Cass. com., 31 mars 2021, n° 19-14.533
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Avea La Poste (Association)
Défendeur :
Iocean (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Boisselet
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Cabinet Colin-Stoclet, SCP Richard
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er février 2019), l'association Avea La Poste (l'association Avea) ayant pour objet l'organisation et la gestion des séjours de vacances des enfants des agents de la Poste et de ses filiales, et la société Iocean, ayant pour activité l'ingénierie informatique, ont conclu, le 7 septembre 2009, un contrat portant sur la refonte du système d'information opérationnel de l'association Avea mettant en oeuvre un logiciel appelé Aris.
2. En février 2013, l'association Avea a fait part à la société Iocean de sa volonté de proposer à ses usagers un nouveau système informatique leur permettant de s'inscrire directement en ligne sur son site internet et l'a informée, à cette occasion, qu'elle mettait en concurrence plusieurs prestataires.
3. Le 23 juillet 2013, l'association Avea a accepté, sous diverses réserves, la proposition commerciale adressée le 19 juillet 2013 par la société Iocean, puis, par lettre du 6 août 2013, l'a informée qu'elle n'y donnerait pas suite. La société Iocean l'a assignée en réparation des préjudices causés par la rupture abusive des pourparlers et la rupture brutale de la relation commerciale établie entre les parties.
Examen des moyens
Sur le premier et le troisième moyens, ce dernier pris en sa première branche, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. L'association Avea fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Iocean la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture fautive des pourparlers, alors « qu'en cas de rupture abusive de pourparlers, la perte d'une chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat ne constitue pas un préjudice réparable ; que, tout en confirmant le jugement en ce qu'il avait condamné l'association Avea à verser à la société Iocean une somme de 50 000 euros, qui avait été calculée, au moins en partie, au regard des gains attendus du contrat envisagé, la cour d'appel a, en se fondant, sans autres précisions, sur les “éléments objectifs versés aux débats”, retenu que la perte de la chance de souscrire le contrat dont "l'occurrence de réalisation" était "très forte" devait être indemnisée ; qu'en se déterminant par de tels motifs qui ne mettent pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer de la nature du préjudice réparé et de ce qu'il était distinct des gains que la conclusion du contrat aurait pu procurer, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
6. Il résulte de ce texte que les circonstances constitutives d'une faute commise dans l'exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne sont pas la cause du préjudice consistant dans la perte d'une chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat.
7. Pour condamner l'association Avea à payer à la société Iocean une certaine somme à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient qu'il résulte des productions de la société Iocean que celle-ci justifie des frais de personnel exposés par la réalisation du cahier des charges et des demandes de l'association Avea à hauteur de 24 975 euros et d'une perte très élevée de chance de souscrire le contrat, établissant un préjudice que la cour évalue, au vu des éléments objectifs versés aux débats, à la somme de 25 025 euros.
8. En statuant ainsi, par des motifs ne permettant pas d'exclure que le préjudice réparé ait été, au moins partiellement, constitué par la perte des gains escomptés, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la nature du préjudice réparé, a privé sa décision de base légale.
Et sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
9. L'association Avea fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Iocean la somme de 32 955 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie, alors « que le partenaire commercial avisé d'avoir à participer à une mise en concurrence pour l'attribution d'un nouveau contrat sait nécessairement que sa relation commerciale établie avec l'auteur de la mise en concurrence est rompue et que, pour l'avenir, la relation commerciale s'inscrit dans un cadre précaire ; qu'il en est ainsi, à plus forte raison, lorsque le partenaire n'est pas retenu dans le cadre de la mise en concurrence ; qu'en accordant à la société Iocean indemnisation d'un préavis de quatre mois se terminant le 1er septembre 2013 sans rechercher si, comme le soutenait l'association Avea, en lançant, dès février 2013, un appel d'offres auquel la société Iocean a participé, elle n'avait pas manifesté l'intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I du code de commerce dans sa rédaction applicable en l'espèce, issue de la loi du 27 juillet 2010. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable :
10. Selon ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait de rompre brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale.
11. Pour condamner l'association Avea à payer une certaine somme à la société Iocean en réparation du préjudice causé par la rupture brutale d'une relation commerciale établie, l'arrêt retient que l'association Avea a cessé toute commande à compter du 1er septembre 2013, mettant ainsi fin, sans préavis, à la relation commerciale existant entre les parties, et que, compte tenu de la durée de quatre années des relations entre les parties, le délai de préavis non délivré a été justement fixé par le tribunal à quatre mois.
12. En statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si, en lançant un appel d'offres dès février 2013, auquel la société Iocean et deux autres entreprises avaient répondu, l'association Avea n'avait pas manifesté l'intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans leurs conditions antérieures, de sorte que le délai de préavis courait dès cette date, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'association Avea La Poste à payer à la société Iocean les sommes de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture abusive de pourparlers précontractuels et de 32 955 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale d'une relation commerciale établie, l'arrêt rendu le 1er février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.