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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 16 avril 2021, n° 18/24022

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Cdiscount (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme Sentucq, Mme Paulmier Cayol

Avocats :

Me Palma, Me Roquain, Me Wartel Several

T. com. Bordeaux, du 5 oct. 2018

5 octobre 2018

Vu le jugement rendu le 5 octobre 2018 par le tribunal de commerce de Bordeaux ayant débouté M. X de toutes ses demandes et notamment de celles tendant à la condamnation de la société Cdiscount à procéder à la réouverture du site de boutique virtuelle I Phonik sous astreinte, et à lui payer la somme de 59 557,56 € en réparation du préjudice causé par la résiliation unilatérale et sans préavis du contrat conclu le 28 octobre 2013, et ayant condamné M. X au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Procédure d'appel.

Vu l'appel interjeté le 13 novembre 2018 par M. X de ce jugement ;

Vu les dernières conclusions remises le 2 août 2019 par M. X aux termes desquelles au visa des articles 1134 et 1184 anciens du code civil, L. 442-6 du code de commerce, il demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris en toute ses dispositions, statuant à nouveau,

- dire et juger ses demandes recevables et bien fondées,

En conséquence,

- dire et juger que la société Cdiscount a rompu brutalement la relation commerciale établie,

En tout état de cause,

- dire et juger que la société Cdiscount a manqué à ses obligations contractuelles en résiliant unilatéralement et sans justification le contrat conclu le 28 octobre 2013,

En conséquence,

- condamner la société Cdiscount à lui payer la somme de 59 557,56 € en réparation du préjudice économique,

- prendre acte de ce que la société Cdiscount l'autorise à ré ouvrir son compte sur la Market Place « CCM »,

- condamner la société Cdiscount à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Maître Sandrine Rouxit ;

Vu les dernières conclusions remises le 14 mai 2019 par la société Cdiscount par lesquelles au visa des même articles que ceux visés par M. X, cette dernière demande à la cour de :

- dire et juger que M. X n'a pas respecté ses engagements contractuels,

- dire et juger que la rupture des relations contractuelles est intervenue aux torts de M. X au regard des graves manquements à ses engagements préjudiciables tant pour la société Cdiscount que pour les autres vendeurs de la Market Place,

- dire et juger que le préavis dont M. X a bénéficié est raisonnable au regard des circonstances des relations entre les parties, et des dispositions contractuelles,

- dire et juger que les relations contractuelles n'ont pas été rompues brutalement,

- dire et juger que la rupture des relations contractuelles par la société Cdiscount n'est nullement fautive,

- dire et juger que M. X ne justifie pas du préjudice qu'il invoque,

- lui donner acte de ce qu'elle a autorisé M. X, sans pour autant que cela ne constitue une quelconque reconnaissance de responsabilité de sa part, à ré ouvrir son compte sur la Market Place « CCM » et qu'il incombe à ce dernier d'effectuer des démarches en ligne à cet effet,

En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris,

- condamner M. X à lui payer la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, y compris les dépens de première instance, dont distraction au profit de Maître Roquain ;

SUR CE :

Comme l'y autorise l'article 455 du code de procédure civile, la cour se reporte aux dernières écritures susvisées des parties et au jugement pour l'exposé des faits et de leurs moyens ; il sera néanmoins succinctement rapporté que le 28 octobre 2013, M. X qui exerce sous l'enseigne I Phonik un commerce de vente de matériel de téléphonie et accessoires, s'est inscrit sur la plateforme de ventes en ligne ou « Marketplace CCM » hébergée sur le site www.cdiscount.com. Cette inscription a emporté l'adhésion de ce dernier aux conditions générales de mise à disposition (CGMAD) de cette plateforme.

Le 3 juillet 2015, M. X recevait un mail de la direction de cette plateforme, lui faisant part qu'avaient été constatées des infractions aux conditions générales de mise à disposition tenant à des retards ou absences de livraison par rapport à la date indiquée aux clients, à l'absence de remboursement dans les dix jours suivant la demande et qui le mettait en demeure de se conformer à ses obligations, l'avertissant que si dans un délai de 30 jours, cette mise en demeure restait infructueuse, elle clôturerait le compte de façon définitive.

Par un mail du 4 août 2015, la société Cdiscount sur le constat que sa mise en demeure était restée infructueuse, annonçait à M. X qu'elle avait procédé à la fermeture de son compte.

M. X par la plume de son conseil tentait de trouver une issue amiable à laquelle la société Cdiscount répondait qu'elle pourrait envisager la ré ouverture de la boutique en ligne, à la condition que celui-ci mette fin à sa situation de dépendance économique dont il avait fait état, rappelant qu'il lui appartient de dimensionner son activité à proportion du volume qu'il peut traiter.

Non satisfait de cette réponse, M. X a saisi le tribunal de commerce de Bordeaux d'une demande d'indemnisation de la brutalité de la rupture.

M. X reproche aux premiers juges d'avoir méconnu l'objet du litige et enfreint le principe de contradiction en ayant retenu pour le débouter de ses demandes qu'il n'existait pas une relation commerciale établie alors que la société Cdiscount n'avait pas réfuté l'existence d'une telle relation.

S'il est exact que le jugement ne fait pas état de la contestation par la société Cdiscount de l'existence d'une relation commerciale établie, ce grief n'est pas de ceux qui peuvent emporter la nullité du jugement, vers laquelle l'appel ne tend d'ailleurs pas.

Ce moyen est donc inopérant.

Pour contester l'existence d'une relation commerciale établie, la société Cdiscount fait valoir que celle-ci est d'une durée insuffisante et qu'elle a été interrompue du fait de M. X au mois de juillet 2015, ce dernier ayant cessé de livrer les clients et de répondre à leurs demandes.

La durée de la relation commerciale n'est pas appréciée in abstracto mais en fonction notamment du domaine et des particularités de l'activité de celui qui la revendique.

En l'espèce, M. X auto-entrepreneur n'emploie aucun salarié, commercialise du matériel de téléphonie et leurs accessoires exclusivement par le biais de ventes en ligne ; il est donc dépendant pour l'exploitation de son commerce des plateformes de ventes en lignes, dont la plateforme « CCM » qui est selon la société Cdiscount une des plus puissantes en France, cette dernière se prévalant ainsi d'avoir eu en 2015 un volume d'affaires de 3 milliards d'euros.

Il est justifié que M. X avait ainsi réalisé un chiffre d'affaires de 69 926,26 € sur cette plateforme entre le 1er janvier 2015 et le 3 août 2015. Le site Cdiscount renseigne que la boutique virtuelle I Phonik avait réalisé avant sa fermeture 3727 ventes au cours des douze mois précédant sa fermeture et que M. X y avait acquis une note de 4,5/5.

Au vu de ces éléments, ce dernier pouvait raisonnablement escompter poursuivre sur cette plateforme ses ventes qui portent sur des biens particulièrement bien adaptés au commerce électronique.

L'interruption de son service pendant une dizaine, voire une quinzaine de jours au cours du mois de juillet 2015 à l'occasion des congés d'été, qui n'entraîne pas en soi sa désinscription du site, n'est pas de nature à retirer à la relation son caractère stable.

Il est donc retenu qu'existait entre la société Cdiscount et M. X une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 ancien du code de commerce applicable au litige qui prévoit qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Cet article réserve toutefois la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

La société Cdiscount pour s'opposer aux demandes en paiement soutient d'une part que M. X a bénéficié d'un préavis d'un mois entre le courrier du 3 juillet 2015 qui lui été adressé pour l'informer des manquements relevés et lui annoncer la fermeture de son compte s'il n'y remédiait pas et le 4 août 2015 date à laquelle son compte a été clôturé et d'autre part que la gravité des fautes de celui-ci lui permettait de toute façon de rompre les relations contractuelles sans préavis.

A titre subsidiaire, elle s'oppose à toute demande d'indemnisation aux motifs que M. X ne justifie pas de la réalité du préjudice qu'il prétend subir, ce dernier articulant exclusivement ses demandes sur le montant de son chiffre d'affaires et non sur un gain manqué ou sur une perte subie, que M. X ne justifie pas qu'il ne disposait de solutions alternatives pour commercialiser en ligne ses produits, qu'en tout état de cause, elle a proposé à M. X de se réinscrire sur sa Marketplace.

Au demeurant, le courriel adressé par la société Cdiscount le 3 juillet 2015 est une mise en demeure mettant en mouvement sa faculté ouverte par l'article 3 des CGMAD de résilier de plein droit l'inscription du vendeur (ici M. X). Cet article qui définit contractuellement un certain nombre de faits réputés constitutifs d'une inexécution ou d'une mauvaise exécution par le vendeur, prévoit un formalisme réduit pour la mise en mouvement de cette faculté de résiliation, à savoir l'envoi d'un simple mail un mois après une mise en demeure restée infructueuse.

Conformément à l'article 3 des CGMAD, ce courriel alerte M. X qu'un mois lui est laissé pour mettre fin aux manquements qui lui sont reprochés et éviter la résiliation qui restait donc à ce stade une éventualité ; la rupture n'étant pas consommée, ni même certaine, ce délai d'un mois n'était pas le préavis utile de l'article L. 442-6, lequel doit permettre à celui qui subit la rupture d'organiser ou de réorienter son activité en fonction de la rupture annoncée de la relation commerciale.

Ainsi, en l'absence d'un tel préavis, la société Cdiscount en informant M. X par son courriel du 4 août que son compte est définitivement clôturé, a rompu brutalement la relation commerciale. Compte tenu de la durée de la relation commerciale et du domaine d'activité dans lequel s'est inscrite la relation commerciale, M. X aurait dû bénéficier d'un préavis d'un mois entre l'annonce de la rupture et le caractère effectif de celle-ci.

En application des CGMAD, le vendeur doit accepter les commandes faites par les acheteurs, c'est à dire avoir en stock et immédiatement disponibles les produits qu'il propose à la vente de façon à ce que la commande puisse être satisfaite, expédier aux acheteurs les produits dont il a accepté les commandes avant la date maximum de livraison indiquée à l'acheteur.

Si la société Cdiscount a joint à son courriel du 3 juillet des extraits de messages d'acheteurs demandant d'annuler leur commande, des informations sur leur suivi, leur remboursement, ou de réparer le produit livré, elle n'a pas remis une copie complète du courriel du 3 juillet 2014, malgré la demande qui lui en a été faite en cours de délibéré, de sorte que la preuve du grief d'une absence de remboursement d'un client ayant annulé sa commande dans le délai de dix jours de sa réclamation comme le prévoient les CGMAD n'est pas rapportée. Il en est de même du grief tenant à une validation mensongère d'une expédition, étant relevé en tout état de cause que l'intention malicieuse ne peut résulter d'un seul cas alors que la validation querellée se fait par un simple clic qui peut être provoqué par une simple maladresse de manipulation, inadvertance ou inattention.

Si certains messages figurant sur les pages restantes sont parfois exprimés un peu sèchement, ils ne contiennent aucun propos désobligeant et il n'est pas rapporté qu'ils contreviennent aux usages du commerce électronique.

Surtout, les CGMAD fixent des seuils de tolérance pour chacune de ces obligations, déterminés en fonction d'un taux de pourcentage, pourcentage lui-même défini à partir d'une formule mathématique. Ce taux de pourcentage ne doit pas dépasser 95 %.

La société Cdiscount ne justifie pas par des pièces les éléments chiffrés dont elle se prévaut sur le dépassement de ces seuils de tolérance de sorte qu'il n'est pas établi qu'ils ont été dépassés tandis que la note obtenue par la boutique I Phonik de 4,5/5 plaide en faveur d'un service de qualité.

En conséquence, n'étant pas démontré que M. X a manqué à ses obligations, la société Cdiscount devait en application de l'article L. 442-6 respecter un préavis dont la durée a été ci avant fixée à un mois.

La proposition de la société Cdiscount de réouvrir sa boutique I Phonik sur la plateforme C. Discount exprimée dans un courrier du 5 octobre 2015 plus de deux mois après la rupture de la relation commerciale n'est pas de nature à réparer le préjudice causé par sa brutalité. Par ailleurs, l'absence de dépendance économique qu'exige l'intimé des vendeurs sur sa plateforme ne supprime pas le préjudice résultant de la désinscription de M. X à l'initiative de la société Cdiscount qui l'a privé d'un canal important de vente.

M. X par la copie des factures que lui a adressées la société Cdiscount justifie avoir réalisé sur la plateforme de cette dernière un chiffre d'affaires d'un montant de 69 483,80 € entre le 1er janvier 2015 et le 3 août 2015, soit une moyenne mensuelle de 9 926,26 €. Cependant, pour réaliser ce chiffre d'affaires M. X a dû supporter des charges dont notamment le montant des commissions versées à la société Cdiscount et qui se sont élevées sur cette période à la somme moyenne mensuelle de 1 042,01 € qui doit être déduit du montant du chiffre d'affaires, le ramenant à la somme de 8 884,25 €. Il convient également de tenir compte du prix des marchandises achetées pour être revendues. En fonction de ces paramètres, la cour est en mesure de fixer le montant propre à réparer le préjudice subi par M. X à 30 % de la somme de 8 884,25 €, soit à hauteur de 2 665,27 €.

Il n'y a pas lieu par ailleurs de statuer sur les demandes de donner acte ou de prise d'acte qui n'ont pas pour finalité de trancher le litige et ne sont donc pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile.

La société Cdiscount succombant en l'essentiel de ses prétentions, elle supportera donc les dépens de première instance et d'appel et est mise à sa charge une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'il suit tandis que les chefs du jugement ayant alloué à la société Cdiscount une indemnité de ce chef sont infirmés.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement rendu le 5 octobre 2018 par le tribunal de commerce de Bordeaux ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société Cdiscount à payer à M. X la somme de 2 665,27 € en réparation du préjudice causé par la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie ;

Condamne la société Cdiscount à payer à M. X la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Cdiscount aux dépens de première instance et d'appel lesquels pourront être distraits au profit de maître Sandrine Rouxit.