 50 % des parts du capital tant de Kelani Cycles que de Creative Cycles. Or, ces dernières, qui sont des producteurs-exportateurs, auraient, sans aucun doute, été recevables à agir en annulation du règlement litigieux. En outre, Kelani Cycles aurait été constituée afin de reprendre à son compte les activités de Creative Cycles. D’autre part, Trace Sport aurait eu connaissance de l’enquête visant Kelani Cycles, ce dont attesterait sa tentative infructueuse de produire certaines pièces devant la Commission que Kelani Cycles avait, auparavant, produites devant cette institution.

40 En outre, la Commission laisse entendre que Trace Sport ainsi que Kelani Cycles et Creative Cycles sont impliquées dans des fraudes aux droits de douane et aux droits antidumping.

41 Or, ces circonstances, à les supposer établies, ne sauraient suffire pour considérer que Trace Sport aurait, sans aucun doute, été individuellement concernée par le règlement litigieux, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

42 En effet, si Trace Sport est un importateur des produits en cause au principal, elle n’a pas pour autant participé à l’enquête et n’est nullement mentionnée dans le règlement litigieux. Le seul fait qu’elle avait connaissance de l’enquête visant Kelani Cycles et qu’elle a vraisemblablement partagé avec cette dernière certaines informations ne saurait suffire pour considérer que Trace Sport dispose de qualités qui lui sont particulières et qui la caractérisent par rapport à toute autre personne.

43 La qualité de Trace Sport d’importateur des produits en cause au principal et son éventuelle appartenance au même groupe qu’un producteur-exportateur ayant participé à l’enquête ne saurait conduire à une conclusion différente, compte tenu des considérations figurant aux points 37 et 38 du présent arrêt.

44 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que les éléments dont dispose la Cour ne permettent pas de considérer que Trace Sport aurait eu, sans aucun doute, qualité pour agir en annulation du règlement litigieux en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

45 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur les questions préjudicielles

46 Par ses questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction cherche, en substance, à savoir si le règlement litigieux est invalide en tant qu’il s’applique aux importations de bicyclettes expédiées du Sri Lanka, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de ce pays.

47 À titre liminaire, il convient de rappeler, tout d’abord, que, selon la jurisprudence de la Cour, dans le domaine de la politique commerciale commune, et tout particulièrement en matière de mesures de défense commerciale, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques et politiques qu’elles doivent examiner. Quant au contrôle juridictionnel d’une telle appréciation, il doit ainsi être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir (arrêts du 16 février 2012, Conseil et Commission/Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP, C‑191/09 P et C‑200/09 P, EU:C:2012:78, point 63 ainsi que jurisprudence citée, et du 26 janvier 2017, Maxcom/City Cycle Industries, C‑248/15 P, C‑254/15 P et C‑260/15 P, EU:C:2017:62, point 56).

48 Ensuite, s’agissant de la charge de la preuve du contournement, aux termes de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, l’existence d’un contournement des mesures antidumping est établie lorsque quatre conditions sont réunies. Premièrement, il doit y avoir une modification de la configuration des échanges entre un pays tiers et l’Union, ou entre des sociétés du pays soumis aux mesures et l’Union. Deuxièmement, cette modification doit découler de pratiques, d’opérations ou d’ouvraisons pour lesquelles il n’existe pas de motivation suffisante ou de justification économique autre que l’imposition du droit. Troisièmement, il doit exister des éléments démontrant que l’industrie de l’Union subit un préjudice ou que les effets correctifs du droit antidumping sont compromis. Quatrièmement, il doit exister des éléments de preuve de l’existence d’un dumping.

49 En vertu de l’article 13, paragraphe 3, de ce règlement, il incombe à la Commission d’ouvrir une enquête sur la base d’éléments de preuve qui laissent apparaître, à première vue, l’existence de pratiques de contournement. Selon la jurisprudence de la Cour, cette disposition établit le principe selon lequel la charge de la preuve d’un contournement incombe aux institutions de l’Union (arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/City Cycle Industries, C‑248/15 P, C‑254/15 P et C‑260/15 P, EU:C:2017:62, point 58 ainsi que jurisprudence citée).

50 Enfin, eu égard à l’article 18 du règlement de base et à la jurisprudence de la Cour, il convient de rappeler que, dans l’hypothèse d’une coopération insuffisante ou inexistante d’une partie ou de l’ensemble des producteurs-exportateurs, les institutions de l’Union sont autorisées à se fonder sur un faisceau d’indices concordants pour conclure à l’existence d’un contournement, étant précisé que ces indices doivent tendre à démontrer que les quatre conditions énoncées à l’article 13, paragraphe 1, de ce règlement, telles qu’exposées au point 48 du présent arrêt, sont réunies. En revanche, il n’existe aucune présomption légale permettant de déduire directement du défaut de coopération d’une partie intéressée l’existence d’un tel contournement (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/City Cycle Industries, C‑248/15 P, C‑254/15 P et C‑260/15 P, EU:C:2017:62, points 65, 66, 68 et 69 ainsi que jurisprudence citée).

51 En l’occurrence, s’agissant des pratiques de contournement des mesures antidumping par des opérations de réexpédition via le Sri Lanka, le Conseil a examiné la deuxième des quatre conditions rappelées au point 48 du présent arrêt aux considérants 77 à 79 du règlement litigieux. Au considérant 77 de ce règlement, le Conseil a, tout d’abord, indiqué que, pour trois des six sociétés ayant initialement coopéré à l’enquête, celle-ci n’avait pas révélé de pratiques de réexpédition. Pour les exportations restantes vers l’Union, le Conseil a précisé qu’aucune coopération n’avait été obtenue. Ensuite, au considérant 78 dudit règlement, le Conseil a relevé, d’une part, que l’existence d’une modification de la configuration des échanges entre le Sri Lanka et l’Union avait été établie au considérant 58 du même règlement et, d’autre part, que les producteurs-exportateurs sri-lankais ne s’étaient pas tous fait connaître et n’avaient pas tous coopéré. Il en a déduit que les exportations, vers l’Union, de ces producteurs-exportateurs pouvaient être « mises au compte » des pratiques de réexpédition. Enfin, au considérant 79 du règlement litigieux, le Conseil a constaté que l’existence de pratiques de réexpédition de produits d’origine chinoise via le Sri Lanka était confirmée.

52 La conclusion relative à l’existence de pratiques de réexpédition concerne, dès lors, l’ensemble des producteurs-exportateurs ayant refusé de coopérer et se fonde sur un double constat, à savoir, d’une part, l’existence d’une modification de la configuration des échanges et, d’autre part, le défaut de coopération d’une partie des producteurs-exportateurs.

53 Or, ce double constat ne permet pas de conclure à l’existence de pratiques de réexpédition à l’échelle du Sri Lanka. En effet, d’une part, le Conseil ne pouvait valablement déduire l’existence de telles pratiques du seul défaut de coopération d’une partie des producteurs-exportateurs. D’autre part, dès lors que la modification de la configuration des échanges est la première des quatre conditions devant être satisfaites pour que l’existence d’un contournement soit valablement établie, le Conseil ne pouvait se fonder sur le constat de cette existence en tant qu’indice de ce que la deuxième de ces quatre conditions, selon laquelle une telle modification doit découler de pratiques de contournement, était vérifiée (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/City Cycle Industries, C‑248/15 P, C‑254/15 P et C‑260/15 P, EU:C:2017:62, points 76 à 78).

54 Partant, il y a lieu de répondre aux questions posées que le règlement litigieux est invalide en tant qu’il s’applique aux importations de bicyclettes expédiées du Sri Lanka, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de ce pays.

Sur les dépens

55 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

Le règlement d’exécution (UE) no 501/2013 du Conseil, du 29 mai 2013, portant extension du droit antidumping définitif institué par le règlement d’exécution (UE) no 990/2011 sur les importations de bicyclettes originaires de la République populaire de Chine aux importations de bicyclettes expédiées d’Indonésie, de Malaisie, du Sri Lanka et de Tunisie, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de ces pays, est invalide en tant qu’il s’applique aux importations de bicyclettes expédiées du Sri Lanka, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de ce pays.