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Décisions

Cass. com., 8 avril 2021, n° 19-17.997

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Commune de Palaiseau

Défendeur :

Dexia Crédit Local (SA), Société de Financement Local (SA), Caisse Française de Financement Local (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

M. Blanc

Avocats :

SCP Cabinet Colin - Stoclet, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Lesourd

Versailles, 16e ch., du 21 mars 2019

21 mars 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 mars 2019) et les productions, en 2006, la société Dexia crédit local (la société Dexia), agissant pour elle-même et sa filiale, la société Dexia Municipal Agency, a consenti à la commune de Palaiseau (la commune) un prêt d'un montant de 6 545 686,87 euros et d'une durée de vingt ans, destiné, à hauteur de 1 500 000 euros, à financer des investissements et, pour le surplus, à refinancer des prêts antérieurs.

2. Le contrat stipulait que, pendant une première phase de quinze ans, si le cours de change de l'euro en francs suisses était supérieur ou égal au cours pivot de 1,43 francs suisses pour un euro, le taux d'intérêt serait égal à 3,61 % par an et que, dans le cas contraire, ce taux serait égal à la somme de 3,61 % et de 50 % du rapport entre le cours pivot de 1,43 francs suisses et le cours de change de l'euro en francs suisses.

3. En 2010, 2011 et 2012, la société Dexia, agissant encore pour elle-même et la société Dexia Municipal Agency, a consenti trois prêts à la commune, chacun de ces prêts étant destiné à refinancer le précédent, les contrats stipulant que pour une période courant respectivement du 1er décembre 2010, du 1er décembre 2011 ou du 1er décembre 2012 jusqu'au 1er décembre 2022, les intérêts seraient calculés selon les modalités stipulées au contrat de prêt conclu en 2006, à la différence près que le cours pivot serait désormais fixé à 1,429 francs suisses pour un euro.

4. Faisant valoir que l'appréciation du franc suisse par rapport à l'euro avait entraîné une forte augmentation du taux d'intérêt des prêts, la commune de Palaiseau a assigné la société Dexia, ainsi que la société Dexia Municipal Agency, devenue la société Caisse française de financement local (la société Caffil), et la Société de financement local, devenue la société Sfil, laquelle avait été chargée en 2013 de la gestion et du recouvrement des prêts inscrits au bilan de la société Caffil, en annulation des stipulations du taux d'intérêt conventionnel des contrats de prêt, subsidiairement en annulation des contrats de prêt et, encore plus subsidiairement, en indemnisation. Devant la cour d'appel, la commune de Palaiseau a demandé, en outre, que les clauses des contrats stipulant une indemnité de remboursement anticipé soient réputées non écrites.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième, cinquième et sixième moyens, ci-après Annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

6. La commune fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes d'annulation des contrats de prêt de 2006, 2010 et 2011 pour défaut d'intérêt à agir, alors « que la confirmation d'actes nuls exige à la fois la connaissance du vice les affectant et l'intention non équivoque de le réparer ; qu'en l'espèce, la commune de Palaiseau a fait valoir qu'elle avait souscrit les contrats de prêts de 2010, 2011 et 2012 dans l'unique but de sécuriser la prochaine échéance de remboursement du précédent emprunt sans avoir renoncé à agir en nullité ; qu'en se bornant à retenir que, lors de la renégociation des prêts en 2010, 2011 et 2012, la commune n'ignorait pas le vif débat au sujet de l'endettement des collectivités locales, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser la volonté non équivoque de la commune de Palaiseau de réparer le vice affectant les contrats litigieux, a violé l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. Les sociétés Sfil et Caffil contestent la recevabilité du moyen, en raison de sa nouveauté.

8. Cependant, dans ses conclusions d'appel, la commune de Palaiseau soutenait que c'était à tort que les premiers juges avaient déclaré irrecevables ses demandes au titre des prêts de 2006, 2010 et 2011 au motif que la conclusion des contrats de 2010, 2011 et 2012 caractérisait sa volonté non équivoque de renoncer à agir en nullité contre la société Dexia au titre des trois premiers contrats.

9. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

10. Il résulte de ce texte que la confirmation d'un acte nul exige à la fois la connaissance du vice l'affectant et l'intention de le réparer.

11. Pour déclarer irrecevables les demandes d'annulation des contrats de prêt de 2006, 2010 et 2011, après avoir relevé que la commune soutenait que ces contrats avaient un caractère spéculatif, que les délibérations du conseil municipal autorisant leur conclusion n'avaient pas valablement opéré délégation de compétence, que son consentement avait été vicié lors de leur conclusion et que la banque avait méconnu les dispositions relatives à la mention du taux effectif global et au taux d'usure, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que ces contrats ont fait l'objet d'un remboursement anticipé, de sorte que la commune les a volontairement exécutés et qu'ils se sont éteints par paiement.

12. L'arrêt retient en outre que, dès l'automne 2008, plusieurs élus locaux avaient dénoncé publiquement la présence dans leur dette de prêts structurés consentis majoritairement par la société Dexia, qu'ils qualifiaient de toxiques, que, le 7 décembre 2009, une charte de bonne conduite a été adoptée sous l'égide des pouvoirs publics, entérinant l'engagement des établissements bancaires de ne commercialiser que des produits correspondant à la typologie définie par la charte en fonction des risques présentés par les indices sous-jacents et la structure des prêts, que cette charte a été suivie de la publication d'une circulaire du 25 juin 2010 exposant notamment, à titre de contexte, le risque financier parfois disproportionné que couraient les collectivités locales qui avaient souscrit des prêts structurés et détaillant les obligations des établissements financiers et la possibilité d'agir en justice afin d'obtenir réparation en cas d'inexécution de ces obligations, que de très nombreux articles relatifs au débat sur les emprunts dits « toxiques » ont été publiés dans la presse généraliste ou consacrée aux collectivités locales, entre octobre 2009 et mai 2010, et qu'en juillet 2011, a été rendu public le rapport thématique de la Cour des comptes sur la gestion de la dette publique locale, ce dont il déduit, d'abord, que, lors de la renégociation des prêts en 2010, 2011 et 2012, la commune n'ignorait pas le vif débat au sujet de l'endettement des collectivités locales et était en mesure d'apprécier les risques encourus du fait de la conclusion des précédents prêts, ainsi que de rechercher les éventuels manquements de la société Dexia et, ensuite, que c'est en toute connaissance de cause que la commune a mis un terme aux contrats de prêt de 2006, 2010 et 2011 en souscrivant les contrats de 2010, 2011 et 2012, la conclusion de ces trois derniers contrats caractérisant donc la volonté non équivoque de la commune de renoncer à agir en annulation des trois premiers.

13. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la connaissance par la commune, lors du remboursement anticipé des contrats de prêt de 2006, 2010 et 2011, des vices qu'elle invoquait comme affectant ces contrats et son intention de les réparer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

14. La commune fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes d'annulation des contrats de prêt de 2006, 2010 et 2011 pour défaut d'intérêt à agir, alors « que la méconnaissance des dispositions d'ordre public relatives à la compétence de l'autorité signataire d'un contrat de droit privé conclu au nom d'une commune est sanctionnée par la nullité absolue, laquelle ne peut être couverte par la confirmation du contrat ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la demande de nullité des contrats de prêt de 2006, 2010 et 2011 tirée du défaut de pouvoir du maire de conclure ces actes, faute d'avoir reçu une délégation de compétence suffisamment précise et limitée du conseil municipal, que la conclusion des contrats de prêt de 2010, 2011 et 2012 caractérisait la volonté non équivoque de la commune de renoncer à agir en nullité à l'encontre de la société Dexia au titre des contrats de prêt de 2006, 2010 et 2011, quand la méconnaissance des dispositions d'ordre public de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales était sanctionnée par la nullité absolue, laquelle ne pouvait être couverte par la confirmation, la cour d'appel a violé les articles 1108 et 1338 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1108 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales :

15. La méconnaissance des dispositions d'ordre public relatives à la compétence de l'autorité signataire d'un contrat de droit privé conclu au nom d'une commune est sanctionnée par la nullité absolue, laquelle ne peut être couverte par la confirmation du contrat.

16. Pour déclarer irrecevables les demandes d'annulation des contrats de prêt de 2006, 2010 et 2011, l'arrêt retient que la commune a mis un terme à ces contrats dans des conditions caractérisant sa volonté non équivoque de renoncer à demander leur annulation.

17. En statuant ainsi, alors que la commune se prévalait notamment du défaut de compétence du maire pour souscrire les prêts litigieux et invoquait ainsi une nullité absolue, insusceptible de confirmation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

18. La commune fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa « demande tendant à la nullité de la clause de remboursement anticipé », alors « que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ; que la demande tendant à ce que soit réputée non écrite une clause abusive, présentée en appel, a pour objet l'anéantissement partiel du contrat de sorte qu'elle tend aux mêmes fins que la demande d'annulation de ce contrat ; qu'en déclarant irrecevable la demande de la commune de Palaiseau tendant à ce que soit réputée non écrite comme abusive la clause de remboursement anticipé aux motifs que celle-ci se distinguait de la demande en nullité des contrats de prêt litigieux, formulée dès la première instance et maintenue en cause d'appel, la cour d'appel, a violé l'article 565 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

19. Les sociétés Dexia, Sfil et Caffil soutiennent que ce moyen est irrecevable car contradictoire avec le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, ces deux griefs soutenant, d'un côté, que la demande tendant à ce que soit réputée non écrite une clause abusive poursuit les mêmes fins que la demande d'annulation de ce contrat et, de l'autre, qu'une telle demande ne s'analyse pas en une demande de nullité.

20. Cependant, il n'est pas contradictoire de soutenir qu'une demande tendant à ce qu'une clause soit réputée non écrite tend aux mêmes fins qu'une demande d'annulation du contrat contenant cette clause, tout en faisant valoir que ces demandes ne sont pas soumises au même régime de prescription.

21. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 565 du code de procédure civile :

22. Aux termes de ce texte, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

23. Pour déclarer irrecevable la « demande tendant à la nullité de la clause de remboursement anticipé », l'arrêt relève que la commune soutient que cette clause serait abusive et devrait être réputée non écrite en application des articles L. 132-1 et L. 212-1 du code de la consommation, puis retient que cette demande se distingue de la demande d'annulation des contrats de prêt litigieux, formulée dès la première instance et maintenue en cause d'appel, laquelle tend à l'anéantissement desdits contrats dans leur intégralité, en ce qu'elle ne vise qu'à l'anéantissement d'une seule clause du contrat, de sorte que cette demande est nouvelle en cause d'appel.

24. En statuant ainsi, alors que la demande d'annulation des contrats de prêt et la demande tendant à ce que soit réputée non écrite la clause stipulant le paiement d'une indemnité de remboursement anticipé tendaient aux mêmes fins, à savoir permettre à la commune d'échapper, à tout le moins pour l'avenir s'agissant de la seconde, au paiement des intérêts du prêt, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

25. La commune fait le même grief à l'arrêt, alors « que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive d'un contrat ne s'analyse pas en une demande de nullité, de sorte qu'elle n'est pas soumise à la prescription quinquennale ; qu'en retenant que la commune n'avait introduit la demande en nullité de la clause de remboursement anticipé fondée sur le caractère prétendument abusif de la clause que le 22 novembre 2018 et qu'une action ayant pour objet de faire déclarer non écrite une clause en raison de son caractère abusif est soumise au délai de prescription de cinq ans qui court à compter de la date du contrat de prêt, en l'espèce 2012 et l'action introduite au-delà du délai de cinq ans était prescrite, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 2224 du code civil, ensemble l'article 1304 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

26. En dépit des contestations soulevées par les sociétés Dexia, Sfil et Caffil, ce moyen est recevable pour les motifs précédemment énoncés à propos de la recevabilité du quatrième moyen, pris en sa première branche.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction abrogée par la loi n° 2016-301 du 14 mars 2016, et les articles 1304 et 2224 du code civil, le premier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

27. La demande tendant à voir une clause abusive réputée non écrite, qui ne s'analyse pas en une demande d'annulation, n'est pas soumise à la prescription.

28. Pour déclarer irrecevable la « demande tendant à la nullité de la clause de remboursement anticipé », l'arrêt retient qu'une action ayant pour objet de faire déclarer non écrite une clause en raison de son caractère abusif est soumise au délai de prescription de cinq ans qui court à compter de la date du contrat de prêt, soit en l'espèce 2012, cependant que la commune n'a introduit sa demande « en nullité » de l'indemnité de remboursement anticipé fondée sur le caractère prétendument abusif de la clause que le 22 novembre 2018, de sorte que cette action, introduite au-delà du délai de cinq ans, est prescrite.

29. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il déclare irrecevables les demandes d'annulation des contrats de prêt de 2006, 2010 et 2011 pour défaut d'intérêt à agir de la commune, en ce qu'il déclare la commune de Palaiseau irrecevable en sa demande tendant à la nullité de la clause de remboursement anticipé et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 21 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.