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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 7 avril 2021, n° 19/08633

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Schneider Electric France (SAS)

Défendeur :

AJ Partenaires (Selarl), Usinex (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

Avocats :

Me Fischer, Me Leboucq Bernard, Me Becquet

T. com. Lyon, du 10 avr. 2019, n° 2017J0…

10 avril 2019

FAITS ET PROCEDURE

Des relations de sous traitance ont existé sur un certain nombre d'années entre la société Merlin Gerin rachetée par la société Schneider Electric France (ci-après la société « Schneider »), en particulier sa branche « Ecofit » et la société Outillex à laquelle a succédé la société Usinex par cession judiciaire du 7 août 2012.

Par jugement du 27 janvier 2015 du tribunal de commerce de Grenoble, la société Usinex a bénéficié d'une procédure de redressement judiciaire.

Une baisse des commandes de la société Schneider a été constatée courant de l'année 2016, puis le 21 avril 2017 cette dernière a notifié l'arrêt des relations commerciales avec un préavis de 20 mois, soit au 31 décembre 2018.

Par jugement du 29 août 2017, la société Usinex a été placée en liquidation judiciaire. La cessation d'activité a été prononcée le 22 novembre 2017.

Par acte du 23 octobre 2017, Me D, en qualité de liquidateur judiciaire, et la Selarl AJ Partenaires, en qualité d'administrateur judiciaire, ont assigné Schneider Electric France devant le tribunal de commerce de Lyon, aux fins de statuer sur la rupture brutale de leurs relations commerciales établies, et de constater que cette rupture est directement à l'origine de la liquidation judiciaire prononcée à l'encontre d'Usinex le 29 août 2017.

Par jugement du 10 avril 2019, le tribunal de Commerce de Lyon a :

- dit et jugé que les relations commerciales entre les deux sociétés Schneider Electric France et Usinex avaient une ancienneté de 20 années à la date de la rupture,

- dit et jugé que la société Schneider Electric France a procédé, au 1er janvier 2016, à une rupture partielle brutale et sans préavis des relations commerciales établies depuis au moins 20 années avec la société Usinex, et que ce manquement engage sa responsabilité et l'oblige à réparer le préjudice causé de ce fait,

- condamné la société Schneider Electric France à payer à la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires. Maître Z D, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Usinex, et la SELARL AJ Partenaires représentée par Maître X E en qualité d'administrateur judiciaire de la société Usinex :

La somme de 1 045 500 euros à titre de dommages et intérêts.,

La somme de 100 000 euros au titre du stock de pièces non repris et à en procéder à la reprise,

- rejeté l'ensemble des demandes de la société Schneider Electric France,

- débouté la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires, Maître Z D, en qualité de Liquidateur judiciaire de la société Usinex, et la SELARL AJ Partenaires représentée par Maître X E en qualité d’Administrateur judiciaire de la société Usinex, de leurs demandes au titre des coûts salariaux assumés après la rupture et au titre des licenciements,

- ordonné l'exécution provisoire de ce jugement sous réserve que la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires, Maître Z D, en qualité de Liquidateur judiciaire de la société Usinex, et la SELARL AJ Partenaires représentée par Maître X E en qualité d'administrateur judiciaire de la société Usinex, fournissent le cautionnement d'une banque établie en France couvrant, en cas d'appel, le remboursement de toutes les sommes versées au titre du présent jugement majorées des intérêts pouvant avoir couru,

- condamné la société Schneider Electric France à payer à la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires, Maître Z D en qualité de Liquidateur judiciaire de la société Usinex, et la SELARL AJ Partenaires représentée par Maître X E en qualité d'administrateur judiciaire de la société Usinex, la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Schneider Electric France aux entiers dépens de l'instance,

Par acte du 18 avril 2019, la société Shneider Electric France a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris.

Aux termes des dernières conclusions de la société Schneider Electric France, déposées et notifiées le 9 juillet 2019, il est demandé à la cour d'appel de Paris de :

Dire et juger que les relations commerciales entre les sociétés Schneider Electric France et Usinex ont débuté le 16 novembre 2012,

Dire et juger que les relations commerciales établies ont été rompues le 21 avril 2017 à échéance du 31 décembre 2018, en respectant un préavis de 20 mois,

Dire et juger que compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales entre les sociétés Schneider Electric France et Usinex un préavis de 20 mois était suffisant,

Dire et juger qu'Usinex a unilatéralement mis fin au préavis de rupture le 19 mai 2017,

Dire et Juger que la société Schneider Electric France n'a pas brusquement rompu les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec la société Usinex En conséquence, infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 10 avril 2019,

Débouter la société Usinex, Me D et la Selarl AJ Partenaires, ès qualités de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

Condamner la société Usinex, Me D et la Selarl AJ Partenaires, ès qualités à payer à la société Schneider Electric France la somme de 25 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens qui seront recouvrés directement par la SCP Fischer, Tandeau de Marsac, Sur & Associés (FTMS Avocats) conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes des dernières conclusions de la société Usinex, représentée par Maître D, liquidateur judiciaire, et la SEARL AJ Partenaires, administrateur judiciaire, déposées et notifiées le 12 septembre 2019, il est demandé à la cour d'appel de Paris de :

Faire droit à l'appel incident interjeté par Maître D et Maître Sapin, organes de la procédure de liquidation judiciaire de la Société USINEX à l'encontre du jugement rendu le 10 avril 2019 par le Tribunal de commerce de Lyon ;

A titre principal:

réformer ledit jugement, sauf en ce qu'il a :

dit et jugé que la société Schneider Electric France a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Usines, fixé la date de ladite rupture au 1er janvier 2016, constaté que cette rupture n'a été accompagnée d'aucun préavis de rupture, dit et jugé que compte tenu des caractéristiques de la relation qu'elle entretenait avec la société Usinex, la société Schneider Electric France aurait dû respecter un préavis de 3 ans, condamné la société Schneider Electric France à verser la somme de 100.000 € pour la reprise du stock constitué à sa demande et non encore repris, condamné la société Schneider Electric à verser la somme de 7 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Statuant à nouveau :

constater que la rupture des relations commerciales établies par la société Schneider Electric France est directement à l'origine de la liquidation judiciaire prononcée à l'encontre de la société Usinex le 29 aout 2017, condamner la société Schneider Electric France à verser les sommes suivantes :

- 1 608 780 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de marge brute qui aurait été réalisée sur ces 3 années de préavis,

- 100 000 € à titre de dommages et intérêts en compensation du coût salarial injustement assumé par la société Usinex jusqu'à sa liquidation judiciaire des suites de la rupture,

- 239 961,95 € à titre de dommages et intérêts en remboursement du coût des licenciements assumés par la société Usinex à la suite de sa liquidation judiciaire ,

A titre subsidiaire :

confirmer le Jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Lyon en toutes ses dispositions, sauf à porter la condamnation prononcée à l'encontre de la société Schneider Electric France à titre de dommage et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies à la somme de 1 328 450 €, modification résultant de la rectification d'une erreur matérielle de calcul affectant le jugement de première instance.

Y ajoutant, en tout état de cause, débouter la société Schneider Electric de l'ensemble de ses demandes, prétentions, fins et moyens contraires ;

condamner la société Schneider Electric à verser la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

La condamner aux entiers dépens de l'instance

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la rupture brutale de la relation commerciale

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Sur le caractère établi de la relation

La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Les parties ne s'opposent pas sur le caractère établi de leur relation, mais de sa durée.

La société Schneider fait valoir que pour déterminer la durée de la relation commerciale, il ne peut être tenu compte des relations entretenues entre les sociétés Schneider et Outillex, dès lors qu'il n'est pas justifié que le contrat les liant ait figuré dans la liste des contrats cédés à la société Usinex qui n'a repris des éléments d'actifs que pour 52 000 euros. Elle ajoute qu'il n'est pas non plus démontré une intention claire et sans ambiguïté de sa part de poursuivre les relations avec la société Usinex, en sorte que la relation commerciale établie avec cette dernière n'a débuté que le 26 novembre 2012 au commencement de son activité. A défaut, elle relève que le développement des relations entre Outillex et Schneider n'est intervenu qu'en 2008.

Maître D, liquidateur judiciaire, et la SEARL AJ Partenaires, administrateur judiciaire de la société Usinex soutiennent que la relation commerciale est établie depuis 60 ans. S les relations entretenues entre Merlin Gerin/Schneider et Outillex/ Usinex ont pu légitimement évoluer, Outillex était déjà depuis des décennies un fournisseur majeur de Schneider pour les pièces dites « marines » et les « bielles brisées », activité reprise en l'état par Usinex.

Sur ce,

Il n'est pas contesté qu'à la suite de la reprise des éléments d'actifs de la société Outillex, la relation commerciale de la société Usinex avec la société Schneider était spécialisée dans la réalisation d'assemblage de trois types de matériels :

- des pièces détachées dites « marines », destinées à des marines tant nationales qu'étrangères,

- des assemblages dits « bielles brisées » destinés aux marines militaires et à l'industrie nucléaire,

- des « mallettes propinces », outil de mesure et cette activité était pour près de 80 % du chiffre d'affaires réalisée avec le département Schneider « Ecofit », regroupant les activités de rénovation d'anciennes gammes d'équipements électriques et la fabrication de pièces de rechange pour des marchés de « niche » dans le domaine de l'énergie, des industries électro intensive (métallurgie, mines, pétrole, gaz...), les marines nationales et le nucléaire.

Il ressort du dossier de présentation de la société Outillex établi courant 2011 (pièce Usinex n°34) que ses activités avec C F B se sont développées en 2008. L'activité avec le client Schneider Electric est décrite comme suit : « le compte Schneider Electric est réparti sur plusieurs entités du Groupe et plusieurs sites de production. La société travaille avec des bureaux d'étude pour mettre au point des prototypes. Elle réalise des outillages de contrôle et des bancs de tests aussi bien pour les laboratoires que pour les lignes de production. Outillex est un fournisseur majeur pour la gamme marine de Schneider, qui reprend depuis deux ans. Cette croissance devrait se maintenir jusqu'en 2013 ». Ce rapport documente le volume du chiffre d'affaires réalisé avec le client Schneider depuis 2005. Il en ressort que le volume de chiffre d'affaires réalisé sur les exercices 2010/2011 par Outillex avec la société Schneider est comparable à celui réalisé ensuite par la société Usinex avec la société Schneider après la reprise en 2012.

La poursuite de l'activité suivant les mêmes volumes et la même nature des produits principalement pour le département Ecofit de la société Schneider ( pièce n°15, attestation de M. A), met en évidence la commune intention des parties de poursuivre la relation commerciale telle qu'elle avait été développée par la société Outillex à partir de 2008.

Les éléments produits aux débats pour la société Usinex, notamment les attestations d'anciens salariés ou courriers, ne sont pas suffisants pour démontrer que cette relation telle que décrite était établie depuis 60 ans comme alléguée, même si des relations commerciales ont pu exister de longue date entre les entités Merlin Gerin / Schneider et Outillex. L'attestation de Mme Y (pièce n°35) renseigne que l'assemblage de bielles brisées pour la Marine était réalisé en 2005.

La Cour retient donc une relation commerciale établie entre les parties depuis 2005, soit plus de 12 années lors de la notification de la rupture par lettre du 21 avril 2017 par la société Schneider.

Sur la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie

Il ressort de l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant.

La société Schneider fait valoir que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, elle n'a jamais décidé de mettre fin aux relations commerciales au 1er janvier 2016. Elle souligne que le chiffre d'affaires réalisé avec la société Usinex au cours de l'année 2016 ( 703 492,40 € HT) était en progression de plus de 30% sur la moyenne des années 2013 et 2014 et que s'il était en régression de 12% par rapport à la moyenne des années 2013 à 2015, c'est que 2015 était une année tout à fait exceptionnelle. Elle insiste sur le fait qu'au cours de l'année 2015, d'une part la marine pakistanaise a finalement commandé trois sous-marins (au lieu de 30 prévus) et d'autre part pour soutenir la société Usinex au cours de sa période d'observation, elle a anticipé des commandes. Elle ajoute qu'elle a toujours maintenu au cours de l'année 2016 la totalité de ses commandes nécessaires pour couvrir ses besoins concernant notamment les pièces détachées dites « marines », les assemblages dits « bielles brisées » et les mallettes « propinces » et que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il ne ressort pas des échanges entre les parties en 2015 et 2016, en particulier lors de la réunion du 18 décembre 2015, une intention de mettre fin même partiellement, à ses relations avec Usinex. Elle estime qu'elle n'a pas fait miroiter à la société Usinex de perspectives importantes d'activités en 2016, autrement que par l'établissement de devis, et que les prévisions pour cette année étaient en correspondance avec celles faites par Usinex et en lien avec une baisse d'activité certaine de son département Ecofit. Elle soutient que de façon claire, et comme la résultante de nombreuses discussions courant 2017, elle confirmait par écrit le 21 avril 2017, l'arrêt des relations commerciales moyennant un préavis de 20 mois.

Maître D, liquidateur judiciaire, et la SEARL AJ Partenaires, administrateur judiciaire de la société Usinex font valoir que la société Schneider a augmenté ses commandes au cours des exercices 2014 et 2015, tout en exigeant de la société Usinex de se structurer de manière à pouvoir absorber de gros volumes d'affaires en perspectives, avec des demandes de constitution de stock, d'investissements industriels et d'augmentation de la main d'oeuvre, faisant ainsi peser sur la seule société Usinex l'intégralité du risque des commandes exceptionnelles. Or en dépit de ces importants investissements par la société Usinex, il est relevé que le chiffre d'affaires réalisé avec la société Schneider a chuté de près de 50% passant de 1 313 450 euros en 2015 à 703 492 euros en 2016, soit une chute de commandes de plus de 110 000 euros mensuels en 2015 à des sommes entre 30 000 et 50 000 euros en 2016, puis 15 000 euros en 2017. Il est souligné que dans ce contexte, la société Usinex devenait alors structurellement déficitaire. Il est ajouté que malgré de multiples alertes de la société Usinex sur la chute de commande courant 2016 et à la suite de diverses réunions organisées à l'initiative de la société Usinex courant 2017, la société Schneider n'admettait officiellement sa décision de rompre définitivement les relations que le 21 avril 2017. Il est donc demandé de confirmer que la rupture partielle des relations été dès le 1er janvier 2016, et sans préavis.

Sur ce,

Il ressort des pièces versées aux débats que le volume de commandes de la société Schneider auprès de la société Usinex était en progression constante depuis 2013 (pièce Usinex n°4j) : 550 000 euros en 2013, 950 000 euros en 2014 et 1 150 000 euros en 2015, soit corrélativement pour la société Usinex un chiffre d'affaires réalisé avec le client Schneider de 432 293,67 euros en 2013, 647 167 euros en 2014 et 1 314 450 euros en 2015.

Si la société Schneider a demandé à de nombreuses reprises à la société Usinex de réduire son taux d'implication pour qu'il soit inférieur à 25% de son chiffre d'affaires, elle a dans le même temps pour satisfaire ses propres besoins fait progresser les commandes auprès de la société Usinex portant ce taux d'implication de 27% en 2013, à 37% en 2014, puis 55% en 2015 (pièce 4j). En outre, cette progression significative du taux d'implication s'est accompagnée courant 2015 d'une demande d'investissements particuliers de la société Schneider à la société Usinex pour faire face à d'importantes commandes à venir. Il ressort notamment du courriel de la société Schneider du 9 avril 2015 (pièce Schneider n° 4), du compte rendu de la réunion commerciale du 17 juin 2015 (pièce Usinex n°18), du courriel de la société Usinex du 25 juin 2015 (pièce Usinex n°19), du devis « Pakistan » (pièce Usinex n° 20), de la demande de devis « Inde » en 2016 (Pièce Usinex n°32), que dans la perspective de commandes de grande ampleur, il était demandé à la société Usinex de prendre des mesures à court terme pour résorber le retard et à moyen terme d'avoir les capacités d'honorer ces commandes, engageant ainsi la société Usinex dans une réorganisation de la production par un plan d'investissement machine et de main d'oeuvre et surtout dans la constitution d'un important stock de pièces fin 2015 / début 2016 (pièces Schneider n° 4 et 7).

Il n'est pas contesté que cette situation a permis à la société Usinex, qui avait un problème structurel de fonds de roulement, de bénéficier en janvier 2015 d'un plan de redressement judiciaire, puis d'un plan de continuation en décembre 2015.

Cependant, malgré ce fort investissement de la société Usinex, celle-ci a constaté une baisse des commandes du client Schneider à partir de 2016, celles-ci se réduisant pour l'année à 550 000 euros, soit une chute de près de 50% par rapport à 2015 et revenant au niveau de 2013 (pièces Usinex 4j, 22, 23).

Ainsi, la société Usinex écrivait à la société Schneider dans son courriel du 12 mai 2016 en ces termes :

« La chute de nos prises de commandes depuis 6 mois, qui a ensuite entrainé une chute de notre activité, est liée à la chute brutale des commandes en provenance de Schneider Ecofit, qui était en 2015 notre premier client et représentait environ 50% de notre CA. A titre d'illustration nous allons vous livrer d'ici moins de 2 semaines les trois dernières lignes de commande qui sont en fin de réalisation pour vous. Et, sauf reprise des commandes d'ici là, nous n'aurons plus alors aucune commande en cours pour Ecofit. Malgré nos efforts commerciaux, le relais avec d'autres clients ne peut pas être pris aussi rapidement. »

Il n'est pas contesté que les projets pakistanais et indiens n'ont pas donné lieu à des commandes aussi importantes que prévues, que sur la période 2015/2016 le département Ecofit de la société Schneider a lui-même enregistré une baisse d'activité et que l'activité confiée à Usinex est liée à des marchés qui ne sont pas linéaires et dont l'activité subi des variations de volume.

Toutefois, il ressort des échanges entre les parties courant 2016 et début 2017 ( pièces Schneider n°8 à 12) que la non réalisation de ces commandes exceptionnelles s'est doublée d'un désengagement patent de la société Schneider pour son traitant, notamment en refusant de lui confier des productions temporaires, alors que ce dernier s'était préparé à la perspectives de ces commandes exceptionnelles sur l'incitation de son donneur d'ordre. Il est par ailleurs relevé que la chute des commandes et donc du chiffre d'affaires de la société Usinex entre 2015 et 2016 de l'ordre de 50% est bien plus importante que la baisse du chiffre d'affaires du département Ecofit qui a été de 10% entre 2015 et 2016 et de 25% pour l'activité Marine (pièce Schneider n° 23).

Ce désengagement s'est nettement confirmé début 2017, la société Usinex constatait dans son courriel du 20 janvier 2017 :

«  (...) Et bien que les prévisions d'activité soient en fort retrait par rapport à 2015, et après une année 2016 très difficile, vous aviez évoqué un chiffre de commandes de l'ordre de 600K€ dans l'année, soit 50K€ /mois environ, un chiffre bien supérieur à celui de l'année 2016.

Par prudence nous avions budgété un chiffre bien inférieur pour le dimensionnement de nos équipes et de notre activité.

Néanmoins, l'analyse des commandes en provenance de Schneider Ecofit sur les 3 derniers mois nous donnes les chiffres suivants :

- Novembre 2016 : 31K€

- Décembre 2016 : 7 K€

- Janvier 2017 ( à ce jour 20 janvier): 1,5 K€ -3,5 K€ d'annulation, soit -2K€

Les commandes passées par Schneider Ecofit à Usinex semblent donc rapidement tendre vers...G !

Aussi, je vous saurais gré, si vous avez des informations sur l'activité Ecofit et les prévisions de business pour les prochains mois, de nous en informer.

La gestion de notre activité en dépend.(...) »

Il y a lieu de constater que si pour l'année 2017, l'activité marine du département Ecofit a subi une chute de près de 34% entre 2016 et 2017 , le département Ecofit n'a subi qu'une chute de son activité globale de 0,5% sur cette même période (pièce n°23).

A la suite des discussions provoquées par la société Usinex, la société Schneider a officiellement confirmé dans son courriel du 21 avril 2017, l'arrêt des relations commerciales pour l'ensemble des produits à l'échéance de 20 mois soit à fin décembre 2018.

Cependant, pour l'année 2017 et donc durant le préavis annoncé, la société Schneider a seulement proposé la reprise du stock pour un montant de 120 000 euros et des commandes de pièces complémentaires « marine » pour un montant limité de 240 000 HT, selon les besoins (pièces Schneider n°13 à16).

Comme l'a relevé à juste titre le tribunal, ce n'est qu'à la réunion du 18 décembre 2015 que la société Schneider faisait comprendre à la société Usinex que le chiffre d'affaires de 2016 devait faire l'objet de 'prévisions prudentes' très en deçà du précédent (pièce Usinex n°21), après avoir fait miroiter des perspectives importantes d'activités et tout en connaissant le niveau d'obsolescence des pièces confiées à Usinex et le classement « no new business » qui lui était attribuée.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Schneider a initié une rupture partielle des relations commerciales entre les parties dès le mois de janvier 2016, qui s'est accentuée en 2017 pour être définitive en juillet 2017, et ce sans préavis clairement notifié. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la durée du préavis

La société Schneider estime que le préavis de 20 mois qui a été notifié à la société Usienx a été suffisant. Elle soutient que le taux d'implication de Schneider n'était pas à un niveau permettant de le qualifier de dépendance économique et que la société Usinex n'a pas pris les mesures nécessaires de diversification malgré ses demandes. Elle ajoute que c'est la société Usinex qui est responsable de la rupture prématurée des relations commerciale au cours du préavis notifié le 21 avril 2017, par une hausse substantielle de ses prix qu'elle ne pouvait accepter.

Maître D, liquidateur judiciaire, et la SEARL AJ Partenaires, administrateur judiciaire de la société Usinex font valoir que compte tenu de sa dépendance économique entretenue par la société Schneider, de sa difficulté corrélative pour trouver de nouveaux partenaires commerciaux, de la spécificité de son activité et de la durée de la relation commerciale, vieille de 60 ans, un préavis de trois années était nécessaire. Il est précisé que la société Schneider n'a notifié aucun préavis à la rupture partielle des relations commerciales intervenue à compter du 1er janvier 2016. Il est ajouté que la société Schneider n'avait pas l'intention de faire perdurer les relations commerciales pendant la durée du préavis aux conditions antérieures à la rupture. Il est insisté sur le fait que la hausse des prix reprochée à la société Usinex n'était que la conséquence de la baisse drastique des commandes.

Sur ce,

Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à- dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

Il ressort des pièces versées aux débats que compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales (12 années) , de la spécificité des pièces fabriquées correspond à un marché de « niche », des investissements effectués par la société Usinex sur incitation de la société Schneider dans la perspective de commandes exceptionnelles, des efforts démontrés par la société Usinex de diversification ( pièces Usinex n°29 ) malgré un important taux d'implication en constante progression auprès du client Schneider pour répondre à ses besoins, un préavis nécessaire mais suffisant de 24 mois devait être notifié à la société Usinex.

La société Schneider a notifié le 21 avril 2017, la fin des relations commerciales avec un préavis de 20 mois, mais à cette date la rupture était déjà partiellement consommée depuis 1e 1er janvier 2016, en sorte que la société Usinex n'a pas bénéficié d'un préavis effectif.

Sur le préjudice

Sur l'indemnisation de la perte de marge

La société Schneider soutient que pour le calcul du préjudice, il convient d'exclure l'année 2015 pour des raison conjoncturelles et que le chiffre d'affaires moyen est évalué à la somme de 594 317,84 euros sur les trois années 2013, 2014 et 2016. Il est soutenu que le taux de marge brute allégué de 81,5% par la socité Usinex, qui n'est pas celui spécifiquement réalisé avec le client Schneider, est extravagant dans l'industrie, et que le taux de marge du secteur est de l'ordre de 19%.

Maître D, liquidateur judiciaire, et la SEARL AJ Partenaires, administrateur judiciaire de la société Usinex affirment au contraire que pour le calcul du préjudice, il convient de déterminer le chiffre d'affaires moyen à partir des seuls exercices 2014 et 2015, soit la somme de 980 809 euros. Il est soutenu que le taux de marge brute de 80% est tout à fait habituel sur ce type d'activité, et pour laquelle la société Usinex utilise des matières premières peu chères et usine intégralement les pièces, ce qui fait grimper la marge brute, tout comme la part de la masse salariale. Aussi, après déduction de la marge brute effectivement réalisée sur les exercices 2016 et 2017, il est réclamé la somme de 1 608 780 euros en réparation du préjudice.

Sur ce,

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture

Pour justifier du taux de marge, il est seulement produit les comptes annuels de la société Usinex pour les exercices 2013 à 2016 desquels il ressort une marge brute moyenne de 80% et une marge globale moyenne d'environ 60%. Il ressort également des comptes annuels une très importante charge de personnel non prise en compte dans la marge globale.

Dès lors que la société Schneider était le principal client de la société Usinex, la marge réalisée sur la totalité du chiffre d'affaires est proche de celle réalisée pour l'activité Schneider.

Il ressort des échanges de courriels courant 2016 que du fait de la baisse d'activité, la société Usinex a baissé ses coûts de personnel, ce qui est corroboré par les comptes des exercices 2015 et 2016, de même que certains coûts de production.

La Cour retiendra alors une marge moyenne sur coûts variables de 65%.

Pour le calcul du chiffre d'affaires moyen annuel réalisé avec la société Schneider, il y a lieu de retenir le chiffre d'affaires des trois exercices précédents la rupture partielle soit les années 2013 (432 293 euros), 2014 (647 167euros) et 2015 1 314 540 euros. Contrairement à ce que demande la société Schneider, il convient de prendre en compte l'année 2015, puisque comme elle le dit elle-même l'activité confiée à la société Usinex est par nature variable.

Le chiffre d'affaires moyen annuel calculé sur ces trois années est donc de 797 970 euros, soit une marge moyenne annuelle sur coûts variables de 518 680, 50 euros.

La perte de marge sur coûts variable sur la durée d'insuffisance de préavis de 24 mois est donc de 1 037 361 euros.

Il convient de déduire de cette somme, la marge réalisée sur les années 2016 et 2017 (931 450 euros x 0,65%), soit la somme de 605 442,50 euros.

Le préjudice liée à la brutalité de la rupture est évalué à la somme de 431 918, 50 euros.

Dès lors la société Schneider sera condamnée à payer la somme de 431 918, 50 euros à titre de dommages intérêts à la société Usinex. Le jugement sera infirmé sur le montant de l'indemnisation.

Sur l'indemnisation du stock de pièces constitué à la demande de la société Schneider.

La société Schneider conteste la demande de paiement de la somme de 100 000 euros demandé par la société Usinex au titre de la reprise du stock au motif que celle-ci est dans l'incapacité de justifier que les stocks, dont la reprise est sollicité correspondent à bien à ceux qui avait été spécifiquement demandé par la société Schneider.

Maître D, liquidateur judiciaire, et la SEARL AJ Partenaires, administrateur judiciaire de la société Usinex font valoir que les stocks constitués pour le compte de la société Schneider ont été partiellement repris en 2017, et demande la condamnation à la reprise de l'intégralité du stock pour la somme forfaitaire de 100 000 euros.

Sur ce,

Il résulte des derniers échanges entre les parties courant avril 2017 (pièces 12 e, f et g) que la société Usinex déclarait à cette date qu'elle disposait d'un stock de pièces marines pour environ 240 K€ HT et qu'elle proposait de céder pour la somme de 190 k€ avec un paiement comptant.

Il n'est pas contesté que la société Schneider a payé la somme de 110 000 euros en 2017 à titre de reprise de stock.

La société Schneider fait toutefois valoir que l'état du stock présenté par la société Usinex (pièce Usinex n°7), qui parvient à la somme de 258 623,61 euros ne correspond pas à la réalité du stock qui aurait dû être constitué par Usinex à la dernière demande de constitution de stock s'élevant à la somme de 109 063,95 euros. Il est en outre relevé par la société Schneider que la SELARL AJ Partners a procédé le 20 octobre 2017 à l'inventaire du stock qui ne lui a pas été adressé malgré sa demande (pièces n°33 et 34).

Maître D, liquidateur judiciaire, et la SEARL AJ Partenaires, administrateur judiciaire de la société Usinex n'apportent aucune réponse à ces critiques et se contentent de verser aux débats un inventaire établi par la société Usinex le 14 avril 2017 et d'évaluer la demande à la somme forfaitaire de 100 000 euros pour l'intégralité du stock restant compte tenu de sa dépréciation.

En l'état des éléments produits aux débats, la Cour évalue à la somme de 40 000 euros la reprise du stock restant constitué à la demande de la société Schneider.

Dès lors la société Schneider sera condamnée au paiement de cette somme et le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les demandes de 100 000 euros à titre de dommages intérêts en compensation du coût salarial assumé par la société Usinex jusqu'à sa liquidation judiciaire et la somme de 239 961,95 euros à titre de dommages intérêts en remboursement du coût des licenciements assumés par la société Usinex à la suite de sa liquidation judiciaire.

Maître D, liquidateur judiciaire, et la SEARL AJ Partenaires, administrateur judiciaire de la société Usinex allèguent que la société Schneider a incité la société Usinex à embaucher 7 salariés supplémentaires afin de faire face aux commandes passées en 2014 et 2015. La chute d'activité de 2016 provoquée par la rupture partielle des relations commerciales a eu pour conséquence la mise au chômage partiel d'une partie des employés, mais qui n'a pas absorbé l'intégralité du coût de ces derniers. Il est en outre soutenu que la rupture brutale des relations commerciales imposée par la société Schneider est directement à l'origine de la liquidation judiciaire de la société Usinex ayant entraîné le licenciement de 15 salariés.

Comme le relève à juste titre la société Schneider, les dispositions de l'article L.442-6, I 5 du code de commerce visent à réparer le préjudice occasionné par le caractère brutal de la rupture et non de la rupture elle-même.

Il n'est pas démontré par la seule pièce n°9 versé aux débats que le préjudice allégué pour la société Usinex au titre des coûts salariaux jusqu'à la liquidation judiciaire résulte de la brutalité de la rupture, à savoir l'insuffisance de préavis.

Il résulte du bilan économique et social et du projet et de plan de cession de la SELARL AJ Partenaires du 10 novembre 2017 (pièce Usinex n°27, rapport page 6) et du jugement du 22 novembre 2017 (pièce Usinex n°26) que si la société Usinex s'est trouvée en difficultés après la rupture des relations commerciales avec le client historique et principal Schneider département Ecofit en 2016, il n'est cependant pas démontré que la cause de la liquidation judiciaire soit la brutalité de cette rupture.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Usinex représentée par ses liquidateur et administrateur de leurs demandes au titre des coûts salariaux.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Schneider aux dépens de première instance et au paiement de la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civil.

La société Schneider, succombant partiellement en ses demandes, sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Schneider sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société Usinex représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires la somme de 10 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a :

- dit que la société Schneider Electic France a procédé au 1er janvier 2016 à une rupture partielle brutale et sans préavis des relations commerciales établies entre les parties,

- débouté la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires, Maître Z D, en qualité de Liquidateur judiciaire de la société Usinex, et la SELARL AJ Partenaires représentée par Maître X E en qualité d"Administrateur judiciaire de la société Usinex, de leurs demandes au titre des coûts salariaux assumés après la rupture et au titre des licenciements,

- rejeté l'ensemble des demandes de la société Schneider Electric France,

- condamné la société Schneider Electric France à payer à la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires, Maître Z D en qualité de Liquidateur judiciaire de la société Usinex, et la SELARL AJ Partenaires représentée par Maître X E en qualité d'administrateur judiciaire de la société Usinex, la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que les parties ont noué une relation commerciale établie depuis 2005,

Condamne la société Schneider Electric France à payer à la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires, Maître Z D, et la SELARL AJ Partenaires la somme de 431 918, 50 euros à titre de dommages intérêts,

Condamne la société Schneider Electric France à payer à la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires, Maître Z D, et la SELARL AJ Partenaires, la somme de 40 000 euros au titre de la reprise de stock de pièces,

Déboute la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires, Maître Z D, et la SELARL AJ Partenaires du surplus de ses demandes,

Condamne la société Schneider Electric France aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la société Schneider Electric France à payer à la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires. Maître Z D, et la SELARL AJ Partenaires la somme de 10 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.