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Décisions

Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 06-40.945

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collomp

Rapporteur :

M. Bailly

Avocat général :

M. Aldigé

Avocats :

SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Gatineau

Montpellier, du 14 déc. 2005

14 décembre 2005

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 14 décembre 2005) que la société Ecole supérieure des métiers de l'aéronautique (ESMA), filiale de la société Air littoral, employant M. X... comme instructeur pilote depuis 1999, a été placée le 21 août 2003 en redressement judiciaire, en même temps que les sociétés Air littoral et Air littoral industrie ; que le 5 novembre 2003, le tribunal de commerce a arrêté les plans de cession de ces sociétés, au profit d'une société Azzura, un second jugement du 7 novembre 2003 précisant le nombre des suppressions d'emploi autorisées dans la société ESMA, ainsi que les activités et catégories d'emplois concernées ; qu'en exécution de ce jugement, les administrateurs judiciaires ont notifié le 3 décembre 2003 à M. X... son licenciement pour motif économique, après l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi ; que le 23 décembre 2003, le tribunal de commerce a prononcé la résolution des plans de cession, dont celui de la société ESMA et ouvert une nouvelle période d'observation, en disant dans son jugement "que la résolution prononcée n'a pas d'effet rétroactif et ne saurait remettre en cause les actes passés en conséquence des décisions de justice exécutoire (...) qu'il s'agisse des jugements du 5 novembre 2003 et du 7 novembre 2003, ou les actes effectués par les administrateurs judiciaires pour la mise en oeuvre des plans de cession" et en constatant "l'absence d'effet rétroactif de la résolution prononcée, qui est donc sans conséquence sur les licenciements notifiés dans les délais légalement prescrits" ; que le 16 janvier 2004, un nouveau plan de cession de la société ESMA a été arrêté par le tribunal de commerce, au bénéfice du groupe Aéro conseil, auquel s'est ensuite substituée une société ESMA groupe Aéro conseil, constituée à cette fin, avec reprise de tout le personnel alors en place ; que, soutenant notamment que la résolution du plan de cession de la société ESMA avait entraîné l'anéantissement du plan de sauvegarde de l'emploi et des licenciements autorisés, qui se trouvaient dépourvus de cause réelle et sérieuse, et que la société cessionnaire avait méconnu la priorité de réembauchage dont il bénéficiait, M. X... a saisi le juge prud'homal de demandes indemnitaires dirigées contre les sociétés ESMA et Air littoral et contre la société ESMA groupe Aéro conseil ;

Sur le premier moyen, après avis de la chambre commerciale, économique et financière :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir débouté de sa demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :

1°/ que le plan de cession qui prévoit des licenciements pour motif économique doit indiquer le nombre des salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les catégories d'emplois concernées, à défaut de quoi le licenciement n'a pas été régulièrement autorisé ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, après avoir pourtant constaté que ce n'est que par jugement du 7 novembre 2003, soit postérieurement au jugement du 5 novembre 2003 ayant arrêté le plan de cession, que le tribunal de commerce de Montpellier avait indiqué les salariés licenciés, la cour d'appel a violé les articles L. 621-64 du code de commerce et 64 du décret du 27 décembre 1985, dans leur rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 ;

2°/ qu'en toute hypothèse, en ne recherchant pas comme elle y était invitée, si le jugement du tribunal de commerce du 7 novembre 2003, qui avait précisé le nombre des licenciements d'un ou plusieurs salariés de la catégorie professionnelle à laquelle appartenait M. X..., la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 621-64 du code de commerce et 64 du décret du 27 décembre 1985, dans leur rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 ;

3°/ que la lettre de licenciement adressée au salarié doit se référer expressément au jugement adoptant le plan de cession en application duquel le licenciement est intervenu ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la lettre de licenciement notifiée le 3 décembre 2003 à M. X... faisait référence à la décision du tribunal de commerce de Montpellier ayant autorisé son licenciement, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 621-64 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005, ensemble les articles L. 122-14-2, L. 122-14-3 et L. 321-1 du code du travail ;

4°/ que la résolution du plan de cession emporte retour de l'entité transférée et des contrats de travail y afférents au cédant et rend caducs les licenciements prononcés en exécution du plan de cession ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 621-91, alinéa 4, du code de commerce ;

5°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a été jugé entre les mêmes parties ; qu'en décidant que la résolution du plan de cession de la société ESMA n'avait pas affecté le licenciement de M. X..., le jugement prononçant la résolution ayant expressément précisé que les licenciements réalisés n'étaient pas affectés, sans constater, soit que le salarié était partie à l'instance devant le tribunal de commerce de Montpellier, soit même qu'il y a avait été représenté, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1351 du code civil ;

6°/ que le licenciement pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsque la suppression d'emploi n'est pas effective ; que dans ses conclusions régulièrement déposées à l'audience et reprises oralement M. X... faisait expressément valoir que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors qu'après la résolution du premier plan et l'adoption d'un second plan de cession au profit de la société ESMA groupe Aéro conseil, celle-ci avait recruté un salarié sur un poste compatible avec ses propres qualifications et compétences ; qu'en s'abstenant de rechercher si le licenciement de M. X... n'était pas dépourvu de cause réelle et sérieuse, son poste n'ayant pas été effectivement supprimé, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 321-1 du code du travail ;

Mais attendu, d'abord, que le jugement du 7 novembre 2003, qui réparait, avant la notification du licenciement, l'omission de statuer dont était affecté le jugement du 5 novembre précédent arrêtant le plan de cession et qui précisait le nombre des suppressions d'emplois autorisées, ainsi que les activités et catégories d'emplois concernées, répondait aux exigences de l'article L. 621-64 du code de commerce et de l'article 64 du décret du 27 décembre 1985, alors applicables ;

Attendu, ensuite, qu'en retenant que ces jugements permettaient de licencier M. X..., la cour d'appel a implicitement mais nécessairement jugé qu'il relevait de l'une des catégories d'emploi concernées par la réduction des effectifs ;

Attendu, en outre, d'une part, que les effets du jugement prononçant la résolution du plan de cession sont opposables à tous, d'autre part, que le tribunal qui prononce la résolution du plan de cession a le pouvoir de limiter les effets de cette résolution, en maintenant des actes accomplis en exécution du plan ; qu'ayant relevé que le jugement qui prononçait la résolution du plan de cession prévoyait dans son dispositif le maintien des actes passés par les administrateurs judiciaires en exécution du jugement arrêtant le plan et l'absence d'effet rétroactif de la résolution sur les licenciements notifiés par ces derniers, la cour d'appel en a exactement déduit que la validité de ces licenciements, prononcés en exécution des jugements des 5 et 7 novembre 2003, ne pouvait être contestée ;

Attendu, enfin, que, sauf lorsque l'autorisation de licenciement a été obtenue par fraude, l'autorité du jugement arrêtant le plan de cession et prévoyant, en application de l'article L. 621-64 du code de commerce, des licenciements pour motif économique, s'attache, par l'effet de l'article 64 du décret du 27 décembre 1985, à l'existence d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification du contrat de travail consécutive à des difficultés économiques, à une mutation technologique ou à une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ; que la cour d'appel, qui a constaté que la rupture du contrat de travail de M. X... se plaçait dans le cadre de licenciements autorisés par le jugement du 5 novembre 2003, arrêtant le premier plan de cession et visé dans la lettre de licenciement, n'avait pas à rechercher si l'emploi du salarié avait été effectivement supprimé, dès lors qu'il n'était pas soutenu que l'autorisation de licenciement prévue par ce jugement, complété le 7 novembre suivant, avait alors été obtenue par fraude ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article L. 321-14 du code du travail, devenu l'article L. 1233-45, ensemble l'article L. 122-12, alinéa 2, de ce code, devenu l'article L. 1224-1, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE, du 12 mars 2001 ;

Attendu que, pour débouter M. X... de la demande indemnitaire qu'il formait au titre d'une violation de la priorité de réembauchage, la cour d'appel retient que la demande présentée à cette fin par le salarié a été adressée le 15 janvier 2004 aux mandataires judiciaires de la société Air littoral, que la lettre de licenciement du 3 novembre 2003 invitait M. X... a faire valoir sa priorité de réembauchage auprès de la société Azzura air littoral et que la société ESMA groupe Aéro conseil, qui n'avait pas encore été créée, ne pouvait être tenue de cette obligation ;

Attendu cependant que le droit des salariés licenciés pour motif économique et qui ont demandé à bénéficier de la priorité de réembauchage prévue par l'article L. 321-14 du code du travail, devenu l'article L. 1233-45, s'exerce à l'égard de l'entreprise et subsiste en cas de reprise de l'entité économique par un autre employeur, peu important que cette demande ait été faite auprès de l'auteur du licenciement et que la cession soit intervenue après le licenciement ; Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors, d'une part, qu'elle constatait que M. X... avait manifesté l'intention d'user de la priorité de réembauchage dont il bénéficiait dans le délai imparti à cette fin et alors, d'autre part, que la modification survenue dans la situation juridique de l'employeur n'était pas de nature à priver d'effet cette demande, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande indemnitaire dirigée contre la société ESMA groupe Aéro conseil, au titre d'une violation de la priorité de réembauchage, l'arrêt rendu le 14 décembre 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.