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Décisions

CJUE, 3e ch., 15 avril 2021, n° C-786/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

The North of England P & I Association Ltd

Défendeur :

Bundeszentralamt für Steuern

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Prechal (rapporteure)

Juges :

M. Wahl, M. Biltgen, Mme Rossi, M. Passer

Avocat général :

M. Rantos

Avocats :

Me Möser, Me Grünwald

CJUE n° C-786/19

15 avril 2021

LA COUR (troisième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357/CEE du Conseil, du 22 juin 1988, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, fixant les dispositions destinées à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services et modifiant la directive 73/239/CEE (JO 1988, L 172, p. 1), ainsi que de l’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/49/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive « assurance non vie ») (JO 1992, L 228, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant The North of England P & I Association Ltd (ci-après « P & I »), une société d’assurances établie au Royaume-Uni, au Bundeszentralamt für Steuern (Office central fédéral des impôts, Allemagne) (ci-après le « BZS ») au sujet d’un avis de recouvrement de la taxe sur les assurances relatif à des primes versées au titre de la couverture par P & I de divers risques liés à l’exploitation de navires de mer inscrits dans le registre des navires tenu par la République fédérale d’Allemagne mais battant pavillon d’un autre État membre ou d’un État tiers en vertu d’une autorisation de sortie de pavillon temporaire.

Le cadre juridique

Le droit international

3 La convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay, le 10 décembre 1982 (ci-après la « convention de Montego Bay »), est entrée en vigueur le 16 novembre 1994. Elle a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 98/392/CE du Conseil, du 23 mars 1998 (JO 1998, L 179, p. 1).

4 Aux termes de l’article 90 de cette convention, intitulé « Droit de navigation », « [t]out État, [...] a le droit de faire naviguer en haute mer des navires battant son pavillon ».

5 L’article 91 de ladite convention, intitulé « Nationalité des navires », dispose, à son paragraphe 1 :

« Chaque État fixe les conditions auxquelles il soumet l’attribution de sa nationalité aux navires, les conditions d’immatriculation des navires sur son territoire et les conditions requises pour qu’ils aient le droit de battre son pavillon. Les navires possèdent la nationalité de l’État dont ils sont autorisés à battre le pavillon. Il doit exister un lien substantiel entre l’État et le navire. »

6 Intitulé « Condition juridique des navires », l’article 92 de la convention de Montego Bay énonce, à son paragraphe 1 :

« Les navires naviguent sous le pavillon d’un seul État et sont soumis, sauf dans les cas exceptionnels expressément prévus par des traités internationaux ou par la convention, à sa juridiction exclusive en haute mer. [...] »

7 L’article 94 de cette convention, intitulé « Obligations de l’État du pavillon », prévoit :

« 1. Tout État exerce effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon.

2. En particulier tout État :

a) tient un registre maritime où figurent les noms et les caractéristiques des navires battant son pavillon, à l’exception de ceux qui, du fait de leur petite taille, ne sont pas visés par la réglementation internationale généralement acceptée ;

b) exerce sa juridiction conformément à son droit interne sur tout navire battant son pavillon, ainsi que sur le capitaine, les officiers et l’équipage pour les questions d’ordre administratif, technique et social concernant le navire.

3. Tout État prend à l’égard des navires battant son pavillon les mesures nécessaires pour assurer la sécurité en mer [...]

[...] »

Le droit de l’Union

La deuxième directive 88/357

8 L’article 2, sous d), de la deuxième directive 88/357 disposait :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

d) État membre où le risque est situé :

– l’État membre où se trouvent les biens, lorsque l’assurance est relative soit à des immeubles, soit à des immeubles et à leur contenu, dans la mesure où celui-ci est couvert par la même police d’assurance,

– l’État membre d’immatriculation, lorsque l’assurance est relative à des véhicules de toute nature,

– l’État membre où le preneur a souscrit le contrat, s’il s’agit d’un contrat d’une durée inférieure ou égale à quatre mois relatif à des risques encourus au cours d’un voyage ou de vacances, quelle que soit la branche concernée,

– l’État membre où le preneur a sa résidence habituelle ou, si le preneur est une personne morale, l’État membre où est situé l’établissement de cette personne morale auquel le contrat se rapporte, dans tous les cas qui ne sont pas explicitement visés par les tirets précédents ».

La directive 92/49

9 Les considérants 1, 2 et 30 de la directive 92/49 énonçaient :

« (1) considérant qu’il est nécessaire d’achever le marché intérieur dans le secteur de l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, sous le double aspect de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, afin de faciliter aux entreprises d’assurance[s] ayant leur siège social dans [l’Union européenne] la couverture des risques situés à l’intérieur de [l’Union] ;

(2) considérant que la [deuxième directive 88/357] a déjà largement contribué à la réalisation du marché intérieur dans le secteur de l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, en accordant aux preneurs d’assurance qui, en raison de leur qualité, de leur importance ou de la nature du risque à couvrir, n’ont pas besoin d’une protection particulière dans l’État membre où le risque est situé, la pleine liberté de faire appel au marché le plus large de l’assurance ;

[...]

(30) considérant que certains États membres ne soumettent les opérations d’assurance à aucune forme d’imposition indirecte tandis que la majorité d’entre eux leur appliquent des taxes particulières et d’autres formes de contribution, y compris des surcharges destinées à des organismes de compensation ; que, dans les États membres où ces taxes et contributions sont perçues, la structure et le taux de celles-ci divergent sensiblement ; qu’il convient d’éviter que les différences existantes ne se traduisent par des distorsions de concurrence pour les services d’assurance entre les États membres ; que, sous réserve d’une harmonisation ultérieure, l’application du régime fiscal, ainsi que d’autres formes de contributions prévues par l’État membre où le risque est situé, est de nature à remédier à un tel inconvénient et qu’il appartient aux États membres d’établir les modalités destinées à assurer la perception de ces taxes et contributions ».

10 L’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/49 disposait :

« Sans préjudice d’une harmonisation ultérieure, tout contrat d’assurance est exclusivement soumis aux impôts indirects et taxes parafiscales grevant les primes d’assurance dans l’État membre où le risque est situé au sens de l’article 2, [sous] d), de la [deuxième directive 88/357] [...] »

La directive 2009/138

11 La directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II) (JO 2009, L 335, p. 1), telle que modifiée par la directive 2012/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 12 septembre 2012 (JO 2012, L 249, p. 1) (ci-après la « directive 2009/138 »), a abrogé la deuxième directive 88/357 et la directive 92/49 avec effet au 1er janvier 2014.

12 Aux termes de l’article 13, point 13, sous b), de la directive 2009/138, l’« État membre où le risque est situé » est défini comme étant « l’État membre d’immatriculation, lorsque l’assurance est relative à des véhicules de toute nature ».

13 L’article 13, point 14, de cette directive est rédigé comme suit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

14) État membre de l’engagement : l’État membre où l’un des éléments suivants est situé :

a) la résidence habituelle du preneur ;

b) si le preneur est une personne morale, l’établissement du preneur auquel le contrat se rapporte ».

14 L’article 157 de la directive 2009/138, intitulé « Taxes sur les primes », prévoit, à son paragraphe 1, que, « [s]ans préjudice d’une harmonisation ultérieure, tout contrat d’assurance est exclusivement soumis aux impôts indirects et taxes parafiscales sur les primes d’assurance dans l’État membre où le risque est situé ou l’État membre de l’engagement ».

15 Toutefois, à la date des faits en cause au principal, la deuxième directive 88/357 et la directive 92/49 étaient encore applicables, de sorte qu’il convient de répondre à la demande de décision préjudicielle au regard de ces seules directives.

Le droit allemand

Le VersStG

16 L’article 1er du Versicherungssteuergesetz (loi relative à la taxe sur les assurances), du 10 janvier 1996 (BGBl. I S., p. 22, ci-après le « VersStG »), dispose :

« 1) Est assujetti à la taxe le paiement de la rémunération de l’assurance effectué au titre d’une relation d’assurance découlant d’un contrat ou de toute autre source.

2) Lorsqu’un assureur établi sur le territoire des États membres de [l’Union] ou d’autres États signataires de l’accord sur l’Espace économique européen[, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3),] est partie à la relation d’assurance, l’obligation fiscale ne naît, si le preneur d’assurance est une personne physique, que s’il a, au moment du paiement de la prime d’assurance, son domicile ou sa résidence habituelle sur le territoire d’application de la présente loi, ou, s’il n’est pas une personne physique, lorsque l’entreprise, l’établissement ou un site équivalent auquel se rapporte la relation d’assurance est situé, lors du paiement de la prime, sur le territoire d’application de la présente loi. L’obligation fiscale est en outre subordonnée, lorsque sont assurés :

[...]

2. des risques liés aux véhicules de toute nature, à la condition que le véhicule soit inscrit sur le territoire d’application de la présente loi dans un registre officiel ou soit officiellement reconnu et obtienne un numéro d’identification ;

[...] »

La SchRegO

17 La Schiffsregisterordnung (règlement sur les registres des navires), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « SchRegO »), prévoit, à son article 1er, paragraphe 1, que les registres des navires sont tenus par les Amtsgerichte (tribunaux de district, Allemagne).

18 L’article 3, paragraphe 2, de la SchRegO prévoit que les navires marchands et les autres navires destinés à la navigation maritime (navires de mer) sont inscrits dans le registre des navires, lorsqu’ils sont tenus ou en droit de battre pavillon allemand en vertu de l’article 1er ou de l’article 2 du Gesetz über das Flaggenrecht der Seeschiffe und die Flaggenführung der Binnenschiffe (Flaggenrechtsgesetz) [loi sur le droit du pavillon des navires de mer et le port du pavillon des bateaux de navigation intérieure (loi sur le droit du pavillon)], dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « FlaggRG »).

19 Aux termes de l’article 10, paragraphe 1, première phrase, de la SchRegO, le propriétaire d’un navire de mer est tenu d’inscrire un tel navire lorsque celui-ci est tenu de battre pavillon allemand en vertu de l’article 1er du FlaggRG.

20 L’article 14, paragraphe 1, de la SchRegO dispose qu’un navire ne peut pas être inscrit dans un registre des navires allemand aussi longtemps qu’il est inscrit dans un registre des navires étranger.

21 En cas d’autorisation de sortie de pavillon, l’article 17, paragraphe 2, de la SchRegO impose l’obligation de porter dans le registre des navires la mention de l’interdiction d’exercer le droit de battre pavillon allemand et de la durée de cette interdiction et prévoit que, si ladite autorisation est retirée, il convient de solliciter l’inscription au registre des navires de l’autorisation d’exercer à nouveau le droit de battre pavillon allemand.

Le FlaggRG

22 L’article 1er, paragraphe 1, du FlaggRG impose l’obligation de battre pavillon allemand à tous les navires marchands et autres navires destinés à la navigation maritime (navires de mer) dont les propriétaires sont des ressortissants allemands qui sont domiciliés sur le territoire d’application du Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland (loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne).

23 En vertu de l’article 6, paragraphe 1, du FlaggRG, les navires de mer qui doivent battre pavillon allemand en vertu de l’article 1er de cette loi ne sont pas autorisés à battre d’autres pavillons en tant que pavillon national.

24 Il découle de l’article 7, paragraphe 1, point 1, du FlaggRG que le Bundesamt für Seeschifffahrt und Hydrographie (Office fédéral allemand de la marine marchande et de l’hydrographie, ci-après le « BSH ») peut, dans certains cas, sur demande de l’armateur ou du fournisseur d’un navire de mer inscrit dans le registre des navires, accorder, pour une période maximale de deux ans et sous certaines conditions, une autorisation révocable de battre, en lieu et place du pavillon allemand, un autre pavillon national dont le port est autorisé par le droit étranger applicable, sans préjudice des droits et des obligations découlant du droit de l’Union.

25 En vertu de l’article 7a, paragraphe 3, du FlaggRG, le droit de battre pavillon allemand ne peut pas être exercé pendant toute la durée de validité de l’autorisation de sortie de pavillon.

Le litige au principal et la question préjudicielle

26 P & I est une société d’assurances établie au Royaume–Uni qui propose des assurances maritimes dans le monde entier et qui, depuis le 2 novembre 2011, est le successeur en droit de la Marine Shipping Mutual Insurance Company, entreprise ayant conclu les contrats d’assurance en cause au principal.

27 Lesdits contrats ont été conclus avec quatorze sociétés et couvrent divers risques liés à l’exploitation de navires de mer dont celles-ci sont les propriétaires. Ces contrats portent, en particulier, sur la responsabilité civile, la protection juridique, la couverture dite « casco » (divers types de dommages aux navires) et les risques de guerre.

28 Ces sociétés sont établies en Allemagne et sont inscrites au registre du commerce tenu par l’Amtsgericht Hamburg (tribunal de district de Hambourg, Allemagne) en tant que sociétés à responsabilité limitée de droit allemand.

29 Les navires de mer concernés sont tous inscrits au registre des navires tenu par ce même tribunal.

30 Sont également parties aux contrats d’assurance en cause au principal, en qualité de preneurs d’assurance ou de coassurés, tant l’entreprise d’armement maritime qui exerce ses activités en tant que gestionnaire desdites quatorze sociétés et dont la flotte comprend tous les navires de mer en cause au principal que des affréteurs coque nue établis au Liberia et à Malte.

31 Conformément à l’article 7, paragraphe 1, du FlaggRG, le BSH a autorisé les navires des sociétés en cause au principal à battre un pavillon national autre que le pavillon allemand, à savoir le pavillon maltais ou le pavillon libérien. Pendant la période de sortie de pavillon, ces navires sont toutefois restés inscrits au registre allemand des navires.

32 En vertu des contrats d’assurance en cause au principal, P & I a perçu une rémunération sous forme de primes d’assurance qui n’a pas fait l’objet d’une déclaration fiscale en Allemagne aux fins de la taxe sur les assurances.

33 À la suite d’un contrôle fiscal effectué en 2012, le BZS a émis un avis de recouvrement, daté du 11 novembre 2014, réclamant à P & I, au titre du mois de décembre 2009, le paiement de la taxe sur les assurances d’un montant de 13 374,57 euros.

34 Par décision du 15 janvier 2016, le BZS a rejeté l’opposition formée par P & I contre cet avis de recouvrement.

35 Cette société a alors saisi la juridiction de renvoi d’un recours dirigé contre cette décision en faisant valoir, notamment, que les primes d’assurance en cause au principal ne sont pas imposables en Allemagne à défaut de localisation dans cet État membre des risques liés aux navires assurés.

36 P & I estime, à cet égard, que l’État d’immatriculation, visé à l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, duquel relève la compétence fiscale relative auxdites primes d’assurance est celui ayant admis le navire concerné à la circulation. Il s’agirait plus précisément de l’État dont le navire bat pavillon dès lors que c’est cet État qui fixe le niveau de qualité exigé des navires battant son pavillon et qui porte donc la responsabilité du risque que constituent ces navires.

37 Le BZS soutient, en revanche, que le paiement des primes d’assurance en cause au principal est imposable en Allemagne dès lors qu’il résulte de l’article 1er, paragraphe 2, deuxième phrase, point 2, du VersStG que le législateur allemand a correctement transposé l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357 en rattachant l’assujettissement à la taxe sur les assurances non pas à l’« immatriculation » du navire concerné, au sens d’autorisation officielle à la circulation, mais à son inscription dans un registre officiel et à l’attribution audit navire d’un numéro d’identification. Or, seul constituerait un tel registre officiel le registre des navires lequel aurait pour finalité essentielle de prouver la propriété du navire concerné.

38 La juridiction de renvoi considère que, en appliquant exclusivement le droit national et, en particulier, l’article 1er, paragraphe 2, du VersStG, les primes d’assurance perçues par P & I devraient être imposées en Allemagne dès lors, notamment, que les navires de mer en cause au principal sont enregistrés en Allemagne dans un « registre officiel ou officiellement reconnu », au sens de cette disposition, à savoir le registre des navires.

39 Toutefois, cette juridiction s’interroge sur le point de savoir si, s’agissant de l’assurance relative aux « véhicules de toute nature », visée à l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, le « Zulassungsmitgliedstaat », à savoir soit l’« État membre d’admission » soit l’« État membre d’immatriculation », cette dernière notion n’étant pas définie, pourrait se référer à l’État dont le navire bat pavillon, à savoir l’État qui fixe les normes juridiques applicables à l’exploitation du navire de mer dans le trafic général et, partant, les conditions encadrant son utilisation.

40 Enfin, la juridiction de renvoi se demande, en se référant à la jurisprudence de la Cour (arrêts du 14 juin 2001, Kvaerner, C‑191/99, EU:C:2001:332, et du 17 janvier 2019, A, C‑74/18, EU:C:2019:33), dans quelle mesure il est possible, lorsqu’il s’agit d’interpréter l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, de se fonder uniquement sur l’inscription du véhicule dans un registre sans prendre en compte l’admission de ce véhicule à la circulation.

41 Dans ces conditions, le Finanzgericht Köln (tribunal des finances de Cologne, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 2, sous d), deuxième tiret, de la [deuxième directive 88/357], lu conjointement [avec l’]article 25, paragraphe 1, premier membre de phrase, [de cette directive], ou [avec] l’article 46, paragraphe 2, de la directive [92/49], doit-il être interprété, aux fins de la détermination de l’État membre où le risque est situé, en ce sens que cet État est, aux fins de la couverture des risques liés à l’exploitation d’un navire de mer, l’État sur le territoire duquel ce navire est inscrit dans un registre officiel aux fins de la preuve du titre de propriété, ou l’État dont le navire bat pavillon ? »

Sur la question préjudicielle

42 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/49, lu en combinaison avec l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, doit être interprété en ce sens que, lorsque des contrats d’assurance portent sur la couverture de divers risques liés à l’exploitation de navires de mer inscrits dans le registre des navires tenu par un État membre, mais battant pavillon d’un autre État membre ou d’un État tiers en vertu d’une autorisation de sortie de pavillon temporaire, doit être considéré comme étant l’« État membre d’immatriculation » du navire concerné et, partant, comme étant l’« État membre où le risque est situé », au sens de ces dispositions, ayant le pouvoir exclusif de taxation des primes versées au titre desdits contrats d’assurance, l’État membre qui tient le registre des navires dans lequel ce navire est inscrit aux fins, principalement, de la preuve du titre de propriété dudit navire ou l’État membre ou l’État tiers dont le même navire bat pavillon.

43 Il résulte d’une lecture combinée de l’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/49 et de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357 que, lorsqu’un contrat d’assurance porte sur « des véhicules de toute nature », le contrat est « exclusivement soumis aux impôts indirects et taxes parafiscales grevant les primes d’assurance » dans l’« État membre d’immatriculation » du véhicule concerné dès lors que ce dernier État est considéré comme étant l’« État membre où le risque est situé ».

44 La particularité de l’affaire au principal réside dans le fait que les navires en cause ont été inscrits dans le registre des navires tenu par l’Amtsgericht Hamburg (tribunal de district de Hambourg) et demeurent inscrits dans ce registre, alors même que, à la suite de l’octroi d’une autorisation de sortie de pavillon accordée par le BSH, qui est l’autorité allemande compétente en la matière, ces navires battent temporairement pavillon d’un autre État membre ou d’un pays tiers.

45 C’est dans une telle situation exceptionnelle que se pose la question de savoir si l’« État membre d’immatriculation », au sens de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, et, partant, « l’État membre où le risque est situé », au sens de l’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/49, est l’État qui tient le registre des navires dans lequel est inscrit le navire concerné aux fins, principalement, de prouver la propriété de ce navire ou plutôt l’État dont ledit navire bat pavillon, dans lequel ce navire peut également être inscrit dans un registre.

46 À titre liminaire, il convient de rappeler, en premier lieu, que la Cour a déjà jugé que, en l’état actuel du droit de l’Union, il appartient aux États membres de déterminer, conformément aux règles générales du droit international, les conditions nécessaires pour permettre l’immatriculation des navires dans leurs registres ainsi que pour accorder à ces navires le droit de battre leur pavillon, et que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter les règles du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 1991, Factortame e.a., C‑221/89, EU:C:1991:320, points 13 et 14), étant entendu que, conformément à l’article 91, paragraphe 1, de la convention de Montego Bay, convention pour l’interprétation de laquelle la Cour est compétente (arrêt du 7 mai 2020, Rina, C‑641/18, EU:C:2020:349, point 46 et jurisprudence citée), il doit exister un « lien substantiel » entre l’État et les navires en cause, que ce soit aux fins de leur immatriculation sur le territoire de cet État ou de l’octroi du droit ou de la possibilité, pour ces navires, de battre pavillon dudit État.

47 En second lieu, il y a lieu de relever que l’État membre compétent pour soumettre à l’impôt les primes d’assurance en vertu des dispositions combinées de l’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/49 et de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357 est l’État membre sur le territoire duquel le véhicule est immatriculé à la date du paiement de ces primes et non celui sur le territoire duquel le véhicule était immatriculé lors de la conclusion du contrat d’assurance, dès lors qu’il convient de retenir une interprétation dite « dynamique » de ces dispositions (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2013, RVS Levensverzekeringen, C‑243/11, EU:C:2013:85, point 53).

48 S’agissant de l’interprétation de la notion d’« État membre d’immatriculation », au sens de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, selon une jurisprudence constante, il découle tant des exigences de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de cette disposition, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir en ce sens, notamment, arrêts du 21 février 2013, RVS Levensverzekeringen, C‑243/11, EU:C:2013:85, point 23, et du 19 décembre 2013, Fish Legal et Shirley, C‑279/12, EU:C:2013:853, point 42 ainsi que jurisprudence citée). La genèse d’une disposition du droit de l’Union pourrait également, comme l’a notamment relevé la Commission européenne, être pertinente pour son interprétation [arrêt du 25 juin 2020, A e.a. (Éoliennes à Aalter et à Nevele), C‑24/19, EU:C:2020:503, point 37 ainsi que jurisprudence citée].

49 Force est de constater que la notion d’« État membre d’immatriculation », au sens de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, n’est pas définie par le législateur de l’Union et que cette disposition ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée. Il y a, dès lors, lieu de dégager une interprétation autonome et uniforme de cette notion.

50 En l’occurrence, une telle interprétation uniforme est d’autant plus importante que le seul but de ladite disposition est d’identifier l’État membre qui a le pouvoir exclusif de taxation des primes d’assurance en vertu de l’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/49.

51 S’agissant, d’abord, du libellé de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, les doutes qu’éprouve la juridiction de renvoi quant à l’interprétation de cette disposition tiennent en particulier à l’ambigüité dont est empreinte la version en langue allemande de cette disposition, en ce que celle-ci utilise la notion de « Zulassungsmitgliedstaat » qui, selon le contexte dans lequel elle est utilisée, renvoie soit à l’État membre d’enregistrement ou d’immatriculation du véhicule soit à l’État membre d’admission ou d’autorisation à la circulation de celui-ci.

52 P & I se fonde sur la notion de « Zulassungsmitgliedstaat », dans son acception d’État membre d’admission ou d’autorisation à la circulation, pour faire valoir que serait visé par la notion d’« État membre d’immatriculation », au sens de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, l’État qui a autorisé ou admis le véhicule, en l’occurrence le navire, à la circulation, ce qui serait attesté par son immatriculation. Dès lors que, contrairement à d’autres véhicules tels que les automobiles, les motocycles ou les aéronefs, il n’existe pas de réglementation au niveau de l’Union sur l’admission ou l’autorisation à la circulation des navires, il y aurait lieu de se référer à l’État dont le navire bat pavillon dans la mesure où cet État prévoit le cadre normatif applicable à l’exploitation de ce navire, ce qui serait en lien avec le risque attaché au navire lors de son exploitation.

53 Toutefois, comme l’a également relevé M. l’avocat général au point 49 de ses conclusions, toutes les versions linguistiques de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357 autres que la version en langue allemande utilisent soit la notion d’État membre d’« enregistrement » soit celle d’État membre d’« immatriculation ».

54 Or, selon une jurisprudence constante, la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques (arrêt du 12 septembre 2019, A e.a., C‑347/17, EU:C:2019:720, point 38 ainsi que jurisprudence citée).

55 À cet égard, il y a lieu de relever que la notion de « Zulassungsmitgliedstaat », entendue dans l’une de ses deux acceptions, à savoir celle d’État membre d’enregistrement ou d’immatriculation, s’accorde avec la terminologie utilisée dans toutes les autres versions linguistiques de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357.

56 Plaide également contre une interprétation de cette disposition selon laquelle celle-ci se référerait à l’État membre d’admission ou d’autorisation à la circulation, le fait que, pour les navires, il n’existe pas, contrairement aux autres véhicules visés par cette disposition, de réglementation à l’échelle de l’Union relative à une telle admission ou autorisation.

57 Partant, sur le plan d’un examen du seul libellé de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, il y a lieu de considérer que cette disposition, appréhendée au regard de l’ensemble de ses versions linguistiques, se réfère à l’État membre d’enregistrement ou d’immatriculation du navire plutôt qu’à l’État membre de son autorisation ou de son admission à la circulation auquel la seule version en langue allemande de cette disposition est susceptible de pouvoir se référer au titre de l’une des deux acceptions de la notion de « Zulassungsmitgliedstaat ».

58 Il convient d’ajouter que, selon leur acception habituelle, les notions d’« enregistrement » et d’« immatriculation » d’un navire sont interchangeables aux fins de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, ainsi qu’il ressort d’ailleurs des différentes versions linguistiques de cette disposition autres que la version en langue allemande, qui, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 53 du présent arrêt, utilisent l’une ou l’autre de ces deux notions.

59 Cela étant, toujours au regard du seul libellé de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, il ne semble a priori pas pouvoir être exclu que les notions d’« État membre d’enregistrement » ou d’« État membre d’immatriculation » puissent englober, outre l’État qui tient le registre dans lequel les navires sont inscrits aux fins de la preuve du titre de propriété de ceux-ci et, le cas échéant, d’autres droits réels inscrits sur lesdits navires y compris des hypothèques grevant ceux-ci, l’État dont les navires battent pavillon, étant donné également, ainsi que le prévoit l’article 94, paragraphe 2, sous a), de la convention de Montego Bay, que tout État est tenu d’inscrire les navires battant son pavillon dans le registre des pavillons nationaux.

60 En ce qui concerne, ensuite, la genèse de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, il y a lieu de relever que la proposition initiale de la Commission, présentée le 30 décembre 1975 [COM(1975) 516 final] (JO 1976, C 32, p. 2), à l’origine de cette deuxième directive, prévoyait que « l’ État membre où le risque est situé » devait s’entendre comme étant soit « l’État membre d’immatriculation, lorsque l’assurance porte sur les corps de véhicules terrestres » soit « l’État membre où le preneur d’assurance a sa résidence habituelle, pour autant que celui-ci soit propriétaire du véhicule ou ait un intérêt financier dans ce véhicule ou soit gestionnaire du véhicule, et à défaut l’État membre d’immatriculation du véhicule, lorsque l’assurance porte sur les corps de véhicules ferroviaires, les corps de véhicules aériens et les corps de véhicules maritimes, lacustres et fluviaux ».

61 Dans la proposition de directive modifiée, du 16 février 1978 [COM(1978) 63 final], ces deux critères de rattachement avaient été maintenus, mais leur ordre avait été inversé, de sorte que le rattachement à l’État membre de résidence habituelle du preneur d’assurance n’était applicable que dans l’hypothèse, visée par le critère par défaut, dans laquelle le véhicule n’était pas immatriculé.

62 Quant à la version finale de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, elle ne mentionne que l’« État membre d’immatriculation », et ce pour tous les véhicules, y compris les navires.

63 Si le critère de rattachement à l’État membre de résidence habituelle ou d’établissement du preneur d’assurance se retrouve dans la règle résiduelle figurant au dernier tiret de l’article 2, sous d), de la deuxième directive 88/357, cette règle ne s’applique pas aux assurances relatives à des véhicules de toute nature dès lors que celles-ci sont spécifiquement visées au deuxième tiret de cette disposition. Partant, cette règle résiduelle n’a pas d’incidence directe sur l’interprétation des termes figurant au deuxième tiret de ladite disposition.

64 Il n’en demeure pas moins, ainsi que le soutient la Commission, que la genèse de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357 semble pouvoir suggérer que le critère de rattachement à l’« État membre d’immatriculation » se réfère implicitement au lien existant entre une personne ou une société ayant la propriété du navire concerné ou un intérêt financier dans ce navire et l’État qui tient le registre des navires dans lequel ledit navire est inscrit, attestant la propriété de celui-ci.

65 Toutefois, il y a lieu d’admettre que la genèse de cette disposition peut également être comprise en ce sens que le fait que le législateur de l’Union ait finalement retenu le seul critère de rattachement à l’« État membre d’immatriculation » suggère que le critère alternatif se référant à la résidence habituelle du preneur d’assurance qui est le propriétaire du véhicule concerné, lequel a un intérêt financier dans ce véhicule ou est le gestionnaire de celui-ci, ne devrait pas jouer de rôle dans le cadre du deuxième tiret de l’article 2, sous d), de la deuxième directive 88/357, mais tout au plus dans le cadre du dernier tiret de cette disposition.

66 Ainsi, cette genèse ne permet pas de conclure quelle interprétation il convient de retenir de la notion d’« État membre d’immatriculation », au sens de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357.

67 S’agissant, enfin, du contexte et de la finalité des dispositions de l’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/49 et de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de cet article 2, sous d), que le législateur de l’Union a entendu proposer, pour tous les types de risques assurés, une solution permettant de déterminer l’État où le risque est situé en se basant sur des critères d’ordre concret et physique plutôt que sur des critères d’ordre juridique. Le but poursuivi était que corresponde à chaque risque un élément concret permettant de le localiser dans un État membre déterminé (arrêt du 14 juin 2001, Kvaerner, C‑191/99, EU:C:2001:332, point 44).

68 Ainsi, en vertu, par exemple, de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, si le contrat porte sur un véhicule, l’État membre où le risque est situé est celui de l’immatriculation de ce véhicule, même s’il ne s’agit pas de l’État membre dans lequel ledit véhicule est utilisé (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2001, Kvaerner, C‑191/99, EU:C:2001:332, point 45).

69 En outre, à la lumière du considérant 30 de la directive 92/49, il apparaît que l’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de celle-ci vise à atténuer le risque que des différences dans la structure et dans les taux des impositions indirectes grevant les opérations d’assurance ne se traduisent par des distorsions de concurrence entre les États membres en matière de services d’assurance (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2001, Kvaerner, C‑191/99, EU:C:2001:332, point 49).

70 Le choix de la situation du risque comme critère déterminant l’État ayant le pouvoir d’imposition est de nature à éliminer les distorsions de concurrence entre les entreprises relevant d’États membres différents offrant des services d’assurance (arrêt du 14 juin 2001, Kvaerner, C‑191/99, EU:C:2001:332, point 50).

71 Ce choix permet également d’écarter le danger d’une double imposition ainsi que la possibilité d’éluder l’impôt, étant donné que correspond à chaque risque un établissement et donc un État membre (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2001, Kvaerner, C‑191/99, EU:C:2001:332, point 51).

72 Il s’ensuit que l’interprétation des dispositions de l’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/49 et de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357 doit tenir dûment compte de l’objectif visant à éliminer les distorsions de concurrence entre les entreprises relevant d’États membres différents offrant des services d’assurance, lequel implique que soit écarté le danger tant d’une double imposition que d’un contournement de l’impôt, en privilégiant une interprétation qui assure que le risque concerné soit localisé dans un seul État membre et qui soit fondé sur une acception du critère de localisation du risque qui repose sur des éléments concrets et physiques plutôt que sur des critères d’ordre juridique.

73 Se pose, dès lors, au regard des finalités desdites dispositions, la question de savoir s’il découle de celles-ci que la notion d’« État membre d’immatriculation », au sens de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, doit être interprétée comme se référant à l’État membre qui tient un registre, tel le registre des navires, dans lequel les navires sont inscrits servant à identifier ceux-ci en lien avec leur propriétaire, lesquels sont responsables de ces navires, ou plutôt à l’État dont lesdits navires battent pavillon, lequel, conformément à l’article 94 de la convention de Montego Bay, « tient un registre maritime où figurent les noms et les caractéristiques des navires battant son pavillon », « exerce effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires » et prend « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité en mer ».

74 S’agissant de l’objectif consistant à éviter une double imposition, il convient de rappeler, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 46 du présent arrêt, que, en l’état actuel du droit de l’Union et conformément au droit international, chaque État membre fixe les conditions d’immatriculation des navires sur son territoire ainsi que les conditions requises pour qu’ils aient le droit de battre son pavillon et, partant, pour qu’ils aient sa nationalité, étant entendu que, conformément à l’article 91, paragraphe 1, de la convention de Montego Bay, il doit exister un « lien substantiel » entre l’État et les navires en cause.

75 Il ne saurait donc être exclu, faute d’harmonisation au niveau de l’Union des règles en matière d’immatriculation de navires, qu’un navire soit immatriculé dans plusieurs États membres dès lors qu’existent des liens substantiels entre ce navire et plusieurs États membres, ce qui pourrait conduire à plusieurs impositions.

76 Toutefois, d’une part, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 75 de ses conclusions, les législations de la plupart des États membres excluent les inscriptions multiples pouvant conduire à plusieurs impositions.

77 En l’occurrence, l’article 14, paragraphe 1, de la SchRegO dispose qu’un navire ne peut être inscrit dans un registre des navires allemand aussi longtemps qu’il est inscrit dans un registre des navires étranger.

78 D’autre part, il y a lieu de constater que l’article 92, paragraphe 1, de la convention de Montego Bay dispose que « les navires naviguent sous le pavillon d’un seul État », ce qui, si le critère de rattachement à l’État du pavillon était retenu aux fins de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, serait de nature à exclure une double immatriculation et, partant, une double imposition.

79 En l’occurrence, l’article 6, paragraphe 1, du FlaggRG prévoit que les navires de mer qui doivent battre pavillon allemand en vertu de l’article 1er de cette loi ne sont pas autorisés à battre d’autres pavillons en tant que pavillon national.

80 Cela étant, recourir à l’État du pavillon pour localiser le risque aux fins de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357 ne permet pas d’écarter le danger d’un contournement de l’impôt, qui est une autre finalité de l’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/49 et de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, ainsi que le démontre précisément l’affaire en cause au principal caractérisée par une sortie de pavillon des navires concernés, certes autorisée au départ par l’État dans lequel ces navires étaient et demeurent inscrits, et le choix d’un autre État du pavillon présentant des liens manifestement moins directs et concrets avec ces navires que l’État membre dans lequel ils sont immatriculés aux fins, principalement, de la preuve de leur propriété.

81 Il s’ensuit, comme l’a également relevé M. l’avocat général au point 73 de ses conclusions, que recourir à l’État qui tient le registre des navires dans lequel les navires sont inscrits afin de localiser le risque aux fins de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357 permet de mieux répondre à l’ensemble des objectifs de cette directive consistant à éviter les risques de double imposition et de contournement de l’impôt.

82 En outre, l’interprétation de la notion d’« État membre d’immatriculation », au sens de l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, doit également être dégagée au regard de la finalité de cette disposition, déjà rappelée au point 67 du présent arrêt, qui consiste à déterminer l’État où le risque est situé en se basant sur des critères d’ordre concret et physique, afin que corresponde à chaque risque un élément concret permettant de le localiser dans un État membre déterminé (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2001, Kvaerner, C‑191/99, EU:C:2001:332, point 44).

83 Or, le registre des navires, en ce qu’il a, principalement, comme finalité d’identifier le propriétaire du navire qui y est inscrit, sur lequel pèse en tout premier lieu la responsabilité pour les risques liés à ce navire et son exploitation, raison pour laquelle celui-ci souscrit à un contrat d’assurance couvrant ces risques afin de protéger ses intérêts patrimoniaux dans ledit navire, permet de localiser les risques liés à celui-ci dans un État membre déterminé sur la base d’un élément concret et physique, à savoir le lien entre le propriétaire de ce même navire et l’État membre dans lequel celui-ci est immatriculé pouvant être davantage articulé, le cas échéant, comme étant l’État membre dont ledit propriétaire a la nationalité et/ou dans lequel celui-ci a sa résidence ou est établi.

84 Un tel critère de rattachement permet également de couvrir des cas de figure complexes qui sont courants dans le domaine des assurances maritimes et dont témoigne l’affaire au principal en ce qu’elle est caractérisée par la couverture de risques très divers que posent l’exploitation de navires et l’implication d’entreprises d’armement maritime et d’affrètement coque nue.

85 En outre, ce critère peut être appliqué de manière uniforme aux « véhicules de toute nature » tels que visés à l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357.

86 En revanche, ainsi que l’a également observé la Commission, il n’existe a priori pas de lien concret et direct entre l’État dont le navire bat pavillon et la responsabilité pour le risque lié au navire permettant de localiser ce risque sur le territoire de cet État.

87 En effet, si, certes, l’État dont le navire bat pavillon exerce sur celui-ci son contrôle et prend des mesures pour assurer sa sécurité en mer, ces considérations n’ont pas, en tant que telles, de rapport avec le risque propre à l’exploitation de ce navire en lien avec son propriétaire ayant en tout premier lieu intérêt à assurer ledit navire pour protéger ses intérêts financiers dans celui-ci.

88 Enfin, il y a lieu de rappeler que, pour déterminer l’État membre où se situe le risque, au sens de l’article 2, sous d), de la deuxième directive 88/357, il convient d’identifier, en particulier, l’activité précise dont les risques sont couverts par les différents contrats d’assurance en cause au principal (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2019, A, C‑74/18, EU:C:2019:33, point 31).

89 Or, ainsi que l’a également relevé, en substance, M. l’avocat général au point 85 de ses conclusions, il y a lieu de constater, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que, en l’occurrence, la localisation en Allemagne des divers risques liés à l’exploitation des navires concernés est confirmée par le fait que les contrats d’assurance en cause au principal couvrant ces risques, tels que souscrits, notamment, par les sociétés propriétaires des navires sur lesquelles pèsent en tout premier lieu la responsabilité pour ces navires et leur exploitation semblent être restés inchangés nonobstant la sortie de pavillon temporaire desdits navires.

90 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/49, lu en combinaison avec l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357, doit être interprété en ce sens que, lorsque des contrats d’assurance portent sur la couverture de divers risques liés à l’exploitation de navires de mer inscrits dans le registre des navires tenu par un État membre, mais battant pavillon d’un autre État membre ou d’un État tiers en vertu d’une autorisation de sortie de pavillon temporaire, doit être considéré comme étant l’« État membre d’immatriculation » du navire concerné et, partant, comme étant l’« État membre où le risque est situé », au sens de ces dispositions, ayant le pouvoir exclusif de taxation des primes versées au titre desdits contrats d’assurance, l’État membre qui tient le registre des navires dans lequel ce navire est inscrit aux fins, principalement, de la preuve du titre de propriété de celui-ci.

Sur les dépens

91 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

L’article 46, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/49/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive « assurance non vie »), lu en combinaison avec l’article 2, sous d), deuxième tiret, de la deuxième directive 88/357/CEE du Conseil, du 22 juin 1988, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, fixant les dispositions destinées à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services et modifiant la directive 73/239/CEE, doit être interprété en ce sens que, lorsque des contrats d’assurance portent sur la couverture de divers risques liés à l’exploitation de navires de mer inscrits dans le registre des navires tenu par un État membre, mais battant pavillon d’un autre État membre ou d’un État tiers en vertu d’une autorisation de sortie de pavillon temporaire, doit être considéré comme étant l’« État membre d’immatriculation » du navire concerné et, partant, comme étant l’« État membre où le risque est situé », au sens de ces dispositions, ayant le pouvoir exclusif de taxation des primes versées au titre desdits contrats d’assurance, l’État membre qui tient le registre des navires dans lequel ce navire est inscrit aux fins, principalement, de la preuve du titre de propriété de celui-ci.