Cass. soc., 9 octobre 2019, n° 18-15.305
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cathala
Avocats :
SCP Rousseau et Tapie, SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer
Sur le pourvoi principal de l'expert :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 février 2018), que la société Groupe Flo (la société) a mis en place, par accord collectif de groupe du 12 février 2016, un comité de groupe ; que ce dernier a décidé lors de sa réunion du 8 juin 2016 de recourir à l'assistance d'un cabinet d'expertise comptable pour l'examen des comptes annuels de la société Groupe Flo pour 2015 et désigné le cabinet société Diagoris (l'expert) à cette fin ; que la mission de l'expert a été étendue à l'examen des comptes annuels 2016 par décision du 26 janvier 2017 ; que le comité de groupe et l'expert ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance en février 2017 pour obtenir notamment communication par la société des documents ayant trait à la désignation du mandataire ad hoc, à la recherche de possibles repreneurs du groupe et aux cessions d'actifs envisagées ; que suite au rejet de cette demande par le président du tribunal de grande instance, l'expert a interjeté appel ;
Attendu que l'expert fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de communication d'informations complémentaires alors, selon le moyen :
1°) que l'article L. 611-3 du code de commerce dispose que « le président du tribunal peut, à la demande d'un débiteur, désigner un mandataire ad hoc dont il détermine la mission. Le débiteur peut proposer le nom d'un mandataire ad hoc. La décision nommant le mandataire ad hoc est communiquée pour information aux commissaires aux comptes lorsqu'il en a été désigné. Le tribunal compétent est le tribunal de commerce si le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale et le tribunal de grande instance dans les autres cas. Le débiteur n'est pas tenu d'informer le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel de la désignation d'un mandataire ad hoc » ; que l'exception à l'obligation générale de l'employeur d'informer les représentants du personnel et l'expert de tout élément affectant la marche de l'entreprise ne concerne que la seule désignation du mandataire ad hoc ; qu'après avoir constaté que le texte mentionnait que la société n'était pas tenue d'aviser le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel de la « désignation » d'un mandataire ad hoc, la cour d'appel a décidé que l'entreprise pouvait, sans qu'il en résulte un trouble manifestement illicite, ne pas déférer aux demandes de l'expert-comptable désigné par le comité de groupe, lesquelles visaient pourtant à obtenir des informations, non pas sur la seule désignation d'un mandataire ad hoc déjà rendue publique par la société elle-même, mais des documents ayant trait à la recherche de possibles repreneurs du groupe en difficulté, notamment tout document de nature à les informer sur le déroulement et les suites réservées au mandat ad hoc, les cessions d'actifs envisagées, la recherche de possibles repreneurs, à ordonner à la société Groupe Flo de convoquer sous les mêmes conditions un comité de groupe extraordinaire ayant pour objet d'informer/consulter le comité sur ces points, à obtenir la communication à la société Diagoris des documents visés dans sa lettre de mission, les informations concernant le processus de cession en cours, la procédure de mandat ad hoc et les pièces visées dans sa demande de communication complémentaire du 1er février 2017 ; qu'elle a ainsi violé les articles L. 611-3 du code de commerce et 809 du code de procédure civile ;
2°) que selon l'article L. 2334-4 du code du travail, pour l'exercice des missions prévues par l'article L. 2332-1, le comité de groupe peut se faire assister par un expert-comptable ; que pour opérer toute vérification ou tout contrôle entrant dans l'exercice de ses missions, l'expert-comptable a accès aux mêmes documents que les commissaires aux comptes des entreprises constitutives du groupe ; qu'il n'appartient qu'au seul expert-comptable désigné, qui dispose d'un droit de communication des documents nécessaires à l'exercice de sa mission, d'apprécier les documents utiles à cet exercice et que le refus opposé constitue un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge de faire cesser ; qu'en ayant dit que l'absence de communication au cabinet d'expertise comptable Diagoris, désigné par le comité de groupe, des informations et documents qu'il sollicitait, ne caractérisait aucun trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 2334-4 du code du travail et 809 du code de procédure civile ;
3°) que selon l'article L. 2325-36 du code du travail, la mission de l'expert-comptable porte sur tous les documents d'ordre économique, financier ou social nécessaires à l'intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise et que pour l'exercice de ses missions, l'expert-comptable doit avoir accès, comme le commissaire aux comptes, aux documents concernant les autres sociétés du groupe ; qu'en ayant rejeté les demandes de l'expert-comptable désigné par le comité de groupe visant à obtenir des documents ayant trait à la recherche de possibles repreneurs du groupe en difficulté, notamment tout document de nature à les informer sur le déroulement et les suites réservées au mandat ad hoc, les cessions d'actifs envisagées, la recherche de possibles repreneurs, à ordonner à la société Groupe Flo de convoquer sous les mêmes conditions un comité de groupe extraordinaire ayant pour objet d'informer/consulter le comité sur ces points, à obtenir la communication à la société Diagoris des documents visés dans sa lettre de mission, les informations concernant le processus de cession en cours et la procédure de mandat ad hoc et les pièces visées dans sa demande de communication complémentaire du 1er février 2017, et en ayant écarté l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé les articles L. 2325-36 du code du travail et 809 du code de procédure civile ;
4°) et en tout état de cause, que l'expert-comptable est tenu, en vertu de l'article L. 2325-42 du code du travail, à des obligations de secret et de discrétion, et ne peut donc se voir opposer le caractère confidentiel des documents qu'il demande ; que la cour d'appel a dit n'y avoir lieu à communication d'informations sur la procédure de mandat ad hoc au cabinet d'expertise comptable Diagoris, en raison de la confidentialité absolue attachée par la loi à la procédure amiable, et que l'obligation de confidentialité, justifiée par la discrétion nécessaire sur la situation de l'entreprise concernée et sur les éventuelles négociations entre dirigeants, actionnaires, créanciers et garants de celle-ci, devait être strictement respectée, de sorte qu'il ne pouvait être exigé de l'entreprise ayant sollicité cette mesure qu'elle déroge à cette règle qui s'impose à elle, cette confidentialité ayant été instituée pour le bon déroulement et l'efficacité des négociations en cours et, le cas échéant, la conclusion d'un accord sous le contrôle d'un tiers spécialisé, que son caractère confidentiel s'attache non seulement à la requête mais également aux documents ayant trait à la procédure mise en oeuvre et notamment à la cession envisagée ; qu'en déboutant pour ces motifs la société Diagoris de ses demandes et en écartant l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé les articles L. 2325-42 du code du travail et 809 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant constaté que les documents dont la communication était sollicitée par l'expert du comité de groupe dans le courrier adressé le 1er février 2017 par l'expert à la société (marques d'intérêts ou lettre d'intention des acquéreurs potentiels, offres fermes éventuelles, calendrier du processus de cession, Vendor Due Diligence éventuels), avaient trait au mandat ad hoc qui avait été mis en oeuvre en novembre 2016 par la société, et relevé qu'en application des articles L. 611-3 et L. 611-15 du code de commerce, doit être respectée une obligation de confidentialité justifiée par la discrétion nécessaire sur la situation de l'entreprise concernée et sur les éventuelles négociations entre dirigeants, actionnaires, créanciers et garants de celle-ci, qu'il résulte tant de ses fondements que de l'objectif même de la procédure que son caractère confidentiel s'attache non seulement à la requête mais également aux documents ayant trait à la procédure mise en oeuvre et notamment à la cession envisagée, qui ne mettent pas en cause seulement la société mais également les créanciers et les repreneurs éventuels nécessairement impliqués dans cette procédure, la cour d'appel, qui a constaté par ailleurs que la société avait transmis à l'expert en octobre, novembre 2016 et en janvier 2017 les informations comptables et financières et les informations sociales du groupe pour lui permettre de remplir sa mission, sans que l'expert n'apporte la preuve contraire, ne détaillant pas les éléments qui seraient manquants, a pu en déduire l'absence de trouble manifestement illicite ; que le moyen, inopérant en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu que le rejet du pourvoi principal rend sans objet le pourvoi incident éventuel formé par l'employeur ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.