Livv
Décisions

Cass. com., 31 mars 2021, n° 19-14.547

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Comptoir Agricole d'Achat et de Vente (SCA)

Défendeur :

Verallia France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Boisselet

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Célice, Texidor, Périer

T. com. Paris, du 2 mai 2017

2 mai 2017

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 janvier 2019), la société Saint Gobain emballage, devenue la société Verallia France (la société Verallia), spécialisée dans la fabrication de bouteilles en verre destinées notamment au secteur viticole, a confié la distribution de ses produits aux sociétés coopératives agricoles Alsace Appro et d'Appro du Piémont et à la société Appro du Piémont.

2. Au cours de l'année 2012, ces trois sociétés ayant décidé de regrouper leurs achats au sein de la société Vitisphère Alsace, la société Verallia a fait connaître son opposition au projet qui s'est concrétisé en 2013.

3. Par courriels des 26 novembre 2013 et 9 décembre 2013, les sociétés coopératives agricoles Alsace Appro et d'Appro du Piémont ont informé la société Verallia de la cessation de la distribution de ses produits à compter du 1 janvier 2014, tandis er que la société Appro du Piémont a cessé tout approvisionnement à compter de cette même date.

4. Après mise en demeure restée infructueuse, la société Verallia a assigné les sociétés coopératives Alsace Appro et d'Appro du Piémont et la société Appro du Piémont, aux droits desquelles vient la société Comptoir agricole d'achat et de vente, en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie. Cette dernière a formé une demande reconventionnelle en réparation de son préjudice pour refus de vente.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

6. La société Comptoir agricole d'achat et de vente fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice économique, alors « que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que pour rejeter la demande d'indemnisation de son préjudice économique formée par la société Comptoir agricole d'achat et de vente, la cour d'appel a retenu que la rupture n'était pas imputable à la société Verallia, à l'encontre de laquelle n'était démontrée aucune faute ; que cependant, les deux moyens précédents ont montré que c'était à tort que la cour d'appel avait statué en ce sens, de sorte que la cassation à intervenir sur le fondement de ces moyens justifiera la cassation du chef de dispositif attaqué par le présent moyen, par application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Le chef du dispositif critiqué par le troisième moyen n'ayant pas de lien de dépendance nécessaire avec celui visé par le premier moyen, et le deuxième moyen étant rejeté, le moyen est sans portée.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La société Comptoir agricole d'achat et de vente fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie, alors « que la rupture n'est imputable à l'auteur d'une modification de la relation d'affaires, refusée par l'autre partie, que si cette modification est substantielle ; que la cour d'appel a jugé que la rupture de la relation d'affaires était imputable aux trois sociétés coopératives, lesquelles avaient imposé à la société Verallia un nouveau contractant, la société Vitisphère Alsace, ce qui constituait une modification unilatérale et substantielle ; qu'en statuant par des tels motifs, tirés du seul changement d'identité du co-contractant, impropres à eux seuls à caractériser le caractère substantiel de la modification, d'autant qu'il était soutenu que la relation contractuelle n'avait jamais été conclue intuitu personae et que la relation devait continuer aux mêmes conditions commerciales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, dans sa rédaction applicable aux faits de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable :

9. Selon ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout commerçant, de rompre brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Constitue une telle rupture le fait d'imposer à un partenaire une modification substantielle d'une relation commerciale établie.

10. Pour juger que les sociétés Alsace Appro, d'Appro du Piémont et Appro du Piémont ont imposé à la société Verallia France une modification substantielle de la relation commerciale caractérisant une rupture brutale,  l'arrêt relève que, souhaitant regrouper leurs achats au sein d'une société d'union d'achats et de services de sociétés coopératives agricoles, ces sociétés ont constitué la société Vitisphère Alsace, ouverte à tous autres coopérateurs, ont invité leurs fournisseurs dont la société Verallia France à facturer la société Vitisphère Alsace et cessé leurs approvisionnements propres auprès de la société Verallia France, ce changement de cocontractant constituant une modification substantielle des conditions contractuelles que la société Verallia France était libre de refuser.

11. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser le caractère substantiel de la modification de la relation commerciale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'infirmant le jugement du 2 mai 2017 du tribunal de commerce de Paris, il condamne la société Comptoir agricole d'achat et de vente à payer à la société Verallia France la somme de 516 807 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de la relation commerciale établie, l'arrêt rendu le 31 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.