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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 18 mars 2021, n° 18/27219

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gimacc (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Avocats :

Me Teytaud, Me Teston

T. com. Paris, du 5 sept. 2018

5 septembre 2018

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Gimacc a été fondée en octobre 2013 par M. N... K... qui en est le gérant, cette société exerce une activité de conseil pour les entreprises qui commercialisent des accessoires de prêt à porter, notamment dans la maroquinerie.

M. K... était salarié en qualité de directeur commercial de la société Lamarthe, entreprise connue pour ses sacs à main classiques, au moment où cette dernière a été rachetée début 2013 par la société Verotrade.

La société Verotrade, aujourd'hui radiée, avait pour gérant M. C... R... et son frère M. B... R..., associé majoritaire, occupait les fonctions de Directeur général. Cette société était spécialisée dans la commercialisation d'articles de maison, prêt à porter, accessoires, sport et loisirs.

M. K..., après la rupture conventionnelle de son contrat de travail, a signé avec la société Verotrade, le 5 août 2013, un contrat de consultant pour des prestations d'assistance, de conseil et d'analyse stratégique des collections « Lamarthe ». Par avenant du 5 mars 2014, la société Gimacc, créée entre temps par M. K..., a repris le contrat.

Parallèlement, le 19 août 2013, avec prise d'effet au 1er juillet 2013, la société Verotrade a signé avec M. K... un contrat d'agent commercial d'une durée de deux ans. Ce contrat a également été repris par la société Gimacc lors de renouvellements formalisés par des avenants des 5 mars et 11 juin 2014.

Au printemps 2016, la société Verotrade a cédé ses droits sur le portefeuille de marques « Lamarthe » et le nouvel acquéreur n'a pas repris le contrat d'agent commercial conclu avec la société Gimacc.

Les sociétés Verotrade et Gimacc ont signé le 8 avril 2016 une lettre de rupture avec solde des comptes prévoyant un solde à hauteur de 80 059,16 euros au bénéfice de la société Gimacc et mentionnant le paiement par remise de deux chèques à encaisser fin avril et fin mai.

S'estimant abusé, M. K... a, par un courrier recommandé du 25 septembre 2016 de son conseil, demandé à la société Verotrade le paiement de la somme de 270 000 euros au titre de la rupture du contrat d'agent commercial, 22 500 euros d'indemnité de préavis et le règlement de commissions non payées.

Ces demandes sont restées infructueuses.

C'est dans ces conditions que par actes d'huissier de justice des 19 et 26 janvier et du 2 février 2017, la société Gimacc a assigné la société Verotrade, M. B... R..., en qualité de « dirigeant de fait », et M. C... R..., en qualité de « dirigeant de droit », devant le tribunal de commerce de Paris afin de les voir condamner in solidum au règlement des indemnités de rupture et de préavis, ainsi que des commissions restant dues au titre du contrat d'agent commercial du 19 août 2013.

Le 31 octobre 2017, la société Verotrade a été absorbée par la société de droit anglais MJSC Investments Ltd qui a décidé, en sa qualité d'associé unique, de la dissolution sans liquidation de la société Verotrade, avec effet rétroactif au 1er octobre 2017. La société Verotrade a été radiée le 28 mars 2018.

La société MJSC Investments Ltd a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 13 juin 2018.

Par jugement du 5 septembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a :

- retenu sa compétence et dit que le greffe procédera à la notification de la décision par courrier recommandé avec accusé de réception et dit qu'en application de l'article 84 du code de procédure civile, la voie de l'appel est ouverte contre la décision dans le délai de quinze jours à compter de la notification,

Au fond,

- débouté la société MJSC Investments Ltd venant aux droits de la SARL Verotrade de sa demande de jonction de l'affaire RG 2017 047126 avec la présente instance,

- condamné la société MJSC Investments Ltd venant aux droits de la SARL Verotrade à payer à la SAS Gimacc la somme de 22 500 euros au titre du préavis,

- condamné la société MJSC Investments Ltd venant aux droits de la SARL Verotrade à payer à la société Gimacc la somme de 180 000 euros au titre de l'indemnité de rupture, déboutant pour le surplus,

- débouté la SAS Gimacc de sa demande de paiement de la somme de 9 507,56 euros au titre des commissions restant dues,

- débouté la SAS Gimacc de sa demande de paiement de la somme de 24 000 euros au titre des commissions acquises postérieurement au 31 mars 2016,

- débouté la SAS Gimacc du paiement de la somme de 70 080 euros au titre du contrat de consulting,

- débouté la SAS Gimacc de sa demande de voir Messieurs B... et C... R... condamner in solidum avec la société MJSC Investments Ltd venant aux droits de la SARL Verotrade,

- débouté la société MJSC Investments Ltd venant aux droits de la SARL Verotrade de sa demande de paiement solidaire de la somme de 308 464,98 euros au titre des pertes par la SAS Gimacc et Monsieur N... K...,

- débouté la société MJSC Investments Ltd venant aux droits de la SARL Verotrade de sa demande de paiement solidaire de la somme de 627 973,57 euros par la société Gimacc et Monsieur N... K...,

- débouté la société MJSC Investments Ltd venant aux droits de la SARL Verotrade de sa demande de paiement de la somme de 308 464,98 euros et de la somme de 627 973,57 euros par Monsieur E... I... et Madame G... M...,

- débouté la SAS Gimacc de sa demande de dommages et intérêts de 10 000 euros pour procédure abusive,

- condamné la société MJSC Investments Ltd venant aux droits de la SARL Verotrade à payer la SAS Gimacc la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire, sans condition de garantie,

- condamné la société MJSC Investments Ltd venant aux droits de la SARL Verotrade aux dépens de la première instance.

Par déclaration du 30 novembre 2018, la société Gimacc a interjeté appel de ce jugement quant aux chefs de décision concernant ses demandes de condamnation in solidum à l'encontre de Messieurs B... et C... R....

Par conclusions notifiées par le RPVA le 6 août 2019, la société Gimacc demande à la cour de :

Vu les dispositions de l'article L. 134-1 et suivants du code de commerce,

Vu les dispositions de l'article L. 134-12 du code de commerce,

Vu l'article 48 du code de procédure civile,

Vu les dispositions de l'article 1240 du Code civil et L. 223-22 du code de commerce,

Vu les dispositions des articles L. 721-3 du code de commerce, et des articles 56 et 32-1 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence et les pièces produites,

- constater que la société MJSC Investments Ltd, société de droit anglais, a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire le 13 juin 2018,

- constater que la société Gimacc a déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire,

- constater l'exercice par Monsieur B... R... d'une gérance de fait au vu et au su du dirigeant légal,

- dire que Messieurs B... R... et C... R..., respectivement en qualité d'ancien dirigeant de fait et d'ancien dirigeant de droit de la société Verotrade, aux droits de laquelle est venue la société MJSC Investments Ltd, faisant aujourd'hui l'objet d'une liquidation judiciaire suivant décision du 13 juin 2018, ont commis des fautes détachables de leurs fonctions,

- dire qu'ils engagent à ce titre leur responsabilité personnelle,

En conséquence,

- condamner Messieurs B... et C... R... in solidum au paiement entre les mains de la société Gimacc des sommes suivantes :

. 270 000 euros au titre de l'indemnité de rupture,

. 9 507,56 euros HT au titre du solde des commissions dues au 31 mars 2016, outre intérêts au taux légal à compter de la date de la mise en demeure, soit à compter du 25 septembre 2016,

. 24 000 euros HT au titre du solde des commissions acquises, outre intérêts au taux légal à compter de la date de la mise en demeure, soit à compter du 25 septembre 2016,

. 22 500 euros HT au titre de l'indemnité de préavis, outre intérêts au taux légal à compter de la date de la mise en demeure, soit à compter du 25 septembre 2016,

- condamner, les mêmes in solidum à payer à la société Gimacc la somme de 70 080 euros HT, outre intérêts au taux légal à compter de la date de la mise en demeure du 25 septembre 2016,

- condamner les mêmes in solidum à payer à la société Gimacc la somme de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner in solidum Messieurs B... et C... R... à payer à la société Gimacc la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître François TEYTAUD, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par le RPVA le 30 octobre 2020, Messieurs B... et C... Bensoussan demandent à la cour de :

Vu l'article 1844-5 du code civil,

Vu les articles L. 210-6, L. 223-1, L. 223-22 et L. 651-2 du code de commerce,

Vu les articles L. 134-3 et suivants du code de commerce,

Vu les anciens articles 1134 et suivants du code civil, et 1382 et suivants du code civil,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 septembre 2018 en toutes ses dispositions,

- débouter la société Gimacc de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Gimacc à payer 5 000 euros à Messieurs B... et C... R... au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me A... D... conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 novembre 2020.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Aucune note en délibéré n'ayant été autorisée par la cour, les notes adressées par RPVA après les plaidoiries sont écartées des débats.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de relever que le périmètre de l'appel est limité aux demandes de la société Gimacc tendant à la condamnation in solidum de Messieurs B... et C... R....

Sur la responsabilité personnelle des dirigeants de fait et de droit de la société Verotrade

- sur la gérance de fait de M. B... R...

La société Gimacc fait valoir que M. B... R..., frère du gérant de droit de la société Verotrade, M. C... R..., exerçait une fonction de gérant de fait aux lieu et place de son frère, frappé d'une interdiction de gérer, dans la mesure où il signait à la place de son frère les actes causant aujourd'hui grief à la société Gimacc, il signait d'autres actes tel qu'un accord transactionnel avec une salariée, il échangeait par courriel avec le gérant de la société Gimacc, M. K..., il était cité dans la presse comme le « PDG de Verotrade ».

Les intimés répliquent qu'il n'est pas démontré en quoi M. B... R... aurait commis des actes de gestion, ni que ce dernier était frappé d'une interdiction de gérer.

Sur ce,

Il ressort des pièces du dossier que tous les actes conventionnels conclus entre la société Verotrade et M. K... ou la société Gimacc (notamment les actes de rupture conventionnelle du contrat de travail, les contrats d'agent commercial et de consultant, ou l'accord sur les conditions financières de leur rupture) sont signés au nom du gérant tel qu'indiqué sur l'extrait Kbis, soit M. C... R..., à l'exception du protocole transactionnel avec la société Sergiolin Lamarthe qui indique le nom de « M. B... R... dûment habilité ». Il n'est pas contesté que ce dernier exerçait les fonctions de directeur général de la société, ce qui explique ses échanges courriels avec M. K.... Seul un article de presse indique que la société Verotrade était « dirigée » par M. B... R..., ce qui n'est pas suffisant pour prouver l'existence d'une gérance de fait exercée par M. B... R....

- sur les fautes détachables des fonctions des dirigeants

La société Gimacc prétend que les frères R... ont commis des fautes détachables au cours de l'exécution et lors de la cessation du contrat d'agent conclu avec elle dans la mesure où :

- ils ont cédé la marque « Lamarthe », seul objet du contrat d'agent, sans en informer leur agent, le mettant dans l'impossibilité d'exercer son mandat ;

- ils lui ont fait signer un accord contraire à l'ordre public par lequel l'agent renonçait à son indemnité de rupture et acceptait la rupture, étant précisé qu'ils sont à l'origine de ladite rupture ;

- la création de la marque « TER », prétendument en violation de l'obligation de loyauté, par la société Gimacc a été faite avec l'aval de la société Verotrade et en tout état de cause ne caractérise pas une faute grave privative d'indemnité puisqu'elle a un positionnement différent sur le marché.

L'appelante soutient que les frères R... ont commis des fautes détachables afin de faire échec au recouvrement de la créance de la société Gimacc puisque :

- peu après avoir été assignée, la société Verotrade a cédé la totalité de ses parts à une société étrangère manifestement insolvable, la société MJSC Investments Ltd, qui a décidé de la dissolution sans liquidation de celle-ci avec transmission universelle de patrimoine, et a depuis été placée en procédure d'insolvabilité au Royaume-Uni, avant l'audience de première instance,

- la société Verotrade et les frères R... n'ont pas informé la société Gimacc de cette situation notamment à l'audience de première instance alors qu'ils en avaient connaissance à cette date, ayant pour conséquence que la société Gimacc ne l'a découvert qu'au moment de l'exécution de la décision, le délai d'opposition des créanciers étant alors déjà expiré. Elle fait valoir que cette opération a été mise en place pour l'empêcher de recouvrer sa créance.

La société Gimacc en conclut que Messieurs B... R... et C... R... ont commis des fautes personnelles détachables de leurs fonctions et doivent être condamnés solidairement.

Messieurs B... et C... R... répondent que:

- la société Verotrade a respecté ses obligations légales en publiant les informations relatives à la cession de ses parts sociales, à sa radiation à la décision de dissolution anticipée de la société, permettant ainsi à la société Gimacc de faire opposition à cette décision ;

- ils n'ont aucune participation financière dans le capital de la société MJSC Investments Ltd et ils ignorent ce qui a motivé la radiation de la société Verotrade ;

- ils ne sont pas responsables des décisions de la société MJSC Investments Ltd d'être mise en liquidation, qu'ils ont découvert après les plaidoiries de première instance, et du choix du silence des associés ;

- leur responsabilité en tant qu'associé de la société Verotrade était limitée au montant de leurs apports puisqu'il s'agit d'une société à responsabilité limitée ;

- aucune action n'a été menée à leur encontre par le liquidateur de la société MJSC Investments Ltd ;

- aucune disposition légale n'interdit à un associé majoritaire, comme M. B... R..., de s'impliquer dans la société, ce qu'il a parfois en représentant la société Verotrade avec l'accord de son gérant qui est aussi son frère, mais il n'a commis aucun acte de gestion ;

- aucune restriction n'empêche de céder une société française à une société anglaise et qu'aucune règle n'impose de faire le bilan d'une société qui acquiert une autre société.

Ils en concluent que par application de la théorie générale de la représentation, les tiers sont liés à la société qui est la seule engagée et c'est donc à la société qu'ils doivent demander des dommages et intérêts, mais que leur responsabilité personnelle ne peut être engagée.

A titre subsidiaire, si la cour devait retenir leur responsabilité, Messieurs B... et C... R... font valoir qu'il y a lieu d'écarter toute condamnation à leur égard dans la mesure où la société Verotrade n'a commis aucune faute susceptible d'engager leur responsabilité et puisque la société Gimacc avait elle-même commis des fautes à l'égard de la société Verotrade en commercialisant de la maroquinerie de luxe sous la marque « TER », déposée le 20 janvier 2015, et que cette activité concurrente menée en parallèle a généré des pertes pour les produits Lamarthe qui ont conduit à la revente du portefeuille de marques « Lamarthe » en 2016.

Sur ce,

Vu l'article 1240 du code civil,

On entend par « dirigeants » les représentants légaux de la société, c'est-à-dire toutes les personnes ayant le pouvoir de l'engager à l'égard des tiers. Dans le cadre d'une SARL, seul le gérant est le dirigeant. Seul M. C... R... en l'espèce doit être considéré comme dirigeant de la société Verotrade.

À l'égard des tiers, la responsabilité des dirigeants ne peut être engagée que si le dirigeant a commis une faute séparable de ses fonctions. Il est établi que la faute séparable est définie comme la faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.

En l'espèce, le contrat de travail de M. K... comme directeur commercial transféré lors de l'acquisition par la société Verotrade de la société Lamarthe a été rompu quelques mois plus tard conventionnellement et un contrat d'agent commercial ainsi qu'un contrat de consultant dédiés au développement du portefeuille des marques « Lamarthe » a été consenti à la société Gimacc, société que M. K... a créée à cet effet. Le dirigeant de la société Verotrade a pris la décision, moins de 3 ans plus tard, de vendre l'entier portefeuille de marques à un tiers sans prévoir la reprise des contrats d'agent commercial et de consultant sur ces marques, vidant ainsi de son objet l'activité de la société Gimacc, et ce sans l'en informer au préalable.

Alors qu'il avait sciemment vidé de son objet l'activité d'agent commercial de la société Gimacc dédiée aux marques Lamarthe, le dirigeant de la société Verotrade a fait signer à la société Gimacc une lettre de rupture prévoyant une renonciation à toute indemnité de rupture laquelle est pourtant d'ordre public aux termes de l'article L. 134-12 du code de commerce.

Après que la société Gimacc ait assigné la société Verotrade devant le tribunal de commerce pour obtenir l'indemnisation due pour la rupture de ses contrats, M. C... R... a, de manière précipitée, décidé de vendre la société Verotrade à une société de droit britannique, la société MJSC Investment Ltd, société de droit étranger, dont l'associé unique a décidé également de façon précipitée de procéder à sa radiation sans une liquidation qui aurait permis de payer ses créanciers, et alors que la société MJSC Investment elle-même a été mise en liquidation judiciaire le jour où l'affaire était plaidée devant le tribunal de commerce de Paris.

Ces éléments démontrent une manœuvre frauduleuse du dirigeant de la société Verotrade aux fins de faire échapper sa société, dont l'associé majoritaire à 90 % était son frère, au paiement de ses dettes envers la société Gimacc.

Le moyen de défense tiré du fait que la société Gimacc avait été déloyale en développant une marque concurrente et aurait engendré la perte de valeur du portefeuille des marques Lamarthe est dénué de pertinence, parce qu'il ressort de l'attestation de Mme F..., responsable des grands comptes de la société Verotrade, que M. B... R... avait connaissance du développement parallèle de cette marque TER par la société Gimacc; et que comme l'ont relevé les premiers juges à bon escient M. K... a toujours tenu informé de manière loyale M. R....

Il en résulte que M. C... R... a, par ses décisions dans la direction de la société Verotrade, placé cette dernière dans l'impossibilité de régler ses créances à l'égard de la société Gimacc, ce qui constitue une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.

Cette faute est détachable de ses fonctions de dirigeant de la société Vetrotrade aujourd'hui radiée. Par conséquent, M. C... R..., ayant engagé sa responsabilité délictuelle personnelle envers la société Gimacc, sera tenu des sommes restant dues suite à la rupture et qui n'ont pas été réglées par la société Verotrade, aujourd'hui radiée. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation in solidum à l'égard de M. B... R..., la gérance de fait n'ayant pas été établie.

Sur les sommes dues à la société Gimacc suite à la rupture du contrat d'agent commercial

L'article L. 134-4 du code de commerce dispose que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties (alinéa 1) ; que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information (alinéa 2) ; que l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; et que le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat (alinéa 3).

L'article L. 134-12 du même code, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; qu'il perd toutefois le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; et que ses ayant droits bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.

Par ailleurs, l'article L. 134-16 du code de commerce prévoit qu'est réputée non écrite toute clause ou convention dérogeant, au détriment de l'agent commercial, aux dispositions de l'article précité.

Il est de principe enfin que les parties peuvent licitement convenir à l'avance d'une indemnité de rupture, dès lors que celle-ci assure à tout le moins la réparation intégrale du préjudice subi par l'agent commercial.

L'article L. 134-13 du code de commerce précise toutefois que la réparation prévue à l'article L. 134-12 du même code n'est pas due dans les cas suivants :

1°) La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

2°) La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;

3°) Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.

Il est admis que la faute grave, privative d'indemnité de rupture, se définit comme celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat et rend impossible le maintien du lien contractuel ; elle se distingue du simple manquement aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat.

- sur l'indemnité de rupture

La société Gimacc réclame une indemnité de 270 000 euros, représentant 36 mois de commissions, au motif que le préjudice qu'elle subit est d'autant plus grand en raison de l'historique de la relation entre son dirigeant M. K... salarié de Verotrade puis agent dépendant de façon quasi exclusive de cette société, et est dû à l'absence délai de prévenance laissé pour diversifier son activité, entrainant des difficultés de réorganisation et de recherche d'un nouveau mandat combiné à la dépendance de la société Gimacc. Elle précise que le montant du préjudice est calculé eu égard à la moyenne des commissions qu'elle percevait en application du contrat d'agent.

Messieurs B... et C... R... prétendent que la condamnation des dirigeants ne peut dépasser le montant de l'insuffisance d'actif.

Ils soutiennent que la société Gimacc ne peut réclamer une indemnité de rupture puisqu'elle a signé un acte de rupture comportant un décompte définitif valant solde de tout compte entre les parties, contrat signé par M. K... en connaissance de cause et ayant pleine capacité. En outre, ils soulignent que la rupture du contrat est à l'initiative de la société Gimacc qui a indiqué qu'elle démissionnait, du fait de sa volonté de développer sa marque « TER », et que par conséquent l'indemnité n'est pas due en application de l'article L. 134-13 du code de commerce, l'agent étant à l'origine de la rupture.

Sur ce,

Il a été démontré que la rupture a eu lieu à l'initiative de la société Verotrade qui, en vendant le portefeuille des marques Lamarthe, a vidé de son objet la mission confiée à la société Gimacc comme agent commercial.

Il a été également démontré que le développement en parallèle de la marque TER par la société Gimacc ne constitue nullement une attitude fautive de la part de l'agent qui pourrait justifier la privation de l'indemnité de rupture prévue par l'article L. 134-12 du code de commerce dont les dispositions sont d'ordre public.

Concernant le quantum de cette indemnité, il convient de tenir compte de l'apport par l'agent de son expérience passée comme directeur commercial au sein de la société Lamarthe mise au profit de son mandant, mais également de la durée de moins de trois années de son mandat avec la société Verotrade. Au vu de ces éléments, le préjudice subi par la société Gimacc a été justement évalué à deux années de commissions par les premiers juges, cette indemnisation compensant la perte de clientèle pour la société Gimacc.

Il convient donc de confirmer la décision de 1ère instance qui a fixé l'indemnité à deux années de chiffre d'affaires soit 180 000 euros, dont le calcul n'est pas contesté.

- sur l'indemnité de préavis

Il n'est pas contesté que le contrat d'agent commercial a été rompu sans délai de préavis. La société Gimacc réclame la somme de 22 500 euros HT au titre de l'indemnité de préavis, équivalente à trois mois de commissions.

Les intimés ne contestant pas le montant de cette indemnité, la décision des 1ers juges sera confirmée de ce chef.

- sur le rappel des commissions restant dues

La société Gimacc évalue par ailleurs le solde des commissions dues, acquises en application de l'article 19 du contrat d'agent, à la somme de 24 000 euros HT, en l'absence de communication du tableau des ventes demandé à la société Verotrade. Elle réclame en outre le solde des commissions restant dues à la date du 31 mars 2016 pour un montant de 9 507,56 euros HT.

Messieurs B... et C... R... répondent qu'ils n'ont aucun moyen de vérifier que les commissions n'auraient pas été réglées par le repreneur de la marque « Lamarthe » et qu'en outre leur montant n'est pas justifié puisque la société Gimacc se contente de produire un tableau établi par ses soins non visé par un expert-comptable.

Sur ce,

L'article L. 134-6 du code de commerce dispose que pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre ; que lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminé, l'agent commercial a également droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe.

L'article L. 134-7 du code de commerce qui consacre le droit de suite ou le principe des commissions récurrentes dispose que pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission, soit lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues à l'article L. 134-6, l'ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l'agent commercial avant la cessation du contrat d'agence.

L'article R. 134-3 du même code précise que le mandant remet à l'agent commercial un relevé des commissions dues, au plus tard le dernier jour du mois suivant le trimestre au cours duquel elles sont acquises ; que ce relevé mentionne tous les éléments sur la base desquels le montant des commissions a été calculé ; et que l'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues.

En l'espèce, il ressort de la lettre de rupture signée en date du 8 avril 2016 par M. C... R... et le dirigeant de la société Gimacc que celle-ci a été réglée des commissions restant dues à cette date : commission /objectif : 19 800 euros et commissions à facturer : 53 455,08 euros. Cette lettre mentionnait qu'une régularisation des commissions était à prévoir sur le chiffre d'affaires payé ultérieurement, néanmoins, les premiers juges ont relevé à bon droit que le seul tableau établi par la société Gimacc (pièce 50 de la société Gimacc) ne suffit pas prouver les sommes demandées au titre du solde des commissions restant dues. La décision de 1ère instance la déboutant de ces chefs de demande sera donc confirmée.

Sur la rémunération due au titre de la rupture du contrat de consultant

La société Gimacc fait valoir qu'elle est titulaire d'une convention de consultant conclue le 5 août 2013 et reconduite ensuite, convention qui n'a pas pu être exécutée du fait de la cession de la marque « Lamarthe » en raison des manœuvres des intimés. Elle considère qu'en raison de cette inexécution, ils ont vidé la société Gimacc de son actif le plus important et que par conséquent elle a droit au paiement de ses prestations à hauteur de 70 080 euros HT, pour la période de mai 2016 à avril 2018. Elle souligne que cette convention n'a d'ailleurs jamais été résiliée.

Messieurs B... et C... R... soutiennent que le contrat de consultant est expressément cité dans le décompte définitif de l'accord du 8 avril 2016 constatant la rupture, qui y a mis un terme.

Sur ce,

Il ressort des termes de la lettre de rupture avec solde des comptes du 8 avril 2016 (pièce 11 de la société Gimacc) signée par la société Gimacc et M. C... R... que si le seul terme de « contrat d'agent commercial » est mentionné, il est toutefois indiqué dans le solde de tout compte des sommes qui sont à l'évidence relative au second contrat dit « de consultant » conclu entre les parties : « consulting de mars 2016 », « consulting avril 2016 ». Ces postes correspondent aux forfaits mensuels prévus à l'article 5 du contrat de consultant (pièce 10 de la société Gimacc) en paiement des prestations de consultant.

Il n'est pas contesté que la société Gimacc a cessé toute prestation de consultant pour la société Verotrade après le 8 avril 2016.

La société Gimacc ne peut pas arguer du fait que la rupture n'est pas intervenue conformément aux conditions de l'article 7 du contrat de consultant, celui-ci étant relatif à une « résiliation anticipée » unilatérale et non à une rupture conventionnelle signée par les deux parties telle qu'actée par la lettre du 8 avril 2016.

La décision de première instance rejetant la demande en indemnisation au titre de la rupture du contrat de consultant sera donc confirmée.

Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive

La société Gimacc fait valoir que la demande d'indemnité formulée par le dirigeant de la société Verotrade au titre de prétendues pertes n'est pas justifiée par la moindre pièce, a été adressée uniquement pour dissuader la société Gimacc de la présente action et que par conséquent elle est abusive et dilatoire. Elle réclame à ce titre la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.

S'il a été démontré que la faute alléguée par M. C... R... pour tenter de justifier la privation d'une indemnité de rupture due à l'agent commercial l'a été de mauvaise foi, pour autant, la société Gimacc ne justifie d'aucun préjudice distinct de celui causé par la nécessité de se défendre en justice et qui est intégralement réparé par l'allocation d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le rejet de ce chef de demande par le tribunal de commerce sera également confirmé.

Sur les frais et dépens

Le jugement du tribunal de commerce sera confirmé quant aux frais et dépens de première instance, sauf en ce que M. C... R... y sera tenu in solidum avec la société MJSC Investments.

M. C... R... succombant en appel supportera les entiers dépens de l'appel et devra participer aux frais irrépétibles engagés par la société Gimacc pour se défendre dans la procédure d'appel à hauteur de 6 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Dans la limite de l'appel,

CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation à l'encontre de M. C... R...,

Statuant à nouveau de ce chef infirmé,

DIT que M. C... R... a commis une faute détachable de ses fonctions de dirigeant de la société Verotrade et a engagé sa responsabilité personnelle délictuelle envers la société Gimacc,

CONDAMNE M. C... R... à payer à la société Gimacc la somme de 22 500 euros au titre de l'indemnité de préavis et la somme de 180 000 euros au titre de l'indemnité de rupture ainsi que les frais irrépétibles et dépens de première instance,

Y ajoutant,

CONDAMNE M. C... R... à payer à la société Gimacc la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. C... R... à payer les entiers dépens de l'appel.