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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 16 avril 2021, n° 18/17517

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Efisens (SAS)

Défendeur :

Valtech SE (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme Sentucq, Mme Paulmier Cayol

Avocats :

Me Buret, Me Veisse

T. com. Paris, du 4 juill. 2018

4 juillet 2018

La société Net Open Services aux droits de laquelle vient désormais la société Efisens par l'effet d'une transmission universelle de patrimoine publiée le 20 mai 2015, hébergeait et administrait la plateforme du groupe Accor à la demande de la société de droit anglais société Valtech depuis le mois de juin 2009 et facturait, pour cette prestation, à cette dernière la somme mensuelle de 3 600 € HT.

Par un courrier du 2 août 2017, la société Valtech indiquait à la société Efisens vouloir « mettre un terme à [notre] contrat en date d'effet immédiat ».

La société Efisens accusait réception de ce courrier le 12 septembre 2019 tout en précisant qu'au regard de l'ancienneté de leurs relations, cette demande sera prise en compte à compter du 31 mai 2018, date à laquelle le contrat prendra fin.

La société Efisens n'ayant pas reçu le paiement de ses factures émises postérieurement au mois de juillet 2017 malgré une mise en demeure, a saisi le 21 mars 2018 tribunal de commerce de Paris d'une demande en paiement de la somme de 34 560 € sauf à parfaire sur le fondement des articles 1134 et 1147 anciens du code civil et L.442-6 ancien du code de commerce, demande dont elle a été déboutée par un jugement du 4 juillet 2018 au motif que la proposition technique et commerciale à laquelle se réfère la société Efisens n'a pas de valeur contractuelle et qu'il ne peut être tenu compte des modalités de résiliation y figurant.

Le 12 juillet 2018, la société Efisens a relevé appel de ce jugement.

Par ses écritures remises le 26 février 2019 dont le dispositif est expurgé des demandes de « dire et juger » qui ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, la société Efisens au visa des articles 1101, 1134, 1147 et suivants anciens du code civil et L.442-6 ancien du code de commerce, demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

- condamner la société Valtech, sur le fondement d'une proposition commerciale exécutée sans interruption depuis le 1er juin 2009, à lui payer l'ensemble des factures émises depuis le 11 août 2017 jusqu'au 31 mai 2018, soit la somme de 43 200 € HT, majorée des intérêts au taux légal :

A compter de la lettre de mise en demeure en date du 28 novembre 2017 pour la somme de 21 600€

Et jusqu'au 31 mai 2018 pour le solde,

A titre subsidiaire,

- la condamner au paiement de la même somme sur le fondement de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie,

En tout état de cause,

- condamner la société Valtech à lui payer a somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui pourront être recouvrés par maître F. Buret, avocat au barreau de Paris conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par ses écritures remises le 6 décembre 2018, la société Valtech au visa des articles 1101, 1134, 1147 et suivants anciens du code civil et L.442-6 ancien du code de commerce, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris,

- débouter la société Efisens de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner à lui payer la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

SUR CE :

La société Efisens pour voir infirmer le jugement et demander le paiement du préavis prévu à la proposition technique et commerciale qu'elle a émise au mois de juin 2009 soutient d'une part que l'existence d'une relation contractuelle n'est pas subordonnée à celle d'un instrumentum et d'autre part que bien que cette proposition n'ait pas été signée ou suivie d'un contrat signé, elle a été exécutée jusqu'en juillet 2017 comme en attestent les factures qu'elle a émises mensuellement qui ont été payées sans discussion par la société Valtech, de sorte que son exécution lui a conféré une valeur contractuelle.

Il est au demeurant certain que l'existence d'une relation contractuelle n'est pas soumise à la formalisation d'un contrat écrit. En l'espèce, cette proposition technique et commerciale précise qu’ « elle n'a aucune valeur contractuelle et se doit d'être formalisée par un contrat et un bon de commande engageant les parties ». Il est constant qu'aucun contrat signé, ni aucun bon de commande n'ont suivi cette proposition ; pour autant, des prestations ont été facturées par la société Net Open Services puis la société Efisens à la société Valtech au titre de l'hébergement de la plateforme Accor, prestations qui correspondent à celles sur lesquelles portait cette proposition commerciale qui avait pour objectif de présenter en détail les services d'hébergement professionnel à valeur ajoutée de la société Net Office Services. Les factures émises par la société Net Open Services qui ont été payées sans faire l'objet d'une quelconque contestation de la part de la société Valtech constituent la preuve que cette prestation d'hébergement a effectivement été servie par la société Net Open Servicesaux droits de laquelle vient désormais la société Efisens.

Le montant constant de ces factures resté du mois de juin 2009 à juillet 2017 à la somme de 3 600 € diffère de celui prévu par cette proposition à hauteur de 3 050 € HT, cette différence, selon la société

Efisens s'explique par le nombre de serveurs fournis (6) supérieur à celui de la proposition (4) ; cependant, le montant facturé ne correspond pas au résultat arithmétique résultant de cette différence de sorte qu'il n'est pas un indice de ce que la société Net Office Services, puis la société Efisens et la société Valtech ont entendu conférer une valeur contractuelle à cette proposition commerciale.

De plus, aucun élément du dossier n'indique que les parties ont entendu se référer aux termes de la proposition commerciale pour y soumettre leur relation contractuelle, étant notamment relevé que celle-ci n'est jamais mentionnée sur les factures émises par la société Net Open Services puis par la société Efisens. Il ne peut donc être déduit du service facturé à la société Valtech de la prestation d'hébergement de la plateforme Accor depuis le mois de juin 2009 jusqu'au mois de juillet 2017 que cette dernière ait accepté que leur relation soit soumise à la durée, aux conditions de renouvellement et de résiliation anticipée figurant sur cette proposition. Il est donc retenu que cette proposition est restée dépourvue de valeur contractuelle.

Par conséquent, c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté société Efisens de sa demande en ce qu'elle était fondée sur la valeur contractuelle de cette proposition commerciale.

Subsidiairement, la société Efisens présente sa demande en paiement de la même somme sur le fondement de l'indemnisation de la rupture brutale de la relation commerciale établie en application de l'article L.442-6 ancien du code de commerce dans sa version en vigueur antérieure au 26 avril 2019 applicable au litige.

Le service pendant près de neuf années d'une prestation d'hébergement d'une plateforme et le paiement reçu en contrepartie établissent l'existence d'une relation contractuelle.

La société Valtech expose que si elle a été chargée de la conception du site internet du groupe Accor, elle n'a fait que « porter » le contrat d'infogérance confié à la société Net Open Services pour les six serveurs situés dans le datacenter du groupe Accor situé à Elancourt ; elle en veut pour preuve qu'elle refacturait à Accor au titre de l'hébergement de sa plateforme exactement la même somme que celle que lui facturait la société Net Open Services puis la société Efisens.

Quelque soit l'identité des montants facturés par la société Net Open Services puis la société Efisens à la société Valtech d'une part et de ceux facturés par cette dernière à destination du groupe Accor d'autre part, la proposition commerciale précitée qui indique que son destinataire est Valtech et que celle-ci a entendu sous-traiter l'administration distante de la plateforme du Groupe Accor, le libellé des factures au nom de la société Valtech qui s'est seule acquitté de leur paiement et enfin l'annonce par la société Valtech de « mettre un terme à notre contrat » constituent des éléments suffisamment puissants pour établir que s'est nouée une relation contractuelle entre la société Net Open Services puis la société Efisens et la société Valtech même si cette dernière était dans une situation de dépendance à l'égard du groupe Accor. Cette relation contractuelle liant deux sociétés intervenant dans leur domaine d'activité respectif et qui portait sur des prestations commerciales revêt un caractère commercial.

La fourniture par la société Net Open Services puis la société Efisens pendant près de neuf années du service de l'hébergement de la plateforme Accor que lui sous traitait la société Valtech sans interruption à la satisfaction apparente de cette dernière confère à cette relation commerciale un caractère habituel, stable et suivi, ayant permis à la société Efisens puis la société Net Open Services d'anticiper raisonnablement sa poursuite. Ces éléments achèvent de convaincre qu'il existait une relation commerciale établie entre la société Valtech d'une part et la société Net Open Services puis la société Efisens d'autre part.

Par son courrier du 2 août 2017, la société Valtech annonce à la société Efisens « mettre un terme à notre contrat en date d'effet immédiat ».

La société Valtech pour s'opposer à la demande d'indemnisation de la société Efisens fondée sur la brutalité de la rupture soutient que pour sa part, elle n'a fait que répercuter la rupture dont a pris l'initiative Accor qui a coupé l'accès à ses services à compter du 31 mai 2017 et conteste toute brutalité à cette rupture au motif que la société Efisens a déjà bénéficié d'un préavis, au motif qu'elle n'a pas eu à servir une quelconque prestation tout en ayant perçu le paiement de ses factures des mois de juin et juillet 2017 qui représente 2% de son excédent brut d'exploitation (EBE) annuel.

Certes, la société Efisens reconnaît par un courrier du 8 novembre 2018 que l'accès aux serveurs lui a été coupé par le groupe Accor à compter du 31 mai 2017 ; il n'empêche, comme elle l'indique dans ce courrier que sa prestation l'obligeait à maintenir en condition opérationnelle ces serveurs tandis qu'elle a été informée par la société Valtech plus de deux mois après cette coupure de la rupture de la relation commerciale ; l'impossibilité technique pour la société Efisens de servir sa prestation résultant de cette coupure, ignorant son caractère définitif jusqu'à la notification de la rupture de la relation commerciale, ne la libérait donc pas pour autant de toute obligation au titre de sa prestation d'infogérance qu'elle servait depuis près de neuf années et s'est ainsi trouvée empêchée de redéployer ses ressources.

Il suit que la période qui s'est écoulée entre la coupure par Accor des serveurs et la notification par la société Valtech suivant son courrier du 2 août 2017, de la rupture de la relation commerciale sans qu'il n'y ait eu d'autre écrit, n'a pas constitué un préavis utile au sens de l'article L.442-6 précité. De ce fait, la notification par ce courrier de « mettre un terme à notre contrat en date d'effet immédiat » présente un caractère brutal et oblige en application de cet article L.442-6 la société Valtech à réparer le préjudice en résultant pour la société Efisens.

Si la société Efisens dans ses écritures admet que l'évaluation des dommages et intérêts dus en réparation d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie « est une évaluation de la perte de bénéfices sur une période correspondant au préavis dont le cocontractant aurait dû bénéficier », citant notamment des décisions de jurisprudence qui retiennent la gain manqué, la perte prouvée ou la marge brute, elle demande le paiement de la somme de la somme de 43 200 € qui correspond au montant du chiffre d'affaires réalisé avec la société Valtech sur une durée de douze mois.

Certes, la durée de la relation commerciale aurait légitimé un préavis d'une durée de dix mois ; toutefois, l'indemnisation du préjudice subi par la société Efisens de la privation de ce préavis ne correspond pas au montant du chiffre d'affaires réalisé avec la société Valtech pendant une durée de dis mois mais prendre en considération le coût qu'aurait dû générer le service de cette prestation pendant cette durée de dix mois.

Au vu du rapport existant entre le chiffre d'affaires réalisé par la société Efisens au titre de l'exercice 2017 à hauteur de 12 490 000 € et le montant de la valeur ajoutée par l'activité de cette dernière à hauteur de 3 883 400 €, rapport qui s'établit à 31%, il est fait une juste appréciation de l'indemnisation du préjudice subi par la société Efisens résultant de la privation du préavis en la fixant à la somme de 11 160 € (36 000 € x 31%).

Partant, infirmant le jugement entrepris, il y a lieu d'allouer à la société Efisens la somme de 11 160€.

Le montant alloué à la société Efisens en application d'un principe de responsabilité légale présente un caractère indemnitaire et ne correspond pas à un défaut de paiement d'une facturation en contrepartie de la fourniture d'une prestation ; ce montant ne saurait générer les intérêts de retard réclamés par la société Efisens en application de l'article L.441-10 du code de commerce mais seulement les intérêts au taux légal qui courront à compter du prononcé du présent arrêt.

Le principe d'indemnisation reconnu par la présente décision et l'allocation à la société Valtech d'une indemnité justifient que les dépens de première instance et d'appel soient mis à la charge de cette dernière, laquelle se voit condamnée au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'il suit, les chefs du jugement ayant statué sur les dépens et l'application de cet article étant par ailleurs infirmés.

PAR CES MOTIFS :

Réforme le jugement en l'ensemble de ses chefs ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société Valtech à payer à la société Efisens la somme de 11 160 € en réparation du préjudice causé par la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie nouée entre ces deux sociétés ;

Condamne la société Valtech à payer à la société Efisens la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Valtech aux dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils pourront être recouvrés par Maître F. Buret pour ceux dont il fait l'avance.