Cass. com., 14 avril 2021, n° 19-18.296
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Dartess (SA)
Défendeur :
Bernard Magrez Grands Vignobles du Sud (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Boisselet
Avocats :
SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 mars 2019), la société Dartess, filiale de la société Groupe Dartess, anciennement dénommée Naos investissement, exerçant dans la région bordelaise une activité de stockage et logistique, a repris, en octobre 2010, les actifs de la société Groupe Mitsui. Elle a ainsi repris un contrat du 1er avril 2005 avec la société Bernard Magrez crus d'exception, aux droits de laquelle vient la société Bernard Magrez grands vignobles du Sud (la société Magrez), ayant pour activité l'achat et la distribution de vins. Cette convention, portant sur des prestations de stockage et de logistique, avait été conclue pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction par périodes de trois ans, sauf dénonciation par l'une des parties six mois avant l'arrivée du terme.
2. L'ancien dirigeant du groupe Mitsui, M. Darfeuille, a, en vertu d'une convention signée le 30 septembre 2010 entre la société mère et une société Subway, dont il était le dirigeant, continué à exercer une activité d'animation et de pilotage pour les sociétés du groupe, une clause de non-concurrence lui faisant interdiction de fournir, pendant l'exécution de cette convention et pendant cinq ans après sa rupture, des services de logistique en matière de vin dans un rayon de 300 kilomètres.
3. Les 31 décembre 2012 et 17 juin 2013, les sociétés Magrez et Dartess ont conclu deux protocoles d'accord afin de régler les litiges les opposant, prévoyant le paiement par la société Dartess de diverses sommes.
4. Le 21 octobre 2013, la société Magrez a informé la société Dartess que, compte tenu de ses difficultés financières, et notamment du coût des prestations de la société Dartess du mois de juin 2013, elle allait se doter d'un outil de stockage propre dans lequel elle souhaitait intégrer un prestataire logistique et qu'elle restait en attente des propositions tarifaires de la société Dartess à ce titre. Elle lui a, alors, notifié qu'elle déménagerait le stock des produits finis d'ici la fin du mois de janvier 2014 et que l'activité logistique, via ses commandes, irait en décroissant durant toute cette période. Le 4 novembre 2013, la société Dartess a informé la société Magrez qu'elle ne pouvait s'aligner sur les tarifs proposés par cette dernière au titre de la logistique de son entrepôt dédié et a invoqué sa situation de dépendance économique, qui ne lui permettait pas de faire face à un changement de prestataire précipité. Par lettres des 7 et 12 novembre suivant, la société Magrez a informé la société Dartess qu'elle avait pris la décision de repousser la date d'effet de la résiliation au 21 avril 2014. La société Dartess a assigné la société Magrez aux fins d'obtenir la réparation des préjudices causés par la rupture du contrat dans ces conditions et par une complicité de la violation de la clause de non-concurrence.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société Dartess fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors :
« 1°) que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ; que la cour d'appel a elle-même constaté que la société Dartess faisait valoir que la résiliation du contrat par lettre du 21 octobre 2013, suivie du retrait des stocks par la société Magrez et de la cessation de toute relation commerciale à compter du mois d'avril 2014 est fautive, dès lors que le préavis contractuel de six mois devant intervenir avant la date d'arrivée du terme au 30 septembre 2013, n'a pas été respecté ; qu'en se prononçant seulement sur la responsabilité délictuelle instaurée par l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce qu'aurait engagée la société Bernard Magrez grands vignobles du Sud, sans se prononcer sur le non-respect par cette dernière du délai de préavis contractuel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) que dans ses écritures d'appel, la société Dartess a invoqué la résiliation fautive du contrat à durée déterminée qui la liait à la société Magrez, du fait du non-respect du délai de préavis contractuel, ce qu'avaient d'ailleurs retenu les premiers juges ; qu'en se prononçant seulement sur la responsabilité délictuelle instaurée par l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce qu'aurait engagée la société Magrez , sans se prononcer, comme elle y était pourtant invitée, sur le non-respect par cette dernière du délai de préavis contractuel, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) que dans ses conclusions d'appel, la société Dartess a fait valoir que la résiliation fautive du contrat par la société Magrez devait entrainer la caducité des protocoles d'accord signés entre les parties au mois de décembre 2012 et juin 2013, ces contrats étant intimement liés à une exécution du contrat initial comme l'avait admis le tribunal ; qu'en infirmant le jugement et en déboutant la société Dartess sans s'expliquer sur ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Sous le couvert des griefs de défaut de réponse à conclusions et défaut de base légale, la société Dartess dénonce en réalité une omission de statuer, laquelle peut être réparée suivant la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile.
7. Le moyen n'est donc pas recevable.
Sur le second moyen
8. La société Dartess fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable à agir au titre de la violation de la clause de non-concurrence souscrite par M. Darfeuille, alors :
« 1°) que la société Dartess a fait valoir que la société Naos Investissement, aujourd'hui dénommée Groupe Dartess, avait conclu la convention du 30 novembre 2010, comportant la clause de non-concurrence, en son nom mais surtout dans l'intérêt de ses filiales, ce qui était expressément stipulé dans la convention ; qu'en ne recherchant pas si, indépendamment d'une cession, la clause de non-concurrence n'avait pas été stipulée dans l'intérêt de la société Dartess par la société mère, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des anciens articles 1121 et 1134 du code civil ;
2°) qu'à titre subsidiaire, le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; qu'en se fondant, pour déclarer irrecevable sa demande indemnitaire du fait de la complicité de concurrence déloyale sur la seule circonstance que la société Dartess n'était pas partie au contrat imposant une clause de non-concurrence à M. Darfeuille, sans se prononcer sur le dommage résultant de sa violation, la cour d'appel a violé l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°) qu'en toute hypothèse, dans ses écritures d'appel, la société Dartess a invoqué la complicité de la société Magrez dans la violation par M. Darfeuille de la clause non-concurrence litigieuse ; qu'en se fondant, pour déclarer irrecevable la demande indemnitaire du fait de la complicité de concurrence déloyale sur la seule circonstance que la société Dartess n'était pas partie au contrat imposant une clause de non-concurrence à M. Darfeuille, sans se prononcer sur la complicité de la société Magrez dans la violation de cette clause de non-concurrence, dont les conséquences dommageables étaient de nature à donner qualité et intérêt à agir à la société Dartess, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. Il résulte des conclusions de la société Dartess que celle-ci reprochait à la société BM un comportement qu'elle qualifiait de complicité de concurrence déloyale, en faisant valoir que cette société avait, en connaissance de cause, confié le stockage et la logistique de ses vins à M. Darfeuille, par le bais de la société Bordeaux Wine Logistic, dans laquelle ce dernier avait des intérêts, en violation de la clause de non-concurrence souscrite par lui au profit de la société Groupe Dartess.
10. Une clause de non-concurrence ne profitant qu'au seul créancier de l'obligation, la violation d'une telle clause ne peut, par principe, constituer une faute constitutive de concurrence déloyale à l'égard d'un tiers. Le grief de la troisième branche, qui postule le contraire, n'est pas fondé.
11. En outre, la société Dartess ne peut reprocher à la cour d'appel de ne pas avoir effectué la recherche invoquée par la première branche, qui ne lui était pas demandée, ni de ne pas s'être prononcée, sur un fondement délictuel, sur les conséquences subies par elle d'un manquement contractuel reproché à un tiers contre lequel la demande de dommages-intérêts n'était pas dirigée, qui ne lui était pas demandée non plus.
12. Le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.