Cass. 3e civ., 24 janvier 1996, n° 94-10.322
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauvois
Rapporteur :
M. Boscheron
Avocat général :
M. Sodini
Avocats :
SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, Me Choucroy
Sur les deux moyens, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 10 décembre 1993), que, par acte du 6 octobre 1986, la société Migros, aux droits de laquelle se trouvent la Société européenne de supermarchés et la société Match Alsace, a donné en location à M. X..., suivant un contrat intitulé " contrat de location d'emplacements ", divers locaux à usage commercial pour une durée de 15 jours ; que cette location, utilisée par M. X... pour le commerce de fleurs, a été régulièrement renouvelée pour une durée variant de 7 jours à un mois et, pour la dernière fois, le 18 décembre 1989, pour une durée de 7 jours ;
Attendu que la Société européenne de supermarchés et la société Match Alsace font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande aux fins d'expulsion de M. X..., alors, selon le moyen, 1° que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, et ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit qu'il a relevés d'office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en se fondant, pour juger que le locataire pouvait se prévaloir d'une clientèle propre distincte de celle du supermarché, sur une autonomie de gestion du locataire, et sur une clause contractuelle non invoquée par les parties et non débattue contradictoirement, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; 2° que les contrats de location d'emplacements stipulaient aux conditions générales que : " 3-1 Le preneur agira à ses risques et périls. Il devra prendre toutes les mesures nécessaires, en vue d'assurer les objets exposés, ainsi que le matériel, contre les sinistres pouvant survenir (incendie, vol, dégâts des eaux, chute et choc, bris, etc.). La responsabilité du bailleur ne pourra en aucun cas être recherchée lors des sinistres ou dommages quelconques " ; qu'en déduisant de cette clause, qui ne concernait que l'obligation d'assurance, que les sociétés bailleresses avaient entendu accorder au locataire une pleine autonomie de gestion, la cour d'appel a dénaturé ladite clause et violé l'article 1134 du Code civil ; 3° que, pour pouvoir bénéficier du statut des baux commerciaux, le locataire, qui exploite son commerce dans un local dépendant d'une grande surface, doit démontrer qu'il est titulaire d'une clientèle personnelle, laquelle se déduit des efforts du locataire pour attirer une clientèle spécifique distincte de celle de la grande surface ; que, dès lors, en déduisant l'existence d'une clientèle propre du locataire du seul emplacement du local et de l'autonomie de gestion dont bénéficiait le locataire, sans caractériser les efforts entrepris par ce dernier pour attirer une clientèle spécifique, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1er du décret du 30 septembre 1953 ; 4° que le locataire peut toujours renoncer valablement à son droit acquis au renouvellement du contrat de bail pour 9 ans en signant une nouvelle convention dérogatoire ; que M. X..., locataire, a toujours signé des conventions de location d'emplacements d'une durée de 8 à 30 jours ; que, dès lors, en jugeant que le locataire ne pouvait pas renoncer au bénéfice de la propriété commerciale en raison du contrat en cours qui liait les parties pour une durée de 9 ans et qui venait à expiration en 1995, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil, 3-2 et 35 du décret du 30 septembre 1953 ; 5° que seules des conventions de location d'emplacements d'une durée de quelques jours ou d'un mois liaient les parties ; que, dès lors, en déduisant le caractère équivoque de la renonciation du locataire à l'existence d'un bail de 9 ans en cours, lors de la signature de la dernière convention en date du 18 décembre 1989, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil, 3-2 et 35 du décret du 30 septembre 1953 ;
Mais attendu qu'ayant constaté, sans dénaturation et sans violer le principe de la contradiction, qu'il résultait des éléments de preuve qui lui étaient soumis que les lieux loués ne constituaient pas un simple emplacement mais des locaux commerciaux disposant d'une vitrine et d'une entrée indépendante, que les contrats litigieux précisaient que le preneur agirait à ses risques et périls et n'imposaient aucune contrainte horaire à M. X... qui avait une pleine autonomie de gestion et que ce dernier avait une clientèle propre, distincte de celle du supermarché, la cour d'appel, qui a souverainement retenu qu'en suscitant la conclusion de quarante baux successifs pendant une durée de plus 3 ans et en louant des locaux commerciaux qualifiés faussement d'emplacements, les sociétés bailleresses avaient commis une fraude en vue d'éluder les dispositions du décret du 30 septembre 1953, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.