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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 avril 2021, n° 19/10930

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Noviprofibre (SAS)

Défendeur :

Société Emtec Electronic GmbH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

T. com. Lyon, du 23 avr. 2019

23 avril 2019

La société Noviprofibre distribue et, accessoirement, produit en faible quantité des appareils de mesures et de tests de la qualité des papiers et tissus.

La société Emtec Electronic GmbH de droit allemand (ci-après « la société Emtec »), est spécialisée dans la fabrication, à destination de l'industrie papetière, de matériels de mesures et de tests de la qualité des papiers et tissus.

Les sociétés Noviprofibre et Emtec se sont rapprochées afin de développer un appareil de mesure de la douceur du papier tissu. Le 23 mai 2005, elles ont signé un contrat de coopération afin de développer un dispositif destiné à mesurer la « mollesse » des tissus. Cette collaboration a abouti en 2006 à la création d'un prototype appelé « TSA » qui a, selon les accords, mis fin au contrat de coopération.

Le produit a ensuite été commercialisé de 2008 à 2012 par la société Noviprofibre, la société Emtec se chargeant de la fabrication du matériel et de sa commercialisation sur d'autres secteurs que ceux attribués à la société Noviprofibre.

Dès l'année 2008, les relations commerciales entre les sociétés Noviprofibre et Emtec se sont progressivement dégradées.

Par un courriel du 25 juin 2012, le dirigeant de la société Noviprofibre faisait état des désaccords existants entre sa société et la société Emtec.

Par lettre du 29 juin 2012, la société Emtec a notifié à la société Noviprofibre la cessation immédiate des relations entre les deux sociétés.

Par acte du 18 décembre 2012, la société Noviprofibre a assigné en référé la société Emtec devant le président du tribunal de commerce de Grenoble, qui s'est déclaré incompétent pour connaître du litige et a renvoyé les parties à se pourvoir au fond.

Par acte du 24 mai 2016, la société Noviprofibre a assigné la société Emtec devant le tribunal de commerce de Lyon, sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 23 avril 2019, le Tribunal de commerce de Lyon a :

Débouté la société Noviprofibre de sa demande de communication de documents comptables non partiellement radiés,

Condamné la société Emtec Electronic à payer à la société Noviprofibre la somme de 25 758,26 euros au titre de la perte de marge sur une période de 12 mois, majorés des intérêts de retard au taux légal à compter de la rupture effective le 29 juin 2012,

Débouté la société Noviprofibre de ses demandes au titre des préjudices annexes et au titre des déplacements de prospection ;

Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

Prononcé l'exécution provisoire de la présente décision,

Condamné la société Emtec Electronic à payer à la société Noviprofibre une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné la société Emtec Electronic aux dépens de l'instance,

Par acte du 23 mai 2019, la société Noviprofibre a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon devant la Cour d'appel de Paris.

Aux termes des dernières conclusions de la société Noviprofibre, déposées et notifiées le 25 décembre 2020, il est demandé à la Cour de :

Vu les articles L. 442-6 I 5° du code de commerce,

En rejetant les conclusions de l'intimée comme non fondées,

Recevoir l'appel formé par la société Noviprofibre,

Confirmer que la rupture de Emtec Electronic GmbH est une rupture brutale et abusive,

Et, statuant à nouveau,

Dire et juger eu égard à l'ancienneté totale des relations contractuelles la période de préavis pour rupture abusive de l'intimée, Sarl de droit allemand Emtec Electronic GmbH, à 24 mois,

Condamner Emtec Electronic GmbH, au paiement à l'appelante, société Noviprofibre SAS, des sommes suivantes :

- au titre du préjudice principal pour perte de marge 585 110,00 euros

- au titre des préjudices annexes 60 426,00 euros,

- au titre des déplacements de prospection 40 000,00 euros sommes majorées des intérêts de retard au taux légal majoré de 5 points à compter de la rupture effective le 29.06.2012,

Subsidiairement, avant dire droit,

Condamner Emtec Electronic GmbH, à communiquer sous astreinte sur la période du 1er juillet 2012 au 31 juillet 2014 ses documents comptables pour les secteurs de vente de l'appelante et :

Fixer dans le respect du contradictoire les résultats des ventes de l'appareil TSA réalisées sur les pays de prospection attribués à l'appelante,

En tout état de cause,

Condamner la société Emtec Electronic GmbH, à payer à l'appelante, société Noviprofibre SAS, au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 20 000 euros et les entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes des dernières conclusions de la société Emtec, déposées et notifiées le 17 janvier 2020, il est demandé à la Cour de :

Vu l'article L. 446-2 5° du Code de Commerce (applicable aux faits de l'espèce),

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- jugé sans objet la demande de communication de pièces de Noviprofibre,

- rejeté les demandes indemnitaires de Noviprofibre pour la période postérieure à la rupture ainsi que celles pour les investissements et frais de prospection qu'elle aurait engagés en pure perte

Au surplus,

Réformer le jugement en ce qu'il a :

- jugé brutale la rupture des relations commerciales,

- fixé la durée de celles-ci à sept années,

- octroyé un préavis de douze mois

- indemnisé la société Noviprofibre à hauteur de 25 758,26 euros,

Statuant à nouveau

Dire et juger que les manquements contractuels de la société justifient que la rupture des relations en date du 29 juin 2012, aient été notifiée sans préavis

Débouter, en conséquence, la société Noviprofibre de ses demandes

A titre subsidiaire,

Dire et juger qu'en considération de la nature de la relation commerciale (d'une durée de 32,5 mois et ayant généré un chiffre d'affaires de 92 000 euros), un préavis de trois mois aurait été suffisant,

Dire et juger que l'indemnisation du caractère éventuellement brutal de la rupture ne saurait ainsi excéder trois mois de marge brute, laquelle, sur la durée de la relation, s'est élevée en moyenne à 2 830,77 euros mensuels,

Rejeter, faute de tout fondement pertinent, toutes les autres demandes de la société Noviprofibre,

En tout état de cause

Condamner la société Noviprofibre à payer à la société Emtec la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SELARL BDL AVOCATS en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la rupture brutale de la relation commerciale

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

. Sur le caractère établi de la relation

Les parties ne contestent pas le caractère établi de leur relation technique et commerciale depuis 2005, soit durant 7 années avant la notification de la rupture le 29 juin 2012 par la société Emtec.

. Sur la brutalité de la rupture

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

La société Emtec soutient que la rupture sans préavis de la relation commerciale était justifiée par les manquements graves de la société Noviprofibre qui a :

- adopté une attitude conflictuelle incompatible avec le maintien des relations contractuelles,

- obtenu des résultats très insuffisants dans les ventes du TSA, seulement huit appareils étant vendus en quatre années,

- adopté, en qualité de distributeur du principal concurrent de la société Emtec, le groupe BTG, une attitude déloyale propre à entretenir la confusion et à dévaloriser l'image de la société Emtec auprès de l'industrie papetière,

- vendu des appareils TSA de marque Emtec en y substituant partiellement le nom de Noviprofibre,

- livré des manuels d'utilisation des appareils TSA d'Emtec en y remplaçant le nom d'Emtec par celui de Noviprofibre,

- revendiqué, sans aucun fondement, la paternité du développement du TSA ;

- proposé à la vente des TSA à des prix très divergents, du moins partiellement, de ceux préconisés et pratiqués par la société Emtec,

Toutefois à l'appui de ses allégations, la société Emtec ne produit pour seule pièce qu'un courriel du 25 juin 2012 de la société Noviprofibre dont la teneur ne démontre en rien l'existence de fautes graves de sa part justifiant une rupture de la relation commerciale sans préavis.

Dès lors la relation commerciale établie nouée entre les parties depuis 2005 a été brutalement rompue par la société Emtec le 29 juin 2012.

Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

La société Noviprofibre estime que la durée de préavis devait être de 24 mois au vu de la durée de la collaboration technique et commerciale des parties, de sa dépendance économique à l'égard de la société Emtec ; des investissements durant 7 années, d'un chiffre d'affaires en pleine évolution et aux nombreux pays de prospection attribués et brutalement retirés.

La société EMTEC soutient que la relation commerciale en elle-même n'a débuté que le 15 octobre 2009, date de la première opération d'achat et de revente et n'a donc duré que 32,5 ans. Elle relève que pendant ce temps, la société Noviprofibre n'a vendu que 7 appareils, soit environ 92 000 euros de marge en 32,5 mois pour une société réalisant 3 000 000 euros de chiffre d'affaires. Elle fait valoir, que si la Cour estimait qu'un préavis devait être respecté, celui-ci devrait être limité à trois mois.

Sur ce,

Pour apprécier la suffisance du préavis, il convient de prendre en compte la relation entre les parties dès le contrat de collaboration du 23 mai 2005, soit une durée de 7 années.

La Cour observe que la société Noviprofibre ne verse aux débats aucune pièce comptable permettant d'apprécier la part du chiffre d'affaires réalisé avec la société Emtec sur le chiffre d'affaires global de Noviprofibre, ne donne aucune explication précise sur ses difficultés éventuelles à trouver un autre partenaire commercial.

En l'état, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé un préavis de 12 mois tenant compte de la durée de la relation commerciale et des investissements de la société Noviprofibre pour le développement du produit TSA.

. sur l'évaluation du préjudice

La société Noviprofibre estime que pour l'évaluation de la marge perdue pendant la durée d'insuffisance de préavis, il convient de considérer son activité d'opérations d'achat-revente depuis 2009 pour fixer le taux de marge moyen apprécié selon la destination de l'appareil, puis d'appliquer ce taux de marge aux opérations qu'elle aurait réalisées postérieurement à la rupture jusqu'en juillet 2014. Elle estime qu'elle doit également être indemnisée des investissements sur les 7 années avant la rupture par l'acquisition d'appareils spécifiques de démonstration pour toutes les mesures techniques d'amélioration du produit PSA. Elle réclame ainsi :

- au titre du préjudice principal pour perte de marge : 585 110 euros

- au titre des préjudices annexes : 60 426 euros

- au titre des déplacements de prospection : 40 000 euros

sommes majorées des intérêts de retard au taux légal majoré de 5 points à compter de la rupture effective le 29 juin 2012.

La société Emtec conteste la méthode de calcul du préjudice présentée par la société Noviprofibre et affirme qu'il est de jurisprudence constante que les ventes réalisées par la société Emtec après la rupture de la relation ne peuvent être prises en compte pour le calcul du préjudice subi par la société Noviprofibre. Elle relève que les demandes au titre des investissements spécifiques et de prospection ne sont justifiées par aucune pièce.

Sur ce,

Seul est indemnisable le préjudice résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même. Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé et calculée sur la moyenne des années précédant la rupture et non sur des opérations supposées manquées postérieurement à la rupture. La demande de communication de pièces de la société Noviprofibre ne peut dès lors qu'être rejetée.

Le tribunal par des motifs pertinents que la Cour adopte, a retenu sur les 3 dernières années avant la rupture une marge totale de 77 274,80 euros telle qu'elle ressort du rapport de l'expert-comptable du 25 janvier 2016 (pièce 47), représentant une marge moyenne sur 12 mois de 25 758,26 euros et constituant ainsi le montant indemnitaire d'absence de préavis.

La société Noviprofibre ne justifie pas davantage à hauteur d'appel de ses demandes au titre des préjudices annexes et de prospection. Il convient de préciser qu'il a été tenu compte dans l'évaluation de la durée du préavis des investissements de cette dernière dans le développement du produit.

Dès lors il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Emtec à payer à la société Noviprofibre la somme de 25 758,26 euros au titre de la rupture brutale de la relation commerciale et débouté cette dernière de ses demandes au titre des préjudices annexes et au titre des déplacements de prospection.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Emtec aux dépens de première instance et à payer la somme de 5 000 euros à la société Noviprofibre au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Noviprofibre, succombant en son appel, sera condamnée aux dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, la société Noviprofibre sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Emtec la somme de 5 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Noviprofibre aux dépens d'appel qui seront recouvrés selon la procédure de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société Noviprofibre à payer à la société Emtec Electronic la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.