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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. instance, 20 avril 2021, n° 19/02359

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Abs Tand Auto (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pety

Conseillers :

Mme Lefevre, Mme Magnard

TI Troyes, du 3 juin 2019

3 juin 2019

Mme Marlène F. a acquis le 21 décembre 2016 auprès de la SARL Abs'Tand Auto un véhicule d'occasion Peugeot 206 immatriculé EH-912-XP présentant 188 000 km au compteur, au prix de 2 976,76 euros, comprenant les frais de carte grise et une garantie de trois mois sur l'ensemble du véhicule et de six mois sur le train arrière.

Se plaignant de dysfonctionnements (voyants allumés sur le tableau de bord, problèmes de train arrière, inclinaison anormale du volant, problème de décélération et accélération) et doutant du résultat du contrôle technique effectué le 13 décembre 2016 par la société Dekra, Mme F. a fait réaliser un nouveau contrôle technique par la société Autocontrol le 10 février 2017.

Ce second contrôle technique a constaté :

- un jeu excessif et/ou une détérioration importante de la rotule, articulation de direction,

- un jeu important ou anormal de la rotule et/ou de l'articulation du demi-train arrière, ces deux défauts ne permettant pas de valider le contrôle technique réglementaire,

- un défaut d'étanchéité du moteur.

Le vendeur a consenti à changer l'essieu arrière du véhicule, les deux rotules axiales de direction, un jeu de plaquettes de frein avant, le tube d'échappement intermédiaire et le silencieux d'échappement, ainsi que deux pneus, et a opéré un réglage du train avant.

Considérant que des dysfonctionnements subsistaient, Mme F. a fait assigner la SARL Abs'Tand Auto devant le tribunal d'instance de Troyes, par acte du 26 décembre 2018, en :

- nullité de la vente pour réticence dolosive, avec remboursement de la somme de 3 031,76 euros et restitution du véhicule,

- résolution de la vente pour vice caché, avec remboursement de la somme de 3 031,76 euros et restitution du véhicule,

- condamnation du vendeur au paiement des sommes de 2 500 euros pour préjudice moral et de 1 000 euros pour frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens.

La SARL Abs'Tand Auto s'est opposée à l'ensemble des demandes et a sollicité la condamnation de Mme F. au paiement de 1 500 euros pour frais irrépétibles. Elle a soutenu que le consentement de l'acquéreur n'avait pas été vicié et que les vices invoqués étaient apparents ou relevaient de l'usure normale du véhicule.

Le jugement du 3 juin 2019 a débouté Mme F. de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens et au paiement à la SARL Abs'Tand Auto d'une somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement a été signifié à Mme F. le 22 juillet 2019.

Mme F. a fait appel le 27 novembre 2019 de toutes les dispositions du jugement, après avoir demandé l'aide juridictionnelle le 24 juillet 2019 et après qu'un avocat lui ait été désigné, le 20 novembre 2019.

Par conclusions du 16 novembre 2020, elle demande à la cour d'infirmer le jugement, au visa des articles 1104, 1130, 1137, 1112-1 et 1641 du code civil, afin de :

- annuler la vente du 21 décembre 2016,

- ordonner la reprise du véhicule par la SARL Abs'Tand Auto,

- ordonner le remboursement par la SARL Abs'Tand Auto des sommes suivantes :

. 2 900 euros de prix de vente

. 76,76 euros de frais de carte grise

. 55 euros de contrôle technique du 10 février 2016

soit au total 3 031,76 euros,

- condamner la SARL Abs'Tand Auto à lui payer la somme de 2 500 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner la SARL Abs'Tand Auto aux dépens de première instance et d'appel.

Par ordonnance du 5 janvier 2021, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions de l'intimée du 17 novembre 2020.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 février 2021.

Motifs de la décision :

Le tribunal d'instance a rejeté les demandes de Mme F. en nullité de la vente pour réticence dolosive et en résolution de la vente pour vice caché, ainsi que la demande en dommages et intérêts subséquente.

Devant la cour, Mme F. agit en nullité de la vente pour manquement au devoir d'information du vendeur, en nullité de la vente pour réticence dolosive du vendeur et en résolution de la vente pour vice caché.

Rappel des faits constants :

La SARL Abs'Tand Auto est un garage spécialisé dans l'entretien et la réparation de véhicules automobiles légers et vend des véhicules d'occasion de toutes marques. Elle a mis en ligne le 1er décembre 2016 sur le site « Le bon coin » une annonce de vente d'un véhicule aux caractéristiques suivantes : Peugeot 206 1.4 HDI X LINE 3P berline, gris, 4cv, 3 portes, carburant : diesel, mise en circulation le 1er mai 2005, garantie 3 mois, kilométrage : 188 000 km, ... (pièce n° 27).

Le 5 décembre 2016, Mme F. a passé commande auprès de la SARL Abs'Tand Auto d'un véhicule d'occasion Peugeot 206 immatriculé EH-912-XP, au prix de 2 900 euros outre 76,76 euros pour les frais de carte grise. Le bon de commande prévoyait une garantie de trois mois et le paiement du prix lors de la mise à disposition du véhicule.

Le 21 décembre 2016, le véhicule a été livré à Mme F., après paiement de 1 976,76 euros, le solde de 1 000 euros étant réglé le 22 décembre 2016. Aucun procès-verbal de contrôle technique ne lui a été remis.

Dès le 22 décembre 2016, Mme F. relevait plusieurs dysfonctionnements. Le 4 janvier 2017, la SARL Abs'Tand Auto lui a consenti une extension de la garantie, en mentionnant sur le bon de livraison : « Si le train arrière du véhicule lâche dans les 6 mois nous prendrons en charge la réparation », cette mention étant suivie de la date de l'ajout « le 4 janvier 2016 » (pièce n° 5).

Par lettre recommandée avec avis de réception adressée par la SARL Abs'Tand Auto à Mme F., lettre datée du 14 février 2017, le garage répond à sa cliente « vous nous reprochez de ne pas vous avoir remis le contrôle technique du véhicule le jour de la livraison. Mais comme nous vous l'avions indiqué ce jour-là, le dossier de demande d'immatriculation était en préfecture et il est important de joindre à ce dossier l'original et une copie du procès-verbal de contrôle technique. Nous vous précisons que nous vous avons téléphoné dès la réception du certificat provisoire d'immatriculation et du contrôle technique pour vous demander de venir changer les plaques du véhicule et récupérer vos documents. Vous n'êtes venue que le 04/01/2017 date à laquelle les documents vous ont été remis » (pièce n° 10).

Le procès-verbal de contrôle technique remis le 4 janvier 2017 correspondait à un contrôle effectué le 13 décembre 2016 par l'entreprise C.C.T.A., qui relevait deux défauts à corriger sans obligation d'une contre visite :

- demi-train arrière (y compris ancrages) : jeu mineur rotule et/ou articulation : D, G

- superstructure, carrosserie (sauf ailes et ouvrants) : déformation importante et/ou mauvaise fixation/liaison : ARG.

Le kilométrage inscrit au compteur lors du contrôle était de 188 205 km.

Confrontée à de nouveaux dysfonctionnements, Mme F. est retournée le 8 février 2017 au garage Abs'Tand Auto, qui s'est engagé à changer l'essieu arrière par une pièce de réemploi (courrier du garage en pièce n° 11).

Inquiète, Mme F. a fait procéder à un nouveau contrôle technique, à ses frais, par l'entreprise Contrôle technique de l'Aube, le 10 février 2017. Celui-ci a constaté (pièce n° 7) :

- deux défauts ne permettant pas la validation d'un contrôle technique règlementaire

. rotule, articulation de direction : jeu excessif et/ou détérioration importante

. demi-train arrière (y compris ancrages) : jeu important ou anormal rotule et/ou articulation

- autre défaut constaté : moteur : défaut d'étanchéité.

Le kilométrage noté lors de ce contrôle est de 190 503 km.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 10 février 2017, distribuée le 14 février 2017, Mme F. a sollicité l'annulation de la vente. Le garage a maintenu sa proposition de changer l'essieu arrière par une pièce de réemploi et a offert d'intervenir sur les différents désagréments rencontrés, en fixant un rendez-vous le 22 mars 2017 (courrier daté du 22 février 2017). Mme F. a accepté la proposition, par courriel du 3 mars 2017.

Alertée par un bruit anormal, Mme F. a fait examiner le véhicule par un autre professionnel (le garage Cadot à Marigny-le-Châtel), qui a constaté que l'anomalie de l'essieu arrière entraînait une usure anormale des pneumatiques et que le véhicule vendu avait subi un choc.

Mme F. s'est rendue au rendez-vous du 22 mars 2017, mais le garagiste ayant refusé de changer des pièces autres que l'essieu arrière et la rotule triangle avant droite, elle a quitté le garage. Après échanges de courriers, une intervention a été programmée en mai 2017, suite à laquelle la SARL Abs'Tand Auto a attesté, le 31 mai 2017, avoir changé les pièces ci-après : l'essieu arrière (par pièce de réemploi), les deux rotules axiales de direction, les plaquettes de disques à l'avant, un tube d'échappement intermédiaire, un silencieux d'échappement, deux pneus d'occasion. Elle attestait en outre avoir effectué un réglage du train avant (pièce n° 19).

Par courriel du 2 août 2017, Mme F. informait la SARL Abs'Tand Auto de ce que la fixation qui devait maintenir le tube d'échappement et le silencieux d'échappement avait cédé et que le véhicule produisait tellement de bruits divers et variés qu'elle ne pouvait indiquer depuis quand il en était ainsi. Elle ajoutait que le problème d'accélération et décélération du moteur rencontré dès la livraison du véhicule (dont elle faisait déjà état dans un courriel du 13 février 2017, pièce n° 9) perdurait. La SARL Abs'Tand Auto intervenait de nouveau sur le véhicule le 4 août 2017.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 11 septembre 2017, Mme F. indiquait au garage que le problème d'accélération et décélération subsistait, le véhicule demeurant parfois accéléré lorsqu'elle rétrogradait, et qu'au surplus « à présent il évacue de la fumée noire et a des ratés ». Elle lui demandait donc de reprendre le véhicule, sinon elle saisirait la juridiction compétente.

La SARL Abs'Tand Auto lui répondait, par lettre du 27 septembre 2017, qu'elle ne pouvait reprendre le véhicule, « ne connaissant pas le kilométrage parcouru », d'autant que le diagnostic effectué lors de la précédente intervention n'avait révélé aucune anomalie (pièce n° 24).

Le 11 juin 2018, Mme F. a fait dresser par le garage Cadot de Marigny-le-Châtel un devis des travaux de remise en état nécessaires (remplacement tube échappement sortie après collecteur, remplacement biellettes barre stabilisatrice, forfait diagnostic électronique passage valise Clip, remplacement bougies préchauffage, tube échappement, biellette barre stab) et des « travaux à prévoir rapidement » (remplacement des 4 pneus, remplacement des sangles fixation réservoir, climatisation à recharger après contrôle étanchéité, fuite d'huile moteur). Le kilométrage mentionné sur ce devis est de 211 195 km. 22 990 km ont donc été parcourus depuis le premier contrôle technique du 13 décembre 2016.

Sur la demande en garantie des vices cachés :

Aux termes de l'article 1641 du code civil « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »

L'article 1644 du code civil donne en ce cas à l'acheteur le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.

L'article 1645 dispose que le vendeur qui connaissait les vices de la chose est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.

Mme F. a acquis un véhicule d'occasion le 21 décembre 2016 et s'est trouvée rapidement confrontée aux défauts présentés par l'automobile. Il est certain qu'une communication avant conclusion de la vente du procès-verbal du contrôle technique du 13 décembre 2016 aurait pu la détourner de l'acquisition de cette Peugeot 206. En tout état de cause, les désagréments se sont succédés et des vices cachés ont été mis en exergue par le contrôle technique du 10 février 2017, vices que le vendeur professionnel ne pouvait ignorer.

Les défauts relevés par ce contrôle technique ne pouvaient être décelés par un acquéreur profane et compromettaient l'usage du véhicule, ou le réduisaient tellement que Mme F. ne l'aurait pas acheté si elle les avait connus. Il s'agissait d'un jeu excessif et/ou d'une détérioration importante de la rotule, articulation de direction, et d'un jeu important ou anormal de la rotule et/ou articulation du demi-train arrière, défauts qui ne permettaient pas la validation d'un contrôle technique règlementaire. Selon le garage Cadot, consulté par Mme F., le véhicule litigieux avait subi un choc, ce qu'un professionnel ne pouvait ignorer. Certes la SARL Abs'Tand Auto a remédié à certains vices cachés du véhicule, en remplaçant l'essieu arrière et la rotule triangle avant droite, mais d'autres défauts importants, et que Mme F. ne pouvait déceler, subsistent, tels que le problème dangereux d'accélération et décélération qu'elle a constaté immédiatement après la livraison du véhicule et signalé rapidement au garage vendeur (pièce n° 9 de Mme F.). L'appelante doit donc être reconnue fondée en son action en garantie des vices cachés. Elle devra restituer le véhicule et la SARL Abs'Tand Auto devra restituer le prix du véhicule et des frais de carte grise, pour un montant de 2 976,76 euros.

La SARL Abs'Tand Auto est également tenue de rembourser à Mme F. le coût du contrôle technique du 10 février 2017, soit 55 euros. Eu égard aux multiples démarches dont justifie Mme F. et à ses diverses inquiétudes (bruits, accélérations anormales) lorsqu'elle pilotait le véhicule, le vendeur professionnel est condamné à lui payer une somme de 500 euros en réparation du préjudice moral souffert.

Sur les autres demandes :

La SARL Abs'Tand Auto succombe et se trouve dès lors condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Le jugement est par ailleurs infirmé en ce qu'il a condamné Mme F. au paiement d'une indemnité de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs,

Infirme le jugement du 3 juin 2019,

Statuant à nouveau,

Prononce la résolution de la vente du véhicule Peugeot 206 immatriculé EH-912-XP intervenue le 21 décembre 2016 entre la SARL Abs'Tand Auto et Mme F.,

Ordonne à Mme F. de restituer le véhicule à la SARL Abs'Tand Auto,

Ordonne à la SARL Abs'Tand Auto de restituer à Mme F. le prix de vente de 2 900 euros et les frais de carte grise de 76,76 euros,

Condamne la SARL Abs'Tand Auto à payer à Mme F. en réparation de ses préjudices la somme de 55 euros correspondant au coût du contrôle technique du 10 février 2017 et la somme de 500 euros correspondant au préjudice moral souffert,

Déboute la SARL Abs'Tand Auto de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance,

Condamne la SARL Abs'Tand Auto aux dépens de première instance et d'appel.