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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 avril 2021, n° 19/10700

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lechef (SAS)

Défendeur :

Julie Traiteur (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Gilles, Mme Depelley

Avocat :

Selarl A2C Avocats

T. com. Marseille, du 19 mars 2019

19 mars 2019

La société Lechef est spécialisée dans la production et la commercialisation de plats cuisinés.

La société Julie Traiteur exploite une activité d'animation commerciale en grandes et moyennes surfaces.

Le 24 février 2009, la société Julie Traiteur a signé un contrat avec la société D. Traiteur S.A.S portant sur la réalisation d'animations commerciales auprès de la clientèle de ladite société.

Par acte sous seing privé en date du 31 mars 2015, la société Lechef a acquis une partie de l'activité de la société D. Traiteur, composée du fonds de commerce et de biens immobiliers.

La société Julie Traiteur s'est présentée au repreneur, la société Lechef, afin de poursuivre la relation commerciale et réclamer la somme de 43 759,54 euros TTC au titre d'une facture impayée.

La société Lechef s'est opposée aux demandes de la société Julie Traiteur.

Le 18 septembre 2015, la société Julie Traiteur a assigné la SAS Lechef en référé devant le tribunal de Commerce d'Agen aux fins d'obtenir paiement de ces sommes, lequel, par ordonnance en date du 24 février 2016, a condamné la société Lechef au paiement d'une provision au bénéfice de la société Julie Traiteur d'un montant de 24 014 euros HTet a renvoyé le dossier au fond.

Par jugement en date du 24 mai 2017, le tribunal de commerce d'Agen a dit que la cession du fonds de commerce avait emporté transfert du contrat liant la société Julie Traiteur à la société D. Traiteur, au profit de la société Lechef et l'a condamnée à payer à la société Julie Traiteur la facture d'avril 2015 pour un montant de 43 759,54 euros.

Par un arrêt du 3 juillet 2017, la cour d'appel d'Agen a infirmé l'ordonnance du juge des référés, disant n'y avoir lieu à référé.

C'est dans ces conditions que par acte du 19 février 2018, la société Julie Traiteur a assigné la société Lechef devant le tribunal de commerce de Marseille, sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 19 mars 2019, le tribunal de Commerce de Marseille a :

Dit et jugé que la cession du fonds de commerce conclue le 31 mars 2015 par la Société D. Traiteur au profit des sociétés Lechef et Jean Pierre T. comporte et emporte transfert du contrat avec la société Julie Traiteur lié à l'exploitation du fonds cédé ;

Dit et jugé que la société Lechef a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Julie Traiteur ;

Condamné la société Lechef SAS à payer à la société Julie Traiteur SARL la somme de 62 770 euros (soixante-deux mille sept cent soixante-dix euros) à titre de dommages-intérêts ainsi que la somme de 3 000 euros (trois mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, condamné la société Lechef SAS aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'annoncés par l'article 695 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 515 du code de procédure civile, ordonné pour le tout l'exécution provisoire ;

Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.

Par déclaration du 20 mai 2019, la société Lechef a interjeté appel de ce jugement.

Par des dernières conclusions déposées et notifiées le 10 février 2020, la société Lechef prie la cour de :

Vu les articles 1165 et 1351 ancien du Code civil,

Vu l'article L.442-6.I.5° du Code de commerce,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées au débat,

Réformer le jugement querellé en ce qu'il a considéré que le jugement du tribunal de commerce d'Agen du 24 mai 2017 avait autorité de la chose jugée.

Réformer le jugement querellé en ce qu'il a dit et jugé que la cession du fonds de commerce conclue le 31 mars 2015 par la société D. Traiteur au profit des sociétés Lechef et Jean Pierre T. comprend et emporte transfert du contrat avec la société Julie Traiteur.

Réformer le jugement querellé en ce qu'il a dit et jugé que la société Lechef a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Julie Traiteur.

Réformer le jugement querellé en ce qu'il a condamné la société Lechef a payé à la société Julie Traiteur la somme de 62 770 euros au titre du préjudice subi au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, outre la condamnation de la société Lechef à payer à la société Julie Traiteur la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Et Statuant à nouveau,

A titre principal

Dire et juger qu'aucune autorité de la chose jugée ne peut être attachée au jugement du tribunal de commerce d'Agen du 24 mai 2017, en l'absence d'identité d'objet et de cause avec les demandes formées par la société Julie Traiteur devant le tribunal de commerce de Marseille,

Dire et juger que le contrat du 24 février 2009 et ses avenants sont inopposables à la société Lechef, en l'absence d'acceptation expresse et des violations manifestes de la société Julie Traiteur,

Dire et juger qu'aucune relation commerciale établie n'existait entre les sociétés Lechef et Julie Traiteur, leurs relations commerciales s'étant limitées à la période avril-première semaine de juin 2015.

A titre subsidiaire,

Dire et juger que la société Julie Traiteur n'a subi aucun préjudice, dès lors qu'elle est à l'origine de la rupture des relations commerciales par l'effet de ses violations du contrat de prestation de service dont elle sollicite pourtant le transfert

En tout état de cause,

Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société Julie Traiteur, en ce compris celles formées à titre d'appel incident

Ordonner la restitution par la société Julie Traiteur de la somme de 65 770 euros indûment versée par la société Lechef, avec capitalisation des intérêts à compter de la déclaration d'appel,

Condamner la société Julie Traiteur à verser à la société Lechef la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la société Julie Traiteur aux entiers dépens.

Par des dernières conclusions déposées et notifiées le 8 novembre 2019, la société Julie Traiteur demande à la cour de :

Vu l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu la combinaison des articles 1153 et 1154 anciens du Code Civil,

Déclarer recevable mais mal fondé l'appel principal interjeté par la société Lechef ;

Déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par la SARL Julie Traiteur ;

Y faisant droit,

Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit et jugé que la cession du fonds de commerce conclue le 31 mars 2015 par la société D. traiteur au profit des sociétés SAS Lechef et SAS Jean Pierre T. comprend et emporte transfert du contrat avec la Société Julie Traiteur ;

Confirmer qu'en n'accordant pas de préavis, la société SAS Lechef a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la SARL Julie Traiteur ;

Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a fixé à 6 mois la durée du préavis dû par la société SAS Lechef pour rupture de la relation commerciale établie ;

Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société SAS Lechef à payer à la société SARL Julie Traiteur au titre du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture de la relation la somme de 62 770 euros ;

Statuant à nouveau,

Fixer la marge brute mensuelle à la somme de 23 560 euros ;

Fixer à 24 mois la durée de préavis qui aurait dû être respectée par la société SAS Lechef ;

En conséquence,

Condamner la société SAS Lechefà payer à la société SARL Julie Traiteur la somme de 566 000 euros au titre de la perte de marge brute pendant la durée du préavis normal qu'aurait dû respecter la société SAS Lechef ;

Condamner la société SAS Lechef à payer à la société SARL Julie Traiteur la somme de 300 000 euros au titre de la perte du fonds de commerce avec intérêt au taux légal à compter du 19 mars 2019 ;

Condamner la société SAS Lechef à payer à la société SARL Julie Traiteur la somme de 44 990,86 euros au titre du préjudice résultant de la reconversion de l'activité suite à la perte du fonds de commerce ;

Condamner la société Lechef à payer à la société SARL Julie Traiteur la somme de 15 000 euros au titre du préjudice moral subi à raison de la déconsidération de l'activité de l'entreprise ;

En tout état de cause,

Si la cour devait considérer que la durée de préavis sollicitée par la société SARL Julie Traiteur devait être réduite, appliquer à la durée du préavis retenue la marge brute mensuelle indiquée ci-dessus, soit 23 560 euros.

Dire que les sommes dues par la société SAS Lechef au titre du préjudice porteront intérêts à compter du jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Marseille le 19 mars 2019 ;

Dire que les intérêts des sommes que la société SAS Lechef sera condamnée à régler donneront lieu à capitalisation ;

Condamner la société SAS Lechef à payer à la société SARL Julie Traiteur la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamner la société SAS Lechef aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Cédric D., sur le fondement de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

SUR CE LA COUR

Sur l'autorité de la chose jugée du jugement du tribunal de commerce d'Agen du 24 mai 2017

La société Lechef fait valoir que l 'article 1351 du Code civil (ancien) dispose que l'autorité de la chose jugée attachée à un jugement est strictement conditionnée à la triple identité de cause, d'objet et de parties et qu'en l'espèce,seules les parties étaient identiques, mais la cause et l'objet devant chaque juridiction étaient différentes. A cet égard , elle soutient que le jugement du 24 mai 2017 du tribunal de commerce d'Agen avait pour objet le paiement des factures à la société Julie Traiteur et pour cause l'article 1134 du code civil, alors que la demande devant le tribunal de commerce de Marseille portait sur le paiement de dommages-intérêts pour le préjudice prétendument subi par la société Julie Traiteur à la suite de de la rupture des relations commerciales établies, et pour cause l'article L.442-6 I 5° du Code de commerce.

La société Julie Traiteur rétorque que, comme relevé par le tribunal de commerce de Marseille, le tribunal de commerce d'Agen, dans son jugement du 24 mai 2017 devenu définitif, s'est déjà prononcé sur cette demande en jugeant que la cession du fonds de commerce conclue le 31 mars 2015 au profit de la société Lechef comprenait et emportait transfert du contrat avec la société Julie Traiteur lié à l'exploitation du fonds cédé, et qu'en conséquence, le jugement du tribunal d'Agen doit être regardé comme bénéficiant de l'autorité de la chose jugée.

Sur ce, la cour relève que le dispositif du jugement définitif du 24 mai 2017 du tribunal de commerce d'Agen intervenu entre la société Juile Traiteur et les sociétés Lechef, Jean-Pierre T. L'Héritage du Goût, D. Traiteur mentionne notamment :

« Dit que la cession du fonds de commerce conclue le 21 mars 2015 par la SAS D. Traiteur au profit des sociétés Lechef et Jean-Pierre T. L'Héritage du Goût comprenait et emportait transfert du contrat avec la société Julie Traiteur lié à l'exploitation du fonds cédé ».

Force est de constater que ce chef du dispositif du jugement est opposable aux sociétés Le Chef et Julie Traiteur dans le litige qui les oppose relativement à l'existence d'une rupture brutale des relations commerciales établies, s'agissant des mêmes parties et du même lien de droit.

Et le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit opposable à la société Lechef le contrat de prestations de service conclu le 24 février 2009 entre les sociétés D. et Julie Traiteur.

Sur l'existence de relations commerciales établies entre les sociétés Lechef et Julie Traiteur

 

La société Lechef soutient que si la relation commerciale entre les sociétés Julie Traiteur et D. Traiteur a été établie pendant une période de 6 années (février 2009-avril 2015), cette antériorité ne peut aucunement être répercutée sur la société Lechef en l'absence d'acceptation expresse ou tacite de cession du contrat de prestation de service du 24 février 2009 et de sa violation caractérisée par la société Julie Traiteur.

A cet égard, la société Lechef soutient que sa relation commerciale avec la société Julie Traiteur était limitée à recevoir des ordres de commandes pendant une période déterminée de 2 mois et une semaine (du début avril 2015 à la première semaine de juin 2015, les commandes étant passées auprès de la société D. au cours des deux premiers mois).

Elle ajoute que la Cour de cassation est venue préciser qu'une cession de fonds de commerce n'entraîne pas de plein droit la substitution du cessionnaire dans les relations commerciales et contractuelles qu'entretenait le cédant avec ses partenaires et qu'en cas de rupture, la durée du préavis n'a pas à être déterminée en considération de la relation précédemment nouée avec le cédant (Cass., Com, 15 septembre 2015, n°14-17.964).

La société Lechef cite également une jurisprudence de la cour d'appel de Paris, ayant jugé dans une affaire qu'un contrat n'avait pas été transféré par l'effet d'une cession de fonds de commerce et qu'ainsi les dispositions du contrat n'étaient pas opposables à la société acquéreuse, qui n' était donc pas tenue à respecter un préavis contractuellement prévu pour dénoncer la relation commerciale, d'autant plus que cette dernière venait de débuter (cour d'appel de Paris, Pôle 5, Chambre 11, 12 janvier 2018, n°15/20452).

Elle demande ainsi l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a considéré qu'une relation commerciale établie de 6 années était démontrée entre les sociétés Julie Traiteur et Lechef, par l'effet d'une prétendue autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal de commerce d'Agen du 24 mai 2017, emportant dès lors la reprise du contrat de prestations de service.

Elle soutient que si par extraordinaire la cour venait à considérer que le contrat de prestation de service a été repris par elle, la société Julie Traiteur devra néanmoins être déboutée de sa demande sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies, dès lors qu'une relation commerciale de 2 mois et 1 semaine n'est aucunement susceptible de caractériser une relation stable, fidèle et établie et écarte ainsi l'application de l'article L.442-6 I 5° du code de commerce.

La société Julie Traiteur rétorque que les tribunaux admettent qu'une relation commerciale établie puisse lier plusieurs personnes successivement en vérifiant notamment que l'intention des parties étaient de se situer dans la continuation des relations antérieures (Cass, Com, 29 janv. 2008, n° 012039 ; pièce 19). La société Julie Traiteur fait valoir qu'elle tenait pour acquis la poursuite des relations contractuelles avec la société Lechef, puisqu'elle n'a, postérieurement à la cession, reçu aucune correspondance annonçant la résiliation de sa convention de prestation de service d'animation commerciale par la société Lechef, et que la société Lechef a sciemment laissé croire que les relations se poursuivraient comme auparavant (ses pièces 6 à 11).

La société Julie Traiteur affirme que ses relations commerciales avec la société Lechef présentaient un caractère prolongé, régulier, significatif et stable et qu'en conséquence, un courant d'affaires existait entre elle et la société Lechef et que les relations commerciales ont perduré pendant plus de 6 années.

Sur ce,

 

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnel.

Le tribunal doit être approuvé d'avoir retenu au regard du transfert du contrat de prestation de service liant les sociétés Juilie Traiteur et Delpeyrant Taiteur à la société Lechef et des prestations fournies par la société Juilie Traiteur à la société Lechef au cours des mois d'avril, mai et juin 2015 une relation commerciale établie entre les parties du 24 février 2009 au mois de juin 2015.

A cet égard, il sera observé que :

- le contrat de cession de fonds de commerce de produits traitreur entre la société D. Traiteur et la société Lechef stipule (article 4.3.3- Contrats en cours) que « l'Acquéreur prend à son compte tous les contrats relatifs à l'exploitation du fonds de commerce cédé (hors référencements commerciaux) sous réserve de l'acceptation des cocontractants concernés par lesdits marchés et contrats » et (article 4.2.13 Accompagnement commercial) que le Vendeur s'oblige à accompagner l'Acquéreur dans le transfert des contrats commerciaux jusqu'au 31 juillet 2015 maximum.

- il résulte des courriels produits (pièces 7 à 11 de l'intimée) que les relations commerciales se sont poursuivies entre la société Julie Traiteur et la société Lechef du mois d'avril au mois de juin 2014 dans la continuité des précédentes.

Ainsi les nouveaux rapports ont été volontairement inscrits par les parties dans la continuité des précédents, de sorte que l'ancien partenaire de la société D. Traiteur a légitimement pu croire en la poursuite et la pérennité de la relation commerciale antérieure.

Dès lors qu'il n'est pas démontré de manquements graves imputables à la société Julie Traiteur à l'exécution du contrat de prestation de services, le tribunal a retenu par des motifs adoptés, une rupture brutale, sans préavis, des relations commerciales établies imputable à la société Lechef. A cet égard, la société Lechef invoque a postériori une surfacturation contestée par l'interessée, laquelle fait état de l'application de nouveaux tarifs en 2012.

Sur le préjudice

La société Julie Traiteur conteste le délai de préavis accordé par le tribunal et le quantum des dommages et intérêts alloués sur cette base. La société intimée demande la condamnation de la société Lechef au paiement de la somme de 566 000 euros, au titre de la perte de marge brute subie par elle, estimant avoir été privée d'un préavis de 24 mois, au vu de son état de dépendance économique vis-à-vis de la société Lechef au moment de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies.

A cet égard, elle produit des rapports d'experts comptables pour établir que la société D. Traiteur est devenue au cours de ces six années, son principal cocontractant à tel point qu'il représentait jusqu'à 90 pourcents du chiffre d'affaires annuel de la société Julie Traiteur (pièces 4 et 26). Elle fait valoir que sa dépendance économique à l'égard de la société Lechef a eu pour effet, après la rupture des relations commerciales établies, de la contraindre à recréer une nouvelle activité, consécutivement à la disparition de son fonds de commerce

La société Lechef soutient que la société Julie Traiteur ne démontre ni l'existence d'une faute qui lui soit imputable ni d'un préjudice subi du fait de la prétendue rupture brutale d'une relation commerciale établie. La société appelante estime que la demande de préavis de 24 mois pour mettre fin à une relation de 2 mois et une semaine apparaît dénuée de tout fondement.

Elle estime que le rapport produit par la société Julie Traiteur erroné et non probant (pièces adverses 26 et 27), que les dommages et intérêts sollicités pour réparer la situation de dépendance économique ne sont aucunement démontrés dans leur quantum, et que la société intimée ne peut dénier toute responsabilité dans cette situation, cette dernière ne démontrant aucun effort pour diversifier son activité et développer son portefeuille clients pendant les 6 années d'exécution contractuelle avec la société D..

Sur ce,

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité ou de trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture.

Le tribunal doit être approuvé d'avoir retenu que la société Julie Traiteur ne démontrait pas que son état de dépendance économique allégué était le fait de circonstances économiques ou juridiques imposées par les sociétés D. Traiteur et/ou Lechef alors qu'aux termes de l'article 10 du contrat de prestation de services D. Traiteur n'exigeait aucune relation commerciale exclusive à son égard et Julie Traiteur reconnaissait qu'elle ne pourrait lui faire grief de laisser instaurer une quelconque situation de dépendance économique du fait de l'application du contrat et qu'elle engageait seule sa responsabilité en cas de diversification insuffisante de ses clients acheteurs.

Dès lors, la société Julie Traiteur ne peut s'en prévaloir.

Le tribunal doit encore être approuvé, par des motifs adoptés, d'avoir fixé à six mois la durée du préavis qui aurait dû être accordé par la société Lechef à la société Julie Traiteur.

En application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, seuls sont indemnisables les préjudices résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même. Ce préjudice est évalué sur la base de la durée du préavis dont le partenaire a été privé et ne tient pas compte des événements survenus postérieurement à la rupture qui sont sans incidence sur l'étendue de l'indemnisation du préjudice.

Ce préjudice s'entend généralement de la perte de marge sur coûts variables durant les mois de préavis manquants calculée à partir des chiffres d'affaires des trois années précédant la rupture selon la formule :

Chiffre d'affaires perdu - charges variables qui auraient dû être engagées pour réaliser ce chiffre d'affaires = marge sur coûts variables.

Au vu du rapport du Cabinet F., commissaire aux comptes (pièce 26 de Julie Traiteur), non utilement critiqué, le chiffre d'affaires moyen mensuel des trois années précédant la rupture (2012 à 2014) de la société Julie Traiteur avec la société D. s'élève à la somme de 50 312 euros. Il sera retenu, au vu du chiffre d'affaires moyen mensuel avec la société D. de 53 728 euros de 2010 à 2014 et d'une marge brute moyenne de 23 560 euros, une marge brute moyenne de 22 062 euros au titre des trois dernières années, soit un taux de marge brute moyen de 43,85%. Au vu des pièces produites, il sera retenu un taux de marge sur coûts variables moyen de 38%.

Dès lors, le préjudice subi par la société Julie Traiteur du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies imputable à la société Lechef s'établit à la somme de (38% x 6 x 50 312) 114 711 euros.

Il convient dès lors, infirmant le jugement entrepris sur le quantum, de condamner la société Lechef à payer la somme de 114 711 euros au titre du préjudice subi par la société Julie Traiteur du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Pour les motifs ci-dessus, la société Julie Traiteur qui ne peut imputer à la société Lechef sa situation de dépendance économique et les conséquences qui en résultent, ne peut qu'être déboutée de sa demande de condamnation de la société Lechef au paiement de la somme de 300 000 euros au titre de la perte de valeur de son fonds de commerce.

Il en est de même de sa demande la réparation du préjudice résultant de la reconversion qu'elle a dû opérer suite à la fin de ses relations avec la société Lechef, à hauteur de 44 990,86 euros, sur la base de 95 pourcent de la moyenne de la rémunération de son dirigeant sur les exercices 2010 à 2014, correspondant au temps que ce dernier aurait consacré au « restructuring » de son activité, du licenciement de certains salariés dont les fonctions n'étaient plus en lien avec sa nouvelle activité, référencement et autres.

La société Julie Traiteur qui demande la condamnation de la société Lechef au paiement de la somme de 15 000 euros au titre du préjudice moral subi à raison de la déconsidération de l'activité de l'entreprise, ne justifie pas d'un préjudice imputable à la société Le chef à ce titre.

Elle en sera déboutée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Lechef succombant en son appel doit être condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société Julie Traiteur la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle est déboutée de sa demande présentée sur ce fondement.

Le jugement est confirmé s'agissant des dépens et de la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Lechef à payer à la société Julie Traiteur la somme de 62 770 euros à titre de dommages-intérêts ;

Statuant à nouveau de ce chef infirmé et y ajoutant

Condamne la société Lechef à payer à la société Julie Traiteur la somme de 114 711 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la société Lechef aux dépens d'appel et à payer à la société Julie Traiteur la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.