CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 mars 2021, n° 19/13965
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Willy (SARL)
Défendeur :
Total Marketing France (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
Avocats :
Me Cholay, Me Dubucq, Me Vichatzky, Me Titone
FAITS ET PROCÉDURE
La société Willy exploite un fonds de commerce de vente au détail de carburant et de produits d'entretien de voitures. La station-service est située au Puy Saint Réparade (13610) et propose aussi un service de restauration rapide, de vente de produits alimentaires, dépôt de pain et vente de boissons réglementées.
MM. A et B sont les co-gérants de cette Sarl. Ils sont également gérants de la Sarl Groupe Loti, société holding.
Ce fonds de commerce de vente de carburant a été cédé le 30 mars 2006 par la société Auto service des Goirands à M. et Mme C, avant d'être cédé à la Sarl Willy qui a poursuivi le contrat d'approvisionnement exclusif conclu le 4 décembre 2006 avec le société SAS Total Marketing France, ci-après dénommée « TMF », filiale du groupe pétrolier français Total.
Suivant contrat d'approvisionnement exclusif signé le 20 octobre 2008 avec cette dernière, la société la société Willy a obtenu le statut de revendeur à effet du 1er décembre 2008 pour une durée de cinq ans.
Un nouveau contrat d'approvisionnement exclusif a été conclu pour 5 ans entre les parties le 30 septembre 2013.
Un dernier contrat d'approvisionnement exclusif a été conclu entre les parties le 31 décembre 2015 avec effet au 1er janvier 2016 pour une durée de 60 mois. (pièce 7 de l'appelante)
Enfin, un avenant a été signé le 1er novemebre 2016 (pièce 27 de l'intimée).
Estimant que sous statut de revendeur, elle achetait son carburant à un prix supérieur à celui payé par le consommateur final dans des stations sous le statut de commissionnaire, la société Willy est entrée en discussion avec la société TMF pour remédier à cette situation, avant de saisir le tribunal de commerce de Paris par acte du 29 aout 2018.
Par jugement du 26 juin 2019, ce tribunal
- Déboute la SARL Willy de toutes ses demandes
- Condamne la SARL Willy à verser 10 000 euros à la société Total Marketing France au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- Dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire
- Condamne la SARL Willy aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA.
Par déclaration du 27 juillet 2019, la société Willy a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 4 février 2020 par la société Willy, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu les dispositions de l'ancien article 1134 du Code Civil, Vu les dispositions du nouvel article 1104 du Code Civil, Vu les dispositions du nouvel article 1164 du Code Civil, Vu l'ensemble des pièces versées aux débats et la jurisprudence citée,
DECLARER recevable et fondé l'appel interjeté par la SARL Willy ; Y faisant droit,
INFIRMER purement et simplement en toutes ses dispositions la décision rendue par le Tribunal de Commerce de Paris le 26 juin 2019 ;
Statuant à nouveau,
DIRE ET JUGER que la SAS Total Marketing France a modifié l'équilibre contractuel en créant de nouvelles conditions de concurrence préjudiciables à la SARL Willy ;
DIRE ET JUGER que la SAS Total Marketing France a failli à son obligation de bonne foi en ne prenant pas de mesures susceptibles de permettre à SARL Willy de pratiquer des prix concurrentiels ;
DIRE ET JUGER que la SAS Total Marketing France a failli à son obligation de bonne foi en abusant de son droit de fixer unilatéralement les prix ;
DIRE ET JUGER que la faute de la SAS Total Marketing France est aggravée du fait qu'elle se trouvait en situation de domination économique vis-à-vis de la SARL Willy ;
DIRE ET JUGER qu'en pratiquant une telle politique commerciale, la SAS Total Marketing France empêche la SARL Willy de tirer profit du contrat et de pratiquer des prix concurrentiels dont il résulte pour elle un préjudice économique et de réputation.
En conséquence,
DIRE ET JUGER que la SAS Total Marketing France a manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat d'approvisionnement exclusif conclu avec la SARL Willy ;
CONDAMNER la SAS Total Marketing France à payer à la SARL Willy la somme de 1 869 771,26 (un million huit cent soixante-neuf mille sept cent soixante et onze virgule vingt-six euros) euros au titre du préjudice subi du fait de la perte de chance de réaliser un chiffre d'affaires plus important ;
CONDAMNER la SAS Total Marketing France à payer à la SARL Willy la somme de 100 000,00 euros (cent mille euros) au titre du préjudice moral de réputation commerciale qu'elle subit.
Subsidiairement,
DESIGNER tel expert qu'il plaira à la Cour de Céans ;
DIRE ET JUGER que l'expert aura pour mission de :
- Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission, entendre les parties et leurs conseils ainsi que tous sachant ;
- Déterminer l'étendue du préjudice subi du fait des manquements de la SAS TMF à ses obligations contractuelles ;
- Déterminer l'étendue du préjudice subi à la fois pour l'activité de vente de carburant et pour les activités annexes ;
DIRE que cet expert aura la possibilité de s'adjoindre, si cela est nécessaire, tout spécialiste de son choix, qu'il devra dresser un rapport écrit qu'il déposera dans le délai de trois mois au Greffe ;
DIRE qu'en cas d'empêchement, il pourra être remplacé sur demande de la partie la plus diligente ; En tout état de cause,
CONDAMNER la SAS Total Marketing France à payer à la SARL Willy la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
CONDAMNER la SAS Total Marketing aux entiers dépens ;
DIRE que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par Maître Cédric Dubucq, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 16 décembre 2020 par la société Total Marketing France, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu l'article (ancien) 1134 du Code civil,
Vu l'article 1104 du Code civil,
Vu l'article 1353 du Code civil,
Vu l'article 146 du Code de procédure civile,
Vu l'article 263 du Code de procédure civile,
Vu l'ensemble des pièces versées aux débats et la jurisprudence visée,
Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :
- Dire et juger que les conventions conclues entre Total Marketing France et la SARL Willy ont été régulièrement négociées, formées et exécutées de bonne foi entre les parties et à tout le moins par Total Marketing France ;
- Dire et juger que le prix de vente des carburants défini au contrat de distribution en cause est déterminé ou déterminable par application du contrat conclu ;
- Dire et juger que les prétentions de la SARL Willy quant à l'existence d'une situation de domination économique et d'abus dans la détermination du prix ne sont pas démontrées et ne peuvent servir de fondement à ses demandes, le marché offrant des solutions alternatives de fourniture ;
- Dire et juger qu'en toute hypothèse, aucun préjudice indemnisable n'est démontré par la SARL Willy qui, en qualité de commerçant indépendant, a librement fixé sa politique commerciale et en particulier les prix de revente des carburants achetés auprès de Total Marketing France ;
- Dire et juger n'y avoir lieu à désignation d'un expert judiciaire
PAR CONSEQUENT,
- Confirmer dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 26 juin 2019 en ce qu'il a débouté la SARL Willy de toutes les demandes indemnitaires et d'expertise qui s'y rapportent.
EN TOUT ETAT DE CAUSE
- Condamner la SARL Willy à payer à Total Marketing France la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la SARL Willy aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société Willy indique qu'elle porte le débat sur une problématique contractuelle indifférente au droit de la concurrence, et plus particulièrement sur la loyauté dans les rapports entre cocontractants.
Elle se fonde sur l'article 1134 ancien du code civil interprété au regard des articles 1104 et 1164 nouveaux du code civil, ainsi que sur la jurisprudence de la Cour de cassation telle qu'elle résulte de l'arrêt Huard du 3 novembre 1992, pour conclure à un manquement contractuel de son cocontractant à son devoir de bonne foi.
Elle soutient en premier lieu que TMF a modifié l'équilibre contractuel en créant une nouvelle structure de distribution qui lui est préjudiciable. Elle invoque à cet égard la politique commerciale de TMF fondée sur le développement massif de stations opérant sous un statut de commissionnaire, créant ainsi de nouvelles conditions de concurrence, développement qui a gravement affecté sa situation économique ne lui permettant plus de faire face à la concurrence actuelle et de tirer du contrat l'utilité attendue. Elle fait valoir ainsi qu'en tant que revendeur, elle achetait son carburant à un prix supérieur au prix payé par le consommateur final (prix totem) qui se fournit auprès d'une station-service bénéficiant du statut de commissionnaire, et ce, depuis l'exercice 2009.
Elle estime que TMF a dénaturé l'économie du contrat d'approvisionnement exclusif les liant et qu'elle se retrouve dans l'impossibilité de pratiquer des prix concurrentiels tout en margeant suffisamment pour exercer une activité viable et pérenne.
En second lieu, elle soutient que TMF a failli à son devoir de bonne foi en ne la mettant pas en mesure de pratiquer des prix concurrentiels.
Elle rappelle que sous statut de revendeur, elle se rémunère par la marge bénéficiaire qu'elle réalise, de sorte qu'elle se trouve contrainte de pratiquer des prix nettement supérieurs à ceux affichés par les stations-service commissionnaires des alentours.
Elle considère qu'alors que les choix économiques pratiqués par TMF ont modifié l'équilibre contractuel en créant de nouvelles conditions de concurrence qui lui sont préjudiciables, il était du devoir de son cocontractant de la mettre en mesure de continuer à tirer profit du contrat et à pratiquer des prix concurrentiels.
La loyauté lui imposait de négocier en lui proposant des conditions acceptables, de nature à permettre à la convention de lui procurer l'utilité espérée.
Elle invoque la baisse continue depuis 2009 de la fréquentation de sa station-service qui en résulte et dit que les prix pratiqués par TMF à son égard sont d'autant moins cohérents que le statut de client grand compte lui a été accordé sur la base de son potentiel annuel d'achat important, du montant significatif de la caution bancaire qui lui est accordée et des délais de paiement courts.
S'agissant du prix de vente supérieur au prix totem, elle fait valoir que les remises d'objectif qui lui sont accordés par TMF ne peuvent être prises en compte pour la détermination du prix puisqu'elles sont dépendantes du volume de vente réalisé.
Elle ajoute, s'agissant de l'augmentation régulière des volumes de vente qui lui est opposée, que les clients titulaires d'une carte GR, réservée aux professionnels consommant au minimum 200 litres de carburant par mois, se fournissent de façon totalement indifférenciée dans n'importe laquelle des stations membre du réseau Total, peu important les prix pratiqués puisque pour ces clients, le prix barème GR est un prix national reflétant le prix moyen d'affichage des stations Total en France.
Elle dit que la part de la clientèle GR explique que, malgré les volumes de vente en hausse, son chiffre d'affaires soit en constante diminution, ajoutant que les remises d'objectifs qui lui sont accordées, sont calculées sur les volumes d'achat hors clients GR.
Elle dit démontrer par l'exemple qu'elle est dans l'incapacité de concurrencer ses concurrents au regard du prix de revente des carburants dans les stations-service avoisinantes à un moment T.
Elle en déduit que TMF a manqué à son devoir d'exécuter de bonne foi le contrat en ne la mettant pas en mesure de pratiquer des prix concurrentiels, en se refusant à exécuter les clauses contractuelles relatives à la sauvegarde et à la médiation (articles 17 et 24), et partant, en l'empêchant de tirer profit du contrat.
La société Willy se place ensuite sur le terrain extracontractuel, en invoquant l'abus de droit commis par TMF.
Elle soutient que TMF a abusé de son droit de fixer unilatéralement les prix du carburant et plus généralement qu'elle a abusé de son droit de fixer les conditions de vente, ajoutant que cette faute est d'autant plus caractérisée qu'elle se trouve en position de domination économique.
A cet égard, elle soutient que, tenue par une obligation d'approvisionnement exclusif, elle perd toute l'indépendance qui caractérise son statut de commerçant et se trouve contrainte de suivre les opérations décidées par TMF, notamment à accorder à la clientèle les prix décidés par le fournisseur
La société TMF rétorque que :
- la charge de la preuve pèse sur l'appelante conformément aux dispositions des articles 6 et 9 du code de procédure civile ainsi que 1353 du code civil,
- elle a respecté le principe de bonne foi contractuelle posé par l'article 1134 du code civil en renégociant notamment en 2013 et en 2016 les conditions commerciales de contrats de distribution, tout en offrant la possibilité de renégocier ls conventions tous les 5 ans à chaque échéance contractuelle,
- le principe de bonne foi ne doit pas permettre de redéfinir les obligations de chacune des parties en cours d'exécution contractuelle (Com 10 juillet 2007 n°06-14768), précisant à cet égard qu'il faut distinguer la substance des droits et obligations du comportement du créancier dans la mise en œuvre d'une clause ou obligation,
- comme le reconnaît Willy, l'ordonnance du 10 février 2018 a consacré le principe de bonne foi (article 1104 nouveau du code civil) sans dépasser le devoir de loyauté au profit d'un devoir de fraternité, de coopération, ou de collaboration.
- elle a exécuté et continue d'exécuter de bonne foi ses obligations contractuelles, en voulant pour preuve l'article 5 du contrat d'approvisionnement exclusif en carburant du 1er janvier 2016 lui faisant obligation de livrer les produits commandés dans les meilleurs délais, les conditions particulières du contrat précisant que le carburant est livré et facturé au prix convenu entre les parties, à savoir, au prix en vigueur à la date de livraison, ou encore, les articles 9 et 10 du contrat relatifs à l'assistance dans la publicité du réseau et à l'entretien de certains matériels d'aménagement de la station,
- elle a démontré sa loyauté en apportant assistance à Willy au cours de la relation contractuelle en renégociant régulièrement les conditions d'exécution contractuelle des contrats, notamment en 2013 et 2016 et que des mesures ont été prises pour que son cocontractant reste concurrentiel, faisant état à cet égard de l'augmentation des remises commerciales de 2008 à 2016 et du paiement de travaux, précisant qu'à la date de la signature de l'avenant du 1er novembre 2016, elle a investi en tout sur la station-service Willy la somme de 120 338,14 euros, outre des aides à l'investissement consenties, soit un effort financier total de plus de 200 000 euros de sorte que Willy a pu moderniser la station-service, valorisant ainsi son fonds de commerce,
- elle dénie toute situation de « domination économique », faisant valoir que Willy n'apporte aucun élément de droit ou de fait à cet égard et qu'en tout état de cause, elle ne caractérise aucun abus,
- elle relève l'absence de contrainte qui se déduit de Willy du refus de changer de statut pour garder la maîtrise de ses prix et du choix des sociétés de son groupe de contracter avec l'un de ses concurrents, ce qui démontre l'existence de solutions alternatives et l'absence de contraintes.
Elle soutient n'avoir nullement abusé de son droit de fixer :
- unilatéralement le prix du carburant, faisant valoir que lorsque le prix est déterminé ou déterminable, la partie qui se prétend victime d'un abus doit démontrer l'existence d'un abus dans cette détermination., en démontrant un déséquilibre ou une stratégie d'éviction menée par son partenaire qui en tire un profit illégitime ; en l'espèce, aucun abus dans la détermination du prix ne peut être retenu, puisqu'elle a eu l'opportunité de renégocier le contrat de distributeur ou de refuser les renouvellements de contrats et se tourner vers la concurrence, ce qu'elle a fait pour les sites de Carpentras et de Pertuis.
- les conditions de vente au sein de son réseau, en choisissant en tant que fournisseur, d'assurer la distribution de ses produits selon des régimes juridiques différents, aucune démonstration d'un prétendu abus de droit de sa part dans la fixation des conditions de vente n'étant effectuée.
Elle ajoute que Willy n'établit pas qu'elle a été dans l'impossibilité de pratiquer des prix concurrentiels vis-à-vis de ses concurrents et que la preuve par l'exemple effectuée n'est pas concluante, faute notamment pour Willy de se limiter à la zone de chalandise prenant en compte la distance ou le temps de parcours des consommateurs ainsi que le retient l'Autorité de la concurrence.
Elle estime que le prix d'achat à 1,212€HT/L retenu par Willy ne tient pas compte des remises d'objectif qui lui sont accordées de 6,10€HT/m3.
Enfin, elle invoque les prix très élevés pratiqués par Willy résultant d'une démarche délibérée et non liée au prix de cession des carburants par TMF
SUR CE LA COUR
Le réseau des stations-services à enseigne Total en France est exploité principalement selon plusieurs types de contrats : location gérance, commissionnaires ou distributeurs revendeurs.
Par le contrat de commissionnaire, TMF confie à un commissionnaire, généralement propriétaire du fonds de commerce, la vente de carburants au prix qu'elle fixe et pour son compte alors que par le contrat de distributeur revendeur, TMF vend le carburant au distributeur le plus souvent propriétaire de son fonds de commerce, lequel le revend au consommateur au prix qu'il fixe librement.
Aux termes des contrats de distributeur exclusif successivement signés pour une durée de cinq ans par les parties, à compter de l'année 2008, dont le dernier date du 31 décembre 2015 à effet du 1er janvier 2016, la société Willy, propriétaire de son fonds de commerce,
- bénéficie du statut de revendeur lui permettant de fixer librement le prix de revente du carburant affiché dans sa station-service,
- s'engage à se fournir exclusivement auprès de TMF pour l'approvisionnement en produits pétroliers destinés à être vendus au détail dans son fonds de station-service,
- est un client grand compte de TMF,
- revend au consommateur sous l'enseigne Total dans sa station-service.
L'article 4 du contrat d'approvisionnement liant les parties dispose : « Les prix des produits facturés au revendeur sont calculés sur la base du tarif en vigueur au jour de la livraison sur lequel s'applique les remises, compte tenu des conditions particulières de règlement, d'approvisionnement et d'exploitation précisées au contrat ».
Sur le terrain contractuel, le principe de bonne foi posé par l'article 1134 ancien du code civil applicable à la cause, fait obligation de proposer au cocontractant des conditions acceptables, pour que la convention procure à celui-ci une utilité.
L'article 17 du contrat intitulé « Sauvegarde » dispose : « en cas d'évolution significative favorable ou défavorable à l'une ou l'autre des parties, du contexte général ou de la concurrence faite localement au revendeur, les deux Parties se rapprocheront en vue de négocier de bonne foi l'adaptation des conditions commerciales initialement convenues. Ces adaptations devront aboutir au plus tard dans un délai de deux mois à un partage équitable des efforts pour des gains possibles Elles feront l'objet d'un avenant au contrat.
.... »
Or, la vente au consommateur final du carburant (prix totem) dans les stations sous statut de commissionnaire à un prix inférieur au prix vendu au revendeur, si elle est établie, sans proposer à son cocontractant ainsi que l'article 17 du contrat lui en faisant obligation, des conditions pour y remédier autres que le changement de statut de revendeur en commissionnaire, est de nature à constituer le manquement à l'obligation de bonne foi du cocontractant.
Il convient donc de rechercher si la vente à Willy du carburant à un prix supérieur au prix totem est établie, étant observé que la charge de la preuve pèse sur l'appelante qui s'en prévaut.
A tout le moins, l'appelante doit démontrer se trouver dans l'impossibilité de pratiquer des prix concurrentiels tout en réalisant une marge suffisante pour exercer une activité viable et pérenne et le manquement de son cocontractant à son devoir de bonne foi en ne la mettant pas en mesure de pratiquer des prix concurrentiels.
En l'espèce, Willy dit que, à la date du 3 juillet 2018, le tarif pour se fournir en gazole (GO) était de 1 282,460€ le m3 et qu'en déduisant la remise de débouché, la remise de livraison unitaire (LU) et la remise commerciale, son prix réel d'achat auprès de TMF était de 1 212,42€ HT/m3, soit 1,21242€ HT/L, que son prix de vente à cette date pour lui permettre de rentrer dans ses frais et réaliser un bénéfice était de 1,580€TTC/L alors que ses concurrents revendaient entre 1,409€ TTC/L et 1,506€ TTC/L.
Il sera observé que :
- sans se pencher sur l'exactitude de ces chiffres, il résulte de ceux-ci que l'appelante ne démontre pas qu'elle achète le carburant plus cher que le prix vendu au consommateur final par ses concurrents ainsi qu'elle le prétend ;
- c'est justement que l'appelante soutient que le montant des remises d'objectif qui lui sont accordées ne peut venir en déduction du prix de l'essence pratiqué à la pompe puisque ces remises, versées à la date anniversaire du contrat en fonction de l'objectif en volume fixé au contrat, sont dépendantes du volume atteint et ne peuvent dès lors être anticipées ;
- au regard de la dérèglementation du marché des carburants et de la concurrence des grandes surfaces provoquant sur le territoire national une dispersion des prix de vente des carburants, la comparaison du prix de vente du carburant à un instant T doit s'effectuer dans la zone de chalandise de la station-service en cause de la société Willy, constituée par un cercle de 25 km de rayon, ainsi que l'a justement retenu le tribunal de commerce.
Or, sur les tickets de caisse produits en date du 3 juillet 2018 (pièce 24 de l'appelante), deux seulement concernent la zone de chalandise, l'une au Pertuis (Station d'un indépendant, M C) affichant un prix de 1,506€ et l'autre à La Tour d'Aigues, station Segura Fuel and Shop, à enseigne Total, sous statut de commissionnaire, affichant un prix de 1,506 euros.
Ces éléments rendent impossible toute comparaison entre le prix de vente du carburant des autres stations avec le prix d'achat de Willy, à l'exception de la station Total Segura Fuel and Shop, sous statut de commissionnaire Total, qui affiche un prix de vente certes inférieur à celui de la station Willy (1,580 euros) mais supérieur au prix d'achat du carburant par cette dernière.
En outre, si la station Total Access des Miles à Aix en Provence qui se situe hors zone de chalandise, vend ce jour-là son gasoil à 1,400€ TTC, soit 1,174€HT alors que la station Willy l'achète 1,21242€ HT, il ne saurait s'en déduire un manquement contractuel de son cocontractant alors que ne sont pas pris en compte les volumes distribués et que la négociation avec chaque distributeur prend en compte les caractéristiques de son point de vente et de son environnement concurrentiel.
Enfin, si TMF justifie que la station Willy pratique des prix très élevés pour la région et est connue pour cela, l'appelante n'établit pas que ces prix sont ceux en dessous desquels elle ne peut descendre sauf à vendre à perte ou à renoncer à appliquer une quelconque marge.
En conséquence, Willy échoue à démontrer que les différences de prix pratiqués dans la zone de chalandise entre les commissionnaires et elle-même sous statut de revendeur, constituent le manquement de TMF à son obligation d'exécution de bonne foi de son contrat d'approvisionnement exclusif.
Il sera ajouté, s'agissant du manquement de TMF à des obligations positives du contrat que :
- la SARL Willy allègue sans l'établir avoir invoqué l'article 17 du contrat intitulé « Sauvegarde »,
- des négociations ont eu lieu régulièrement entre les parties de 2013 à 2016, ainsi qu'il résulte notamment du courriel de M X B du 30 juin 2016 annonçant sa venue, ajoutant :
« Il faut, dans cette renégociation, étudier une adaptation possible ou non de vos remises... »
- un avenant a été signé le 5 octobre 2016 (pièce 27 de l'intimée) portant notamment sur les tarifs et remises, sur l'accord pour l'exploitation sous concept Total Wash et sur l'aide à l'investissement en cours de contrat ;
- si Willy a le 30 janvier 2018, invoqué l'article 24 'Médiation' du contrat (sa pièce 19), qui dispose :
« En cas de désaccord persistant sur l'adapation des conditions commerciales ou sur tout autre sujet, chaque partenaire pourra proposer à l'autre d'avoir recours à la médiation d'un ou deux professionnels indépendants. L'autre partenaire disposera d'un délai d'un mois pour l'accepter et designer le médiateur de son choix, s'il n'accepte pas à titre de médiateur unique celui indiqué dans la proposition. A défaut, il sera réputé avoir refusé la proposition de médiation.
(...) » et que TMF a refusé cette proposition, estimant celle-ci inadaptée par lettres des 6 et 21 mars 2018, ce seul refus ne peut constituer le manquement à la bonne foi contractuelle alléguée alors que TMF y a apporté une réponse circonstanciée (pièce 22 de l'appelante) et que répondant à la demande faite dans la même lettre du 30 janvier 2018 de sa cocontractante, elle a confirmé la possibilité de passer du statut de revendeur à celui de commissionnaire.
D n'établit pas davantage que TMS aurait abusé de son droit de fixer unilatéralement le prix de cession du carburant ou les conditions de vente au sein de son réseau alors qu'il n'est ni démontré que le prix fixé ne lui permettait pas de revendre le carburant en dégageant une rentabilité suffisante, ni que le comportement de son cocontractant traduisant une stratégie globale d'éviction des revendeurs au profit des commissionnaires.
A cet égard, la circonstance qu'il lui ait été proposé le passage du statut de revendeur à celui de commissionnaire et le fait que la part de stations-service opérant sous le statut de revendeur dans le réseau Total représente moins de 10% des entreprises du réseau, à supposer ce point établi, sont insuffisants à établir un abus par TMF des conditions de vente dans son réseau.
L'abus de droit ne peut être retenu, Il n'y a donc pas lieu de s'interroger sur la situation de domination économique alléguée.
Le jugement entrepris est en conséquence confirmé.
La société Willy qui succombe, est condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle est, en revanche, condamnée sur ce fondement à payer à la société TMF la somme de 10 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement,
Y ajoutant,
Déboute la société Willy de ses demandes ;
La condamne aux dépens d'appel et à payer à la société Total Marketing France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.