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Décisions

Cass. com., 19 novembre 2013, n° 12-28.367

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Avocats :

SCP Baraduc et Duhamel, SCP Delaporte, Briard et Trichet

Douai, du 19 sept. 2012

19 septembre 2012

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 19 septembre 2012), que la société par actions simplifiée Métaleurop Nord, spécialisée dans le traitement des métaux non ferreux, ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 28 janvier et 10 mars 2003, les deux liquidateurs désignés ont assigné sa société-mère, la société Métaleurop SA, devenue Recylex, en paiement d'une partie de l'insuffisance d'actif de sa filiale, la tenant pour dirigeant de fait de celle-ci ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les liquidateurs font grief à l'arrêt d'avoir statué sur des conclusions des parties qui n'étaient pas les dernières, alors, selon le moyen :

1°/ que la cour d'appel ne peut statuer que sur les dernières conclusions des parties déposées en cause d'appel, à l'exclusion des conclusions antérieures ou de celles déposées en première instance ; que les liquidateurs judiciaires de la société Métaleurop Nord ont déposé leurs dernières conclusions d'appel le 13 mai 2008 ; qu'en se prononçant non pas au visa de ces conclusions, auxquelles elle n'a pas répondu, mais des conclusions déposées par les liquidateurs le 12 décembre 2006 devant le tribunal, la cour d'appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile ;

2°/ que la cour d'appel ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, tout moyen non repris dans celles-ci étant réputé abandonné ; que la société Recylex a déposé ses dernières conclusions devant la cour d'appel le 25 août 2008 ; qu'en se prononçant au visa des conclusions déposées par cette société le 14 février 2008, la cour d'appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile ;

Mais attendu que c'est par suite d'une erreur matérielle que la cour d'appel s'est référée, en ce qui concerne les liquidateurs, à leurs conclusions devant le tribunal et, s'agissant de la société Recylex, à ses premières conclusions d'appel ; que, sans se borner à un simple visa de ces conclusions, elle a exposé succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, lesquels n'ont pas fait l'objet de modification dans les dernières conclusions, et y a répondu ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les liquidateurs font ensuite grief à l'arrêt d'avoir dit que la société-mère n'avait pas dirigé en fait sa filiale, alors, selon le moyen :

1°/ que le dirigeant de fait est la personne qui exerce, directement ou par personne interposée, une activité positive et indépendante d'administration générale d'une personne morale sous le couvert ou aux lieu et place de ses représentants légaux ; qu'en excluant la qualité de dirigeant de fait de la société-mère Métaleurop SA, après avoir expressément constaté que les dirigeants de droit de la filiale Métaleurop Nord exerçaient leurs fonctions concernant la production, l'hygiène, la sécurité et l'environnement, les ressources humaines, à l'exception de la carrière des cadres, le contrôle de la gestion et la comptabilité sous la supervision des dirigeants et cadres supérieurs de la société-mère, ce dont il résulte que sous couvert des dirigeants de droit de la société Métaleurop Nord, c'est la société-mère qui, par l'intermédiaire de ses propres dirigeants et cadres, avait le véritable pouvoir de direction de la filiale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article L. 624-3 ancien du code de commerce, qu'elle a ainsi violé ;

2°/ qu'en statuant comme elle a fait, après avoir pourtant relevé que le responsable industriel du site devait demander une autorisation de la société-mère pour toute demande d'investissement supérieur à 100 k ¿ et que le contrôle portait sur la conformité de la dépense avec le programme d'investissement, ce dont il résulte que la société-mère dirigeait en fait la politique d'investissement de la filiale, la cour d'appel a violé l'article L. 624-3 ancien du code de commerce ;

3°/ qu'en énonçant que les « business units » permettent de développer des synergies entre entités d'un même groupe et de coordonner certaines unités et n'ont pas vocation à assurer elles-mêmes la direction et la gestion d'autres entités du groupe, de sorte que cette organisation est insuffisante à démontrer l'existence d'une direction de fait de la société-mère sur sa filiale Métaleurop Nord, après avoir pourtant expressément constaté que la mise en place des « business units » s'était traduite par l'organisation de la fonction de production au sein du groupe en deux lignes opérationnelles, l'une pour la ligne zinc, placée sous la direction de M. Christian K..., salarié de la SA Métaleurop, l'autre pour la ligne plomb, placée sous la direction de M. X..., salarié de Métaleurop GmbH (laquelle est elle-même une filiale à 100 % de la société Métaleurop SA), ce dont il résulte que c'est bien la société-mère qui, soit directement pour la ligne zinc, soit par l'intermédiaire d'une autre filiale pour la ligne plomb, avait pris en main la direction de la fonction de production de la société Métaleurop Nord, et que les pouvoirs simplement délégués à M. Y..., directeur d'établissement de Métaleurop Nord, étaient exercés pour le compte de la société-mère, qui assurait de fait la direction de sa filiale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article L. 624-3 ancien du code de commerce, qu'elle a ainsi violé ;

4°/ qu'en ne répondant pas aux conclusions des liquidateurs judiciaires de la filiale faisant valoir que les experts Z...et I...avaient constaté qu'à compter du 1er octobre 2000 les cadres de la société Métaleurop Nord s'étaient trouvés hiérarchiquement dépendants du directoire et des cadres de la direction de la société-mère Métaleurop SA, dont ils recevaient leurs instructions et auxquels ils rapportaient les résultats de leurs activités, que l'organisation en business units avait eu pour effet de rattacher la direction de l'établissement à M. L..., président du directoire de la société-mère, la direction technique et des achats à M. A..., président du conseil de surveillance de Métaleurop SA, et la direction financière à M. Del B..., de la société-mère Métaleurop SA, et que les constatations de l'expert contredisaient l'apparence créée par la lettre de délégation de pouvoirs donnée par M. C...à M. Y..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ qu'en statuant comme elle a fait, après avoir pourtant constaté que M. K..., président de la société Métaleurop Nord, et son groupe de travail avaient proposé le 9 juillet 2002, parmi les quatre scenarii possibles, l'option stratégique d'une orientation de la fonderie de zinc vers le recyclage, mais qu'en raison du désaccord de Métaleurop sur les propositions ainsi présentées par M. K..., ce dernier avait été révoqué, ce dont il résulte certes une autonomie dans la formulation de propositions, mais non dans la prise de décision, qui caractérise la direction d'une personne morale, la cour d'appel a violé l'article L. 624-3 ancien du code de commerce ;

6°/ qu'en excluant toute direction de fait par la société-mère, tout en constatant qu'après l'abandon des business units, le nouveau président de la filiale Métaleurop Nord, M. D..., s'est inscrit dans une démarche d'autonomie par rapport à la société-mère, le rapport Z...et I...indiquant à cet égard qu'il s'est fixé comme objectif de « construire une organisation autonome capable d'acheter et de vendre des produits marchands », ce dont il résulte que cette organisation autonome était inexistante auparavant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article L. 624-3 ancien du code de commerce ;

Mais attendu qu'après avoir retenu que la notion de groupe de sociétés impliquait des relations croisées entre ses membres, un contrôle d'ensemble, une unité de décision et une stratégie commune impulsée par la société-mère, l'arrêt relève d'abord que les fonctions ou services de production, hygiène, sécurité, environnement, ressources humaines, à la seule exception de la carrière des cadres, contrôle de gestion et comptabilité de la société Métaleurop Nord relevaient directement de la responsabilité du directeur technique de son site industriel de Noyelles-Godault, ce directeur agissant sous la supervision des dirigeants et cadres supérieurs de la société Métaleurop SA, cette simple supervision n'impliquant pas, contrairement à l'affirmation de la première branche, la direction de fait ; qu'il ajoute, concernant la politique d'investissement, que l'approbation par la société-mère des investissements d'un coût supérieur à un certain montant avait pour seul objet de contrôler la conformité de la dépense prévue avec le programme général d'investissement du groupe et le budget alloué, sans discussion de son opportunité ; qu'il retient encore que la mise en place, à partir du 1er octobre 2000, d'organisations opérationnelles transversales, dénommées « business units », l'une pour le zinc, l'autre pour le plomb, avait un objectif de coordination et de développement des synergies, sans vocation de direction, ces unités, autonomes par rapport à la holding, n'ayant eu ni pour but, ni pour effet de concentrer les pouvoirs entre les mains de celle-ci ou de se substituer aux structures d'organisation et de gestion propres de la société Métaleurop Nord, le pouvoir de direction y étant effectivement exercé, par voie de délégation de son président, entre le 1er octobre 2000 et le 1er juillet 2002, par un directeur assurant la responsabilité du personnel, du contrôle de gestion, de la comptabilité et arrêtant des choix stratégiques relatifs, notamment, à la politique d'approvisionnements ou commerciale ; que l'arrêt retient enfin que, si M. K..., devenu président de la société Métaleurop le 1er juillet 2002, a été révoqué le 1er octobre 2002, après avoir proposé, parmi d'autres options, une orientation de la fonderie de zinc vers le recyclage, le désaccord entre la société-mère et sa filiale sur cette proposition comme la décision consécutive de l'actionnaire de remplacer le président ne peuvent caractériser la direction de fait, sans que, par ailleurs, l'on puisse déduire, comme fait la sixième branche, du motif suivant lequel M. D..., nouveau président, se serait « également inscrit dans une démarche d'autonomie par rapport à la société-mère », l'existence antérieure d'une direction de fait par celle-ci ; que, par ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions évoquées par la quatrième branche, a légalement justifié la décision par laquelle elle a exclu la direction de fait de la société Métaleurop SA ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que les liquidateurs font encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que, par arrêts du 18 décembre 2009, la chambre sociale de la cour d'appel de Douai a jugé que la société Métaleurop SA avait la qualité de co-employeur des salariés de la société Métaleurop Nord, notamment parce qu'il existait une confusion de direction entre les deux sociétés, et a retenu ainsi l'existence d'une direction de fait de la filiale par la société-mère ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée par ces arrêts et a violé l'article 1351 du code civil ;

2°/ que, par arrêts du 28 septembre 2011, la chambre sociale de la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre les arrêts de la chambre sociale de la cour d'appel de Douai du 18 décembre2009 en ce qu'ils retenaient la qualité de co-employeur de la société-mère Métaleurop SA, désormais dénommée Recylex, à l'égard des salariés de la filiale Métaleurop Nord, en relevant « qu'ayant constaté qu'au-delà de la communauté d'intérêts et d'activités résultant de l'appartenance à un même groupe, qui se manifestait par la décision de restructuration de la filiale prise au niveau de la direction de la société-mère, par l'existence de dirigeants communs et par la tenue de la trésorerie de sa filiale par la société Métaleurop laquelle assurait également le recrutement des cadres de Métaleurop Nord et la gestion de leur carrière, la société-mère s'était directement chargée de négocier un moratoire à la place et pour le compte de sa filiale, que les cadres dirigeants de la Métaleurop Nord, recrutés par la société-mère, étaient placés sous la dépendance hiérarchique directe d'un dirigeant de cette dernière, à laquelle ils devaient rendre compte régulièrement de leur gestion, et que la société Métaleurop décidait unilatéralement de l'attribution de primes aux cadres de direction de sa filiale, la cour d'appel a pu en déduire qu'il existait une confusion d'intérêts, d'activités et de direction entre les deux sociétés, se manifestant notamment par une immixtion dans la gestion du personnel de la filiale et qu'en conséquence la société Métaleurop était co-employeur du personnel de sa filiale, sans qu'il soit nécessaire de constater l'existence d'un rapport de subordination individuel de chacun des salariés de la société Métaleurop Nord à l'égard de la société-mère » ; qu'en ne s'expliquant pas sur ces circonstances de nature à caractériser la qualité de dirigeant de fait de la société-mère à l'égard de sa filiale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 624-3 ancien du code de commerce ;

Mais attendu, d'une part, que le moyen tiré de la chose jugée ne peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation ;

Attendu, d'autre part, que la cour d'appel n'avait pas à s'expliquer sur les circonstances retenues par d'autres arrêts pour justifier la qualité de co-employeur des salariés de la filiale attribuée à la société-mère, qui n'étaient pas dans le débat devant elle ;

D'où il suit que le moyen est irrecevable en sa première branche et non fondé en sa seconde ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.