Cass. com., 31 mars 2021, n° 19-16.214
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Mobilead (Sté)
Défendeur :
France Brevets (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Bellino
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Rousseau et Tapie, SCP Alain Bénabent
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 février 2019), la société Mobilead, qui a développé une plate-forme de gestion en réseau de marqueurs d'information Near Field Communication et QR Code, a conclu le 18 avril 2014 avec la société France brevets, qui accompagne les entreprises dans la valorisation de leurs innovations par la structuration de leurs droits de propriété intellectuelle, un contrat ayant pour objet, d'une part, de renforcer et développer le portefeuille de brevets de la société Mobilead autour de sa technologie et, d'autre part, de développer un programme de licences.
2. Le contrat a été conclu pour une durée courant jusqu'à l'expiration de la protection du dernier brevet soumis audit contrat, sauf résiliation anticipée.
3. Par lettre du 31 août 2017, la société France brevets a résilié le contrat, à effet au 30 novembre 2017.
4. Considérant que cette résiliation avait été faite au mépris de ses droits, la société Mobilead a assigné à jour fixe la société France brevets en paiement de dommages-intérêts pour résiliation fautive du contrat et inexécution de ses obligations contractuelles.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société Mobilead fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables et de retirer des débats vingt-deux pièces communiquées le 6 décembre 2018, alors « que des pièces dont la date est postérieure à la requête à jour fixe voire au jugement de première instance peuvent être produites par l'appelant dès lors simplement qu'elles sont utiles à la solution du litige et sans qu'il soit donc nécessaire qu'elles répondent spécifiquement à de nouveaux arguments de l'intimé ; que pour écarter par principe toutes les pièces produites en appel pour la première fois par la société Mobilead, cependant qu'un certain nombre d'entre elles avaient une date postérieure à l'assignation à jour fixe voire à la décision de première instance, si bien qu'elles n'avaient pas pu par définition être produites avec la requête initiale, la cour d'appel s'est bornée à retenir qu'elles étaient nouvelles et ne répondaient pas à de nouveaux arguments de la société France brevets ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 918 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions de la société Mobilead que celle-ci ait soutenu devant la cour d'appel que les pièces produites le 6 décembre 2018 avaient une date postérieure à la requête à jour fixe et qu'elles étaient donc recevables dès lors qu'elles étaient utiles à la solution du litige, sans qu'il soit nécessaire qu'elles répondent spécifiquement à de nouveaux arguments de l'intimé.
7. Le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, n'est donc pas recevable.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
8. La société Mobilead fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à réputer non écrite comme potestative la clause de résiliation définie à l'article 7.3 du contrat et, en conséquence, ses demandes tendant à la condamnation de la société France brevets à lui payer les frais induits par les brevets couverts par le contrat, outre des dommages-intérêts, alors :
« 1°) que la clause de résiliation unilatérale stipulée dans un contrat à durée déterminée doit être réputée non écrite lorsqu'elle présente un caractère potestatif ; qu'en l'espèce, elle faisait valoir que la clause de résiliation unilatérale stipulée au bénéfice de la société France brevets à l'article 7.3 du contrat, permettant à cette dernière de mettre fin à tout moment au contrat sans aucune contrepartie, réduisait "à néant l'intérêt économique du contrat dans son ensemble puisque la relation contractuelle, comme précédemment évoqué, s'inscrivait dans la durée (jusqu'à l'expiration du dernier brevet sous licence contractuelle) et au moins pour 8/10 ans" ; que la cour d'appel a pourtant jugé que "la société Mobilead ne peut qualifier la clause en question d'"obligation contractée sous une condition potestative", car il s'agit d'une faculté de mettre un terme au contrat sans condition : l'exécution du contrat ne dépend donc pas d'un événement qu'une seule partie a le pouvoir de faire survenir ou d'empêcher. En conséquence, l'article 1174 ancien du code civil, invoqué par la société appelante, aux termes duquel "toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige" ne trouve pas à s'appliquer" ; qu'en refusant ainsi par principe qu'une clause de résiliation puisse revêtir le caractère d'une obligation contractée sous condition potestative, devant conduire à la regarder comme réputée non écrite, la cour d'appel a violé l'article 1174 ancien du code civil, devenu l'article 1304-2 du même code ;
2°) que la clause de résiliation unilatérale stipulée dans un contrat à durée déterminée doit être réputée non écrite lorsqu'elle présente un caractère potestatif ; que tel est le cas d'une clause de résiliation unilatérale, discrétionnaire, dépourvue de contrepartie et sans équivalent dans le contrat au profit de la partie adverse ; qu'en l'espèce, elle faisait valoir que la clause stipulée à l'article 7.3 du contrat ne bénéficiait qu'à la société France brevets, puisque la faculté de renonciation qui était reconnue à la société Mobilead à l'article 9.3 supposait le versement d'une compensation financière ; qu'elle ajoutait que la clause de résiliation litigieuse réduisait "à néant l'intérêt économique du contrat dans son ensemble puisque la relation contractuelle, comme précédemment évoqué, s'inscrivait dans la durée (jusqu'à l'expiration du dernier brevet sous licence contractuelle) et au moins pour 8/10 ans" ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré, par motifs propres comme adoptés, qu'au surplus, la portée de la clause litigieuse devait être appréciée dans son contexte et qu'une faculté de résiliation avait été octroyée à la société Mobilead à l'article 9.3 du contrat et qu'il était conforme à l'économie du contrat qu'elle prévoie une compensation financière au profit de la société France brevets, cette dernière laissant le bénéfice de ses investissements en cas de mise en oeuvre de la résiliation prévue à l'article 7.3 ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'économie du contrat ne reposait pas par hypothèse sur une relation contractuelle s'inscrivant dans la durée, au moins jusqu'à l'expiration du dernier brevet sous licence contractuelle et si, dès lors, la faculté de résiliation unilatérale, discrétionnaire, sans aucune contrepartie et sans réciprocité dans les mêmes conditions, ne devait pas être regardée comme par nature potestative et être réputée non écrite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1174 ancien du code civil, devenu l'article 1304-2 du même code. »
Réponse de la Cour
9. Ayant retenu que la clause litigieuse ouvrait seulement à l'une des parties la faculté de mettre un terme au contrat sans condition et n'avait pas pour effet de faire dépendre l'exécution de ce contrat d'un événement qu'une seule partie avait le pouvoir de faire survenir ou d'empêcher, ce dont il résulte que la clause n'affectait pas l'existence même de l'obligation mais seulement sa durée, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche invoquée par la seconde branche, que ses appréciations rendaient inopérante, en a exactement déduit que la clause ne pouvait être qualifiée de condition potestative et que l'article 1174 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, qui dispose que toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige, n'était dès lors pas applicable.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. La société Mobilead fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à dire que la clause de résiliation définie à l'article 7.3 du contrat engendrait à son préjudice un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce et, en conséquence, ses demandes tendant à la condamnation de la société France brevets à lui payer les frais induits par les brevets couverts par le contrat, outre des dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat, alors :
« 1°) qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout commerçant, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'en l'espèce, elle exposait qu'elle avait été soumise au modèle de contrat imposé par la société France brevets, soulignant qu'il était rédigé en anglais et que son dirigeant, M. Tonnelier, n'était pas en mesure d'appréhender en anglais les termes d'un contrat de ce niveau de technicité juridique, d'autant moins qu'il n'avait reçu aucune assistance lors des négociations ; que la cour d'appel a jugé qu'il n'y avait pas de rapport de soumission dès lors que les négociations avaient duré sur plus de trois mois, relevant que la société Mobilead avait reconnu être en phase avec le projet négocié et que la rédaction du contrat en anglais n'était pas de nature à empêcher M. Tonnelier, de la société Mobilead, de comprendre la portée des clauses ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. Tonnelier, en l'absence d'assistance, disposait d'un niveau suffisant pour appréhender les clauses de nature juridique dans toute leur technicité, dont la clause de résiliation unilatérale litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I 2° dans sa rédaction applicable en la cause ;
2°) qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout commerçant, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'en l'espèce, elle exposait que les seules clauses ayant fait débat portaient sur des modifications relatives à des éléments de nature purement opérationnelle, sans qu'elle ait eu la maîtrise des stipulations proprement juridiques, et que les clauses discutées sur ce terrain étaient favorables à la société France brevets ; que la cour d'appel a considéré qu'il n'y avait pas de rapport de soumission dès lors que les négociations avaient duré sur plus de trois mois, relevant que la société Mobilead avait reconnu être en phase avec le projet négocié et avait amendé le contrat à plusieurs reprises ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les seules clauses négociées par la société Mobilead étaient de nature opérationnelle, et si elle n'avait, au contraire, eu aucune marge de manoeuvre sur les clauses de nature juridique, dont la clause litigieuse, lesquelles avaient été imposées par la société France brevets, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I 2° dans sa rédaction applicable en la cause ;
3°) qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout commerçant, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'il n'existait pas de déséquilibre significatif lié à la faculté de résiliation octroyée par l'article 7.3 du contrat à la société France brevets, dès lors qu'un article 9.3 octroyait une même faculté à la société Mobilead, sous la condition de versement d'une indemnité compensatrice qui se justifiait par le respect de l'économie générale du contrat et notamment les avances de frais consenties par la société France brevets ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'investissement consenti par la société France brevets avait pour contrepartie la divulgation par la société Mobilead de ses inventions, l'exclusivité de l'exploitation de ces inventions, ainsi qu'une rémunération préalablement consentie à hauteur de 50 % des redevances à prévoir, de sorte qu'il n'existait pas de réciprocité entre l'article 7.3 qui prévoyait une faculté de résiliation totalement gratuite au profit de la seule société France brevets, et l'article 9.3 qui prévoyait la même faculté pour la société Mobilead, mais sous la condition du paiement d'une indemnité compensatrice, à l'origine d'un déséquilibre significatif entre les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I 2° dans sa rédaction applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
12. En premier lieu, l'arrêt retient que la rédaction du contrat en anglais n'était pas de nature à empêcher M. Tonnelier de comprendre la portée de ses clauses, celui-ci s'exprimant lui-même dans cette langue, et relève que les négociations avaient duré plus de trois mois, au cours desquels le projet de contrat avait été amendé à plusieurs reprises, à la demande de chacune des deux parties, et que la société Mobilead avait elle-même reconnu « être en phase » avec le projet négocié. En déduisant de ces constatations et appréciations que les termes du contrat avaient été négociés par les deux sociétés, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches invoquées par les deux premières branches, a légalement justifié sa décision.
13. En second lieu, après avoir constaté que le contrat ouvrait également à la société Mobilead une faculté de résiliation pour convenance personnelle, l'arrêt retient que l'asymétrie entre les conditions dans lesquelles chacune des parties pouvait faire usage de cette faculté résultait de l'économie générale du contrat, qui imposait dans un premier temps à la société France brevets d'avancer l'intégralité des frais liés à la création et la valorisation du portefeuille de brevets de la société Mobilead, en contrepartie d'une rémunération future sur les redevances à payer par les potentiels licenciés de la technologie développée dans le cadre du contrat, cette rémunération destinée à la rembourser de ses frais n'étant toutefois susceptible d'intervenir que dans un second temps, si le portefeuille de brevets produisait de telles redevances, de sorte que le risque encouru par la société France brevets imposait de prévoir le paiement d'une « compensation raisonnable » en cas de résiliation unilatérale anticipée à la discrétion de la société Mobilead. Il en déduit qu'aucun déséquilibre dans les droits et obligations des parties ne résultait de la clause litigieuse. En cet état, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche invoquée par la troisième branche, a légalement justifié sa décision.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
15. La société Mobilead fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à dire que le formalisme défini à l'article 7.3 du contrat n'avait pas été respecté par la société France brevets et en conséquence ses demandes tendant à la condamnation de celle-ci à lui payer les frais induits par les brevets couverts par le contrat, outre des dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat, alors « que le contrat est la loi des parties, que le juge est tenu de respecter ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la faculté de résiliation prévue au profit de la société France brevets à l'article 7.3 supposait la tenue préalable d'une réunion trimestrielle avant l'envoi de la lettre de résiliation ; qu'elle a également constaté qu'aucune des parties n'avait demandé la tenue de telles réunions ; qu'il s'en évinçait, comme le faisait valoir la société Moblilead, que la faculté de résiliation n'avait pas été exercée par la société France brevets conformément à la procédure contractuelle ; qu'elle a cependant jugé que cette circonstance était indifférente compte tenu de l'objet des réunions, qui n'était pas relatif à une éventuelle résiliation, et du respect de la volonté des parties d'offrir à la société France brevets une faculté de résiliation ; qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, d'où il résultait que les conditions de mise en oeuvre de la faculté de résiliation litigieuse n'avaient pas été respectées, sans que le juge ne puisse y suppléer, et violé l'article 1134 alinéa 1er ancien du code civil, devenu l'article 1103 du même code. »
Réponse de la Cour
16. Sous le couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'interprétation souveraine par la cour d'appel de l'article 7.3 du contrat, que l'ambiguïté de ses termes rendait nécessaire.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS,
La Cour :
REJETTE le pourvoi.