Cass. com., 23 octobre 2019, n° 17-25.656
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Le Griel, Me Brouchot
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 1er juin 2017), que, par un acte notarié du 3 avril 1996, la société Euralliance a consenti à la société Cogefina immobilier et finances (la société) un prêt, garanti par le cautionnement solidaire de M. P... et par le nantissement d'un contrat d'assurance vie ; que la société a été mise en redressement judiciaire le 2 juin 1998 puis en liquidation judiciaire le 8 décembre 1998 ; que la société Fortis, venant aux droits de la société Euralliance, a déclaré sa créance ; que la société Ageas France, venant aux droits de la société Fortis, a assigné la caution en paiement ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. P... fait grief à l'arrêt de déclarer recevables comme non prescrites les demandes en paiement et de mise en oeuvre du nantissement de la société Ageas France alors, selon le moyen :
1°/ que la caution, poursuivie par le créancier du débiteur principal, peut lui opposer l'extinction de son engagement dès lors que la dette qu'elle garantissait est prescrite ; que, selon les dispositions de l'article L. 1140-4, I du code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ; que, dans le cadre d'une procédure collective, cette prescription est interrompue par une déclaration de créance, laquelle constitue une demande en justice ; qu'en vertu de l'article 2242 du code civil, « l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance » ; que, la déclaration de créance tendant à faire trancher par le juge-commissaire la question de l'existence, de la nature et du montant de cette créance, l'instance ainsi ouverte s'éteint lorsque la décision de ce dernier devient irrévocable ; qu'il s'ensuit que l'interruption provoquée par la déclaration de créance ne produit ses effets que jusqu'à l'intervention de cette décision ; qu'en jugeant dès lors, contra legem, que la déclaration de créance effectuée le 27 juillet 1998 avait eu pour effet d'interrompre la prescription à l'égard de la caution jusqu'à la clôture de la procédure collective, la cour a violé l'article 2242 du code civil ;
2°/ que pour rejeter les fins de non-recevoir tirées de la prescription invoquées par M. P... en sa qualité de caution, et retenir que la déclaration de créance du 27 juillet 1998 avait eu pour effet d'interrompre à son égard cette prescription jusqu'à la clôture des opérations de liquidation, la cour a retenu que cette solution se fondait sur les dispositions des articles L. 622-28 et L. 642-24 du code de commerce ; que, cependant, l'article 55 alinéa 2 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 applicable au litige, correspondant au futur article L. 622-28 codifié, dispose que « le jugement d'ouverture du redressement judiciaire suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan de redressement ou prononçant la liquidation toute action contre les cautions personnelles personnes physiques. Le tribunal peut ensuite leur accorder des délais ou un différé de paiement dans la limite de deux ans. » ; que ce texte ne prévoit ainsi aucune suspension [ou interruption] jusqu'à la clôture de la procédure collective mais, tout au contraire, jusqu'au jugement de liquidation ; que l'article L. 642-24 du code de commerce, quant à lui, est inapplicable au litige ; qu'en se fondant dès lors sur les articles L. 622-28 et L. 642-24 du code de commerce pour justifier l'interruption de la prescription, provoquée par la déclaration de créance, jusqu'à la clôture de la procédure collective, la cour a violé ces deux articles par fausse application ;
3°/ que M. P... avait soutenu dans ses conclusions d'appel que l'application à la caution de la règle prévue de l'interruption de la prescription à compter de la déclaration de créance et de son extension jusqu'à la clôture de la procédure collective, avait pour elle des conséquences incompatibles avec le principe de sécurité juridique et d'égalité des armes ; qu'il avait souligné que le créancier avait ainsi toute latitude d'agir contre la caution dès que le débiteur était mis en liquidation judiciaire ou, plus exactement, dès l'intervention de la déclaration de créance, sans que la clôture de la procédure collective fût encore intervenue, tandis qu'à l'inverse, la caution n'avait aucune possibilité de se défendre contre cette action par l'invocation de la prescription, même en cas d'inaction totale du créancier contre elle, et était de surcroît exposée à être poursuivie jusqu'à une date indéterminée, la date de clôture étant a priori inconnue, très au-delà de la période où elle se trouvait déjà soumise aux poursuites possibles du créancier ; que, de plus, M. P... avait soutenu que la solution finalement adoptée par la cour plaçait le créancier et la caution sous un régime inégal de prescription, la caution ne pouvant opposer la prescription au créancier, même resté inactif pendant dix ans, tandis que le créancier, au terme de la même période, était en droit de la lui opposer si elle invoquait contre lui une faute commise à l'encontre du débiteur principal ; qu'en retenant dès lors, pour juger que l'action n'était pas prescrite à l'encontre de la caution, que la déclaration de créance avait interrompu le délai de prescription à son égard jusqu'à la clôture de la procédure collective, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette solution n'était pas contraire au principe de sécurité juridique et d'égalité des armes, la cour a privé sa décision de base légale tant à l'égard de ce principe que de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que la déclaration de créance au passif du débiteur principal mis en procédure collective interrompt la prescription à l'égard de la caution et cette interruption se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure collective ; que selon l'article L. 622-30 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005, le tribunal prononce la clôture de la liquidation judiciaire lorsqu'il n'existe plus de passif exigible ou que le liquidateur dispose de sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers, ou lorsque la poursuite des opérations de liquidation judiciaire est rendue impossible en raison de l'insuffisance d'actif ; qu'il en résulte que la loi a prévu un terme à la liquidation judiciaire ; que la prolongation de la liquidation judiciaire tant que tous les actifs ne sont pas réalisés est de nature à permettre le désintéressement des créanciers et ne porte pas une atteinte disproportionnée à l'intérêt particulier de la caution, dès lors que son engagement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ; que toute personne intéressée peut porter à la connaissance du président du tribunal les faits de nature à justifier la saisine d'office de celui-ci aux fins de clôture d'une procédure de liquidation judiciaire ; que dès lors, l'interruption de la prescription à l'égard de M. P... n'ayant pas pour effet de l'empêcher de prescrire contre la société Ageas, ni de le menacer d'une durée de prescription excessive au regard des intérêts en cause, la cour d'appel, qui a retenu que l'effet interruptif de la prescription s'était prolongé jusqu'à la clôture de la procédure, a fait une juste application de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des principes de sécurité juridique et d'égalité des armes en déclarant recevables les demandes de la société Ageas ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que M. P... fait grief à l'arrêt de le condamner à paiement alors, selon le moyen :
1°/ qu'en vertu des dispositions de l'article 48 alinéa 1 de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984, applicables au litige, ultérieurement intégrées à l'article L. 312-22 du code monétaire et financier, les établissements de crédit qui ont accordé des prêts sous la condition d'un cautionnement apporté notamment par une personne physique doivent faire connaître à la caution, chaque année, le montant du principal et des intérêts, à peine de déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information ; que l'article 1er de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, définit les établissements de crédit comme des « personnes morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque » (al. 1), ces dernières comprenant, selon le même texte, « la réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement » (al. 2) ; qu'il s'ensuit que la société Euralliance, qui réalisait habituellement des opérations de crédit, telles que celles du crédit litigieux, effectuait ainsi des opérations de banque et entrait dès lors dans la catégorie des établissements de crédit, peu important qu'elle soit aussi une compagnie d'assurance ; qu'elle était dès lors soumise à l'obligation d'information annuelle de la caution prévue par la loi ; qu'en jugeant dès lors le contraire, au motif que cette obligation n'était initialement applicable qu'aux établissements de crédit « et non aux sociétés d'assurances ou assimilées, dont relève la société Euralliance ainsi que les différentes sociétés venues à ses droits », la cour a violé l'article 48 de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984, ensemble l'article 1er de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, applicables au litige ;
2°/ que M. P... avait soutenu que la société Euralliance s'était comportée comme un établissement de crédit, pour accorder son concours financier à une entreprise de promotion immobilière ; qu'en se dispensant dès lors de rechercher, comme elle y était invitée si, nonobstant sa qualité d'assureur, ladite société n'exerçait pas une activité d'établissement de crédit, au sens de la loi, par les prêts qu'elle accordait, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles 48 de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984 et 1er de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, applicables au litige ;
3°/ que M. P... avait également soutenu que si la société Euralliance devait être considérée uniquement comme une société d'assurance, alors le contrat de prêt devait être déclaré nul, ladite société n'ayant eu aucune capacité juridique pour délivrer à une société immobilière des prêts ou des fonds destinés à des acquisitions ou des travaux de rénovation ; qu'en se déterminant dès lors comme elle l'a fait, sans répondre à l'objection ainsi soulevée, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que les dispositions de l'article 48 de la loi du 1er mars 1984, devenu l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, ne concernant que les établissements de crédit définis par l'article 1er de la loi du 24 janvier 1984, alors applicable, comme les personnes morales effectuant à titre habituel des opérations de banque et bénéficiant de l'agrément prévu par l'article 18 de cette dernière loi, et non les entreprises d'assurance, même lorsqu'elles réalisent, comme en l'espèce, de telles opérations, c'est à bon droit que la cour d'appel en a déduit que la société Euralliance n'était pas tenue à l'obligation d'information annuelle de la caution prévue par le premier des textes précités ;
Et attendu, en second lieu, que le seul fait pour la société Euralliance d'avoir consenti un prêt à la société, à supposer qu'il ait été accordé en méconnaissance des règles gouvernant l'activité des entreprises d'assurance, n'étant pas de nature à entraîner la nullité du contrat, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre aux conclusions inopérantes invoquées par la troisième branche ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.