CA Amiens, 2e ch. de la protection soc., 23 mars 2021, n° 19/04838
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fontenoy Immobilier (SARL)
Défendeur :
URSSAF du Nord-Pas-de-Calais
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rubantel
Conseillers :
M. Brillet, M. Taboureau
Avocats :
Me Le Gentil, Me Deseure
A la suite d'un contrôle effectué dans le cadre de la recherche d'infractions aux interdictions du travail dissimulé, l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Arras Calais Douai a notifié à la SARL AGENCE DESFOSSES IMMOBILIER, aux droits de laquelle vient la SARL FONTENOY IMMOBILIER, une lettre d'observations en date du 14 octobre 2011, concluant à un rappel de cotisations et contributions de sécurité sociale, assurance chômage et AGS d'un montant total de 4 384 euros.
Une mise en demeure a été adressée à la cotisante le 22 décembre 2011 pour un montant total de 4 927 euros en principal outre les majorations de retard de 543 €.
Saisi par la SARL AGENCE DESFOSSES IMMOBILIER d'une contestation à l'encontre de la décision rendue par la commission de recours amiable de l'URSSAF du Nord Pas de Calais le 15 octobre 2012 maintenant le redressement pour travail dissimulé, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Arras, par un jugement rendu le 6 octobre 2015 auquel il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, a :
- déclaré recevable le recours formé par la société AGENCE DESFOSSES IMMOBILIER à l'encontre de la décision de la Commission de recours amiable de l'URSSAF ARRAS CALAIS DOUAI en date du 15 décembre 2012 ;
- déclaré fondée la mise en demeure du 22 décembre 2011 émise par l'URSSAF ARRAS CALAIS DOUAI pour un montant en principal de 4 384 euros ;
- confirmé la décision rendue par la Commission de recours amiable de l'URSSAF ARRAS CALAIS DOUAI le 15 octobre 2012 ;
- condamné la société AGENCE DESFOSSES IMMOBILIER à payer à l'URSSAF Nord Pas de Calais venant aux droits de l'URSSAF d'ARRAS CALAIS DOUAI la somme de 4 384 euros outre les majorations de retard initiales et complémentaires ;
- débouté la société AGENCE DESFOSSES IMMOBILIER de sa demande au titre des dépens ;
- débouté la société AGENCE DESFOSSES IMMOBILIER de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
- débouté l'URSSAF Nord Pas de Calais de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
- débouté la société AGENCE DESFOSSES IMMOBILIER de ses autres demandes.
Ce jugement a été notifié le 29 janvier 2016 à la SARL AGENCE DESFOSSES IMMOBILIER, laquelle en a relevé appel le 4 février 2016.
Aux termes de l'article 114 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er janvier 2019, les procédures en cours devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale et les tribunaux du contentieux de l'incapacité sont transférées en l'état aux tribunaux mentionnés au 1° du III de l'article 12. Les procédures relevant du contentieux général en cours devant les cours d'appel sont transférées en l'état aux cours d'appel spécialement désignées à l'article L. 311-15 du code de l'organisation judiciaire.
Aux termes du décret n° 2018-772 du 4 septembre 2018 désignant les tribunaux de grande instance et cours d'appel compétents en matière de contentieux général et technique de la sécurité sociale et d'admission à l'aide sociale et qui entre en vigueur au 1er janvier 2019, la cour d'appel d'Amiens a été spécialement désignée pour connaître des décisions rendues par les juridictions mentionnées à l'article à L. 211-16 du code de l'organisation judiciaire situées dans le ressort de cette cour et dans le ressort de la cour d'appel de Douai.
En application de ces textes, le dossier a été transféré à la présente cour.
Les parties ont été convoquées le 2 janvier 2020 à l'audience de plaidoiries du 2 juillet 2020.
Par conclusions déposées le 20 janvier 2020 et soutenues oralement à l'audience, la SARL FONTENOY GROUPE IMMOBILIER, venant aux droits de la SARL AGENCE DESFOSSES IMMOBILIER, priait la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 6 octobre 2015 par le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Arras ;
- réformer la décision de redressement opéré par l'URSSAF d'Arras Calais Douai ;
- dire et juger qu'elle n'est redevable d'aucune somme à titre de rappel de cotisations et contributions sociales ;
- condamner l'URSSAF Nord Pas de Calais, venant aux droits de l'URSSAF Arras Calais Douai à lui payer la somme de 1 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'URSSAF aux dépens.
Elle rappelait que la SARL AGENCE DESFOSSES IMMOBILIER et Madame X X avaient conclu, le 22 mars 2011, un contrat de mandat d'agent commercial qui stipulait clairement qu'il ne s'agissait pas d'un contrat de travail et que Madame X exercerait son activité de manière indépendante et sans aucune subordination. L'appelante faisait valoir que Madame X était d'ailleurs immatriculée au registre spécial des agents commerciaux, qu'elle déclarait justifier d'un bureau à son domicile personnel. Elle ajoutait que l'obligation de rendre des comptes à l'agence immobilière, reprise dans le contrat de mandat, est une obligation caractéristique de ce type de contrat, et que l'agent commercial bénéficie d'une liberté d'exécution dans l'accomplissement de sa tâche. La SARL FONTENOY GROUPE IMMOBILIER ajoutait que la clause interdisant à Madame X de s'intéresser directement ou indirectement à des opérations entrant dans le cadre du mandat qui lui seraient proposées par des tiers n'est qu'une application de l'article L. 134-3 du code de commerce. Elle poursuit en indiquant que la clause de non-concurrence après rupture est légitime et conforme aux dispositions de l'article L. 134-14 du même code. L'appelante soulignait, enfin, qu'aucun planning des présences de Madame X n'a été établi à la différence des salariés de l'agence dont la présence était contrôlée et qui étaient effectivement tenus de signer une feuille de présence.
Par conclusions déposées le 26 juin 2020 et soutenues oralement à l'audience, l'URSSAF du Nord Pas de Calais priait la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;
- condamner la société AGENCE DESFOSSES IMMOBILIER à lui payer la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutenait que les constatations de l'inspecteur du recouvrement démontrent que l'activité de Madame X était intégrée dans le cadre d'un service organisé. La caisse relève que l'intéressée devait notamment tenir des permanences au sein de l'agence et rendre compte à cette dernière dans les 24 heures de toutes pièces relatives à l'exercice de son activité, de sorte qu'elle n'avait pas de liberté d'exécution. Elle ajoutait que Madame X ne travaillait que pour l'agence DESFOSSES, que son contrat d'agent commercial contenait une clause de non-concurrence l'empêchant d'exercer normalement son activité. L'URSSAF indiquait, en outre, que c'est la société qui déterminait, d'une part, les conditions de vente et de tarifs à chaque transaction et location, d'autre part, le montant de la commission de Madame X, laquelle ne disposait donc pas d'une indépendance économique.
Par arrêt prononcé le 22 septembre 2020, la cour a sursis à statuer sur les demandes, ordonné la réouverture des débats à l'audience du 18 janvier 2021 et demandé à l'URSSAF d'appeler en la cause Mme X, estimant que les parties s'opposaient sur la qualification du contrat liant Mme X à la SARL Agence Desfossés, ce qui impliquait que l'intéressée puisse faire connaître sa position.
Mme X a indiqué à la cour qu'elle pensait signer un contrat de travail, et que c'est seulement au moment de signer son contrat qu'elle a entendu parler du statut d'agent commercial.
Elle soulignait n'avoir aucune expérience dans le domaine immobilier puisqu'elle avait précédemment travaillé en qualité de chef d'un service de tutelle, et qu'à la suite d'un burn out, elle avait voulu faire une reconversion. Elle pensait bénéficier d'une formation qui ne lui a jamais été dispensée.
Elle précisait travailler exclusivement pour l'agence, qu'elle faisait des horaires de bureau, même si les horaires ne lui avaient pas été imposés, et qu'elle avait toujours travaillé depuis l'agence.
Elle ne s'était jamais inscrite au registre du commerce et des sociétés, et avait rapidement arrêté cette activité qui ne lui convenait pas.
La Société FONTENOY GROUPE IMMOBILIER SARL a repris ses précédentes demandes et arguments, et a précisé, après audition de Mme X que le statut d'agent commercial de Mme X était établi, et qu'elle n'était pas responsable du choix fait par l'intéressée de ne pas s'inscrire au registre du commerce et des sociétés.
L'URSSAF a repris ses précédentes demandes, et arguments, faisant valoir qu'il apparaissait que Mme X était de fait une salariée, même si la société lui avait fait signer un contrat d'agent commercial.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des prétentions et moyens.
SUR CE LA COUR
Il résulte de l'article L. 311-2 du code de la sécurité sociale que sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat.
En l'espèce, dans le cadre d'un contrôle mené conjointement avec l'inspection du travail, l'URSSAF a considéré que Mme X, agent commercial selon son contrat, travaillait en réalité dans le cadre d'un service organisé.
Il était apparu qu'elle devait tenir des permanences à l'agence, qu'elle devait établir des comptes rendus d'activité réguliers, qu'elle ne travaillait que pour l'agence, et que son contrat contenait une clause de non-concurrence qui l'empêchait d'exercer son activité normalement.
La Société soutenait que Mme X avait signé un contrat d'agent commercial, qu'elle exerçait de manière indépendante et sans aucune subordination.
Le contrat de mandat liant Mme X à la société lui imposait de rendre compte dans les 24 heures de toutes pièces relatives à son activité tels que mandats, offre, promesse d'offre entre autres.
Son contrat lui interdisait de même de s'intéresser directement ou indirectement à des opérations entrant dans le cadre de son mandat qui lui seraient proposées par des tiers, sauf accord préalable écrit de l'agence.
Il est apparu que Mme X travaillait exclusivement dans les locaux de l'agence, dont elle utilisait les moyens, son contrat prévoyant qu'elle devrait régler une redevance à l'agence en contrepartie.
Mme X a clairement indiqué qu'elle s'était présentée à l'agence dont elle avait vu qu'elle recherchait du personnel dans l'optique de signer un contrat de travail, et que c'est seulement au moment de signer le contrat qu'il lui avait été fait mention du statut d'agent commercial.
Elle précisait ne pas s'être inscrite au registre du commerce et des sociétés.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que Mme X n'avait jamais envisagé de travailler pour l'agence DESFOSSES IMMOBILIER autrement que salariée, et qu'elle a en définitive signé un contrat d'agent commercial sans en appréhender l'ensemble des conséquences, la preuve étant qu'elle ne s'est jamais inscrite au registre du commerce et des sociétés.
Si la société soutient que ce fait ne lui est pas imputable, il traduit bien le fait qu'en réalité, Mme X n'a pas été pleinement informée quant à son statut, et les obligations inhérentes.
Par ailleurs, les termes mêmes du contrat sont en contradiction avec le statut d'agent commercial, alors qu'il excluait la possibilité pour Mme X d'avoir d'autres partenaires commerciaux, sauf à être expressément autorisée par l'agence.
Du fait de cette interdiction, elle se trouvait dans une situation de dépendance par rapport à l'agence DESFOSSES IMMOBILIER, puisque ses seules ressources possibles provenaient de l'activité exercée pour celle-ci.
Elle ne disposait d'aucune autonomie matérielle, Mme X ayant expliqué qu'elle travaillait en permanence à l'agence, utilisant un bureau, et les moyens mis à sa disposition, alors que sa situation personnelle ne lui permettait pas de faire autrement.
Le seul fait que des horaires ne lui aient pas été imposés ne suffit pas à écarter le statut de salariée, dès lors que outre les éléments sus évoqués, elle était tenue de rendre compte de chacune de ses actions, et contrats signés avec des tiers.
Il apparaît ainsi que si Mme X avait officiellement un statut d'agent commercial, elle n'était pas inscrite au registre du commerce, elle était dans une situation de dépendance économique par rapport à l'agence, devait rendre compte de ses actions au quotidien.
Dès lors, la réalité du lien de subordination est établie, quelle que soit la dénomination du contrat qui la liait à l'agence DEFOSSES IMMOBILIER et l'URSSAF a à bon droit opéré un redressement.
Le constat d'une situation de travail dissimulé doit entraîner l'annulation de toutes les mesures de réduction ou d'exonération des réductions Fillon dont avait bénéficié l'appelante.
Le jugement déféré doit par conséquent être confirmé en toutes ses dispositions.
Dépens
Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la société FONTENOY GROUPE IMMOBILER venant aux droits de l'agence DESFOSSES IMMOBILIER SARL sera condamnée aux dépens de l'instance.
Demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'URSSAF les frais non compris dans les dépens qu'elle a été contrainte d'exposer pour assurer sa défense.
En conséquence, l'appelante sera condamnée à lui verser la somme de 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,
Met hors de cause Mme X,
Confirme le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Arras en toutes ses dispositions,
Condamne la société FONTENOY IMMOBILIER venant aux droits de l'agence DESFOSSES IMMOBILIER SARL aux dépens de l'instance d'appel,
La condamne à payer à l'URSSAF la somme de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.