CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 avril 2021, n° 19/19448
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Johnson & Johnson Santé Beauté France (Sasu)
Défendeur :
Carrefour France (SAS), Carrefour Hypermarchés (SAS), CSF (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
Le groupe Carrefour opère dans la grande distribution en France et à l'étranger.
La société Johnson & Johnson Santé Beauté France (qui sera désignée également par « la société JJSBF ») vient aux droits de la société Laboratoires Vendôme (qui sera désignée également par « la société LV »), suivant acquisition en date du 10 mai 2006 par la société Jonhson & Johnson Consumer France devenue JJSBF le 1er janvier 2011, celle-ci ayant notamment pour activité la vente de produits d'hygiène aux enseignes de la grande distribution.
La SAS Carrefour France est la société holding pour la France du groupe Carrefour, tandis que les SAS Carrefour Hypermarchés et CSF achètent les produits distribués dans les magasins de l'enseigne. Ces trois sociétés du groupe Carrefour seront désignées également par « les sociétés du groupe Carrefour ».
La société JJSBF a eu à répondre devant l'Autorité de la concurrence des agissements de la société LV, mise en cause pour des pratiques ayant cessé le 3 février 2006 et ayant reposé, à titre principal, sur sa participation à des réunions structurées en vue de l'échange d'informations commercialement sensibles dans le secteur de l'hygiène, aux seins de deux cercles distincts réunissant d'une part les directeurs commerciaux d'entreprises actives dans ce secteur (les réunions Team PCP - pour Personal Care Products), et les responsables de vente d'entreprises actives dans ce même secteur (les réunions des Amis).
Par arrêt confirmatif et définitif de la présente Cour (Chambre 5-7) rendu sur l'appel, interjeté notamment par la société JJSBF, de la décision n° 14-D-19 du 18 décembre 2014 de l'Autorité de la concurrence, cette société a été déclarée coupable et s'est vue infliger une sanction pécuniaire de 8 130 000 euros pour avoir enfreint les dispositions de l'article 81, paragraphe 1, du traité CE, devenu l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, et de l'article L. 420-1 du code de commerce, en participant, entre le 22 janvier 2003 et le 3 février 2006, dans la seule mesure indiquée aux points 982 et suivants de la décision de l'Autorité de la concurrence, à une entente unique, complexe et continue sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'hygiène, qui visait à maintenir ses marges par une concertation sur les prix des produits d'hygiène pratiqués à l'égard de la grande distribution.
C'est ainsi que la société JJSBF, qui a choisi de ne pas contester le grief devant l'Autorité de la concurrence, a été tenue responsable, en tant que personne morale mise en cause, des actes de la société Laboratoires Vendôme pour avoir participé, dans le secteur de l'hygiène, entre le 21 septembre 2004 et le 3 février 2006 aux seules pratiques concertées suivantes :
. celle organisée dans le cadre du Cercle des Amis;
. celle consistant à avoir pris part aux correspondances relatives aux chiffres d'affaires organisées dans le cadre du Cercle Team PCP.
En revanche, aux termes de la décision de l'Autorité de la concurrence déjà mentionnée, l'entreprise n'a pas été tenue responsable des autres pratiques concertées constitutives de l'entente unique dans le secteur de l'hygiène qui ont été retenues contre d'autres acteurs de ce même secteur.
Par acte extrajudiciaire du 23 janvier 2017, les sociétés du groupe Carrefour déjà mentionnées ont assigné la société JJSBF devant le tribunal de commerce de Paris, afin d'être indemnisées du préjudice ayant découlé des pratiques anticoncurrentielles de la société LV.
C'est dans ces conditions que le Tribunal de commerce de Paris, par un jugement du 23 septembre 2019, a :
- débouté la société Johnson & Johnson Santé Beauté France de son exception d'irrecevabilité tirée de la prescription ;
- dit qu'il résulte de la décision de l'Autorité de la concurrence et de l'arrêt confirmatif de la Cour d'appel de Paris une présomption de la faute commise par la société Johnson & Johnson Santé Beauté France que la société Johnson & Johnson Santé Beauté France s'est montrée défaillante à renverser ;
- dit que le lien de causalité direct entre la faute et le préjudice est établi ;
- condamné la société Johnson & Johnson Santé Beauté France à verser aux sociétés Carrefour France, Carrefour Hypermarchés et CSF, à titre de dommages-intérêts, la somme nominale de 4 000 000 euros assortie de l'intérêt légal à compter du 1er janvier 2006 à hauteur de 1 380 000 euros et à compter du 1er janvier 2007 à hauteur de 2 620 000 euros ;
- condamné la société Johnson & Johnson Santé Beauté France à verser aux sociétés du groupe Carrefour la somme de 60 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté des demandes autres, plus amples ou contraires ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- condamné la société Johnson & Johnson Santé Beauté France aux dépens.
La société JJSBF a formé appel de ce jugement le 18 octobre 2019.
Par dernières conclusions notifiées et déposées par la voie électronique valant signification le 22 septembre 2020, la société Johnson & Johnson Santé Beauté France, demande à la Cour de :
- vu les articles 4 et 5, 7, 16 et 455 du code de procédure civile ;
- vu l'article 1240 du Code civil ;
- vu l'article 2224 du Code civil ;
- annuler le jugement entrepris ;
- statuant à nouveau :
- déclarer irrecevable comme prescrite l'action des sociétés du groupe Carrefour ;
- à titre subsidiaire :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de son exception d'irrecevabilité ;
- déclarer irrecevable comme prescrite l'action des sociétés du groupe Carrefour ;
- à titre très subsidiaire :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
. dit qu'il résulte de la décision de l'Autorité de la concurrence et de l'arrêt confirmatif de la Cour d'Appel de Paris une présomption de la faute commise par la concluante et qu'elle s'est montrée défaillante à renverser ;
. dit que le lien de causalité directe entre la faute et le préjudice est établi ;
. condamné la concluante à verser aux sociétés Carrefour France, Carrefour Hypermarchés et CSF, à titre de dommages-intérêts, la somme nominale de 4 000 000 euros assortie de l'intérêt légal à compter du 1er janvier 2006 à hauteur de 1 380 000 euros et à compter du 1er janvier 2007 à hauteur de 2 620 000 euros ;
. condamné la concluante à verser aux sociétés Carrefour France, Carrefour Hypermarchés et CSF, la somme de 60 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
. débouté « des demandes autres, plus amples et contraires », mais uniquement lorsqu'il déboute la concluante de ses demandes ;
. ordonné l'exécution provisoire ;
. condamné la concluante aux dépens ;
- statuant à nouveau,
- dire que les sociétés du groupe Carrefour ne rapportent pas la preuve d'une faute commise par la société LV, d'un préjudice direct et certain et d'un lien de causalité direct et certain entre les deux ;
- débouter les sociétés du groupe Carrefour de l'ensemble de leurs demandes ;
- à titre infiniment subsidiaire,
- dire que la méthode de calcul du préjudice des sociétés du groupe Carrefour retenue par le jugement entrepris contient de multiples erreurs et lacunes ;
- dire que la correction de ces erreurs aboutit à un préjudice actualisé de 35 997 euros ;
- en conséquence :
- infirmer le jugement entrepris :
. en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 4 000 000 euros en valeur nominale aux sociétés du groupe Carrefour ;
. en ce qu'il l' a condamnée à verser aux sociétés du groupe Carrefour la somme de 60 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire qu'une éventuelle condamnation prononcée à son encontre ne pourrait excéder la somme de 35 997 euros après actualisation au taux légal ;
- en tout état de cause :
- dire que l'appel incident des sociétés du groupe Carrefour devra être intégralement rejeté ;
- condamner les sociétés du groupe Carrefour à lui verser la somme de 90 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner les sociétés du groupe Carrefour aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées et déposées par la voie électronique valant signification le 7 septembre 2020 par les sociétés Carrefour France, Carrefour Hypermarchés et CSF demandent à la Cour de :
- vu l'article 1240 du Code civil ;
- vu l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
- vu l'article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne ;
- déclarer la société JJSBF mal fondée en son appel ;
- déclarer La société JJSBF mal fondée en toutes ses demandes ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
. débouté La société JJSBF de son exception d'irrecevabilité ;
. retenu l'existence d'une faute ;
. dit que le lien de causalité directe entre la faute et le préjudice est établi ;
. condamné la société JJSBF à leur verser la somme de 60 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
. condamné la société JJSBF aux dépens ;
- l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau :
- condamner la société JJSBF à leur verser la somme nominale de 5 millions d'euros assortie de l'intérêt légal à compter du 1er janvier 2006 à hauteur de 3,2 millions d'euros et à compter du 1er janvier 2007 à hauteur de 1,8 millions d'euros jusqu'à parfait paiement ;
- à titre subsidiaire, condamner la société JJSBF à leur verser la somme nominale de 4,2 millions d'euros assortie de l'intérêt légal à compter du 1er janvier 2006 à hauteur de 3,1 millions d'euros et à compter du 1er janvier 2007 à hauteur de 1,2 millions d'euros jusqu'à parfait paiement ;
- à titre infiniment subsidiaire, condamner la société JJSBF à leur verser la somme nominale de 1,3 millions d'euros assortie de l'intérêt légal à compter du 1er janvier 2007 jusqu'à parfait paiement ;
- Y ajoutant :
- condamner la société JJSBF à leur verser la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner La société JJSBF aux entiers dépens.
Par arrêt avant dire droit du 16 décembre 2020, la Cour a rouvert les débats pour la régularisation de la communication d'une pièce de la société JJSBF.
SUR CE
LA COUR
- Sur la nullité du jugement
L'appelante à titre principal invoque les quatre griefs suivant à l'appui de sa demande en annulation du jugement :
- la société JJSBF soutient que le jugement dont appel est fondé sur des faits ne figurant pas dans le débat, dans la mesure où les montants et les taux de marge arrière ne figurent dans aucun des éléments produits aux débats, en violation manifeste de l'article 7 du Code de procédure civile ;
- elle expose que le jugement a été rendu en violation du principe de la contradiction en ce qu'il a calculé le préjudice allégué par les intimées en se fondant sur des données de marge arrière et de chiffre d'affaire sur lesquelles les parties n'ont pas été en mesure de présenter la moindre observation, en violation manifeste de l'article 16 du Code de procédure civile ;
- elle considère que les premiers juges ont statué en méconnaissance de l'objet du litige déterminé par les parties en ce que le Tribunal a examiné une méthode de quantification alternative qu'elle a invoquée à titre très subsidiaire, sans avoir auparavant ni examiné ni rejeté l'ensemble des moyens qu'elle avait invoqués à titre subsidiaire, par lesquels elles soutenait que la preuve n'était pas rapportée par les sociétés Carrefour d'un préjudice actuel, direct et certain, chiffré de manière objective et pertinente, contrevenant ainsi aux articles 4 et 5 du Code de procédure civile;
- selon elle, le jugement contient un défaut de motivation en ce qu'il n'a apporté aucun élément de réponse à ses moyens, tant à titre principal qu'à titre subsidiaire, s'agissant du calcul du préjudice allégué, contrevenant ainsi aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Pour s'opposer à la nullité, les sociétés Carrefours répondent essentiellement que :
- les erreurs du Tribunal dans les données ayant servi de base au calcul de leur préjudice ne concernent qu'une partie du dispositif ;
- le jugement ayant exactement caractérisé la faute de la société JJSBF et le lien de causalité entre cette faute et leur préjudice, seule une réformation du jugement, en non son annulation, serait justifiée.
Sur ce, la Cour :
Il sera rappelé que lorsque la nullité alléguée concerne non pas la saisine du premier juge mais, comme en l'espèce, une défectuosité de la procédure suivie devant celui-ci, le juge d'appel, saisi de l'entier litige, est tenu de se prononcer sur le fond du droit, sans même devoir statuer préalablement sur le moyen tiré de l'irrégularité du jugement.
En l'espèce, il sera donc procédé directement à l'examen du fond du droit.
- Sur l'irrecevabilité tirée de la prescription
La société JJSBF reproche au jugement de première instance d'avoir retenu que le point de départ de la prescription de l'action des sociétés du groupe Carrefour devait être fixé au 18 décembre 2014, jour du prononcé de la décision de l'Autorité de la concurrence.
La société JJSBF soutient qu'en vertu de l'article 2224 du code civil, le délai de prescription a commencé à courir le jour où les sociétés du groupe Carrefour ont eu connaissance des pratiques reprochées à la société LV. La société JJSBF estime que les sociétés du groupe Carrefour avaient eu connaissance des pratiques reprochées à la société LV depuis plus de 5 ans lorsqu'elles ont assigné la société JJSBF, en particulier à cause de nombreux articles de presse qui ont fait état, dès février 2008, de l'existence d'une enquête de l'Autorité de la concurrence dans les secteurs des produits d'entretien et d'hygiène. La société JJSBF soutient également que, dans le cadre de l'instruction de l'affaire, les rapporteurs de l'Autorité ont souhaité auditionner les responsables des achats des sociétés du groupe Carrefour en juin 2011.
La société JJSBF estime ainsi que les sociétés du groupe Carrefour ont eu, au plus tard au mois de juin 2011, une pleine connaissance des faits et des pratiques sur lesquels elles ont fondé leur demande indemnitaire et qu'ainsi, le délai de prescription de l'action des sociétés du groupe Carrefour a commencé à courir en juin 2011, n'a pas été interrompu et a donc couru jusqu'à son terme en juin 2016.
La société JJSBF soutient encore que la prescription n'a pas été interrompue par l'ouverture de la procédure devant l'Autorité de la concurrence, et que l'article L. 462-7 alinéa 4 du code de commerce, entré en vigueur le 19 mars 2014, n'est pas applicable en l'espèce.
La société JJSBF estime inopérant en l'espèce le moyen fondé sur l'arrêt Cogeco de la Cour de justice de l'union européenne (CJUE, 28 mars 2019, Cogeco, aff. C-637/17, § 53), invoqué par les sociétés du groupe Carrefour comme ayant retenu qu'en vertu du principe d'effectivité du droit de l'Union européenne, une législation nationale ne devait pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile le droit à réparation ouvert aux victimes de pratiques anticoncurrentielles ; en effet, selon la société JJSBF, dans cette affaire, la législation nationale en cause prévoyait notamment un délai de prescription de trois ans commençant à courir y compris dans le cas où le responsable de l'infraction n'était pas connu.
Les sociétés du groupe Carrefour allèguent qu'en vertu d'une jurisprudence bien établie (notamment Cour d'appel de Paris, chambre 4, 6 mars 2019, RG n° 17/21261), seule la décision de l'Autorité concurrence du 18 décembre 2014 constitue le point de départ de la prescription.
Les sociétés du groupe Carrefour soutiennent qu'elles étaient dans l'ignorance totale de la réalité juridique et factuelle de l'entente anticoncurrentielle qui a été sanctionnée 3 ans et demi après leur audition par l'Autorité de la concurrence et que tant les demandes de renseignements de l'Autorité que le procès-verbal d'audition des sociétés du groupe Carrefour ne font état d'aucun nom d'entreprise, la société LV n'apparaissant à aucun moment dans ces documents.
Les sociétés du groupe Carrefour estiment que ce n'est qu'à titre surabondant, si par improbable la Cour devait considérer que le point de départ du délai de prescription devait être la date de son audition, qu'il convient de rappeler que le délai de prescription a été interrompu en application de l'alinéa 4 de l'article L. 462-7 du Code de commerce (loi « Hamon »), applicable aux faits de l'espèce en vertu de l'article 2222 du code civil.
Les sociétés du groupe Carrefour estiment enfin n'avoir eu connaissance de l'ampleur du dommage causé par l'entente qu'à la date de la décision de l'Autorité de la concurrence, soit le 18 décembre 2014 ; ayant assigné la société JJSBF le 23 janvier 2017, leur action ne leur apparait pas prescrite.
Sur ce, la Cour :
S'agissant du point de départ de la prescription, l'article 2224 du code civil modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, dispose que : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».
La notion de « faits permettant d'exercer un droit » s'entend de faits permettant d'agir ou de défendre ce droit. En matière d'action en responsabilité, comme dans la présente espèce, la prescription ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance. Dans ce dernier cas, la prescription ne court qu'à compter de la date à laquelle la victime a su ou aurait dû savoir qu'elle avait été victime de l'infraction et qu'elle en a connu la consistance, l'imputabilité et la durée.
En l'espèce, si les intimés pouvaient soupçonner avoir été victimes d'une entente anticoncurrentielle par le biais d'articles de presse et, plus précisément, lors de leur audition par les services de l'Autorité de la concurrence le 27 juin 2011, non seulement la matérialité des faits, mais encore l'identification des entreprises ayant pris part à l'entente n'étaient alors pas précisées, si bien qu'elles n'étaient pas dans la situation de pouvoir exercer une action en justice contre la société LV ou l'appelante qui vient aux droits de celle-ci.
Ce n'est que lorsque l'Autorité de la concurrence a rendu sa décision, le 18 décembre 2014, constatant et établissant dans ses éléments factuels et juridiques la pratique incriminée, que les sociétés du groupe Carrefour ont pu connaître les faits leur permettant d'exercer une action indemnitaire.
Dès lors, ce n'est à compter de cette décision, soit le 18 décembre 2014, qu'a couru le délai de prescription, de sorte que le 23 janvier 2017, date de l'assignation, la prescription n'était pas acquise.
Le moyen d'irrecevabilité pris de la prescription sera donc rejeté.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit que la présente action en justice n'est pas irrecevable pour cause de prescription.
- Sur le bien fondé de la demande en dommages-intérêts
Les premiers juges ont retenu la responsabilité de la société JJSBF à l'égard de Carrefour aux motifs essentiels que, si l'article L. 481-2 du code de commerce introduit par l'ordonnance du 9 mars 2017 instituant une présomption irréfragable de pratique anticoncurrentielle à l'égard de la personne dont une décision de l'Autorité de la concurrence ne pouvant plus faire l'objet d'un recours ordinaire lui a imputé une telle pratique après avoir constaté l'existence de celle-ci ne peut être applicable aux faits antérieurs à son entrée en vigueur :
- Carrefour fonde ses demandes sur les fautes établies par l'Autorité de la concurrence au terme d'une instruction longue et minutieuse, à savoir des échanges entre les grandes sociétés industrielles dans le domaine de l'hygiène en vue de biaiser les négociations commerciales visant à fixer le niveau des remises commerciales et commissions au titre de la coopération commerciale entre distributeurs et industriels de ce secteur ;
- les griefs énoncés par l'Autorité de la concurrence et les considérants de la cour d'appel sont autant d'éléments probants pour démontrer la faute de la société JJSBF au sein de cette entente qui visait à contenir le pouvoir de négociation de l'ensemble de la grande distribution, et nécessairement celui de la société Carrefour ;
- quand bien même il ne découle pas de présomption irréfragable de l'existence d'une pratique anticoncurrentielle des décisions de l'Autorité de la concurrence et de l'arrêt de la Cour d'appel, décisions qui ne visaient qu'à sanctionner des pratiques anticoncurrentielles à hauteur des dommages causés à l'économie, il doit être relevé que la société JJSBF ne produit aucun élément de droit ou de fait qui serait de nature à l'exonérer de sa responsabilité vis-à-vis de la société Carrefour dans l'entente condamnée et qu'elle se montre défaillante à renverser le faisceau probant découlant des décisions précitées.
La société JJSBF soutient au contraire qu'une condamnation par l'Autorité de la concurrence ne suffit pas à démontrer l'existence d'une faute civile au sens de l'article 1240 du code civil, et se prévaut de la jurisprudence (Cass. com., 17 juillet 2001, n° 99-17.251 et CA Paris, 2 juillet 2015, SA EDF et SA ERDF c/ SAS Nexans et SAS Prysmian, n° 13/22609)
La société JJSBF soutient que la non-contestation des griefs devant l'Autorité de la concurrence n'a emporté, en droit, aucune reconnaissance par JJSBFF des pratiques reprochées et, a fortiori, d'une quelconque faute civile susceptible d'en résulter.
La société JJSBF cite à cet égard un arrêt de la présente Cour ayant statué en retenant que « la non-contestation des griefs, qui fait partie intégrante de la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence, ne constitue, en soi, ni un aveu, ni une reconnaissance de responsabilité. » (CA Paris, 29 janvier 2008, n° 06/07820).
La société JJSBF estime ainsi que la décision de l'Autorité de la concurrence ne peut à elle seule servir de fondement ni à la caractérisation d'une faute délictuelle commise par la société LV ni à la caractérisation d'un lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué par les sociétés du groupe Carrefour.
La société JJSBF estime également que la présomption de lien de causalité prévue à l'article L. 481-7 du code de commerce n'est pas applicable à la présente instance. La société JJSBFF soutient également que la jurisprudence ne retient pas de façon constante que le lien de causalité devrait être présumé dans le cadre de pratiques d'entente ; elle fait valoir que : « la victime d'une pratique anticoncurrentielle qui veut obtenir réparation doit établir une faute, et un préjudice, en lien de causalité avec cette faute » (Cour d'appel de Paris, 6 février 2019, RG n° 17/04101).
La société JJSBFF estime que la décision de l'Autorité de la Concurrence du 18 décembre 2014 ne suffit pas à établir de lien de causalité entre les pratiques auxquelles la société LV a pris part et la perte de marge arrière alléguée par les sociétés du groupe Carrefour.
La société JJSBFF soutient que la hausse de marge arrière alléguée par les sociétés du groupe Carrefour a pu être causée par des circonstances extérieures aux agissements de la société LV.
La société appelante à titre principal soutient enfin que le pouvoir de négociation détenu par les sociétés du groupe Carrefour vis-à-vis de la société LV remet en cause l'existence d'un lien de causalité entre les pratiques de LV et le préjudice allégué.
Les sociétés du groupe Carrefour soutiennent pour leur part que la décision de l'Autorité de la concurrence du 18 décembre 2014 ainsi que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 27 octobre 2016 établissent une présomption de faute à l'égard de la société JJSBFF. Les sociétés du groupe Carrefour estiment qu'il est de jurisprudence bien établie que la violation par une entreprise du droit de la concurrence constitue une faute délictuelle au sens de l'article 1240 du Code civil, et soutient que la cour d'appel de Paris a rappelé que « si la faute anticoncurrentielle est établie […], la faute civile l'est également, en raison de l'unité des deux fautes, déjà reconnue par plusieurs jugements » (Cour d'appel de Paris, pôle 5, chambre 4, 12 septembre 2018, RG n° 18/04914).
Les sociétés du Groupe Carrefour allèguent également que conformément au principe d'effectivité, les juridictions doivent interpréter les règles de droit à la lumière des dispositions venant transposer la directive 2014/10441 (la directive) et ne peuvent donc pas faire abstraction du nouvel article L. 481-2 du Code de commerce qui dispose que : « une pratique anticoncurrentielle mentionnée à l'article L. 481-1 est présumée établie de manière irréfragable à l'égard de la personne physique ou morale désignée au même article dès lors que son existence et son imputation à cette personne ont été constatées par une décision qui ne peut plus faire l'objet d'une voie de recours ordinaire pour la partie relative à ce constat, prononcée par l'Autorité de la concurrence ou par la juridiction de recours ».
Les sociétés du groupe Carrefour allèguent, à titre subsidiaire, que dans l'hypothèse où la Cour rejetterait l'existence d'une telle présomption, les preuves relevées par l'Autorité de la concurrence et l'arrêt d'appel confirmatif permettent de justifier de la réalité de la faute civile de JJSBFF, reprenant les indices de la participation de la société LV à des échanges d'informations portant sur la dérive qui sera accordée en 2005 et 2006 et sur le chiffre d'affaires de 2003 à 2006.
Les sociétés du groupe Carrefour soutiennent que le lien de causalité est incontestable dans le cadre d'une entente horizontale et que la jurisprudence antérieure s'inscrit dans la droite ligne du nouvel article L. 481-7 du Code de commerce selon lequel « il est présumé jusqu'à preuve contraire qu'une entente entre concurrents cause un préjudice ». Les sociétés du groupe Carrefour estiment ainsi que les indices relevés par l'Autorité dans la décision confirmée en appel permettent d'établir le lien de causalité.
Sur ce, la Cour :
Il sera rappelé que parmi les dispositions du code de commerce résultant de l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages-intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, dès lors que l'exploit introductif de la présente instance en responsabilité date du 23 janvier 2017, sont seulement susceptibles d'être applicables en l'espèce les articles L. 462-3 (faculté pour les juridictions de consulter l'Autorité de la concurrence), L. 483-1 à L. 483-4, L. 483-6, L. 483-7 et L. 483-9 (dispositions relatives à la communication et production des pièces) ; en effet, cette ordonnance a été publiée le 10 mars 2017, en même temps que le décret n° 2017-305 du 9 mars 2017, alors qu'il résulte, d'une part, de l'article 12 de l'ordonnance que celle-ci est entrée en vigueur le 11 mars 2017, tandis que l'article 14 de l'ordonnance a limitativement prévu les dispositions dont l'application est rétroactive, pour les dire applicables aux instances introduites à compter du 26 décembre 2014, date d'entrée en vigueur de la directive et alors qu'il résulte, d'autre part, de l'article 6 du décret que celui-ci fait de même pour ses pour ses propres dispositions.
Sans besoin d'étendre au-delà des prévisions légales les effets rétroactifs de l'ordonnance de transposition de la directive, la Cour considère, eu égard à sa nature d'entente, que l'infraction dont l'existence a été constatée par l'Autorité de la concurrence et la Cour dans son arrêt confirmatif et qui a été imputée à la société LV a bien été commise par cette société et qu'elle a eu un effet anticoncurrentiel.
Il incombe néanmoins aux sociétés du groupe Carrefour de démontrer, conformément au régime de droit commun de l'action en indemnisation des dommages nés des pratiques anticoncurrentielles applicable antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance de transposition de la directive, que le préjudice qu'elles allèguent et dont elles demandent réparation à la société JJSBF aux droits de la société LV découle bien de la participation de celle-ci à l'entente sanctionnée.
A cet égard, alors que l'entente sanctionnée a porté sur les prix et plus largement que sur les seules marges-arrière, la Cour souligne que les demanderesses à l'indemnisation sollicitent des dommages-intérêts compensant uniquement leur manque à gagner sur les marges-arrière au titre des années 2005 et 2006.
Les marges-arrière sont des rémunérations que verse le fournisseur, en l'espèce LV, au distributeur, en l'espèce les sociétés du groupe Carrefour, correspondant à des services de coopération commerciale.
Les demanderesses à l'indemnisation soutiennent que les distributeurs ont sacrifié leurs marges-avant en réponse aux hausses du prix net imposées par les fournisseurs, en particulier dans le secteur des produits d'hygiène, de sorte que les gains des distributeurs s'identifient aux marges-arrière négociées en contrepartie des services de coopération commerciale.
Elles soutiennent encore que l'entente a causé des taux de marge-arrière inférieurs à ceux octroyés en l'absence d'entente, afin de permettre aux fournisseurs de préserver ou d'augmenter leurs propres marges et que dans la mesure où des variations de marges-arrière (en valeur absolue ou en taux) ne se traduisaient pas par des variations du prix de vente au consommateur du fait du mode de calcul du seuil de revente à perte, cette baisse des marges-arrière constitue un préjudice indemnisable.
La société JJSBF expose quant à elle, contestant la réalité du préjudice invoqué, que le déplacement de la négociation commerciale causé par la loi n° 96-588 dite loi Galland, qui a commencé par assimiler le seuil de revente à perte au prix facturé par les fournisseurs, privant les distributeurs de la possibilité de déduire de ce seuil les autres rémunérations versées aux distributeurs par les fournisseurs au titre de la coopération commerciale, a généré une spirale inflationniste au cours de laquelle :
- les marges-arrière ont fortement augmenté sous la pression des distributeurs,
- les tarifs des produits des fournisseurs ont augmenté pour compenser l'augmentation des marges-arrière,
- toute augmentation des tarifs était nécessairement répercutée sur le consommateur.
S'agissant des règles applicables à la consistance du préjudice réparable et à la preuve de celui-ci, la Cour rappelle que le standard européen du préjudice indemnisable a été partiellement incorporé en droit positif dès avant l'ordonnance de transposition de la directive, notamment en fonction du Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, publié le 2 avril 2008.
Ainsi, il était acquis dès avant l'entrée en vigueur de la directive que :
- il appartient au demandeur à l'indemnisation de démontrer que le préjudice dont il demande réparation résulte directement de l'entente sanctionnée par l'Autorité de la concurrence dont la Cour a confirmé la décision ;
- il n'y a pas de préjudice si les surcoûts éventuels générés par l'entente sanctionnée ont été répercutés sur les prix des produits ;
- la répercussion des coûts est la pratique commerciale habituelle et normale ;
- le droit de la concurrence et la sanction des pratiques anticoncurrentielles ont d'ailleurs pour finalité principale la protection du consommateur.
S'agissant du lien direct entre la perte de marge-arrière et l'entente sanctionnée, la Cour retient que celui-ci est établi par la décision de l'Autorité de la concurrence et par l'arrêt de la Cour rendu sur l'appel de cette décision.
En effet, le distributeur fait valoir à juste titre que l'arrêt confirmatif de la Cour énonce et établit que les échanges auxquels la société LV a participé et qui ont matérialisé l'entente ont porté sur les politiques commerciales des fournisseurs et le déroulement des négociations avec les enseignes de la grande distribution, qu'ils visaient à diminuer l'incertitude inhérente à toute négociation commerciale et à améliorer la position des fournisseurs dans leurs discussions avec les enseignes de la grande distribution.
Le distributeur souligne encore valablement que la décision confirmée énonce et établit à partir des auditions qu'elle vise et relate que :
- les échanges d'information renforçaient ainsi l'assurance des industriels dans leur négociation avec les distributeurs et favorisaient l'acceptation par les acheteurs de la grande distribution des propositions de tarifs et de dérive de coopération commerciale de leurs fournisseurs, largement convergentes, de sorte que les entreprises concernées parvenaient ainsi à modifier significativement à leur profit, le résultat issu de la négociation ;
- de tels échanges, à toutes les séquences de la négociation, sur les principaux éléments du prix, entre la quasi-totalité des fournisseurs de grandes marques nationales, et concernant tous les distributeurs, n'ont pu qu'avoir un effet significatif sur le profit tiré des négociations par chacun des fournisseurs participants, notamment en permettant la levée d'une part significative de l'asymétrie d'information et de l'incertitude inhérente au processus de négociation sur les secteurs en cause ;
- les échanges d'information sur la dérive ont permis aux entreprises d'identifier une « zone de sécurité » au sein de laquelle elles n'étaient plus isolées.
Il est par ailleurs établi par la décision de l'Autorité de la concurrence que la société LV a bien participé à une des réunions portant sur la dérive de marge-arrière, celle du groupe des amis, le 12 mai 2005, en préparation de l'entrée en vigueur de la loi Dautreil et qu'elle a aussi participé aux échanges sur les offres de dérive en cours ou à venir lors des réunions du groupe des amis des 17 février 2005, 12 mai 2005 et 26 janvier 2006, s'agissant des négociations pour 2005 et 2006.
Il est enfin établi par la même décision de l'Autorité de la concurrence que la société LV a participé à des échanges sur le chiffre d'affaires en 2003, 2004, 2005 et 2006 ; il est relevé par la décision que les informations échangées permettaient une détection rapide des écarts par rapport aux consensus dégagés à l'issue des concertations sur les hausses de tarif ou l'évolution de la dérive.
La Cour considère par conséquent que l'existence d'une faute causale du préjudice allégué est démontrée en l'espèce.
Le jugement entrepris sera confirmé également sur ce point.
S'agissant toutefois de la répercussion sur le consommateur du manque à gagner résultant de l'entente sanctionnée, il appartient en l'espèce à la Cour de vérifier si le distributeur a, en tout ou partie, répercuté sur les consommateurs les manques à gagner résultant de l'entente prohibée sur les marges-arrière commise par la société LV, afin de ne pas consacrer un enrichissement sans cause du fait de l'allocation de dommages-intérêts.
Le demandeur à l'indemnisation doit en effet prouver, au titre de la démonstration de son préjudice, qu'il n'a pas répercuté sur le consommateur le manque à gagner résultant des marges-arrière moindre du fait de l'entente sanctionnée.
La Cour souligne qu'alors que le Livre blanc indiquait déjà :
« La Commission propose que les défendeurs soient en droit d'invoquer la répercussion des surcoûts comme moyen de défense contre une demande d'indemnisation desdits coûts...le niveau de preuve requis pour ce moyen de défense ne devrait pas être inférieur à celui imposé au requérant pour prouver les dommages subis »,
Cette disposition, qui prévoyait déjà de faire supporter au défendeur le fardeau de la preuve de la répercussion, n'a nullement été intégrée en droit positif au régime de l'action pour la période antérieure à la transposition de la directive (cass. com., 15 mai 2012, N° 11-18.495 ; cass. com., 15 juin 2010, N° 09-15.816.)
Il est certes exact que l'article 13 de la directive en vigueur depuis le 26 décembre 2014 énonce que les Etats membres veillent à ce que le défendeur dans une action en dommages-intérêts puisse invoquer, comme moyen de défense à une telle action, le fait que le défendeur a répercuté, en tout ou en partie, le surcoût résultant de l'infraction au droit de la concurrence et que cet article précise que la charge de la preuve de la répercussion du surcoût incombe au défendeur, qui peut raisonnablement exiger la production par le demandeur ou par des tiers.
Cependant, s'il résulte de ce même article 13 qu'est désormais incompatible avec le droit de l'union la disposition de droit national dont il résulte que le défendeur ayant participé à une entente prohibée est exonéré de la charge de prouver que le surcoût né de l'infraction qu'il a commise a été répercuté par le demandeur à l'indemnisation sur ses propres clients, la présente Cour ne dispose pas pour autant, en l'absence de disposition spéciale applicable, du pouvoir de déroger au régime de droit commun de l'action en responsabilité civile en vigueur à la date du fait générateur du préjudice invoqué, soit en l'espèce en 2005 et 2006.
C'est pourquoi, non seulement ne sont pas applicables en l'espèce les dispositions de l'ordonnance de transposition qui indiquent, dans le but de remplir l'objectif du droit de l'Union, qu'il est présumé, jusqu'à preuve contraire à la charge du défendeur à l'action en dommages-intérêts - c'est à dire l'auteur de la pratique anticoncurrentielle - qu'une entente entre concurrents cause un préjudice, mais encore n'est-il pas davantage possible, sous couvert d'interpréter, ainsi que le demandent les sociétés du groupe Carrefour, « à la lumière des dispositions de l'ordonnance », les règles de droit afférentes à la preuve du préjudice découlant de la présente pratique anticoncurrentielle, de faire rétroagir le nouveau régime d'indemnisation à la date du fait générateur de responsabilité qui est en l'espèce antérieure à l'entrée en vigueur de la directive.
La Cour doit donc déterminer si le tribunal doit être approuvé pour avoir dit établi le fait que, d'une manière générale et pour tous les distributeurs, par l'effet de la loi Galland et de l'évolution subséquente du contexte réglementaire, l'ensemble des produits d'hygiène étaient vendus à prix coûtant, prix déterminé au niveau incompressible en dessous duquel ces distributeurs seraient tombés sous le coup de la loi prohibant les ventes à perte, de sorte que la seule marge commerciale qui restait acquise aux distributeurs était celle correspondant aux marges arrière litigieuses négociées avec les industriels, d'où il résulte que ces marges arrières ne sont pas prises en compte dans la détermination du prix de vente et que par conséquent les conséquences de l'entente ont pesé exclusivement sur les distributeurs dont Carrefour.
Or, alors qu'il lui était loisible et aisé de le faire, le distributeur ne produit en l'espèce aucun élément tiré de sa comptabilité permettant à la Cour de vérifier qu'il n'a pas réalisé de marge commerciale (marge-avant) en revendant aux consommateurs les produits vendus par la société
A cet égard, l'analyse économique de préjudice qu'il produit à l'appui de sa demande en dommages-intérêts ni aucune autre de ses pièces ne livre d'élément vérifiable.
Or, la Cour, en l'état du droit positif applicable compte tenu de la date des faits générateurs de responsabilité invoqués, ne peut passer outre une telle vérification, en raison de l'interdiction en droit interne issue du standard européen de consacrer un enrichissement sans cause par suite de l'éventuel cumul entre les dommages-intérêts alloués et la répercussion sur le consommateur du surcoût généré par la concertation prohibée sur les prix incluant celle sur les marges-arrière.
Il suffit de rappeler à cet égard que nonobstant le contexte légal et réglementaire relatif à la détermination du seuil de revente à perte, les distributeurs sont demeurés libres de réaliser une marge-avant sur les produits objets de l'entente sanctionnée.
Le jugement entrepris sera donc réformé pour le surplus, notamment en ce qu'il a alloué des dommages-intérêts et en ce qu'il a statué sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
Les sociétés du groupe Carrefour seront déboutées de toutes leurs demandes.
En équité, elles verseront à la société JJSBF une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.
Elles supporteront la charge des entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
Vu l'arrêt avant dire droit du 16 décembre 2020,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que l'action en justice des sociétés Carrefour France, Carrefour hypermarchés et CSF n'était pas irrecevable pour cause de prescription et en ce qu'il a retenu que la faute civile causale du préjudice allégué était établie,
Mais pour le surplus,
Réforme le jugement entrepris,
Dit que la réalité du préjudice allégué n'est pas démontrée,
Déboute les sociétés Carrefour France, Carrefour Hypermarchés et CSF de leurs demandes en dommages-intérêts,
Les condamne in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Les condamne in solidum à payer à la société Johnson & Johnson santé beauté France la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande ;
Dit que les dépens pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.