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Décisions

Cass. com., 8 avril 2021, n° 19-21.716

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Détection Électronique Française (SAS)

Défendeur :

AG Insurance (SA), Expro (SA), Fike Protection Systems Ltd, MMA Iard (SA), MMA Iard assurances mutuelles (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Fontaine

Avocat général :

Mme Guinamant

Avocats :

SCP Richard, SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Gadiou et Chevallier, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Paris, Pôle 5 ch. 5, du 25 avr. 2019

25 avril 2019

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 avril 2019), la société La Détection électronique française (la société DEF) a pour activité la conception et la réalisation de systèmes de sécurité incendie. La société anglaise Fike protection systems Ltd (la société Fike) fabrique des dispositifs d'extinction d'incendie par gaz inerte, commercialisés sous la marque « Proinert », constitués notamment de réservoirs pilotes ayant pour fonction de déclencher la libération de l'agent extincteur contenu dans les réservoirs principaux. La société de droit belge Expro distribue et installe les dispositifs de la société Fike en Belgique.

2. Le 5 mars 2004, les sociétés Fike et DEF ont conclu un contrat « de coopération et de fourniture », auquel la société Fike a régulièrement mis fin le 20 août 2007, avec effet au 29 février 2008.

3. Le 26 août 2004, la société DEF a conclu avec la société Expro un « contrat cadre de sous-traitance » pour l'installation d'équipements de détection et d'extinction automatique d'incendie dans les locaux de la société France Télécom situés en métropole et dans les départements ultra-marins, pour une durée expirant le 21 avril 2006, reconductible de façon expresse pour une nouvelle période d'un an à l'initiative de la société DEF.  

4. À compter du 29 février 2008, la société DEF a cessé de se fournir en systèmes Proinert auprès de la société Fike et s'est fournie exclusivement auprès de la société Expro.  

5. Se plaignant de désordres constatés par la société France Télécom, consistant dans le déclenchement intempestif de bouteilles de gaz inerte utilisées dans les systèmes d'extinction automatique « Proinert », la société DEF a assigné en indemnisation la société Fike, la société Expro et l'assureur de responsabilité de celle-ci, la société AG Insurance.  

6. Les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA), assureurs dommages de la société DEF, sont intervenues à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le deuxième moyen, le cinquième et le sixième moyen du pourvoi principal, le premier moyen, le deuxième moyen, le troisième moyen, pris en sa première branche, le cinquième et le sixième moyen du pourvoi incident, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Sur le quatrième moyen du pourvoi principal et le quatrième moyen du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, réunis    

Enoncé des moyens

8. Les sociétés DEF et MMA font grief à l'arrêt de débouter la société DEF de sa demande tendant à la mise en oeuvre de la responsabilité de la société Fike au titre des produits défectueux, puis de la débouter de sa demande tendant à voir juger cette dernière solidairement responsable avec la société Expro, garantie par la société AG Insurance, des dommages résultant de la défaillance des systèmes « Proinert » et de la voir condamner à l'indemniser de ses préjudices, ainsi que de débouter les sociétés MMA de leurs demandes, alors : « 1°) que le régime de la responsabilité des produits défectueux s'applique à la réparation de tout dommage, à l'exclusion de celui qui résulte d'une atteinte au produit défectueux lui-même ; que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le coût de remplacement des produits défectueux constitue un préjudice indemnisable sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, indépendamment du coût du produit lui-même ; qu'en décidant néanmoins que la société DEF n'était pas fondée à solliciter l'indemnisation de son préjudice tenant au remboursement des frais de remplacement des réservoirs pilotes, bien qu'un tel préjudice, distinct du coût des réservoirs, ait été indemnisable sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, la cour d'appel a violé l'article 1386-2 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 ; 2°) que le régime de la responsabilité des produits défectueux s'applique à la réparation de tout dommage, à l'exclusion de celui qui résulte d'une atteinte au produit défectueux lui-même ; qu'en déboutant néanmoins la société DEF de sa demande tendant à obtenir la réparation de son préjudice consistant, indépendamment du coût des réservoirs pilotes, aux frais qu'elle avait engagés en urgence afin de remédier à l'absence de fonctionnement des produits en cause, motif pris qu'un tel préjudice, qui ne résultait pas d'une atteinte à un bien, n'était pas indemnisable sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, la cour d'appel a violé l'article 1386-2 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour  

9. Selon l'article 1386-2, devenu 1245-1, du code civil, est réparable au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux le dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ou le dommage, supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.  

10. L'arrêt constate que la société DEF demande le coût de remplacement des réservoirs pilotes ainsi que celui de diagnostics et de constats, outre le remboursement de frais de transport et de gardiennage et l'indemnisation des pertes ou des gains manqués. Il s'en déduit qu'elle ne demandait la réparation d'aucun dommage résultant d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ni d'aucun dommage résultant d'une atteinte à la personne, comme cela aurait pu être, au contraire, le cas si le produit défectueux avait été un dispositif médical implanté, dont le coût de remplacement doit être pris en charge au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux (Cour de justice de l'Union européenne 5 mars 2015, no C-503/13 et no C-504/13, Boston Scientific Medizin GmbH). C'est donc à bon droit que la cour d'appel a jugé que les préjudices invoqués par la société DEF n'entraient pas dans le champ d'application de l'article 1386-2 du code civil.

Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal et le troisième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé des moyens

11. Les sociétés DEF et MMA font grief à l'arrêt de débouter la société DEF de sa demande tendant à la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle légale de la société Fike puis de la débouter de sa demande tendant à voir juger cette dernière solidairement responsable avec la société Expro, garantie par la société AG Insurance, des dommages résultant de la défaillance des systèmes « Proinert » et de la voir condamnée à l'indemniser de ses préjudices, ainsi que de débouter les sociétés MMA de leurs demandes, alors « qu'il incombe au juge français, qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ; qu'en déboutant la société DEF de sa demande tendant à la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle légale de la société Fike, motif pris que le droit substantiel anglais était en l'espèce applicable, que l'origine des déclenchements intempestifs des réservoirs pilotes n'avait pu être déterminé, qu'aucun lien de causalité entre ces déclenchements intempestifs et les dommages allégués ne pouvait être prouvé et que, dès lors, aucune responsabilité du vendeur pour vice caché, un défaut de conformité ou un défaut d'information ne saurait être retenue, le droit anglais fusse-t-il applicable, sans avoir préalablement recherché quelle était la teneur du droit anglais qu'elle jugeait applicable et, ainsi, sans avoir recherché la teneur du régime de la responsabilité encourue par la société Fike, la cour d'appel a méconnu son office, en violation de l'article 3 du code civil. »  

Réponse de la Cour  

Vu l'article 3 du code civil :

12. En application de ce texte, il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.  

13. Pour écarter la responsabilité contractuelle de la société Fike, l'arrêt retient qu'en l'absence de clause désignant la loi choisie par les parties, le droit substantiel anglais est applicable aux contrats de vente conclus entre les sociétés DEF et Fike.

Il retient ensuite que l'origine des déclenchements intempestifs des réservoirs pilotes n'a pu être déterminée et qu'aucun lien de causalité entre ces déclenchements intempestifs et les dommages allégués ne peut être prouvé. Il en déduit que, dès lors, aucune responsabilité du vendeur pour un vice caché, un défaut de conformité ou un défaut d'information ne saurait être retenue, le droit anglais fût-il applicable.

14. En statuant ainsi, en se référant à des notions de droit français sans rechercher la teneur de la loi anglaise qu'elle jugeait pourtant applicable à la responsabilité contractuelle de la société Fike, la cour d'appel, qui a méconnu son office, a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause, sur leur demande, les sociétés Expro et AG Insurance, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS,  

la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société La Détection électronique française de sa demande tendant à la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle légale de la société Fike protection systems Limited et déboute en conséquence les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles de leur demande à ce titre à l'encontre de la société Fike protection systems Limited, l'arrêt rendu le 25 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Met hors de cause les sociétés Expro et AG Insurance ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Fike protection systems Ltd aux dépens ;  

En application de l'article 700 du code de procédure civile,  rejette les Demandes.