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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 avril 2021, n° 18/15369

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MG Loisirs (SARL)

Défendeur :

Altalys Propreté (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Soudry, Mme Lignières

T. com. Lille, du 25 oct. 2017

25 octobre 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

Par jugement du 25 février 2014, le tribunal de commerce de Lille Métropole a cédé le fonds de commerce de la société Aséo Propreté, antérieurement placée en procédure collective, à la SARL Altalys Propreté (société Altalys), spécialisée dans le secteur d'activité du nettoyage industriel et de la propreté des bâtiments. La décision de cession du fonds a également transmis le contrat de nettoyage initialement conclu le 1er décembre 2012 pour une durée de 3 ans entre la société Aséo Propreté et la SARL MG Loisirs, exploitant un hôtel B&B à Tourcoing, dans le cadre d'un contrat de gérant mandataire antérieurement signé avec la SAS B&B Hôtels. La société Altalys a effectué les prestations de nettoyage à compter du 26 février 2014.

Le 25 mars 2015, la société MG Loisirs a notifié la résiliation du contrat de nettoyage à effet du 30 novembre 2015. Puis, le 21 avril 2015, une société Sauber a informé la société Altalys de la reprise du chantier (de nettoyage) MG Loisirs à compter du 4 mai 2015, tout en lui demandant la liste du personnel y affecté en vue de sa reprise conformément aux règles spécifiques de l'annexe 7 de la convention collective nationale des entreprises de propreté.

La société Altalys estimait avoir subi un préjudice du fait de la brutalité de la rupture des relations commerciales et un autre au titre du préjudice moral résultant de la rupture brutale en raison tant du manque de loyauté et du comportement vexatoire de la société MG Loisirs, que de sa résistance abusive dans le cadre de la rupture, dont elle demandait réparation tant à la société MG Loisirs qu'à la société B&B Hôtels, cette dernière en sa qualité de mandante dans le contrat de gérant mandataire conclu les 6 mars et 16 avril 2015 avec la société MG Loisirs.

Le 15 juillet 2016, la société Altalys a attrait les sociétés MG Loisirs et B&B Hôtels devant le tribunal de commerce de Lille Métropole, au visa des articles L. 442-6, I, 5° et L. 146-1 (1er et 2ème alinéas) du code de commerce, aux fins de les condamner :

- à titre principal, « in solidum » à lui payer, à titre de dommages et intérêts, les sommes de :

. 50 519,87 euros TTC, pour rupture brutale des relations commerciales,

. 28 868,50 euros TTC, pour préjudice moral,

- subsidiairement, de déclarer le jugement opposable à la société B&B Hôtels, l'indemnisation des frais irrépétibles étant aussi sollicitée, par l'allocation d'une somme de 2 500 euros.

S'y opposant, la société MG Loisirs a reconventionnellement sollicité la condamnation de la société Altalys à lui payer la somme de 85 580,17 euros outre l'indemnisation de ses frais irrépétibles par l'allocation d'une somme de 3 000 euros.

La société B&B Hôtels s'y est également opposée :

- à titre principal, en sollicitant sa mise hors de cause, en faisant valoir que le contrat de nettoyage du 1er décembre 2012, a été conclu uniquement par la société MG Loisirs en son nom propre, la société B&B Hôtels y étant tiers et ne pouvant pas être tenue responsable des manquements allégués,

- subsidiairement, en sollicitant le rejet de la demande de la société Altalys de lui rendre opposable le jugement à intervenir,

- tout en requérant aussi la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Retenant essentiellement que l'article L. 442-6 du code de commerce est inapplicable en présence d'un contrat à durée déterminée et que l'article 10 du mandat de gérance entre les sociétés MG Loisirs et B&B Hôtels dérogeait expressément à l'article 2000 du code civil, mais constatant que le préavis contractuel entre les sociétés Altalys et MG Loisirs n'avait pas été respecté, justifiant l'allocation d'une indemnité au titre des 7 mois non effectués et calculée sur la moyenne mensuelle des factures réglées par la société MG Loisirs au cours des 12 derniers mois précédant le 1er mai 2015, le tribunal, par jugement contradictoire du 25 octobre 2017 a :

- mis la société B&B Hôtels hors de cause, en condamnant la société MG Loisirs à lui verser la somme de 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens,

- condamné la société MG Loisirs à payer à la société Altalys les sommes de 51 221 euros à titre de dommages et intérêts, et de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles, en rejetant toutes les autres demandes.

Appelante le 19 juin 2018 en intimant la seule société Altalys, la société MG Loisirs réclame, aux termes de ses dernières écritures transmises par le RPVA le 16 janvier 2019, la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuit l'infirmation du jugement en sollicitant le rejet de toutes les demandes de la société Altalys et en renouvelant sa demande reconventionnelle de condamner la société Altalys à lui payer la somme de 85 580,17 euros, en remboursement de la partie « sur-évaluée » des factures qu'elle a réglées.

Intimée, la société Altalys réclame, aux termes de ses dernières conclusions transmises par le RPVA le 6 novembre 2018, la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuit :

- la confirmation du jugement, en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de la société MG Loisirs et l'a condamnée à lui payer les sommes de 51 221 euros, à titre de dommages et intérêts, et de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles,

- son infirmation en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts « pour préjudice moral résultant de la rupture brutale en raison du manque de loyauté et du comportement vexatoire de la société Altalys, outre sa résistance abusive, en formulant à nouveau sa demande de lui payer la somme de 28 861,50 euros TTC » de ce chef.

Sur ce,

Il y a lieu de relever liminairement que, la déclaration d'appel n'ayant pas intimé la société B&B Hôtels, la décision est devenue définitive à son égard.

Le contrat du 1er décembre 2012 est d'une durée de 36 mois, moyennant une redevance d'un montant de 3,78 euros HT par chambre outre indexation. Il prévoit qu'en cas de résiliation avant son terme, le client « sera redevable à titre de clause pénale, d'une indemnité égale à la totalité des sommes qui auraient été facturées jusqu'à l'échéance normale du contrat ».

1- Sur la rupture anticipée du contrat

La société MG Loisirs sollicite le rejet de toutes les demandes de la société Altalys. Tout en admettant l'existence d'une clause contractuelle pénale, elle estime que celle-ci « ne se conçoit qu'en cas de résiliation fautive de sa part », et prétend qu'en l'espèce, la résiliation ayant été causée par la modification unilatérale des tarifs par la société Altalys, l'application de la clause à la société MG Loisirs apparaîtrait « manifestement excessive » dans son montant et constituerait alors « un enrichissement sans cause de la part de la société Altalys », puisque celle-ci a reconnu dans sa lettre du 24 octobre 2014 que ses coûts étaient essentiellement constitués de salaires et de charges sociales, or ceux-ci ont été repris par le successeur dans l'exécution du chantier de ménage. La société Altalys poursuit, quant à elle, la confirmation de la condamnation de la société MG Loisirs à lui payer la somme de 51 221 euros en raison du défaut de respect du préavis prévu par le contrat du 1er décembre 2012, tout en continuant à demander à la cour de faire application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, en estimant que ce texte vise « les relations commerciales établies indifféremment d'une relation contractuelle directe à durée déterminée ou indéterminée ».

Initialement, par sa lettre du 25 mars 2015, la société MG Loisirs s'est en réalité bornée à annoncer qu'elle ne reconduirait pas le contrat à son terme du 30 novembre 2015. Néanmoins, il apparaît qu'en ayant fait intervenir une autre entreprise de nettoyage dès le 4 mai 2015, elle a ainsi, de fait, rompu le contrat du 1er décembre 2012 avant son terme. C'est à tort que la société Altalys invoque à ce titre l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, le contrat litigieux étant le premier liant les parties et étant à durée déterminée de 3 ans, sans clause de tacite reconduction, de sorte que la société Altalys, connaissant le terme dès le début des relations, n'avait aucune assurance quant à leur continuation et ne justifie pas de l'existence de relations commerciales établies.

C'est donc à juste titre que le tribunal a écarté l'application de ce texte et a fait uniquement application de la clause pénale ci-avant rappelée, laquelle s'applique dès lors que le contrat est interrompu avant son terme sans avoir à rechercher si l'auteur de la rupture a commis une faute. À cet égard, outre que la société MG Loisirs ne rapporte pas la preuve d'une modification unilatérale des tarifs, puisqu'elle ne conteste pas avoir payé sans réserve les factures, ses développements tendant à soutenir que la clause pénale « ne se conçoit qu'en cas de résiliation fautive de sa part », est entièrement inopérante. Cependant, en raison de la contestation élevée sur son montant, il convient néanmoins de vérifier si celui-ci ne présente pas un caractère manifestement excessif. La clause stipule le paiement de la totalité des sommes qui auraient été facturées jusqu'à l'échéance normale du contrat, alors que, par hypothèse, les prestations ne sont plus fournies. Il n'a pas été contesté que les coûts de l'entreprise de nettoyage sont essentiellement des charges salariales et sociales, lesquelles ne sont plus à la charge de la société Altalys depuis le transfert du personnel à partir du 4 mai 2015, celle-ci conservant néanmoins des charges pour se réorganiser et rechercher de nouveaux clients pour la période de 7 mois restant à courir, afin de remplacer durant cette période le client perdu. En fonction des différents éléments disponibles dans le dossier, et en tenant compte, outre de l'évaluation forfaitaire du dommage résultant de l'inexécution du contrat, de l'objet également dissuasif de la clause, il apparaît que l'indemnité à hauteur de la somme de 51 221 euros est cependant manifestement excessive et qu'il convient de la réduire à la somme globale de 15 000 euros, laquelle, n'étant pas la contrepartie d'une prestation à titre onéreux, n'est pas assujettie à la TVA.

2- Sur la demande complémentaire de la société Altalys

Estimant encore qu'une relation commerciale a existé entre les sociétés MG Loisirs et Altalys, cette dernière, outre le paiement de l'indemnité de résiliation, poursuit aussi l'indemnisation du préjudice moral résultant de la rupture brutale en raison du manque de loyauté et du comportement vexatoire de la société Altalys, outre sa résistance abusive. La société Altalys déduit alors des circonstances en invoquant essentiellement le comportement vexatoire allégué de l'auteur de la rupture un préjudice moral distinct de la rupture du contrat lui-même. Si le principe du non cumul des responsabilités contractuelles et extra contractuelles s'oppose à l'examen des demandes indemnitaires indistinctement fondées sur ces deux types de responsabilités en reposant sur des faits identiques, le créancier d'une obligation contractuelle ne pouvant pas demander réparation de son inexécution sur le fondement délictuel, il est néanmoins admis qu'il peut demander réparation du dommage reposant sur des faits distincts de ceux procédant de la rupture proprement dite du contrat.

La société Altalys estime ainsi qu'en ne l'avertissant pas directement de la rupture et en laissant le concurrent successeur le faire à sa place, la société MG Loisirs a eu un comportement déloyal en la mettant ainsi devant le fait accompli, justifiant sa demande d'indemnisation de son préjudice moral. Cependant, la prise de contact du successeur, par sa lettre du 21 avril 2015 directement adressée à la société Altalys, résulte des obligations spécifiques de la convention collective des entreprises de propreté concernant le transfert du personnel auprès du nouveau titulaire du marché, ne constitue pas une circonstance vexatoire et ne caractérise nullement un comportement déloyal de la société MG Loisirs. Il n'est pas non plus démontré par ailleurs que sa résistance au paiement de l'indemnité de résiliation avait un caractère abusif, celle-ci ayant pu, de bonne foi, se méprendre sur l'étendue de ses obligations.

Le jugement doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la société Altalys au titre d'un préjudice moral.

3- Sur la demande reconventionnelle de la société MG Loisirs au titre d'une partie des factures

La société Altalys, prétendant que les tarifs initialement pratiqués par la société Aséo Propreté étaient en dessous du prix du marché, ne permettant pas une exploitation viable, a proposé, par sa lettre du 24 octobre 2014, une augmentation du tarif unitaire afin qu'il soit fixé à la somme de 4,60 euros HT par chambre. La société MG Loisirs, qui a réglé les factures au nouveau tarif, soutient aujourd'hui qu'elle ne l'a fait que parce qu'elle n'avait pas la possibilité de mettre en place une solution de rechange du jour au lendemain, pour en déduire que son paiement a « pour le moins un caractère ambigu » n'emportant pas son accord sur la nouvelle tarification, d'autant qu'elle n'avait jamais retournée signée la proposition correspondante de nouveau contrat. Néanmoins, il n'est pas contesté que la société MG Loisirs a réglé les factures au nouveau tarif sans émettre aucune réserve ni élevé de protestations, de sorte que c'est à juste titre que les premiers juges en ont déduit son accord tacite. La société MG Loisirs, prétendant justifier sa demande reconventionnelle en évaluant le montant prétendument sur-évalué des factures au nouveau tarif par rapport à l'ancien, n'est donc pas fondée, le jugement devant aussi être confirmé de ce chef.

Le recours de l'appelante étant partiellement admis, il apparaît équitable de laisser à chaque partie la charge définitive des frais irrépétibles supplémentaires qu'elles ont exposés en cause d'appel et de partager les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant dans les limites de l'appel,

Statuant publiquement et contradictoirement,

RÉFORME le jugement uniquement du montant de l'indemnité de résiliation du contrat et statuant à nouveau,

CONDAMNE la SARL MG Loisirs à payer à la SARL Altalys Propreté la somme de 15 000 euros,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

DÉBOUTE les parties de leur demande au titre des frais irrépétibles d'appel,

CONDAMNE chaque partie à payer la moitié des dépens,

ADMET Maître Laurent F. du cabinet FL Avocats, avocat postulant de l'intimée qui en a fait la demande, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.