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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 21 avril 2021, n° 20/00479

ROUEN

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wittrant

Conseillers :

Mme Poitou, M. Mellet

TGI Dieppe, du 26 août 2019

26 août 2019

Vu le jugement prononcé le 26 août 2019 par le tribunal de grande instance de Dieppe ayant dans l'affaire opposant monsieur Sébastien B. et madame Vanessa L., son épouse à monsieur Denis L. et madame Naëla D., son épouse, dans le cadre d'une action en indemnisation des préjudices subis en raison de vices affectant l'immeuble acquis :

- dit la demande régulière et recevable,

- débouté les époux B. de leurs prétentions,

- condamné in solidum les époux B. aux dépens comprenant ceux de l'instance en référé expertise et le coût de celle-ci ;

Vu l'appel interjeté le 21 janvier 2020 par monsieur Sébastien B. et madame Vanessa L., son épouse et leurs dernières conclusions notifiées le 12 novembre 2020 par lesquelles ils demandent à la cour, au visa des articles 1641 et suivants, 1792 et suivants, 1147 et 1382 du code civil, de :

- déclarer leur appel recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

À titre principal, sur le fondement de la garantie des vices cachés au visa de l'article 1641 du code civil,

À titre subsidiaire, sur le fondement du dol visé à l'ancien article 116 du code civil,

À titre infiniment subsidiaire, sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil,

- condamner solidairement monsieur Denis L. et madame Naëla D., son épouse, au paiement des sommes suivantes :

- 10 925 euros TTC au titre des travaux de reprise,

- 4 351,42 euros TTC au titre des travaux d'embellissement,

- 1 391,72 euros au titre des travaux de remise en peinture des façades extérieures,

- 2 000 euros au titre du préjudice moral,

- 100 euros par mois au titre du préjudice de jouissance de janvier 2015 à janvier 2021 soit une somme de 7 200 euros arrêtée au 1er janvier 2021,

- 100 euros par mois au titre du préjudice de jouissance à compter du 1er janvier 2021 jusqu'à la réalisation des travaux d'embellissement au titre du préjudice de jouissance,

- condamner in solidum monsieur Denis L. et madame Naëla D., son épouse au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens des procédures de référé expertise, d'expertise judiciaire, de procédure de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 9 décembre 2020 pour monsieur Denis L. et madame Naëla D., son épouse qui demandent à la cour, au visa des articles 1641 et suivants, 1116 ancien, 1792 et suivants du code civil, des articles 4, 5, 31, 564, 700 et 954 du code de procédure civile, de :

- déclarer irrecevables les prétentions visant à l'engagement de leur responsabilité au titre du dol et en leur qualité de constructeur,

- déclarer mal fondées l'ensemble des prétentions des appelants,

En conséquence,

- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes et confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- condamner solidairement les époux B. au règlement de la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement les époux B. aux dépens de l'instance ainsi que des précédentes, y compris les frais d'expertise ;

Par acte authentique du 9 janvier 2015, les époux L. ont vendu aux époux B. leur maison d'habitation sise à [...] moyennant un prix de 180 000 euros. Se plaignant d'un pourrissement du sol stratifié et du décollement des papiers peints posés en février 2015, les époux B. ont adressé aux époux L. une réclamation et une expertise amiable a été organisée entre les parties.

Par ordonnance du 19 janvier 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Dieppe a ordonné une expertise. Le professionnel désigné a déposé son rapport le 26 juillet 2017.

Le 27 juin 2018, les époux B. ont fait assigner les époux L. en réparation des préjudices allégués. Le tribunal de grande instance a écarté le bénéfice de la garantie des vices cachés à leur profit et les a donc déboutés de leurs prétentions à titre principal et accessoire. Les acquéreurs ont formé appel pour obtenir la réformation de la décision entreprise.

Ayant régularisé des conclusions après observations des intimés sur la formulation de demandes exprimées sous la forme de « dire et juger », monsieur Sébastien B. et madame Vanessa L., son épouse contestent le second moyen tiré de l'irrecevabilité de leurs demandes fondées sur le dol et le droit de la construction au motif que leurs prétentions seraient nouvelles en cause d'appel et devraient donc être écartées en application des articles 564 et 565 du code de procédure civile. Ils font valoir que le changement de fondement juridique n'emporte pas des demandes nouvelles au sens de ces textes.

Ils reprennent les conclusions de l'expert judiciaire qui a constaté la présence d'humidité dans la salle à manger/salon, dans l'entrée et dans la cuisine, qui a relevé que les murs dégradés étaient des murs porteurs sur rue, sur cour ainsi que le mur porteur central de l'entrée et le mur mitoyen du cabinet médical voisin et souligne que c'est l'épaisseur des murs porteurs qui est touchée. Ils ajoutent que l'expert expose que les travaux consisteront à traiter les remontées capillaires qui créent des problèmes d'humidité sur ces murs, propose des solutions et en évaluent le coût.

Ils rappellent que les vendeurs habitaient l'immeuble lors de la vente pour prétendre que ces derniers avaient connaissance de l'humidité affectant l'immeuble, ont minimisé le problème dont les acquéreurs n'ont pas pris conscience suivant l'expert ; que celui-ci a relevé que des travaux avaient été réalisés en avril 2008 après un incendie puis des travaux de peinture en novembre 2012, inadaptés en raison de l'humidité et n'ont fait que cacher les moisissures.

Ils demandent à titre principal la mise en oeuvre de la garantie des vices cachés, faisant valoir que l'humidité n'était pas apparente lors de la vente et ne pouvait l'être au regard de l'ampleur décrite, que l'immeuble est impropre à sa destination, que la connaissance du vice par les vendeurs permet d'écarter les effets de la clause d'exclusion des garanties mentionnée dans l'acte authentique. A titre subsidiaire, ils invoquent le dol au motif que les vendeurs leur auraient caché les travaux réalisés sur l'immeuble et les difficultés rencontrées lors des travaux de peinture réalisés en 2012.

A titre infiniment subsidiaire, ils se prévalent de la garantie des constructeurs en raison des travaux réalisés à la suite de l'incendie en 2008 et donc d'une responsabilité de plein droit des vendeurs soutenant que les désordres qui affectent les murs porteurs sont de nature décennale. Ils reprennent les différents préjudices subis.

Monsieur Denis L. et madame Naëla D., son épouse, soutiennent que les demandes formées sur le fondement du dol et la responsabilité du constructeur sont irrecevables comme constituant des demandes nouvelles. Ils contestent toute responsabilité face aux prétentions des acquéreurs pour demander la confirmation du jugement. Ils soutiennent que l'humidité de la maison était visible lors de la vente en raison des décollements des papiers peints, concernant un immeuble très ancien construit vers 1900, situé dans une région humide, qu'en outre, l'humidité constatée ne suffit pas à caractériser l'impropriété de l'immeuble à sa destination. Ils se prévalent de la clause d'exclusion de la garantie des vices cachés, leur mauvaise foi n'étant pas démontrée.

Ils ajoutent que les fondements relatifs au dol et à la responsabilité du constructeur sont inapplicables en l'espèce des manoeuvres ou réticences n'étant pas établies et les travaux effectués en 2008 étant sans lien avec la cause du litige.

Ils argumentent leur demande d'indemnité procédurale et sollicitent la condamnation aux dépens des époux B..

MOTIFS

Sur la garantie des vices cachés

Attendu que l'article 1641 du code civil dispose que « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. » ; que les articles suivants précisent que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même, qu'il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie ;

Attendu que l'expert mandaté par l'assureur des époux L., le cabinet M.-V. a, dans le rapport du 21 avril 2016, constaté de l'humidité dans le bas des murs de la maison et expliqué : « l'humidité constatée est consécutive à des remontées capillaires dans les murs de façades et de refend du bâtiment, ce dernier n'étant pas pourvu de barrière étanche anti-capillarité vu l'âge de la construction. L'origine de cette humidité n'est pas connue à ce jour et pourrait venir : d'un apport d'eau de ruissellement par la rue et la grille de ventilation de sous face de plancher, d'un apport d'eau suite à une fuite sur le réseau d'évacuation passant sous ou à proximité du bâtiment, une fuite d'eau chez le voisin. », des recherches complémentaires étant nécessaires ;

Attendu que l'expert amiable, le cabinet PB expertises relève des remontées par capillarité et précise le 27 septembre 2016 que ce phénomène n'a rien d'accidentel et est caractéristique de ce type de construction ancienne ;

Attendu que dans son rapport adressé le 26 juillet 2017, l'expert judiciaire relève de l'humidité dans les murs intérieurs de la maison, jusqu'à une hauteur d'un mètre ; que d'une part, cette humidité est perceptible sur les murs extérieurs, en façade de l'immeuble, affectés de salpêtre ; que d'autre part, elle présente un niveau de constance et de gravité certaines ; qu'en effet, l'expert l'explique par des remontées dont l'immeuble en raison de son ancienneté n'est pas protégé ; que la cause est dès lors de nature structurelle ; qu'il souligne que l'épaisseur des murs de 34 cm est atteinte ; que les photographies produites sont particulièrement explicites sur le niveau de moisissures développé, sur une hauteur de l'ordre de 30 cm en bas des murs, ne permettant à aucun revêtement (plinthes, peintures, papiers peints) de résister dans le temps ;

Attendu que si ces vices ne rendent pas impropre l'immeuble à sa destination, leur gravité et leur persistance en réduisent, en l'état, l'usage qu'il est acquis que les actuels propriétaires n'auraient pas acheté la maison dans les mêmes conditions de prix, ou n'en auraient pas fait l'acquisition ;

Attendu que lors des visites en vue de l'achat, les époux B. ont pu constater le décollement du papier peint et la présence d'un humidificateur ; qu'ils pouvaient avoir conscience d'une humidité conjoncturelle expliquée par les époux L. eux-mêmes qui indiquent qu'après une occupation permanente de l'immeuble, ils ne venaient dans cette maison que quelques mois par an ; que le défaut de chauffage du bien durant quelques temps dans une région humide peut justifier des manifestations sur les revêtements ; que cependant, les remontées par capillarité dégradant les murs porteurs, dans leur partie intérieure, sont une difficulté d'un autre ordre et justifient l'intervention d'une entreprise aux compétences confirmées pour supprimer, ou tout au moins réduire, les effets liés à une absence de protection de la maison, en partie basse, de l'humidité ; qu'il est inutile de rechercher dans les propos de l'expert sur la conscience qu'avaient ou non les acquéreurs de l'existence d'un vice des éléments de réponse en ce que de telles supputations ne relèvent pas de sa mission, aucun élément technique et objectif établi le jour de la vente n'étant produit ; qu'il convient de retenir que les acquéreurs ne pouvaient avoir conscience de l'ampleur des vices affectant l'immeuble ;

Attendu que les vices constatés et ignorés dans leur amplitude par les acquéreurs entrent dans le champ de la garantie des vices cachés prévues à l'article 1641 du code civil ;

Attendu que les vendeurs peuvent bénéficier de la clause d'exclusion de la garantie sauf s'ils avaient connaissance du vice lors de la vente ;

Attendu que les époux L. soutiennent n'avoir jamais constaté d'humidité dans leur immeuble, un seul humidificateur étant posé dans un placard servant de rangement pour les vêtements ; que cette position ne paraît pas crédible au regard des causes et conséquences de l'humidité contribuant à la dégradation des lieux ; qu'en effet s'agissant d'un défaut pérenne et grave, les époux L. ne pouvaient ignorer la nature et l'ampleur des difficultés ; qu'en 2008, à cause d'un incendie, et à la lecture des factures qu'ils produisent, des travaux importants de peinture, de pose de moquettes et de papiers peints ont été réalisés ; qu'ils ont nécessairement constatés une dégradation rapide de ces embellissements puisque lors de la vente de la maison, soit moins de dix ans après ces interventions non révélées aux acquéreurs, le papier peint se décollait déjà ; que l'analyse des pièces ne porte pas sur les causes de l'humidité liées alors au sinistre mais sur la connaissance de l'état évolutif de la maison après réfection totale des revêtements ; qu'ils ne pouvaient imputer uniquement au défaut d'occupation l'humidité régulière affectant les lieux ; qu'en effet, les remontées par capillarité existaient préalablement à la vente et n'ont pas pris naissance en 2015 ; que dès lors, ils ne peut être fait application de la clause d'exclusion de garantie, écartée en l'espèce ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes sur le fondement de l'article 1641 du code civil ;

Sur l'indemnisation des préjudices

Attendu que si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ;

Attendu que les prétentions des acquéreurs sont les suivantes :

- la somme de 10 925 euros au titre des travaux de reprise,

Ce montant correspondant au devis produit dans le cadre de l'expertise et validé par l'expert ; en l'absence de tout autre élément, cette somme est allouée,

- la somme de 4 351,42 euros au titre des travaux d'embellissement,

Ce montant est également sollicité sur la base d'un devis validé et sera retenu au titre de l'indemnisation,

- la somme de 1 391,72 euros au titre des travaux de remise en peinture des façades extérieures,

Il ressort du dossier que les peintures extérieures refaites en 2012 et donc très récentes lors de l'acquisition de l'immeuble ont été dégradées par l'humidité détectée ; la somme réclamée sera également retenue au titre de l'indemnisation,

- les sommes de 100 euros par mois au titre du préjudice de jouissance de janvier 2015 à janvier 2021 soit une somme de 7 200 euros arrêtée au 1er janvier 2021 et une somme de 100 euros par mois au titre du préjudice de jouissance à compter du 1er janvier 2021 jusqu'à la réalisation des travaux d'embellissement au titre du préjudice de jouissance,

L’humidité affecte l'ensemble du rez-de-chaussée de la maison et a compromis l'aménagement totalement libre des lieux, l'indemnité de jouissance à hauteur de 100 euros par mois est adaptée au préjudice subi ; la condamnation par le présent arrêt des vendeurs à indemniser les acquéreurs permet de liquider les droits des parties et donc de fixer une indemnité arrêtée au mois du prononcé de la condamnation, aucune partie ne devant être soumise à une exécution discrétionnaire de la décision,

L’indemnité de jouissance sera dès lors fixée non en janvier 2015, date de l'achat mais à compter de la constatation de l'humidité anormale des lieux sur pièces produites soit à compter de la première réclamation des époux B. en janvier 2016 jusqu'en avril 2021 soit 100 euros x 64 mois soit 6 400 euros, somme accordée au titre de l'indemnisation,

Soit un total de 23 068,14 euros au titre des préjudices matériels et de jouissance,

- la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral,

Les désagréments psychologiques supportés par les acquéreurs dans leur cadre de vie le temps de la procédure justifient que soient réparés le préjudice moral à hauteur de la somme de 1 000 euros ;

Sur les demandes accessoires

Attendu que les époux L. succombent à l'instance et en supporteront les dépens en ce compris les frais de référé et d'expertise ;

Attendu que l'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation des époux L. à payer aux époux B. une somme de 8 000 euros pour les frais non compris dans les dépens ;

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Condamne solidairement monsieur Denis L. et madame Naëla D., son épouse, à payer à monsieur Sébastien B. et madame Vanessa L., son épouse, sur le fondement de la garantie des vices cachés, les sommes suivantes :

- celle de 23 068,14 euros au titre des préjudices matériels et de jouissance,

- celle de 1 000 euros au titre du préjudice moral,

- celle de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties pour le surplus des demandes,

Condamne solidairement monsieur Denis L. et madame Naëla D., son épouse aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de référé et d'expertise judiciaire.