Cass. 2e civ., 25 mars 2021, n° 19-23.448
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Editions Dalloz (Sasu), Lexbase (SA), Lexisnexis (SA), Lextenso éditions (SA), Wolters Kluwer France (Sasu)
Défendeur :
Forseti (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maunand
Rapporteur :
Mme Kermina
Avocat général :
M. Girard
Avocats :
SARL Corlay, SCP Spinosi
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 juillet 2019), se plaignant de faits de parasitisme, de concurrence déloyale et de publicité trompeuse, les sociétés Editions Dalloz, Lexbase, LexisNexis, Lextenso éditions et Wolters Kluwer France (les sociétés éditrices) ont saisi le président d'un tribunal de commerce par requête pour voir désigner, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, un huissier de justice avec mission de se rendre au siège de la société Forseti afin d'y appréhender des pièces et les conserver sous séquestre.
2. La requête ayant été accueillie par ordonnance du 2 octobre 2018, l'huissier de justice a effectué sa mission le 5 octobre 2018.
3. Le 2 novembre 2018, la société Forseti a assigné les sociétés éditrices devant un juge des référés afin de voir ordonner la rétractation partielle de l'ordonnance sur requête, la destruction d'une partie des éléments appréhendés et l'effacement de certaines données dans la note technique de l'huissier de justice.
4. Par ordonnance du 14 janvier 2019, dont la société Forseti a interjeté appel, le président d'un tribunal de commerce l'a déboutée de ses demandes et a renvoyé la cause à une audience ultérieure pour la levée du séquestre.
Sur la demande de non-lieu à statuer présentée en défense
5. Il résulte des productions qu'une pièce a été l'objet d'une levée de séquestre et que l'huissier de justice a indiqué avoir restitué les documents séquestrés en exécution de l'arrêt attaqué, ce dont il ressort que, contrairement à ce qu'allègue la société Forseti, toutes les pièces appréhendées n'ont pas été détruites.
6. Il y a lieu, dès lors, de statuer sur le pourvoi.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
8. Les sociétés éditrices font grief à l'arrêt de rétracter l'ordonnance, d'annuler les actes d'instruction subséquents, d'ordonner la restitution à la société Forseti des pièces séquestrées et de condamner les sociétés à lui payer une certaine somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « qu'il appartient au juge saisi d'une demande de rétractation de l'ordonnance ayant autorisé une mesure d'instruction en application de l'article 145 du code de procédure civile de vérifier que la requête ou l'ordonnance rendue sur cette requête contenaient des motifs caractérisant les circonstances susceptibles de justifier une dérogation au principe de la contradiction ; que constituent de tels motifs les éléments circonstanciés de concurrence déloyale soulignant un risque de dépérissement des preuves, en particulier lorsque la requête vise des données informatiques, numériques ou électroniques par essence furtives et susceptibles d'être aisément détruites ou altérées ; que le fait que la partie poursuivie ait pu d'ores et déjà prendre des mesures pour dissimuler les preuves ne justifie pas l'absence de risque de futures dissimulations ; qu'en rétractant l'ordonnance aux motifs que la Société Forseti avait pu avoir connaissance par la révélation par le Monde en juin 2016 de faits de typosquatting de ce qu'elle risquait d'être poursuivie et avait donc d'ores et déjà pu « prendre toute mesure pour organiser le dépérissement des preuves, de sorte qu'au jour du dépôt de la requête quatre mois plus tard, le 2 octobre 2018, l'effet de surprise recherché ou le risque de dépérissement des preuves n'étaient pas pertinents pour justifier la dérogation au principe du contradictoire la cour d'appel a violé les articles 145 et 493 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 493 du code de procédure civile :
9. Aux termes de ce texte, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
10. Pour rétracter l'ordonnance sur requête, annuler les actes d'instruction subséquents, ordonner la restitution à la société Forseti des pièces séquestrées et condamner les sociétés éditrices à lui payer une certaine somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt retient qu'il s'infère des circonstances de l'espèce que, depuis le mois de juin 2018, la société Forseti était informée des griefs dont elle était l'objet, qui auraient pu la conduire à prendre toute mesure pour organiser le dépérissement des preuves, de sorte qu'au jour du dépôt de la requête quatre mois plus tard, le 2 octobre 2018, l'effet de surprise recherché ou le risque de dépérissement des preuves n'étaient pas pertinents pour justifier la dérogation au principe du contradictoire.
11. En statuant ainsi, alors que la circonstance que des éléments de preuve aient pu être supprimés par la société Forseti avant le dépôt de la requête caractérisait, peu important l'absence d'un éventuel effet de surprise, un risque de dépérissement des preuves justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction en considération de la nature des faits de parasitisme et de concurrence déloyale et de la nature même des données informatiques recherchées, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.