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Décisions

Cass. 2e civ., 25 mars 2021, n° 19-23.018

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Maisons du Monde France (SAS)

Défendeur :

Bouchara (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pireyre

Rapporteur :

Mme Jollec

Avocat général :

M. Aparisi

Avocats :

SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Gouz-Fitoussi,

Paris, Pôle 1 ch. 3, du 5 juin 2019

5 juin 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 juin 2019), suspectant des faits de concurrence déloyale et de parasitisme de la part de la société Bela Bouchara, la société Maisons du monde France (la société Maisons du monde) a saisi le président d'un tribunal de commerce d'une requête à fin de désignation d'un huissier de justice pour effectuer diverses mesures sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

2. La requête a été accueillie le 22 mai 2018 et les mesures d'instruction ont été diligentées le 7 juin 2018.

3. Par ordonnance du 18 décembre 2018, dont la société Maisons du monde a interjeté appel, un juge des référés a rétracté l'ordonnance sur requête, prononcé la nullité des mesures d'instruction et ordonné la restitution des documents saisis.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Maisons du monde fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du 18 décembre 2018 ayant rétracté l'ordonnance sur requête du 22 mai 2018, d'ordonner la nullité des mesures d'instruction effectuées et la restitution des documents saisis sur le fondement de cette ordonnance, alors « qu'une mesure peut être ordonnée sur requête lorsque les circonstances exigent qu'elle ne le soit pas contradictoirement ; que les circonstances justifiant une dérogation au principe de la contradiction doivent être caractérisées par la requête ou l'ordonnance rendue sur celle-ci ; qu'il résulte des termes de la requête présentée en l'espèce par la société Maisons du monde que celle-ci avait dûment justifié, pièces à l'appui, de la situation de concurrence existant entre la société Bela et elle-même, du rapprochement parasitaire mis en oeuvre par cette dernière, en concertation avec la société Eurodif, entre la nouvelle identité visuelle de l'enseigne Bouchara et la sienne, de la copie par ses concurrentes de l'aménagement intérieur de ses magasins comme de la présentation de son site internet, ainsi que de la nécessité de procéder aux opérations de constat sollicitées de manière non contradictoire, compte tenu des actes de copies généralisés, de la découverte de leur ampleur, de la gravité et du caractère mûrement réfléchi des faits constatés ainsi que du fait que la société Bela avait manifestement tenté de retarder le plus longtemps possible leur découverte par la société Maisons du monde, en procédant d'un côté à l'aménagement d'un magasin pilote dont l'identité visuelle était calquée sur celle des magasins de la société Maisons du monde pour tester le concept sur les clients, tout en maintenant d'un autre côté une communication officielle sur des magasins à l'identité visuelle différente, y compris lors du déploiement postérieur de cet aménagement litigieux dans d'autres magasins Bouchara ; que la société Maisons du monde indiquait que « ces circonstances démontrent que Eurodif et Bouchara ont agi en parfaite connaissance de cause et ont souhaité dissimuler leurs actes litigieux le plus longtemps possible pour retarder les risques encourus » et qu'en conséquence compte tenu de ce contexte, de la nature et de l'ampleur des actes litigieux, elle était « bien fondée à solliciter non contradictoirement des mesures d'instruction à l'égard de la société Bela, et ce afin que lesdites mesures soient utiles et efficaces et qu'elles permettent ainsi d'obtenir des éléments sur l'origine et l'ampleur des actes litigieux » ; que l'ordonnance rendue sur cette requête a en outre constaté que « au vu des justifications produites, (…) le requérant est fondé à ne pas appeler la partie visée par la mesure, du fait que certaines preuves informatiques ou d'accès Web pourraient disparaître dans le cas contraire » ; qu'en retenant cependant que « les circonstances relatées dans la requête ne justifient aucunement l'effet de surprise recherché, sans démonstration ni prise en compte d'éléments propres au cas d'espèce caractérisant des circonstances justifiant la dérogation au principe du contradictoire », la cour d'appel a violé les articles 145 et 493 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 145 et 493 du code de procédure civile :

5. Il résulte de ces textes que le juge, saisi d'une demande de rétractation de l'ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et tenu d'apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s'assurer de l'existence, dans la requête et l'ordonnance, des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

6. Pour confirmer l'ordonnance rendue en référé ayant rétracté l'ordonnance sur requête, l'arrêt retient que la volonté supposée de la société Bela de dissimuler les aménagements et modifications du site Web ne peut se déduire de la seule communication, au demeurant non pas de la société Bela mais depuis le site Facebook de Eurodif, du site internet de la société Omnium et du site de la société Superbrand, sur le magasin de Rouen et non de Dijon alors que ce dernier magasin est ouvert au public et, par là- même, à la visite de ses concurrents et que par ailleurs, la requête est accompagnée de diverses pièces comportant déjà des photographies de l'aménagement du magasin de Dijon diffusé sur le blog du syndicat FO Eurodif/Bouchara ainsi que des captures d'écran de sites Bouchara.

7. L'arrêt retient, ensuite, que l'aménagement intérieur des magasins Eurodif ne peut être modifié au gré d'une mesure d'instruction contradictoire alors que ces magasins sont ouverts au public et que la société Maisons du monde est déjà en possession de nombreux éléments représentant leur aménagement actuel.

8. L'arrêt relève, enfin, que les devis et factures recherchés sont des éléments qui ne peuvent disparaître de la documentation comptable d'une société commerciale, et que surtout, le contrat de licence d'enseigne n'est pas susceptible de dissimulation ou disparition.

9. L'arrêt en déduit que l'éviction du contradictoire, principe directeur du procès, nécessite que le requérant justifie de manière concrète, les motifs pour lesquels, dans le cas d'espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise et que les circonstances relatées dans la requête ne justifient aucunement l'effet de surprise recherché, sans démonstration ni prise en compte d'éléments propres au cas d'espèce caractérisant des circonstances justifiant la dérogation au principe du contradictoire.

10. En statuant ainsi, alors que la requête était motivée en considération de la nature des faits de concurrence déloyale et de parasitisme, à leur ampleur et à la volonté de dissimulation de ces faits par leur auteur, expressément dénoncés dans la requête comme justifiant le recours à une procédure non contradictoire, seule susceptible d'assurer dans ces circonstances l'efficacité de la mesure et d'éviter le risque de dépérissement des preuves informatiques ou d'accès Web, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS,

Et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi,  

La Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Bela Bouchara aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Bela Bouchara et la condamne à payer à la société Maisons du monde France la somme de 3 000 euros.