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Décisions

Cass. 2e civ., 25 mars 2021, n° 19-21.893

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Synergie (Sté)

Défendeur :

Groupe Morgan Services (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pireyre

Rapporteur :

Mme Jollec

Avocat général :

M. Girard

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Rousseau et Tapie

Bordeaux, 1re ch. civ., du 3 juill. 2019

3 juillet 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 3 juillet 2019), se plaignant de faits de détournement de clientèle par débauchage de salarié, la société Synergie a saisi le président d'un tribunal de grande instance par requête aux fins de voir ordonner des mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile avec mission de se rendre au siège de la société Groupe Morgan Services (la société GMS).

2. La requête a été rejetée par ordonnance du 29 mai 2018 puis, sur présentation « d'une requête d'appel » accueillie par ordonnance du 8 juin 2018.

3. La société GMS a assigné la société Synergie en rétractation de cette ordonnance et a soulevé l'incompétence du président du tribunal de grande instance au profit de celui du tribunal de commerce.

4. Ces demandes ont été rejetées par une ordonnance en date du 14 janvier 2019, dont la société GMS a interjeté appel. 

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Synergie fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance du président du tribunal de grande instance et, statuant à nouveau, de dire que le président du tribunal de grande instance était matériellement incompétent pour examiner la requête présentée le 8 juin 2018, d'ordonner la rétractation de l'ordonnance du 8 juin 2018, d'annuler les procès-verbaux d'huissier de justice effectués les 29 juin 2018 et le 6 novembre 2018 en exécution de ladite ordonnance, de dire que l'huissier instrumentaire devait restituer à la société GMS l'ensemble des informations et des éléments saisis dans le cadre de sa mission et de débouter les parties du surplus de leurs demandes, alors « qu'une demande de mesure d'instruction in futurum s'apprécie au regard de l'éventuel litige en vue duquel elle est sollicitée, sans que celui-ci puisse, par hypothèse, être précisément déterminé, de sorte la compétence du juge des requêtes qui modifie une précédente décision s'apprécie au regard de l'ensemble des faits fondant les demandes de mesure dans les deux requêtes ; qu'en opposant la première et la seconde requête de la société Synergie, sans prendre en considération l'ensemble de la situation conflictuelle dans laquelle s'insérait l'action de cette dernière dans les deux cas et en vue de laquelle les mesures étaient sollicitées, à savoir des actes concertés entre Mme Labory et la société GMS constitutifs tant d'actes de concurrence déloyale que d'une violation d'un engagement contractuel de non-concurrence, la cour d'appel a violé les articles 145, 496 et 952 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 496 et 952 du code de procédure civile :  

6. Il résulte de ces textes que la compétence du juge des requêtes s'appréciant au jour de sa saisine, le juge de la rétractation doit examiner sa compétence au regard de la requête initiale, à laquelle la déclaration d'appel contre une ordonnance de rejet ne se substitue pas.

7. Pour dire que le président du tribunal de grande instance n'avait pas la compétence matérielle pour examiner la requête, l'arrêt retient, d'abord, que la requête initiale ayant été rejetée, l'assignation en rétractation introduite par la société GMS devant la juridiction du président du tribunal de grande instance portait sur l'ordonnance du 8 juin 2018 qui avait pour support la requête d'appel présentée le même jour.

8. L'arrêt relève, ensuite, que requête initiale et requête d'appel sont différentes, que la première vise à rassembler des éléments de preuve en vue d'une action tant à l'encontre de l'ancienne salariée, Mme Labory que de son nouvel employeur, la société GMS, alors que la seconde ne vise plus que l'action en concurrence déloyale dirigée contre la seule société GMS.

9. L'arrêt retient, encore, que la requête initiale fait une place importante à Mme Labory dont le comportement et le rôle dans les faits imputés à la société GMS sont décrits avec détails et à qui il est expressément reproché une violation délibérée de sa clause de non concurrence, de sorte que les mesures d'instruction sollicitées ont manifestement pour objet de faire cesser non seulement une action en concurrence déloyale mais également la violation de la clause de non concurrence par Mme Labory, cependant qu'au contraire, dans le cadre de la requête d'appel, la demande est uniquement dirigée contre la société GMS soupçonnée d'actes de concurrence déloyale par détournement à son profit des clients représentant 60 % de son chiffre d'affaires et ce par l'intermédiaire d'une de ses anciennes salariées embauchée par elle en violation de sa clause de non concurrence.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la requête initiale avait pour objet des faits de concurrence déloyale et de violation d'une clause de non-concurrence par une salariée et que seule la déclaration d'appel, improprement appelée « seconde requête », invoquait exclusivement des faits de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen relevé d'office

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 90, alinéa 2, du code de procédure civile :

12. Aux termes de ce texte, lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente.

13. Pour rétracter l'ordonnance et annuler les mesures d'instruction, l'arrêt retient qu'il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens développés par les parties et qu'en conséquence, la décision déférée sera infirmée et que les procès-verbaux de constat, qui n'avaient pour seul support que l'ordonnance déférée, seront annulés.

14. En statuant ainsi alors, qu'étant juridiction d'appel des décisions tant du président du tribunal de grande instance que du président du tribunal de commerce, elle avait compétence pour statuer sur les mérites de la requête présentée par la société Synergie, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.