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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 26 mars 2021, n° 20/13493

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Acna (SA)

Défendeur :

GSF Aéro (SAS), Groupe Services France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseillers :

Mme Le Cotty, Mme Aldebert

Avocats :

Me Olivier, Me Sabatier, Me Grappotte Benetreau, Me Bes de Berc, Me Allerit, Me Andrieu, Me Yvant

T. com. Paris, du 24 sept. 2020

24 septembre 2020

A compter du 1er octobre 2005, la société Acna a confié à la société GSF Aéro, en qualité de sous-traitant, le nettoyage et l'armement (prestation consistant à équiper ou remplir l'intérieur de l'avion en plateaux repas et autres matériels de bords) d'une partie des avions long-courriers de la société Air France en escale à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle.

Le 17 mars 2020, la société Servair, société mère de la société Acna, a notifié à la société GSF Aéro la suspension du contrat de sous-traitance à compter du 23 mars et pour une durée indéterminée, en raison de la chute du trafic aérien résultant de la pandémie de Covid-19.

Le 8 juin 2020, la société Acna a notifié à la société GSF Aéro la résiliation du contrat de sous-traitance à effet au 30 septembre 2020.

Le 31 juillet 2020, la société GSF Aéro a assigné en référé à heure indiquée la société Acna devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de :

. constater que le préavis de trois mois accordé par la société Acna au titre de la rupture de leur relation commerciale est insuffisant, au regard de la durée de cette relation et de l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouve, et que l'effectivité du préavis accordé n'a pas été respectée ;

. condamner la société Acna à poursuivre leur relation commerciale pendant une durée de 24 mois à compter du 8 juin 2020 ;

. en tout état de cause, condamner la société Acna, sous astreinte de 25 000 euros par infraction constatée, à respecter pendant toute la durée du préavis une moyenne quotidienne de commandes de vols long-courriers de 28 en hiver et de 32 en été, avec une variation quotidienne du nombre de vols de plus ou moins deux, conformément aux stipulations contractuelles ;

. condamner la société Acna, en cas de non-respect par celle-ci des modalités de préavis ainsi définies, à reprendre à la date de la rupture effective du contrat qui pourrait procéder de sa résiliation par la société GSF Aéro en application des stipulations contractuelles, l'ensemble des moyens constitutifs d'une entité économique autonome affectés à l'exécution du contrat et ce, sous astreinte de 50 000 euros par jour de retard ;

. condamner la société Acna, en cas de respect par celle-ci des modalités de préavis, à reprendre, à la date d'expiration du préavis, l'ensemble des moyens constitutifs d'une entité économique autonome affectés à l'exécution de la prestation en cause ou, à tout le moins, l'ensemble des contrats de travail en cours des salariés y affectés ;

. condamner la société Acna à une astreinte de 25 000 euros par jour de retard dans l'exécution de l'ordonnance, à compter de la rupture effective du contrat.

Par ordonnance du 24 septembre 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

. déclaré la société GSF Aéro irrecevable en sa demande tendant à la condamnation de la société Acna à poursuivre leur relation commerciale ;

. déclaré la société GSF Aéro recevable en sa demande tendant à la condamnation de la société Acna à reprendre l'ensemble des moyens constitutifs d'une entité économique autonome affectés à l'exécution du contrat de 2016 ;

. reconnu sa compétence pour statuer sur cette demande ;

. condamné la société Acna à faire en sorte, dans le mois de la signification de l'ordonnance, que les contrats de travail des salariés de la société GSF Aéro en cours au 30 septembre 2020 et figurant sur la liste que cette dernière produit en pièce 49, subsistent entre elle et ceux-ci, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par contrat de travail, pendant 90 jours ;

. laissé au juge de l'exécution le soin de liquider l'éventuelle astreinte ;

. rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société Acna ;

. condamné la société Acna à payer à la société GSF Aéro la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

. condamné la société Acna aux dépens de l'instance, donc ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 44,07 euros TTC dont 7,13 euros de TVA.

Par déclaration du 25 septembre 2020, la société Acna a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, du 2 février 2021, elle demande à la cour de :

confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré la société GSF Aéro irrecevable ; l'infirmer pour le surplus et la réformant ;

In limine litis, constater que l'application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail s'inscrit dans le cadre de la compétence exclusive du conseil de prud'hommes ;

En conséquence, constater que le juge des référés aurait dû se déclarer incompétent et renvoyer la société GSF Aéro à mieux se pourvoir ;

Subsidiairement, constater que la demande de transfert d'un contrat fondée sur les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail est un droit personnel exclusivement attaché à la personne du salarié ; constater que la demande de transfert des contrats de travail est formée par la société GSF Aéro ;

En conséquence, faire droit à sa fin de non-recevoir ; constater le défaut de qualité à agir de la société GSF Aéro sur le fondement des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail ;

. déclarer la société GSF Aéro irrecevable en sa demande de transfert des contrats de travail ; la déclarer recevable en ses demandes accessoires et reconventionnelles, en ce qu'elles sont l'accessoire de ses demandes principales et ont été formulées en suite de la survenance de faits nouveaux ;

En tout état de cause, constater que le président du tribunal de commerce a statué sur le fond du dossier, excédant ainsi la limite de ses pouvoirs ;

. constater qu'il a statué en ordonnant une mesure non pas conservatoire mais d'exécution d'une obligation très sérieusement contestée, excédant ainsi encore la limite de ses pouvoirs ;

. constater qu'il n'a caractérisé ni le dommage allégué, ni l'imminence dudit dommage, de sorte qu'il a, de plus fort, statué en violation de ses prérogatives de juge des référés ;

En conséquence, dire et juger que le président du tribunal de commerce a statué en excédant les pouvoirs qui lui sont dévolus ;

. infirmer l'ordonnance entreprise ; ordonner, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par contrat de travail, pendant 90 jours, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, la reprise par la société GSF Aéro des 83 contrats de travail litigieux dont elle a la charge depuis le 1er octobre 2020 ;

. débouter la société GSF Aéro de l'ensemble de ses demandes ;

Surabondamment, constater que l'application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail implique le transfert d'une entité économique autonome ;

. constater que la résiliation du contrat de sous-traitance résulte d'une perte d'activité liée à la crise économique, excluant ainsi tout transfert d'activité ou internalisation d'activité ;

En conséquence, constater que les conditions d'application des dispositions de l'article 1224-1 du code du travail ne sont pas réunies ;

. débouter la société GSF Aéro de l'ensemble de ses prétentions visant au transfert des contrats de travail ;

A titre reconventionnel, ordonner, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par contrat de travail, pendant 90 jours, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, la reprise par la société GSF Aéro des 83 contrats de travail litigieux dont elle a la charge depuis le 1er octobre 2020 ;

. condamner la société GSF Aéro à lui payer le montant qui sera à parfaire à la date du transfert des contrats de travail, correspondant aux coûts exposés par elle pour assurer la « subsistance » des contrats de travail depuis le 1er octobre 2020 ;

En tout état de cause, condamner solidairement les sociétés GSF Aéro et Groupe Services France à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

. les condamner solidairement à lui payer la somme de 50 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

. condamner la société GSF Aéro aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, du 2 février 2021, comportant appel incident, la société GSF Aéro demande à la cour de :

A titre principal, sur la demande de condamnation de la société Acna à reprendre les moyens matériels et humains affectés à la prestation litigieuse :

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

. déclaré recevable sa demande tenant à la reprise par la société Acna des moyens constitutifs de l'entité économique autonome affectée à l'exécution du contrat litigieux ;

. déclaré le président du tribunal de commerce compétent pour statuer sur cette demande ;

. condamné la société Acna sous astreinte à reprendre les contrats de travail ;

. laissé au juge de l'exécution le soin de liquider l'éventuelle astreinte ;

A défaut de confirmation, déclarer la société Acna irrecevable en ses demandes visant à voir ordonner sous astreinte la reprise par elle des 83 contrats de travail litigieux dont Acna a la charge depuis le 1er octobre 2020 et tendant à sa condamnation à lui payer le montant à parfaire correspondant aux coûts exposés pour assurer la « subsistance » des contrats de travail depuis le 1er octobre 2020 ;

A tout le moins, fixer le point de départ de l'astreinte éventuellement ordonnée à son encontre à la date d'expiration d'un délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir ;

. débouter la société Acna de sa demande de condamnation à l'indemniser des coûts exposés du fait de l'exécution de la condamnation prononcée par l'ordonnance entreprise ;

. infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a déboutée implicitement de sa demande visant à la condamnation de la société Acna à reprendre également l'ensemble des moyens matériels affectés à l'exécution de la prestation en cause ;

Statuant à nouveau à cet égard, condamner la société Acna à reprendre l'ensemble des moyens matériels affectés à l'exécution de la prestation en cause, dont la liste figure en pièce n° 48 ;

. en conséquence, condamner la société Acna, sous 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, à :

. enlever ces moyens matériels, selon ses propres moyens, sur leur lieu de stockage <adresse> ;

. lui payer une provision de 283 059,72 euros HT à valoir sur leur prix ;

. lui payer une provision d'un montant total de 13 356,96 euros (à parfaire) à valoir sur le remboursement des frais et loyers assumés au titre du déménagement et du stockage de ces moyens matériels ;

. condamner la société Acna à lui payer une astreinte de 5 000 euros par jour de retard dans l'exécution de chacune des condamnations ainsi prononcées.

A titre subsidiaire, sur la condamnation de la société Acna à reprendre la relation commerciale pendant 24 mois :

. infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a déclarée irrecevable en sa demande de condamnation à poursuivre la relation commerciale ;

Statuant à nouveau à cet égard, la déclarer recevable en sa demande visant à voir condamner la société Acna à reprendre la relation commerciale litigieuse pendant une durée de 24 mois ;

. condamner la société Acna à reprendre la relation commerciale ayant eu cours avec elle au titre du nettoyage et de l'armement des avions long-courriers de la compagnie Air France, sur le site de l'aéroport A Y de Gaulle, pendant une durée de 24 mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

. condamner la société Acna à respecter pendant toute la durée du préavis, quelle qu'elle soit, une moyenne quotidienne de commandes de vols long-courriers de 28 en « hiver » et de 32 en « été », avec une variation quotidienne du nombre de vols de plus ou moins deux, conformément aux stipulations contractuelles ;

. condamner la société Acna à lui payer une astreinte de 25 000 euros par infraction constatée au minimum de commandes quotidiennes ainsi fixé, à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir et jusqu'à l'expiration du préavis ;

En tout état de cause, débouter la société Acna de l'intégralité de ses demandes ; confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société Acna à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, y ajoutant, condamner la société Acna à lui payer la somme complémentaire de 25 000 euros au titre de l'instance d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

. condamner la société Acna aux entiers dépens.

Par conclusions remises au greffe le 21 janvier 2021, la société Groupe Services France (GSF) est intervenue volontairement à l'instance à titre accessoire, au soutien des intérêts de sa filiale, GSF Aéro.

Dans ses conclusions, elle demande à la cour de :

. infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande de la société GSF Aéro tendant à la condamnation de la société Acna à la poursuite de la relation commerciale ;

Statuant à nouveau sur ce point, déclarer la société GSF Aéro recevable en sa demande visant à voir condamner la société Acna à reprendre la relation commerciale litigieuse pendant 24 mois ;

. condamner la société Acna à reprendre la relation commerciale litigieuse ayant eu cours avec la société GSF Aéro au titre du nettoyage et de l'armement des avions long-courriers de la compagnie Air France sur le site de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle pendant une durée de 24 mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

. condamner la société Acna à respecter pendant toute la durée du préavis une moyenne quotidienne de commandes de vols long-courriers de 28 en « hiver » et de 32 en « été », avec une variation quotidienne du nombre de vols de plus ou moins deux, conformément aux stipulations contractuelles;

. condamner la société Acna à payer à la société GSF Aéro une astreinte de 25 000 euros par infraction constatée au minimum de commandes quotidiennes ainsi fixé ;

. lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice s'agissant de l'ensemble des autres demandes formées par la société GSF Aéro ainsi que de celles de la société Acna ;

. condamner la société Acna à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

. condamner la société Acna aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction est intervenue le 10 février 2021.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR,

Sur l'intervention volontaire de la société GSF

L'intervention volontaire accessoire de la société GSF, au soutien de la société GSF Aéro, est recevable en application des articles 330 et 554 du code de procédure civile, celle-ci ayant intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir sa filiale.

Sur la relation commerciale établie et la recevabilité de l'action de la société GSF Aéro

La société GSF Aéro soutient que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, qui l'a déclarée irrecevable en sa demande tendant à la poursuite de la relation commerciale avec la société Acna, la prestation de sous-traitance a été exécutée par elle, filiale du groupe GSF, durant toute la durée de la relation contractuelle, nonobstant la signature de certains avenants par la société GSF, ainsi que l'envoi des factures par cette dernière.

Il résulte des pièces versées aux débats par les deux parties que le contrat de sous-traitance a été signé le 1er octobre 2005 par la société GSF, « pour son propre compte ou pour celui de sa filiale GSF Aéro en cours d'immatriculation ».

Par la suite, plusieurs avenants au contrat ont été signés par la société GSF mais les deux derniers, des 6 décembre 2019 et 5 mars 2020, qui liaient les parties au moment de la rupture des relations commerciales, ont été signés par la société GSF Aéro.

De surcroît, celle-ci verse aux débats la convention de mandat qu'elle avait signée le 1er octobre 2005 avec la société GSF, afin que cette dernière procède « en son nom et pour son compte à la signature de contrats commerciaux de prestations de service auprès des clients dits « grands comptes », à la facturation mensuelle correspondante et à l'encaissement « pour ordre et pour compte » des règlements mensuels, « ceux-ci étant chaque mois, reversés intégralement et sans délai » à la filiale.

La société GSF Aéro produit également une attestation du commissaire aux comptes de la société GSF en date du 22 juillet 2020, aux termes de laquelle celui-ci atteste que, depuis l'origine du contrat avec Acna, de 2005 à 2020, les factures émises par GSF l'ont été au nom et pour le compte de sa filiale, la société GSF Aéro, les règlements d'Acna étant ensuite reversés intégralement à cette dernière.

C'est d'ailleurs bien ainsi que l'avait compris la société Acna, qui s'est adressée à la société GSF Aéro tout au long de la procédure de résiliation et, notamment, pour lui notifier la suspension du contrat le 17 mars 2020, puis sa résiliation le 8 juin 2020 (saluant à cette occasion « la qualité des prestations rendues par GSF Aéro à Acna durant les dernières années ») et, enfin, son refus de reprendre les salariés le 31 juillet 2020.

Il convient en conséquence de déclarer la socité GSF Aéro recevable en son action et d'infirmer l'ordonnance entreprise de ce chef.

Sur le dommage imminent ou le trouble manifestement illicite

Selon l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

La société GSF Aéro fonde ses demandes sur ce texte, invoquant à la fois le dommage imminent et le trouble manifestement illicite.

Elle estime qu'en présence d'une relation commerciale établie de quinze ans, le préavis ne pouvait être inférieur à 24 mois, en application de l'article L. 442-1, II, du code de commerce, texte d'ordre public, alors que la société Acna lui a accordé un préavis limité à trois mois, l'insuffisance manifeste du préavis caractérisant, selon elle, une rupture brutale et un trouble manifestement illicite.

Elle soutient également que le dommage imminent tient à l'inévitable situation de cessation des paiements dans laquelle elle se trouverait en cas de rupture de la relation commerciale, étant dans une situation de dépendance économique totale à l'égard de la société Acna, avec qui elle réalise 100 % de son chiffre d'affaires, d'un montant d'environ 7 millions d'euros sur les cinq dernières années, et de surcroît soumise à une clause de non-concurrence.

Aux termes de l'article L. 442-1, II, du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. [...]

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis [...] en cas de force majeure ».

Il n'est pas sérieusement contestable que la relation commerciale entre les sociétés Acna et GSF Aéro était établie, cette dernière pouvant légitimement et raisonnablement anticiper pour l'avenir la persistance d'un flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Cependant, ainsi que l'ensemble des pièces produites par la société Acna l'établissent avec toute l'évidence requise en référé, celle-ci a vu chuter son activité dans des proportions sans précédent, en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19, qui a conduit, dans un premier temps, en mars 2020, à un confinement généralisé de la population puis, dans un second temps, à des mesures de restriction des déplacements. Dans ce contexte, le secteur de l'aviation est l'un des plus sévèrement touchés, des mesures drastiques de restriction des déplacements transfrontaliers ayant été prises dans le monde entier.

Il peut être constaté, à la lecture des pièces produites, que la chute du trafic de passagers à Roissy-Charles de Gaulle s'est élevée à 66,8 % en 2020 par rapport à 2019.

Sont particulièrement concernés les vols long-courriers, seuls vols traités par GSF Aéro. Selon les chiffres publiés par Air France au 3e trimestre 2020, le nombre de passagers sur les long-courriers a chuté de 84 % par rapport au 3e trimestre 2019.

Ces circonstances relèvent de la force majeure prévue à l'article L. 442-1, II, précité, autorisant la résiliation du contrat sans préavis.

A cet égard, il convient de relever que le contrat liant les parties prévoyait expressément une clause de force majeure (article XX), aux termes de laquelle étaient visées les « épidémies entraînant la suppression partielle ou totale de l'activité sur la plateforme aéroportuaire », le caractère de force majeure devant être reconnu à ces événements « même s'ils ne revêtent pas les caractères d'imprévisibilité, d'irrésistibilité et d'extériorité ».

La pandémie de Covid-19 qui a frappé la planète en 2020 - et perdure encore à ce jour - relève à l'évidence de cette clause, autorisant la résiliation du contrat.

La société GSF Aéro soutient que la société Acna n'a pas fondé la résiliation du contrat sur la force majeure mais sur l'article 5.5 du contrat, qui prévoyait seulement une possibilité de résiliation, avec un préavis de trois mois, en cas de baisse de l'activité de plus de 10 % sur une période de 30 jours consécutifs.

Il est exact qu'après avoir invoqué l'épidémie de Covid-19 dans sa lettre de suspension du 17 mars 2020, la société Acna s'est fondée, dans sa lettre de résiliation du 8 juin suivant, sur l'article 5.5 du contrat.

Néanmoins, ces dispositions contractuelles lui permettaient, là encore avec toute l'évidence requise en référé, de résilier le contrat en respectant un préavis de trois mois, ce qu'elle a fait puisqu'elle a notifié la résiliation le 8 juin 2020 pour le 30 septembre suivant (octroyant donc à son cocontractant un préavis de près de quatre mois). Contrairement à ce que soutient l'intimée, la société Acna a respecté la procédure de résiliation prévue à l'article 5.5 du contrat en organisant deux réunions téléphoniques, les 12 mai et 4 juin 2020, avant de notifier la résiliation.

Il convient également de rappeler qu'en cas de difficultés économiques avérées ou de crise du secteur économique en cause, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée sur le fondement de l'article L. 442-1, II, du code de commerce précité, celle-ci ne lui étant pas imputable (Com., 8 novembre 2017, pourvoi n° 16-15.285, Bull. 2017, IV, n° 145 ; Com., 6 février 2019, pourvoi n° 17-23.361). La mise en œuvre de l'article 5.5 du contrat, conforme à la jurisprudence, n'est donc en rien constitutive d'un trouble manifestement illicite.

Il résulte de ce qui précède que la résiliation du contrat est intervenue en application des dispositions contractuelles, avec respect d'un préavis et, surtout, qu'elle est imputable à la force majeure ou, à tout le moins, à la crise du secteur de l'aviation liée à l'épidémie de Covid 19, non à la société Acna.

La société GSF Aéro ne saurait dès lors invoquer un trouble manifestement illicite et demander la poursuite des relations commerciales entre les parties pendant une durée de 24 mois.

Elle ne peut davantage se prévaloir d'un dommage imminent, en l'absence de toute méconnaissance d'un droit ou de toute illicéité de la situation créée par la rupture des relations contractuelles, sauf à ce que l'ensemble des faillites consécutives à la crise sanitaire soient qualifiées de dommage imminent. Il n'appartient pas au cocontractant, lui-même confronté à des difficultés économiques liées à cette crise, de pallier les conséquences de celle-ci pour son partenaire commercial, seul l'Etat étant en mesure, dans une situation aussi exceptionnelle, de prendre, comme il l'a fait, des mesures de soutien aux entreprises.

Au surplus, et à supposer même qu'un dommage imminent puisse être constaté, la reprise des contrats de travail par Acna ne pouvait être ordonnée, cette mesure n'ayant pas le caractère d'une mesure conservatoire. Sauf à excéder ses pouvoirs, le juge des référés ne saurait en effet, sur le fondement de ce texte, prescrire des mesures définitives, telles que la reprise de contrats de travail.

Enfin, l'article L. 1224-1 du code du travail dispose que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

Si la cour d'appel est compétente, en application de l'article 90 du code de procédure civile, pour statuer sur les demandes formées sur le fondement de ce texte, quelle que soit la compétence du premier juge, étant juridiction d'appel du juge des référés du tribunal de commerce comme du juge des référés du conseil de prud'hommes, sa mise en œuvre suppose le transfert d'une unité économique.

Or, en l'espèce, aucune unité économique n'a été transférée, l'activité sous-traitée à la société GSF Aéro ayant disparu en raison de la chute drastique des vols long-courriers. Il n'y a donc pas de « nouvel employeur » susceptible de reprendre les contrats de travail et la société Acna n'a pas, elle-même, internalisé l'activité en cause, ainsi qu'elle l'a clairement exposé dans ses courriers à l'intimée, dans les termes suivants : « ainsi que nous vous l'avons indiqué, aucune activité ne va être reprise ou transférée, l'activité dont vous étiez en charge ayant cessé » (courrier du 7 juillet 2020) ; « Air France, notamment, n'envisage pas un retour à la normale - pour autant que l'on revienne à la normale - avant 2024 ! Le fait est qu'aujourd'hui et pour longtemps encore, l'activité qui vous a été confiée n'existe plus. Elle n'est ni reprise par un tiers ni internalisée : elle a disparu » (courrier du 31 juillet 2020).

Acna rappelle à cet égard, sans être utilement contredite, que si elle ne sous-traite pas l'ensemble de ses activités et conserve une activité très résiduelle, cela ne saurait signifier que l'activité auparavant confiée à GSF Aéro soit reprise.

Ainsi, quel que soit le fondement juridique invoqué, les demandes de la société GSF Aéro, relatives tant à la poursuite des relations commerciales qu'à la reprise des moyens matériels et humains affectés à la prestation litigieuse, ne peuvent qu'être rejetées, la décision entreprise étant infirmée.

Sur les demandes reconventionnelles de la société Acna

La société Acna, qui expose qu'elle a dû reprendre les 83 salariés de la société GSF Aéro, avec effet au 1er octobre 2020, demande à titre reconventionnel la condamnation de la société GSF Aéro à rependre ces contrats de travail, sous astreinte égale à celle prononcée par le premier juge.

Elle demande également d'être indemnisée de tous les coûts supportés pour assurer la survie de ces contrats de travail, soit les salaires et les charges patronales exposés jusqu'au retransfert à intervenir vers la société GSF Aéro, s'élevant à 356 690,46 euros, à parfaire.

Elle demande ainsi à la cour de « réparer les dommages que la décision de référé lui a causés ».

La société GSF Aéro oppose une fin de non-recevoir à ces deux demandes dès lors qu'elles ont été formées pour la première fois dans les conclusions du 14 décembre 2020, en violation du principe de concentration des moyens et des demandes, posé à l'article 910-4 du code de procédure civile.

Mais ces demandes sont nées du transfert effectif des contrats de travail à Acna, qui n'a eu lieu qu'après les premières conclusions, remises au greffe 13 octobre 2020. Elles sont donc recevables en application de l'article 910-4, alinéa 2, du code de procédure civile.

Néanmoins, la cour d'appel n'est pas juge de l'exécution de ses décisions ou de celles du juge des référés. Elle n'est pas davantage le juge de la réparation des décisions rendues en première instance. En application de l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution, l'exécution d'une décision de justice exécutoire à titre provisoire n'a lieu qu'aux risques de celui qui la poursuit, à charge par lui, si le titre est ultérieurement modifié, d'en réparer les conséquences dommageables (Ass. plén., 24 février 2006, pourvoi n° 05-12.679, Bull. 2006, Ass. plén, n° 2).

L'arrêt d'appel infirmatif constitue le titre exécutoire en vertu duquel les mesures ordonnées par la décision de première instance sont mises à néant. Il permet également le recouvrement des sommes versées en vertu de la décision de première instance, sans qu'une mention en ce sens soit nécessaire (3e Civ., 27 juin 2019, pourvoi n° 18-10.836, publié).

Toute difficulté éventuelle relative à l'exécution du présent arrêt, en ce qu'il infirme la décision de première instance et implique par conséquent en lui-même une reprise par la société GSF Aéro des contrats de travail, avec les conséquences financières qui en résultent, relève du juge de première instance et, en cas de mesure d'exécution forcée, du juge de l'exécution.

Les demandes seront donc rejetées, le présent arrêt se suffisant à lui-même.

Sur les demandes accessoires

Sauf circonstances particulières, une action en justice ne peut constituer un abus de droit lorsque sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré, malgré l'infirmation dont sa décision est l'objet.

En l'espèce, ces circonstances particulières ne sont pas caractérisées, l'erreur de la société GSF Aéro sur la nature et l'étendue de ses droits, dans le contexte très particulier de crise sanitaire qui vient d'être rappelé, n'ayant pas dégénéré en abus. La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société Acna sera en conséquence rejetée.

La société GSF Aéro sera en revanche tenue aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déclare la société GSF recevable en son intervention volontaire à titre accessoire en cause d'appel ;

Infirme la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société Acna ;

Statuant à nouveau,

Déclare la société GSF Aéro recevable en ses demandes ;

Rejette l'ensemble des demandes des sociétés GSF Aéro et GSF ;

Rejette les demandes reconventionnelles et de dommages et intérêts formées par la société Acna ;

Dit n'y avoir lieu à référé ;

Condamne la société GSF Aéro aux dépens de première instance et d'appel ;

La condamne à payer à la société Acna la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et rejette les autres demandes fondées sur ces dispositions.