CA Versailles, 12e ch., 1 avril 2021, n° 18/07236
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Kaya Tea Europe BV (Sté)
Défendeur :
Deveurop (SAS), Selas Alliance (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Thomas
Conseillers :
Mme Muller, M. Nut
Avocat :
Me Ledru
EXPOSE DU LITIGE
La société de droit néerlandais Kaya Tea Europe BV est spécialisée dans la production et la commercialisation de boissons non-alcoolisées.
La société Deveurop avait pour activité l'importation et l'exportation, la distribution notamment de boissons non alcoolisées.
Le 2 mai 2017, la société Kaya Tea Europe BV a conclu avec la société Moroccan Ice tea (qui commercialise des boissons glacées à base de thé sous la marque Kaya Tea) et avec la société Deveurop un contrat au terme duquel la société Moroccan Ice tea accorde à la société Deveurop la distribution exclusive de ses produits pour le territoire français, la société Deveurop s'engageant à acheter une quantité minimum définie pour les années 2017 à 2022.
Ce contrat prévoit la prise en charge des frais de marketing par la société Kaya Tea Europe BV, selon un budget de marketing prévoyant :
- pour 2017 : 420 000 euros (120 000 euros pour la période avril/mai/juin puis 150 000 euros par trimestre)
- pour 2018 : 700 000 euros HT (175 000 euros HT par trimestre)
- pour 2019 : 860 000 euros HT (215 000 euros HT par trimestre)
et notamment le versement d'une 1re avance sur dépenses marketing de 120 000 euros HT pour le trimestre avril/mai/juin 2017.
Le même 2 mai 2017, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'encontre de la société Deveurop, la date de cessation des paiements étant fixée au 28 février 2017.
Le 3 mai 2017, la société Kaya Tea Europe BV a réglé un montant de 120 000 euros à la société Deveurop, comme acompte sur la prise en charge de dépenses marketing à réaliser par cette dernière.
Le 12 juin 2017, la société Kaya Tea Europe BV a émis une facture pour un montant de 161 280 euros hors taxes, correspondant à une première livraison à la société Deveurop.
Le 22 août 2017, après une première relance du 24 juillet 2017, la facture demeurant impayée Moroccan Ice Tea et Kaya Tea Europe BV ont mis en demeure la société Deveurop de régler la facture et de transmettre les justificatifs de l'utilisation du budget marketing versé.
La société Deveurop a alors répondu en indiquant notamment n'être redevable d'aucune créance à date.
Après plusieurs relances, les sociétés Moroccan Ice Tea et Kaya Tea Europe BV ont notifié à la société Deveurop la résiliation du contrat sans indemnité pour non-respect des obligations contractuelles, par courrier recommandé avec accusé de réception du 14 septembre 2017.
Par jugement du 3 novembre 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a arrêté le plan de redressement de la société Deveurop.
Par acte extrajudiciaire du 1er février 2018, la société Kaya Tea Europe BV a assigné la société Deveurop devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins du paiement de la facture réclamée (161 280 euros HT), de remboursement de l'avance marketing (120 000 euros HT) outre le paiement de dommages et intérêts.
Par jugement du 26 septembre 2018, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- condamné la société Deveurop à payer à la société Kaya Tea Europe BV 161 280 euros en principal, outre les intérêts au taux légal majoré de six points à compter du 12 juin 2017 ;
- débouté la société Kaya Tea Europe BV Société de sa demande de règlement par Deveurop de 120 000 euros ;
- débouté la société Kaya Tea Europe BV de ses demandes de dommages et intérêts ;
- débouté la société Deveurop de ses demandes reconventionnelles de dommages et intérêts ;
- condamné la société Deveurop à payer à la société Kaya Tea Europe BV la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Deveurop aux dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration du 22 octobre 2018, la société Kaya Tea Europe BV a interjeté appel du jugement, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de règlement par Deveurop de 120 000 euros, ainsi que de sa demande de dommages-intérêts.
Par jugement du 8 octobre 2019, la société Deveurop a été placée en liquidation judiciaire.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 3 janvier 2019, la société Kaya Tea Europe BV demande à la cour de :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
. Condamné la société Deveurop à payer à la société Kaya Tea Europe B.V. 161 280 euros en principal outre les intérêts au taux légal majoré de six points à compter du 12 juin 2017 ;
. Condamné la société Deveurop à payer à la société Kaya Tea Europe BV 3 000 euros au titre de l'article 700 ;
. Condamné la société Deveurop aux entiers dépens ;
. Ordonné l'exécution provisoire.
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :
. Débouté la société Kaya Tea Europe BV de sa demande de règlement par Deveurop de la somme de 120 000 euros ;
. Débouté la société Kaya Tea Europe BV sa demande de dommages et intérêts.
En conséquence
- Condamner la société Deveurop à payer à la société la société Kaya Tea Europe BV la somme de 120 000 euros en principal outre les intérêts au taux légal majoré de six points à compter du 12 juin 2017 à titre de dommages et intérêts et en remboursement de l'avance marketing versée par la société Kaya Tea Europe BV en exécution du contrat du 2 mai 2017 ;
- Condamner la société Deveurop à payer à la société Kaya Tea Europe BV la somme de 360 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant de l'inexécution du contrat du 2 mai 2017 ;
- Condamner la société Deveurop à payer à la société Kaya Tea Europe BV la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'image résultant de l'inexécution du contrat du 2 mai 2017 ;
- Condamner la société Deveurop à payer à la société Kaya Tea Europe BV la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- La condamner aux entiers dépens.
Bien que régulièrement assignée par acte de signification du 31 décembre 2018, la société Deveurop n'a pas constitué avocat.
Par acte du 21 février 2020, la société Kaya Tea Europe BV a assigné, en intervention forcée en cause d'appel, la Selas Alliance représentée par Maître C... A..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Deveurop.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 novembre 2020.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
L'article 472 du code de procédure civile prévoit que si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
Sur la demande relative au budget marketing
Le jugement a estimé que l'article 19.1 du contrat ne prévoyait ni l'obligation pour le 1er versement de la société Deveurop de fournir un rapport des actions menées, ni le remboursement des sommes versées par la société Kaya Tea en cas de non-production des justificatifs, de sorte qu'il a débouté la société Kaya Tea de sa demande de paiement de 120 000 euros en remboursement de l'avance de marketing.
La société Kaya Tea Europe BV rappelle avoir effectué le 1er versement de 120 000 euros au titre de l'avance sur frais de marketing le 3 mai 2017, et avoir demandé à la société Deveurop au moment de la résiliation du contrat, de justifier de l'utilisation de cette somme puis, en l'absence de justificatifs sérieux, de la rembourser.
Elle précise qu'il s'agit d'une somme qu'elle a versée à la société Deveurop en contrepartie de prestations marketing que celle-ci n'a pas mises en œuvre. Elle ajoute que la société Deveurop devait rendre des comptes de ses actions marketing ce qu'elle n'a pas fait, et précise qu'elle sollicite le remboursement de 120 000 euros non pour défaut de justificatifs, mais car la prestation n'a jamais été effectuée.
Il ressort du contrat conclu le 2 mai 2017 entre les sociétés Moroccan Ice tea, Deveurop et Kaya Tea Europe BV que celle-ci était en charge du développement, de la promotion et du marketing des produits de la marque Kaya Tea en Europe.
L'article 19 « Publicité / Marketing » du contrat prévoit notamment que « Les Parties ont défini d'un commun accord un budget de marketing sur les Territoires exclusifs (Budget marketing en Annexe 1) : .... Année 2017 (de la signature des présentes au 31 décembre 2017) : 420 000 euros hors taxes (120 000 euros HT pour la période commençant à courir de la signature des présentes à juin 2017 puis 150 000 par trimestre restant) ; ... Ces frais de marketing seront à la charge de KAYA TEA Europe B.V.
KAYA TEA Europe B.V versera à DEVEUROP, à la conclusion du contrat une première avance sur dépense marketing de Cent Vingt Mille Euros hors taxes (120 000 euros HT) pour le trimestre avril/mai/juin 2017.
Par la suite, DEVEUROP soumettra à KAYA TEA Europe B.V pour chaque trimestre à venir un budget marketing prévisionnel ainsi qu'un rapport sur les actions entreprises au cours du trimestre précédent.
Sur cette base, KAYA TEA Europe B.V versera une avance trimestrielle dans la limite des sommes visées ci-dessus. Cette somme sera versée contre facture adressée par DEVEUROP à KAYA TEA Europe B.V. ... »
Il est établi que, le 3 mai 2017, la société Kaya Tea Europe BV a transféré la somme de 120 000 euros à la société Deveurop.
Elle a ensuite mis en demeure, par courrier du 22 août 2017, la société Deveurop de lui transmettre sous 48 heures tout justificatif des frais de marketing, et déclare n'avoir reçu en réponse que quelques factures d'un montant de 15 544 euros ne permettant pas de les rattacher à la promotion des produits Kaya Tea.
Par courrier en réponse à la mise en demeure du 22 août 2017, la société Deveurop a indiqué que la somme de 120 000 euros avait bien servi au développement de la marque, indiquant qu'en pièce jointe se trouvait un tableau de suivi et des exemples de factures.
Ce courrier de la société Deveurop annonçait un tableau, et la société Kaya Tea ne conteste pas avoir reçu le tableau de suivi et les exemples de factures qui étaient annoncés comme joints à ce courrier, la cour ne pouvant que déplorer que ces éléments ne lui aient pas été communiqués, alors qu'ils constitueraient à tout le moins un indice du fait que la société Deveurop a réalisé certaines prestations de marketing en contrepartie de la rémunération versée.
Comme l'a relevé le jugement, le contrat - qui prévoit le versement d'une avance sur dépense marketing de 120 000 euros par la société Kaya Tea Europe BV pour le trimestre avril/mai/juin 2017 -, ne prévoit ni l'obligation pour la société Deveurop, de rendre compte pour ce 1er versement des actions entreprises, ni le remboursement des sommes versées à la société Kaya Tea Europe BV en cas de non fourniture de justificatifs.
Ce n'est que pour les trimestres à venir que la société Deveurop devait soumettre à la société Kaya Tea Europe BV un budget marketing prévisionnel ainsi qu'un rapport sur les actions entreprises au cours du trimestre précédent, au vu desquels seraient effectuées les avances trimestrielles par la société Kaya Tea Europe BV.
Au vu de ce qui précède, la société Kaya Tea Europe BV ne peut donc soutenir que la contrepartie « marketing » de ce 1er versement de 120 000 euros n'ayant pas été assurée, son remboursement doit être ordonné afin de réparer le préjudice du fait du non-respect par la société Deveurop de son engagement contractuel de consacrer cette avance au marketing et à la promotion des produits Kaya Tea.
Le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages-intérêts de la société Kaya Tea Europe BV
Le jugement a relevé que la résolution du contrat pour non-respect des minima garantis d'achat ne pouvait intervenir qu'au terme de chaque année civile, que Kaya Tea n'apportait pas la preuve du principe du calcul des dommages-intérêts demandés comme de leur montant, et ne rapportait pas non plus la preuve de son préjudice d'image, de sorte qu'il l'a déboutée de ses demandes.
La société Kaya Tea Europe BV souligne la mauvaise foi de la société Deveurop qui lui a caché sa situation financière et n'a pas respecté les minima garantis d'achat prévus, de sorte que le lancement des produits Kaya Tea a été un échec. Elle affirme que sa marge, pour la 1re année, devait être de 360 000 euros, dont elle demande la condamnation de la société Deveurop à titre de dommages-intérêts. Elle fait état des coûts de production qu'elle a dû supporter, ainsi que de son préjudice d'image.
L'article 29.3 du contrat prévoit la possibilité pour Moroccan Ice Tea de procéder à la résolution du contrat, au terme de chaque année civile, en cas de non-respect par la société Deveurop de son obligation de minima garantis trimestriels définis à l'article 17 du contrat, après mise en demeure d'avoir à respecter ses engagements demeurés sans réponse pendant 15 jours.
Il en résulte, comme l'a relevé le jugement, que la résolution pour non-respect des minima garantis d'achat ne pouvait intervenir qu'au terme de chaque année civile, la cour relevant également que l'article 17 du contrat prévoyant l'engagement de la société Deveurop à acheter à la société Moroccan Ice Tea des volumes minimum, c'est cette dernière société - non présente à l'instance - qui a souffert du non-respect par la société Deveurop des commandes correspondant aux minima garantis, et non la société Kaya Tea Europe BV chargée d'assurer le marketing en Europe des produits Kaya Tea.
Si la société Kaya Tea Europe BV fait état de factures qui lui sont adressées portant sur l'achat de cannettes ou la production de boisson, elle ne justifie pas qu'elle n'a pas fait supporter leur paiement par la société Moroccan Ice Tea, laquelle est chargée de la fabrication des produits, alors qu'elle-même est selon le contrat chargée du développement, de la promotion et du marketing des produits de marque Kaya Tea en Europe.
Par ailleurs, la société Kaya Tea Europe BV fait état d'une marge de 360 000 euros sur la 1re année, sans produire aucune pièce en justifiant, au seul vu des minima garantis d'achat de 1,5 million de canettes que la société Deveurop s'était engagée à acheter à la société Moroccan Ice Tea pour l'année 2017.
Le jugement a en outre souligné que l'article 29.4 prévoit la possibilité, en cas de manquement suffisamment grave d'une partie, que la partie victime puisse notifier la résolution du contrat après mise en demeure d'avoir à respecter ses engagements, demeurée infructueuse pendant 30 jours, mais que cet article ne prévoit pas d'indemnité pour le préjudice lié à cette résolution.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Kaya Tea Europe BV de sa demande de dommages-intérêts pour son préjudice financier.
En l'absence de toute pièce de nature à établir le préjudice d'image dont elle déclare avoir souffert, le jugement sera également confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les autres demandes
Succombant au principal, la société Kaya Tea Europe BV sera condamnée au paiement des dépens d'appel.
Il ne sera pas fait droit à la demande présentée au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Statuant par décision réputée contradictoire,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Déboute la société Kaya Tea Europe BV de ses autres demandes,
Condamne la société Kaya Tea Europe BV au paiement des dépens d'appel.