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Décisions

Cass. crim., 23 mars 2021, n° 19-87.075

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Kaf

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Bellenger

Avocat général :

M. Aubert

Avocats :

SCP Waquet, Farge et Hazan, la SCP de Nervo et Poupet, Me Balat

Paris, ch. 4 -11, du 29 oct. 2019

29 octobre 2019

 Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. Chafik Kaf a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs d'abus de faiblesse et pratiques commerciales trompeuses pour avoir conclu par l'intermédiaire de ses salariés des contrats de travaux portant des allégations fausses ou de nature à induire en erreur des personnes très âgées et malades ou atteintes de la maladie d'Alzheimer.

3. Les juges du premier degré l'ont déclaré coupable.  

4. Le prévenu et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

5. Il n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens

Enoncé des moyens

6. Le deuxième moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. Kaf coupable d’abus de faiblesse ou de l’ignorance d’une personne démarchée, et souscription d’un engagement, et de pratique commerciale trompeuse, et de l’avoir condamné de ces chefs, alors :

« 1°) que tout jugement ou arrêt doit énoncer les motifs propres à justifier la solution ; qu’en retenant que M. Kaf avait réalisé lui-même des pratiques commerciales abusives et l’infraction d’abus de faiblesse, sans se référer à aucun élément de preuve ni préciser sous quelles modalités et envers qui il aurait commis les faits reprochés, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l’article 593 du code de procédure pénale ;

2°) que nul n’est responsable que de son propre fait ; que M. Kaf a fait valoir qu’il n’était pas responsable des agissements de ses salariés, qu’il n’en avait pas été informé et qu’il avait même interdit ce type d’agissement ; qu’en déduisant sa responsabilité personnelle de sa seule qualité de gérant sans caractériser un seul acte démontrant qu’il ait donné des directives ou ait été informé des pratiques de ses salariés, et en le rendant responsable des agissements de commerciaux de deux autres sociétés dont il n’était pas le gérant, ni de droit ni de fait, la cour d’appel a violé l’article 121-1 du code pénal, l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ensemble l’article 593 du code de procédure pénale.»

7. Le troisième moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. Kaf coupable d’abus de faiblesse et de l’avoir condamné de ce chef, alors :

« 1°) que l’infraction d’abus de faiblesse implique pour être caractérisé l'existence d'un état de faiblesse ou d'ignorance de la victime, préalable à la sollicitation et indépendant des circonstances dans lesquelles elle a été placée pour souscrire l'engagement et qu’il en soit résulté un acte gravement préjudiciable à la personne ; qu’en ne recherchant pas si les personnes ayant souscrit les contrats litigieux étaient en état de faiblesse ou d’ignorance particulier, ni s’il en était résulté un grave préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-8 et L. 122-9 du code de la consommation (dans leur rédaction applicable au litige) ;

2°) que l’infraction d’abus de faiblesse exige la démonstration d’une intention coupable ; qu’en ne démontrant pas que M. Kaf ait eu connaissance de l’état de faiblesse ou d’ignorance des victimes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-8 et L. 122-9 du code de la consommation (dans leur rédaction applicable au litige). »

8. Le quatrième moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. Kaf coupable de pratiques commerciales trompeuses et de l’avoir condamné de ce chef, alors :

« 1°) que le principe de rétroactivité in mitius interdit de se fonder sur un texte ancien plus sévère ; qu’en statuant sur l’article L. 121-5 du code de la consommation issu de la loi de 2008, tandis que la loi du 17 mars 2014 a expurgé la possibilité de retenir la responsabilité du chef d’entreprise du seul fait que la pratique commerciale trompeuse ait été mise en œuvre pour son compte, sans aucun fait de sa part, la cour d'appel a violé le principe susvisé, ensemble l’article 7 de la Convention des droits de l'homme, l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 112-1 du code pénal ;

2°) que M. Kaf a fait valoir dans ses conclusions d’appel (p. 12 § 2s) que lors de l’enquête, Edf avait confirmé que la société en cause était partenaire Bleu ciel, quand il lui était reproché, au titre d’une pratique commerciale trompeuse, d’avoir laissé mentionner sur les documents remis au client ce partenariat ; qu’en ne répondant pas à ce moyen déterminant, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l’article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Les moyens sont réunis.

10. Pour déclarer le prévenu coupable d'abus de faiblesse et de pratiques commerciales trompeuses, l’arrêt attaqué énonce, par motifs propres et adoptés, que les sociétés Habitalis dont M. Chafik Kaf était le gérant, avaient mis en place un mode opératoire consistant à faire contacter téléphoniquement des personnes par des téléprospectrices qui repéraient leur vulnérabilité et qui développaient un argumentaire écrit faisant état de travaux obligatoires, en se présentant faussement comme étant une société habilitée par les mairies, ce qui avait d'ailleurs entraîné des plaintes de la mairie de Sceaux et de la communauté d'agglomération du « Grand Paris Seine Ouest ».

11. Les juges ajoutent que les devis et bons de commandes des sociétés établis entre 2009 et 2012 portaient faussement la mention d'un partenariat « Bleu-ciel » avec EDF alors que tout partenariat avait cessé au 1er janvier 2009.

12. Les juges relèvent que les plaignants démarchés étaient dans leur grande majorité des personnes très âgées, de plus de 80 ans, isolées et présentant pour certaines une altération physique ou mentale et notamment une pathologie diagnostiquée de la maladie d'Alzheimer ou une démence attestée par des certificats médicaux et des expertises, que ces personnes étaient incapables de comprendre la portée de leur engagement et que les techniciens les manipulaient, leur faisaient signer des bons de commande antidatés sans les aviser de leur droit de rétractation et que les travaux surfacturés ne correspondaient pas aux devis et n'étaient pas finis.

13. Les juges ajoutent, par motifs adoptés, que les démarcheurs des sociétés Habitalis avaient l'obligation de réaliser un chiffre d'affaires mensuel de 30 000 euros sous peine de rupture de leur contrat, ce qui les incitait à obtenir par tous les moyens des engagements des personnes démarchées, ces stipulations traduisant la volonté du dirigeant de susciter des pratiques abusives.

14. Les juges retiennent que les devis et bons de commandes ainsi établis, pour un préjudice de 971 901 euros, émanent des sociétés dont M. Kaf était le gérant et qu'il lui appartenait de vérifier la réalité des informations mentionnées, aucune délégation de pouvoirs n'ayant été effectuée.

15. Les juges en concluent que la multiplicité des plaintes démontre que les pratiques abusives étaient tolérées voire encouragées par M. Kaf et constituaient une stratégie commerciale au sein des sociétés Habitalis.

16. En l’état de ces énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision.

17. En premier lieu, la cour d'appel a recherché la responsabilité personnelle du prévenu et non une responsabilité du fait d'autrui.

18. En deuxième lieu, elle a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnels les délits d'abus de faiblesse et de pratiques commerciales trompeuses dont elle a déclaré le prévenu coupable.

19. En troisième lieu, la seconde branche du quatrième moyen manque en fait.  

20. Ainsi, les moyens doivent être écartés.

21. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.