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Décisions

Cass. com., 14 avril 2021, n° 18-13.763

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

New PLV (SAS)

Défendeur :

Zouari, Meslati

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Le Bras

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

la SARL Cabinet Briard, Me Balat

Paris, pôle 5 ch. 5, du 15 mars 2018

15 mars 2018

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 mars 2018), la société New PLV, spécialisée dans l'affichage numérique de publicités sur des supports de type écrans plasma et LCD, a confié à M. Zouari, par plusieurs contrats successifs, pour une durée déterminée, à compter du 1er septembre 2008 et à M. Meslati, à compter d'octobre 2014, la commercialisation de ces espaces auprès de centres commerciaux. Le dernier contrat conclu avec M. Zouari le 3 janvier 2011, pour une durée indéterminée, précisait qu'il annulait et remplaçait tous les accords écrits et verbaux des parties relatifs au même objet.

2. Invoquant le caractère fautif du rendez-vous obtenu par MM. Zouari et Meslati avec les dirigeants de sa concurrente, la société AD France, et leur reprochant un manquement à leur obligation de loyauté, la société New PLV leur a notifié les 21 et 27 janvier 2015 la résiliation de leurs contrats, sans indemnité.

3. MM. Zouari et Meslati, revendiquant le statut d'agent commercial, ont assigné la société New PLV en paiement de diverses indemnités.

Examen des moyens  

Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

5. La société New PLV fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qui concerne le principe de l'octroi d'indemnités compensatrices de préavis et sa condamnation à payer une certaine somme à M. Zouari au titre de ses commissions relatives au mois de décembre 2014, de dire que MM. Zouari et Meslati étaient liés à elle par des contrats d'agents commerciaux et que la rupture de ces contrats lui était imputable, de la condamner à leur payer diverses sommes à titre d'indemnités de rupture et de préavis et au titre de commissions, notamment celles dues sur l'ensemble des contrats de publicité conclus par M. Zouari avant la date de rupture et sur les contrats conclus par M. Meslati avec certains annonceurs, de lui ordonner de leur fournir mensuellement, respectivement à compter des mois de février et de janvier 2015, un relevé de chiffre d'affaires sur les contrats versés au débat jusqu'à la résiliation ou l'expiration de ceux-ci et portant sur les opérations ouvrant droit à commissions récurrentes, et de rejeter toutes les autres demandes, alors :

« 2°) que l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux ; que pour dire que MM. Zouari et Meslati étaient liés à la société New PLV SAS par des contrats d'agents commerciaux, l'arrêt retient que les premiers étaient mandatés par la seconde pour vendre ses solutions d'affichages numériques à des annonceurs, moyennant le paiement par celle-ci de commissions, et disposaient pour ce faire d'une marge de manœuvre sur une partie au moins de l'opération économique conclue, en ce qu'ils pouvaient parfois accorder à leurs prospects de leur propre initiative une gratuité partielle de diffusion, des remises partielles de frais et de mise à jour, ainsi qu'un paiement échelonné ; qu'en statuant ainsi, quand il ressortait de ses propres énonciations que la marge de manœuvre dont se prévalaient les intéressés n'existait qu'occasionnellement et non pas de façon permanente, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l'article L. 134-1 du code de commerce ;

3°) que l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux ; que pour dire que MM. Zouari et Meslati étaient liés à la société New PLV SAS par des contrats d'agents commerciaux, l'arrêt se borne à retenir que les premiers étaient mandatés par la seconde pour vendre ses solutions d'affichages numériques à des annonceurs, moyennant le paiement par celle-ci de commissions, et disposaient pour ce faire d'une marge de manœuvre sur une partie au moins de l'opération économique conclue, en ce qu'ils pouvaient parfois accorder à leurs prospects de leur propre initiative une gratuité partielle de diffusion, des remises partielles de frais et de mise à jour, ainsi qu'un paiement échelonné ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que les intéressés, qui ne pouvaient solliciter davantage d'annonceurs que ce qui leur était spécifié par la société New PLV SAS compte tenu des possibilités limitées de diffusion sur chaque site, étaient en mesure d'influer sur les tarifs et conditions de vente, la cour d'appel n'a pas caractérisé un véritable pouvoir de négociation, privant de la sorte sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour  

6. Après avoir relevé que MM. Zouari et Meslati étaient effectivement mandatés par la société New PLV pour vendre ses solutions d'affichages numériques placées dans des centres commerciaux à des annonceurs, moyennant le paiement par celle-ci de commissions, l'arrêt retient qu'ils disposaient pour ce faire d'une marge de manœuvre certaine sur une partie au moins de l'opération économique conclue, en ce que, comme il résulte des modèles d'ordres de publicité préétablis qu'ils renseignaient, ils pouvaient parfois accorder à leurs prospects, de leur propre initiative - la référence à un accord antérieur exprès du gérant de la société New PLV n'apparaissant pas de façon systématique -, une gratuité partielle de diffusion, des remises partielles de frais et de mise à jour, ainsi qu'un paiement échelonné.  

7. Par ces seuls motifs faisant ressortir que MM. Zouari et Meslati usaient, de manière occasionnelle, de la possibilité de déroger aux conditions commerciales habituelles dont ils disposaient de façon permanente, la cour d'appel, qui a caractérisé un véritable pouvoir de négociation, a légalement justifié sa décision.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. La société New PLV fait le même grief à l'arrêt, alors « que le manque de loyauté dans l'exécution du contrat constitue une faute grave privative d'indemnités ; que pour dire que la rupture des contrats était imputable à la société New PLV SAS et la condamner au paiement de diverses sommes à MM. Zouari et Meslati, l'arrêt retient, d'une part, qu'elle ne démontre pas que le rendez-vous obtenu par ces derniers le 16 décembre 2014 auprès des dirigeants de sa concurrente directe, la société AD France, avait un but déloyal et, d'autre part, que le fait pour des agents commerciaux de taire à leur mandant, avec qui ils ne sont pas liés par une clause d'exclusivité, l'existence d'une prise de contact avec un concurrent, au cours duquel a été envisagée la possibilité d'une éventuelle collaboration, qu'elle soit parallèle ou non à celle du mandat en cours, sans qu'il n'y ait eu de suites avérées, ne constitue pas à lui seul un manquement au devoir de loyauté et d'information des agents commerciaux suffisamment grave pour les priver de leur droit à indemnité de rupture ; qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que MM. Zouari et Meslati avaient de concert dissimulé à leur mandant s'être rendus à une réunion qu'ils avaient secrètement sollicitée auprès d'un concurrent direct, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, d'où il ressortait un manque de loyauté des intéressés constitutif d'une faute grave, et a partant violé les articles L. 134-4 du code de commerce, ensemble les articles L. 134-11, L. 134-12 et L. 134-13 du même code. »

Réponse de la Cour  

10. L'arrêt retient que la société New PLV échoue à démontrer que MM. Zouari et Meslati ont sollicité un rendez-vous auprès de la société concurrente AD France dans le but de se faire embaucher par elle, de lui transférer le savoir-faire de leur mandant et de débaucher ses salariés. Il relève que les deux sociétés concurrentes avaient un projet de partenariat pour se partager le marché Carrefour. Il constate enfin que cet unique rendez-vous, résumé à une prise de contact, au cours duquel a été envisagée la possibilité d'une éventuelle collaboration, n'avait pas eu de suites avérées et notamment pas de nouveau mandat signé. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que ce fait, bien que dissimulé par MM. Zouari et Meslati à leur mandant, ne constituait pas, à lui seul, un manquement au devoir de loyauté suffisamment grave pour priver les agents commerciaux de leur droit à indemnité.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. La société New PLV fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande de restitution de l'iPad formée contre M. Zouari, alors « que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel ; que pour déclarer irrecevable la demande de restitution de l'iPad formée par la société New PLV à l'encontre de M. Zouari, l'arrêt se borne à retenir que celle-ci est nouvelle en cause d'appel, n'ayant pas été formée en première instance et sa nécessité alléguée n'ayant pas été révélée postérieurement au jugement, étant connue au moins depuis un courrier du 21 janvier 2015 de la société New PLV SAS faisant injonction à son agent de lui rendre cet appareil, et la date invoquée de la géolocalisation de celui-ci étant indifférente à cet égard ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la demande de la société New PLV SAS, qui revêtait le caractère reconventionnel comme émanant du défendeur en première instance, ne se rattachait pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 70 et 567 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour  

Recevabilité du moyen  

13. M. Zouari conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que la société New PLV s'est exclusivement prévalue des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, en faisant valoir que la détention de la tablette litigieuse par M. Zouari constituait la révélation d'un fait au sens de ce texte.

14. Cependant, le moyen étant né de la décision attaquée, il ne peut être argué de nouveauté.

15. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen  

Vu les articles 70 et 567 du code de procédure civile :

16. Il résulte de ces textes que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel à la condition de se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant.

17. Pour déclarer irrecevable la demande en restitution de la tablette formée par la société New PLV, l'arrêt retient que la demande est nouvelle en cause d'appel, en application de l'article 564 du code de procédure civile, dès lors qu'elle n'a pas été formée en première instance et que sa nécessité alléguée n'a pas été révélée postérieurement au jugement, étant connue au moins depuis la lettre du 21 janvier 2015 de la société New PLV faisant injonction à M. Zouari de lui rendre cet outil.

18. En statuant ainsi, alors qu'une juridiction d'appel, saisie d'une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de prétentions nouvelles en cause d'appel ou la relevant d'office, est tenue de l'examiner au regard des exceptions prévues aux articles 564 à 567 du code de procédure civile, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si la demande de la société New PLV, laquelle était reconventionnelle dès lors que M. Zouari avait engagé l'action contre cette société, ne se rattachait pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de restitution de l'iPad formée par la société New PLV contre M. Zouari, l'arrêt rendu le 15 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.