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Décisions

Cass. crim., 3 novembre 2011, n° 10-88.832

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Avocat :

Me Spinosi

Toulouse, du 16 nov. 2010

16 novembre 2010

Statuant sur le pourvoi formé par Mme Marie X..., épouse Y..., contre l'arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 16 novembre 2010, qui, pour banqueroute, l'a condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis, deux ans d'interdiction de gérer, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 388, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel a déclaré Mme X... coupable du délit de banqueroute par utilisation de moyens ruineux pour des faits commis depuis l'année 2002 jusqu'à l'année 2005 ;

"aux motifs que, après la mise en redressement judiciaire le 25 février 2004, de nouveaux contrats étaient signés avec des clients qui versaient des acomptes pour des travaux ; que la continuation de l'activité ne faisait qu'aggraver une situation déjà complètement obérée, puisque l'instruction répertoriait douze clients ayant versé avant cette date et depuis deux ans des acomptes sans avoir obtenu la réalisation des travaux, et que les acomptes versés par les nouveaux clients servaient à la réalisation des chantiers soit les plus anciens, soit dont les clients étaient les plus menaçants et au paiement des charges et salaires ; que de plus, il s'avérait que les négociations des contrats étaient faites à des conditions qui ne pouvaient pas être tenues, pour le prix (augmentation significative du prix de l'aluminium, matériau de base des fenêtres fabriquées par la société) et pour les délais (certains clients attendant depuis deux ans, les nouveaux clients ne pouvaient être satisfaits avant plusieurs années, ce qui ne leur était pas indiqué) ; que cependant, Mme X..., en toute connaissance de cause, continuait à faire fonctionner l'entreprise, et à payer en particulier le loyer des locaux de la société, dans un immeuble dont elle est propriétaire et à verser à M. Z... des sommes qui selon eux correspondraient à des salaires ; que ces sommes étaient prélevées sur le compte de l'entreprise et étaient versées en espèces par la prévenue, qui payait de la même façon certains fournisseurs et certaines charges ; qu'elle expliquait à l'audience avoir voulu préserver les intérêts des clients qui attendaient la réalisation des travaux sur leurs fenêtres, et elle rappelait comme elle l'avait fait pendant toute la procédure qu'elle avait mis dans l'entreprise une somme importante lui appartenant ; que cependant, les versements faits avec les espèces retirées du compte de l'entreprise ont été faits pour la plus grande part à elle-même et à M. Z..., ce qui correspond à son intérêt personnel et à celui de son principal salarié ; que Mme X... voulait maintenir l'entreprise parce que c'était son intérêt de retarder le plus possible la liquidation judiciaire ; qu'elle a pour cela utilisé les versements faits par les clients, non pas à des fins industrielles, mais pour elle et pour M. Z... ; que l'analyse de ce comportement permet de comprendre que depuis 2002, l'entreprise n'était plus viable, pour des raisons bien identifiées (départ de plusieurs salariés suivi d'une partie de la clientèle, et désorganisation dans la gestion des chantiers) et que Mme X... le savait parfaitement ; que dès cette période, toute sa gérance a eu comme seul objectif de maintenir la fiction d'une activité industrielle, pour continuer à prélever le plus possible d'argent, pour elle et pour M. Z..., et ceci le plus longtemps possible ; que l'utilisation de la procédure de redressement judiciaire, très tardive, a été faite dans le même but, récupérer des fonds, et l'intérêt de l'entreprise et des clients n'était que de façade ; que le versement des fonds propres à hauteur, selon elle de 92 000 euros, et selon l'enquête de 45 683 euros, était aussi un leurre, puisque dans le même temps, le total des sommes qu'elle versait à M. Z... s'élevait à 52 840 euros, sans compter les autres retraits et versements ; qu'en agissant ainsi, elle a chaque jour aggravé les déficits, augmenté le nombre de clients abusés, elle a lésé les organismes sociaux et les fournisseurs, faisant retomber sur les autres les conséquences de sa gestion, tout en ayant récupéré des sommes importantes, pour elle-même et pour M. Z... ; que Mme X... a une expérience de la gestion des entreprises, elle a su préserver ses intérêts personnels au détriment de ceux de sa société, et il est établi qu'elle a agi en toute connaissance de cause ; que le délit de banqueroute par utilisation de moyens ruineux est constitué ; qu'à l'analyse des éléments de la prévention, il convient de constater que les faits poursuivis pour les années 2004 et 2005, avaient en réalité commencé à être commis en 2002, et Mme X... sera déclarée coupable du délit de banqueroute par utilisation de moyens ruineux, faits commis depuis l'année 2002 jusqu'à l'année 2005 ;

"alors que, sans excéder leur saisine, les juges ne peuvent statuer que sur les faits expressément dénoncés par la prévention ; qu'en l'espèce, Mme X... a été renvoyé pour avoir « courant 2004 et 2005, étant gérante de la SARL KMS mise en redressement judiciaire le 25 février 2004, commis le délit de banqueroute en employant des moyens ruineux pour se procurer des fonds » ; qu'en jugeant qu'il convient de constater que les faits poursuivis pour les années 2004 et 2005 avaient en réalité commencé à être commis en 2002, et en déclarant la prévenue coupable du délit de banqueroute par utilisation de moyens ruineux depuis l'année 2002 jusqu'à l'année 2005, la cour d'appel a méconnu les limites de la prévention et de sa saisine" ; 

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1, 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 388, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel a déclaré Mme X... coupable du délit de banqueroute par utilisation de moyens ruineux pour des faits commis depuis l'année 2002 jusqu'à l'année 2005 ;

"aux motifs que la société a démarché des clients et aperçu des acomptes (parfois très importants), depuis 2002 et après le redressement judiciaire du 25 février 2004, et les travaux n'ont pas été effectués ; que ces faits ont été poursuivis sous la qualification d'abus de confiance ; que cependant, il a été démontré précédemment que dès l'année 2002, l'intention de la prévenue n'était pas de poursuivre l'activité de la société dans un but industriel, mais de retarder au maximum la liquidation de l'entreprise pour conserver aussi longtemps que possible les avantages financiers qu'elle-même et M. Z... en retiraient ; que la procédure de redressement judiciaire du 25 février 2004 n'était pour elle qu'un écran lui permettant de continuer à leurrer tous ses partenaires commerciaux, alors que la situation de la société était, et depuis longtemps, complètement obérée ; qu'ainsi, les faits qualifiés d'abus de confiance constituent en réalité des éléments constitutifs du délit de banqueroute frauduleuse visé à l'article L. 654-2 (1er) du code de commerce ;

"alors que, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée ; qu'en requalifiant, sur réquisitions du ministère public, le délit d'abus de confiance par détournement d'acomptes en banqueroute par emploi de moyens ruineux sans qu'il ne résulte d'aucune mention de l'arrêt attaqué que la prévenue ait été préalablement invitée à s'expliquer sur cette requalification et à se défendre sur la nouvelle qualification envisagée, la cour d'appel a méconnu le principe visé au moyen" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu les articles 388 et 512 du code de procédure pénale ;

Attendu que, s'il appartient au juge répressif de restituer aux faits dont il est saisi leur véritable qualification, c'est à la condition de n'y rien ajouter ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Mme X... a été renvoyée devant le tribunal correctionnel, des chefs d'abus de confiance et banqueroute par l'emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds et par détournement ou dissimulation de tout ou partie de l'actif de la société KMS aluminium dont elle était gérante ; que, pour dire que les faits reprochés à la prévenue sous la qualification d'abus de confiance au préjudice de clients de la société ayant versé des acomptes correspondaient en réalité à des éléments constitutifs du délit de banqueroute par utilisation de moyens ruineux, les juges prononcent par les motifs repris aux moyens ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que les éléments constitutifs du délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds sont différents de ceux de l'abus de confiance et que les faits requalifiés n'étaient pas compris dans la poursuite du chef de banqueroute, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Toulouse, en date du 16 novembre 2010, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.