CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 mars 2021, n° 19/15565
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Promod (SAS)
Défendeur :
Paris Première (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
La société Promod est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de vêtements et accessoires de mode. La société Paris Première exerce une activité de fournisseur spécialisé dans la fabrication de vêtements prêts à porter.
Depuis 2013, la société Paris Première opère en qualité de fournisseur de vêtements et accessoires pour la société Promod. A cette fin, la société Paris Première a recours à des sous-traitants. La relation commerciale entre les sociétés Promod et Paris Première était régie par des conventions uniques à durée déterminée établies par la société Promod, d'une durée d'un an, du 1er mars au 28 février, renouvelables chaque année.
A ces conventions était annexées un code éthique que la société Paris Première devait respecter et faire respecter par ses sous-traitants. A ce titre, la société Paris Première devait faire agréer ses usines de production par Promod et permettre la réalisation des audits de contrôle.
Au titre de la période comprise entre le 1er mars 2017 et le 28 février 2018, les relations des parties étaient régies par la convention unique Promod 2017, et ses annexes dont le code éthique.
En juillet 2017, la société Promod a contacté l'ensemble de ses fournisseurs pour qu'ils lui communiquent les adresses de leur site de production en rappelant l'obligation d'être conforme à l'ICS. Étaient joints à ce courrier le code de conduite 2017 et le guide ICS.
En décembre 2017, la société Promod a envisagé de passer commande auprès de la société Paris Première. Par courriel du 7 décembre 2017, la société Paris Première a informé avoir sélectionné Mtroisa comme sous-traitant et a communiqué les coordonnées de ce site à la société Promod.
Par courriel du 7 décembre 2017, la société Promod a rappelé à la société Paris Première l'exigence que les usines de production doivent être validées par Promod, et a souligné qu'aucun des sites de production proposés par la société Paris Première ne disposait d'un audit conforme à cette date.
Le 7 décembre 2017, la société Paris Première a répondu à la société Promod qu'il n'y aurait pas de difficulté à effectuer l'audit du site retenu.
Entre le 6 et le 28 février 2018, la société Promod a passé plusieurs commandes à la société Paris Première, pour un montant de 278 859,05 euros HT (334 630,86 euros TTC) et les bons de commande mentionnent le nom de l'usine Mtroisa.
L'audit de l'usine de la société Mtroisa a été effectué le 16 février 2018, après le début de la mise en production.
L'audit a donné un résultat défavorable sur certains points de la législation en matière de droit du travail.
Par mail du 1er mars 2018, la société Promod a informé la société Paris Première des résultats négatifs de l'audit mené sur l'usine de la société Mtroisa. La société Promod a indiqué qu'elle ne pouvait autoriser la production des articles dans cette usine, qu'elle maintenait les commandes en cours mais qu'elle bloquait le passage de toute nouvelle commande.
Par mail du même jour, la société Paris Première a répondu qu'elle informerait la société Mtroisa des résultats de l'audit, et a proposé à la société Promod de placer les futures commandes dans une autre unité de production.
Le 2 mars 2018, la société Paris Première a informé la société Promod que l'usine de la société Mtroisa pourrait être mise en conformité dans un délai de 3 mois, mais qu'elle pouvait proposer d'autres sites de production.
La société Promod a refusé la production de marchandises dans d'autres sites non agréés et a refusé de recevoir les marchandises déjà fabriquées par l'usine de Mtroisa.
Par mail du 9 mars 2018, confirmé par courrier recommandé, la société Promod a notifié à la société Paris Première la fin des relations commerciales et l'annulation des commandes en cours.
Par lettre du 12 mars 2018, la société Paris Première a contesté la rupture notifiée par la société Promod et demandé que les commandes en cours (marchandises confectionnées, en cours de confections ou matières premières) soient réceptionnées.
Par courriel du même jour, la société Paris Première a également invoqué l'existence d'audits antérieurs de la société Mtroisa, et a proposé à nouveau de faire fabriquer le solde de la production dans une usine devant être auditée le 26 mars 2018.
Par lettre du 19 mars 2018, la société Promod a rappelé que les précédents audits du site de Mtroisa étaient déjà négatifs et faisaient l'objet de réserves. La société Promod a réitéré son refus d'accepter des marchandises fabriquées dans des sites non conformes, au risque de voir sa responsabilité engagée. Enfin, la société Promod a rappelé l'obligation de dégriffer les articles fabriqués.
Par acte extrajudiciaire du 30 avril 2018, la société Paris Première a assigné la société Promod devant le tribunal de commerce de Lille, pour inexécution contractuelle et rupture brutale des relations commerciales établies.
C'est dans ces conditions que par jugement du 20 juin 2019, le tribunal de commerce de Lille a :
- condamné la société Promod à payer à la société Paris Première la somme de 334 630,86 euros,
- condamné la société Promod à payer à la société Paris Première la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire,
- condamné la société Promod aux entiers depens.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 26 juillet 2019, la société Promod a interjeté appel contre ce jugement.
Vu les dernières conclusions de la société Promod déposées et notifiées le 9 décembre 2020, demandant à la Cour de :
Vu l'article 1178 du code civil
Vu l'article 1217 du code civil
Vu l'article L442-6 du code de commerce
Rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires,
Réformer la décision entreprise en ce qu'elle a :
Condamné la Société Promod à payer la société Paris Première la somme de 334 630,86 euros,
Condamné la Société Promod à payer à la Société Paris Première la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Et statuant à nouveau :
Débouter la société Paris Première de ses demandes, fins et conclusions,
A titre principal :
Dire bien fondée l'annulation des commandes par la Société Promod,
A titre subsidiaire :
Prononcer la résolution des contrats de vente correspondant aux commandes 865040 17, 865040 16, 864039 15, 864051 10, 86405707, 624047 10
Reconventionnellement :
Condamner la Société Paris Première à payer à la société Promod la somme de 801 799 euros correspondant à sa perte de marge,
Faire sommation à la société Paris Première d'avoir à justifier du dégriffage des articles annoncés comme fabriqués à savoir R Club et C club,
Si la Cour devait entrer en voie de condamnation contre la société Promod :
Limiter la condamnation à la somme de 39 040 euros
En tout état de cause :
Débouter la Société Paris Première de son appel incident et de toutes ses demandes,
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la Société Paris Première de ses demandes de condamnation au titre de la relation brutale de relations commerciales,
Condamner la Société Paris Première à payer à la Société Promod la somme de 10 000 euros pour procédure abusive,
Condamner la Société Paris Première à payer la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions de la société Paris Première déposées et notifiées le 15 janvier 2021, demandant à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce,
Vu les articles 1103 et 1113 du Code civil
Vu les articles 1114, 1118 et 1121 du Code civil,
Dire et juger la société Paris Première recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions ;
Constater que la société Paris Première n'a commis aucune inexécution contractuelle à l'égard de la société Promod ;
En conséquence :
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Promod à verser à la société Paris Première la somme de 334 630,86 euros TTC correspondant aux commandes passées auprès de la société Paris Première au cours du mois de février 2018 et non honorées ;
Et, pour le surplus :
Dire qu'il ne peut être reproché à Paris Première aucune inexécution contractuelle ni aucune faute grave qui pourrait justifier la rupture d'une relation commerciale établie sans préavis ;
Constater le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale établie entre la société Paris Première et la société Promod, qui est intervenue à l'initiative de cette dernière ;
Par conséquent :
Infirmer la décision critiquée en ce qu'elle a débouté Paris Première de sa demande de réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la rupture brutale de sa relation commerciale par Promod ;
Condamner la société Promod à verser à la société Paris Première, en application de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, la somme de 65 762,60 euros hors taxes à titre de réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie faute de préavis observé par la société Promod, avec intérêt au taux légal à compter l'assignation délivrée le 30 avril 2018 ;
Débouter la société Promod de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles au titre de sa prétendue perte de marge à la suite de l'annulation invoquée des commandes passées en février 2018 et d'une prétendue procédure abusive engagée à son encontre par la société Paris Première ;
En tout état de cause :
Condamner la société Promod à verser à la société Paris Première la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société Promod aux entiers dépens.
SUR CE,
LA COUR
- Sur les obligations contractuelles des parties
La société Promod soutient qu'en décembre 2017, les parties ont échangé quant aux conditions de production des commandes envisagées, actant clairement qu'en cas de non-conformité critique, l'usine serait rejetée. La société Promod estime ainsi que la vente des marchandises fabriquées par l'usine Mtrsoisa n'était pas parfaite, mais que les parties avaient émis une réserve tenant au fait que l'usine choisie par la société Paris Première devait être conforme aux standards de l'ICS. La société Promod soutient que le rapport ICS réalisé en février 2018 mentionne des manquements inacceptables au sein de l'usine de Mtroisa, et qu'ainsi, la société Paris Première, en sa qualité de professionnel du secteur a manqué à son obligation de vérification de la conformité du site de production proposé et a été dans l'incapacité de proposer un site de production alternatif, conforme et agréée, en contrariété avec le code éthique.
La société Promod soutient que le fait de proposer des sites de production conformes était une obligation essentielle du contrat pesant sur la société Paris Première, qui n'a pas été respectée, et que la société Paris Première est donc l'auteur d'une faute contractuelle, quand bien même la production a pu être entamée. La société Promod soutient que l'annulation est la sanction appropriée lorsqu'une des conditions essentielles du contrat n'est pas respectée, et qu'elle a été ainsi fondée à annuler les commandes passées entre le 9 et le 26 février 2018.
La société Promod soutient que par mail du 5 janvier 2018, elle s'était inquiétée du défaut de réponse de l'usine devant être auditée, et soutient ainsi que le retard dans la réalisation de l'audit de l'usine de Mtroisa est exclusivement imputable à la société Paris Première.
La société Promod allègue que le processus de vérification des sites de production a été lancé le 12 juillet 2017, et que la société Paris Première avait donc un délai suffisant pour s'assurer de la mise en conformité de l'usine de Mtroisa courant 2017. La société Promod soutient également qu'il importe peu que l'audit prévoyait un délai pour mise en conformité, puisque les parties étaient d'accord pour rejeter immédiatement l'usine en cas de non-conformité critique.
La société Promod soutient que la mention de l'usine Mtroisa dans les bons de commande n'exonérait nullement Paris Première de ses obligations de s'assurer que l'usine était conforme, et que l'offre était bien soumise à une réserve : l'obtention d'un audit non critique pour le site de production.
La société Promod soutient qu'elle avait reçu un engagement ferme sur la conformité de l'usine par Paris Première et qu'ainsi, le risque au cas d'audit faisant ressortir un résultat critique pesait sur la société Paris Première.
La société Paris Première allègue au contraire que le code éthique prévoyait qu'en cas de non-conformités d'une usine, un délai devait être laissé pour la mise en œuvre d'un plan d'actions correctives et que l'usine ne pourrait être déréférencée qu'en cas d'absence de correction des non-conformités relevées dans les délais impartis dans le plan d'actions correctives, un déréférencement de l'usine de production.
La société Paris Première estime que la société Promod n'a pas respecté les termes du code éthique en annulant les commandes en cours sans attendre que les actions correctives ne soient menées au sein de l'usine Mtroisa entre le 30 avril 2018 et le 15 février 2019, et qu'aucune « sollicitations répétées » au sens de l'article VIII du Code de conduite fournisseur n'a été formulée par Promod, qui a rompu unilatéralement et de manière soudaine toute relation commerciale avec la société Paris Première avec qui elle opérait depuis juin 2013.
La société Paris Première allègue que les bons de commande ne contenaient aucune réserve de la part de la société Promod, et qu'ils mentionnaient expressément que l'usine de confection à laquelle aurait recours la société Paris Première serait la société Mtroisa. La société Paris Première estime avoir accepté les bons de commandes émis par la société Promod rendant ainsi parfaite la formation du contrat entre les parties. La société Paris Première estime que les commandes passées par la société Promod ne peuvent être annulées puisqu'il s'agit de ventes qui se sont parfaitement réalisées ayant fait l'objet d'une offre et d'une acceptation, conformément aux articles 1103, 1113 et 1121 du code civil, et qu'aucune inexécution contractuelle ne saurait être reprochée à Paris Première.
Sur ce :
Il est établi que la société Paris Première s'est engagée envers la société Promod en février 2017 en acceptant le contrat cadre intitulé « Convention unique Promod 2017 ».
Ce contrat contient une clause applicable aux fournisseurs faisant appel à des sous-traitants ainsi rédigée :
(3.2) : « En tout état de cause, le fournisseur dont le siège social est situé en France ou hors de France s'engage à ne pas faire appel à des sous-traitants pour exécuter tout ou partie du travail sans le consentement exprès et préalable de Promod et sous réserve que ce sous-traitant ait fourni les documents sus-visés.
Le fournisseur demeurera en toute hypothèse responsable du travail effectué par le sous-traitant et du respect des obligations ci-dessus stipulées. »
Or, parmi ces obligations ci-dessus stipulées figurent celles du code éthique annexé à la convention qui, selon le contrat, à la rubrique consacrée à l'objet de celui-ci (1.), énonce :
« De convention expresse, tous les documents annexés à la présente Convention dont le code éthique en font partie intégrante et forment, avec celle-ci, un ensemble indivisible dans l'esprit des parties. »
Ces éléments démontrant la force obligatoire du code éthique à l'égard de la société Paris Première, il importe de relever que ce code éthique prévoit les obligations suivantes qui s'imposent en l'espèce au fournisseur.
Le code éthique comprend un paragraphe intitulé « Diligence raisonnable », ainsi rédigé :
« Afin d'identifier, maîtriser et réduire les risques liés à la Supply Chain, Promod a élaboré des mesures de diligence raisonnable, en amont et tout au long de la contractualisation.
Avant contractualisation, Promod peut faire évaluer, par ses équipes ou par un organisme tiers, les sites de production pour s'assurer qu'aucun risque rédhibitoire n'empêche le démarrage de la relation commerciale.
Au début de la relation commerciale, Promod établit, s'il y a lieu, un plan d'actions correctives avec ses fournisseurs et en contrôle la réalisation.
Des visites et audits de conformité des fournisseurs et sous-traitants peuvent être diligentés régulièrement. S'il s'avère qu'un fournisseur, malgré des sollicitations répétées ne met pas en place les mesures nécessaires au respect du code éthique, des lois nationales et/ou des conventions de l'OIT, Promod sera dans l'obligation de cesser toute relation commerciale avec ce dernier ».
Le code éthique précise en outre que :
- « Les fournisseurs de Promod doivent être en conformité avec les lois et réglementations nationales et internationales » ;
- « Promod ou un auditeur tiers pourra à tout moment et sans information préalable, contrôler le respect du code éthique » ;
- le fournisseur « s'engage à respecter les conventions de l'Organisation internationale du travail, applicables à son secteur d'activité » ;
- « Le terme « Fournisseurs(s) » est entendu comme toute entité qui a une relation commerciale directe avec Promod et qui intervient dans le processus de fabrication d'un produit pour le compte de Promod. Dans le cas où un fournisseur a plusieurs entités, chaque entité devra signer le code éthique et sera tenu de le respecter »;
- « Le fournisseur est tenu de préciser par quels moyens il appliquera le code éthique, notamment en mettant en place un système de « management », une équipe dédiée et des indicateurs pertinents » ;
- et en matière de sous-traitance :
- « (L)es sites de production validés par Promod sont les seules habilités à assurer la réalisation de ses produits ».
- « Si un fournisseur souhaite faire appel à un sous-traitant, il devra préalablement obtenir le consentement exprès et écrit de Promod.
Il devra s'assurer que le sous-traitant respecte exactement les mêmes lois nationales et internationales que le fournisseur.
Le refus par Promod d'un site de production ne pourra justifier une non-conformité dans la réalisation d'une commande acceptée. »
- Sur l'acceptation des commandes litigieuses
Les parties sont contraires sur l'acceptation des sept commandes litigieuses, qui ont fait l'objet de bons de commande dont les dates vont du 6 février 2018 au 26 février 2018.
Sur ce point la Cour, après analyse du courrier électronique échangé entre les parties, retient essentiellement le courriel du 1er mars 2018 du service CSR de la société Promod adressé à la société Paris première, dont l'objet est, précisément, de communiquer au fournisseur le rapport d'audit du site de l'usine Mtroisa litigieux, et d'en tirer les conséquences au plan des relations entre les parties.
La société Promod s'est alors exprimée en ces termes :
« Comme vous pouvez le voir dans le CAP, plusieurs non-conformités ont été relevées dont certaines très critiques :
- Un objectif journalier doit être atteint par les employés. De plus, les heures supplémentaires effectuées pour atteindre cet objectif ne sont pas répertoriées et payées comme telles.
- Certains employés sont payés en dessous du minimum légal et indépendament des heures travaillées
- Pas de rapports d'heures et de fiches de salaires pour certains employés
- Problèmes de santé et de sécurité
- Beaucoup d'autres problèmes de rémunération et d'heures de travail
- ...
Ces non-conformités ne correspondent pas aux valeurs de Promod.
Je suis désolée, mais nous ne pouvons pas vous autoriser à produire des produits Promod dans cette usine.
Nous ne revenons pas sur les commandes déjà passées. En revanche, nous bloquons le passage de nouvelles commandes. »
Dès lors que la société Promod, en toute connaissance de cause des non-conformités sociales du site litigieux, a expressément déclaré ne pas revenir sur les commandes déjà passées, elle ne soutient pas valablement avoir pu considérer que ces commandes étaient nulles pour défaut d'une condition essentielle des approvisionnements tenant à la conformité du site aux exigences découlant du code éthique.
A cet égard, ni le courriel antérieur qu'elle invoque du 7 décembre 2017, qui se borne à prévoir qu'en cas de non-conformité critique, 'l'usine pourra être rejetée', ni les assurances données le même jour par la société Paris Première selon lesquelles il n'y avait aucun souci quant à l'usine, au motif que le groupe M3A était régulièrement audité par ailleurs, ni aucun autre élément de preuve, ne permet de retenir que les parties avaient érigé l'absence de non-conformité crtique du site de production en condition essentielles de la validité des commandes litigieuses.
- Sur la nullité des commandes
C'est pourquoi, s'agissant de l'action en nullité, en présence de l'acceptation expresse par la société Promod des commandes litigieuses en toute connaissance de cause, cette société est mal fondée en sa demande, le jugement entrepris devant être confirmé de ce chef.
- Sur la résolution des commandes
Le jugement entrepris doit encore être approuvé d'avoir relevé que dans son propre code éthique, la société Promod avait expressément renoncé à se prévaloir d'une non-conformité sociale à l'égard d'une commande acceptée. Le jugement sera donc également confirmé en ce qu'il a débouté la société Promod de sa demande en résolution.
- Sur la demande en paiement des produits commandés
La société Promod allègue que la société Paris Première n'apporte aucune preuve pour étayer l'affirmation selon laquelle les commandes étaient soit complètement produites soit avaient entraîné l'achat de matière première. La société promod soutient que les commandes ont été lancées du 6 au 26 février 2018 pour une livraison fin mars et avril 2018 et que Paris Première a reconnu qu'elles ne sont pas toutes fabriquées. Ainsi, la société Promod estime ne pas avoir à payer la somme de 334 630,86 euros, au moyen qu'elle ne correspond pas au préjudice de Paris Première qui ne fournit aucun élément quant à l'avancée des fabrications ou quant à la marge qu'elle aurait pu manquer à gagner. La société Promod estime que sa condamnation au paiement du prix des commandes apparaît ainsi punitive, au regard des articles 1231-1 et 1231-2 du code civil et de la jurisprudence en la matière.
Subsidiairement, la société Promod demande de limiter l'indemnisation du préjudice allégué par la société Paris Première à un montant de 278 859.05 x 0,14 = 39 040 euros (le taux de marge brute de 14% retenu découlant d'une pièce adverse).
La société Paris Première soutient que les commandes passées entre le 6 et le 26 février 2018 et qui devaient être livrées au cours du mois de mars et début avril 2018, étaient nécessairement prêtes ou en tout cas dans un processus de fabrication avancé au jour de la rupture le 9 mars 2018, comme il ressort expressément de la lettre qu'elle a adressée le 12 mars 2018 à la société Promod.
Sur ce :
Alors qu'il résulte de ce qui a déjà été jugé par le présent arrêt que les commandes litigieuses sont dues par principe, dès lors que la société Promod s'est engagée à les honorer, une telle obligation s'exécute dans la limite où le fournisseur a lui-même exécuté les prestations correspondant à ces commandes.
Or, en dépit des affirmations de la société Paris Première, rien ne prouve que les pièces commandées aient été confectionnées, ni même que leur processus de fabrication ait été très avancé.
Les factures correspondant aux commandes ne sont d'ailleurs pas produites.
La Cour ne peut apprécier la répartition économique entre la valeur de la façon et la valeur des matières employées. Au reste, les propres analyses de marge brute de la société Paris Première mentionnent une marge brute de l'ordre de 14%.
Il s'en déduit que la société Paris Première ne prétend pas valablement à la totalité du montant des commandes litigieuses au titre de la responsabilité contractuelle du maître d'ouvrage.
La Cour, faute de meilleure preuve et ainsi que le demande la société Promod à titre subsidiaire, accordera à la société Paris Première une somme correspondant à sa perte de marge évaluée à 14% sur le montant total des commandes litigieuses hors taxes, soit sur la somme de 278 859,05 euros ; la société Promod sera donc condamnée à payer à la société Paris Première une somme de 39 040 euros.
Le jugement entrepris sera donc réformé de ce chef.
- Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Les relations commerciales ont été rompues par la société Promod par lettre recommandée datée du 9 mars 2018 rappelant les principales non-conformités recensées par l'audit du 16 février 2018, qui ne sont pas contestées.
Il s'agit des griefs suivants :
- un objectif journalier doit être atteint par les employés ; de plus, les heures supplémentaires effectuées pour atteindre cet objectif ne sont pas répertoriées ni payées comme telles ;
- certains employés sont payés en dessous du minimum légal et indépendamment des heures travaillées ;
- absence de rapports d'heures et de fiches de salaires pour certains employés ;
- problèmes de santé et de sécurité
- beaucoup d'autres problèmes de rémunération et d'heures de travail.
Or, le code éthique impartit au fournisseur les obligations suivantes :
- des visites et audits de conformité des fournisseurs et sous-traitants peuvent être diligentés régulièrement ;
- s'il s'avère qu'un fournisseur, malgré des sollicitations répétées, ne met pas en place les mesures nécessaires au respect du code éthique, des lois nationales et/ou des conventions de l'OIT, Promod sera dans l'obligation de cesser toute relation commerciale avec ce dernier.
Tel que le montre l'analyse du courrier échangé entre les parties, la situation déjà décrite est à rapprocher des faits suivants :
- en juillet 2017, la société Promod a avisé par écrit son fournisseur sur les audits sociaux, communiquant le guide ICS constitutif des nouvelles normes adoptées en vertu du code éthique, avec fichier Excel de traçabilité des usines devant être retourné compléter ;
- la société Paris Première a alors adressé une liste de sites de production ;
Cependant, en décembre 2017 :
- la société Promod a écrit à la société Paris Première pour lui dire qu'aucun de ces sites n'était référencé, que les audits ICS n'étaient pas faits, ou qu'ils n'étaient pas conformes ou trop anciens ;
- la société Promod a alors demandé à pouvoir valider rapidement une usine en rappelant qu'elle devait être conforme aux exigences ICS ;
- à cette occasion, la société Promod a été particulièrement claire sur le fait qu'en cas de non-conformité critique, l'usine pourrait être refusée ;
- la société Paris Première a alors proposé à la société Promod le site Mtroisa ;
- dès le début du mois de janvier 2018, la société Promod a déploré par courriel adressé à la société Paris Première le fait que l'usine Mtroisa n'avait pas répondu aux sollicitations de Bureau Veritas pour la planification de l'audit selon les normes ICS, demandant à son partenaire d'intervenir afin que l'audit puisse être enfin réalisé ;
- l'audit effectué sans retard imputable à la société Promod a démontré la réalité de graves non-conformités au regard des normes sociales.
Par conséquent, la Cour retient en l'espèce que la société Paris Première, malgré des sollicitations répétées, n'a pas mis en place les mesures nécessaires au respect du code éthique, des lois nationales et/ou des conventions de l'OIT.
De ce fait, la société Promod a légitimement perdu confiance dans ce fournisseur, par suite de l'incapacité de celui-ci à intégrer et à assumer les nouvelles normes rendues obligatoires en vertu du code éthique, à juste titre jugées essentielles par la société Promod, et il doit être retenu que la rupture des relations commerciales était prévisible pour la société Paris Première qui, par ses manquements particulièrement graves au regard du contrat cadre liant les parties, a causé cette rupture qui est exempte de faute de la société Promod.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Paris première de sa demande en dommages-intérêts.
- Sur les autres demandes et les frais
Les demandes de la société Promod en résolution de certains contrats correspondant à certaines commandes doivent être rejetées, comme conséquence du mal fondé tant de l'annulation des commandes que de la résolution des contrats.
La demande reconventionnelle en dommages-intérêts de la société Promod pour perte de marge sera rejetée, dès lors que cette société n'était pas fondée à tenir les commandes pour nulles et qu'elle ne soutient pas valablement qu'elle était contrainte de les annuler.
Il en va de même et pour le même motif de la demande reconventionnelle en justification du dégriffage des articles annoncés comme fabriqués, à savoir R Club et C Club.
Bien que la société Paris Première se soit trompée sur l'étendue de ses droits, l'abus de procédure invoqué par la société Promod n'est pas caractérisé. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté toute demande en dommages-intérêts à ce titre.
Le sens de l'arrêt conduit à dire que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens et, en équité, il ne sera pas alloué d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Réforme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Promod à payer à la société Paris Première une somme de 334 630,86 euros,
Statuant de nouveau de ce chef :
Condamne la société Promod à payer à la société Paris Première une somme de 39 040 euros, et déboute la société Paris Première du surplus de sa demande formée à hauteur de 334 630,86 euros, au titre de la responsabilité contractuelle,
Pour le surplus :
Confirme le jugement entrepris,
Dit n'y avoir lieu à indemnité complémentaire au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d'appel,
Rejette toute autre demande.