Cass. com., 23 octobre 2019, n° 18-15.475
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Avocats :
CP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Spinosi et Sureau
Attendu, selon les arrêts attaqués, que sur assignation de trois de ses salariés, la société Entreprise 3 D a été mise en liquidation judiciaire le 3 février 2017 ; que la société de droit allemand German Development Properties GmbH (la société GDP), associée unique de la société Entreprise 3 D, a interjeté appel du jugement en se prévalant de la dissolution de cette dernière, pour cause de transmission universelle de son patrimoine à son profit en application de l'article 1844-5 du code civil ; que les salariés ont soulevé en cause d'appel la nullité de l'opération et, subsidiairement, son inopposabilité à leur égard ; que, par le premier arrêt attaqué, la cour d'appel a déclaré recevable la demande des salariés et ordonné la réouverture des débats ; que, par le second, elle s'est déclarée d'office incompétente pour se prononcer sur la validité de l'opération de transmission universelle du patrimoine et a confirmé l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société GDP fait grief à l'arrêt du 21 septembre 2017 de déclarer recevable la demande d'ouverture de la procédure collective alors, selon le moyen, que la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire présentée par un créancier est à peine d'irrecevabilité, qui doit être relevée d'office, exclusive de toute autre demande, à l'exception d'une demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire formée à titre subsidiaire ; qu'il en résulte que toute demande autre qu'une demande subsidiaire d'ouverture de redressement judiciaire, formée à quelque stade que ce soit de l'instance et y compris en appel, rend irrecevable la demande d'ouverture d'une liquidation judiciaire ; qu'en décidant en l'espèce que la demande d'ouverture d'une liquidation judiciaire dont elle était saisie était recevable, cependant qu'il résultait de ses propres constatations – selon lesquelles les créanciers avaient, en cause d'appel, outre l'ouverture d'une liquidation judiciaire à l'encontre de la société Entreprise 3 D, sollicité l'annulation de la transmission universelle de patrimoine intervenue au profit de la société German Development Properties et, subsidiairement, le paiement par la société absorbante de leurs créances sur la société Entreprise 3 D – que la demande d'ouverture d'une liquidation judiciaire était irrecevable, la cour d'appel a violé l'article R. 640-1 du code de commerce ;
Mais attendu que si, par application de l'article R. 640-1, alinéa 2, du code de commerce, la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire est, à peine d'irrecevabilité, exclusive de toute autre demande, le fait qu'en l'espèce les salariés, après avoir formé devant le tribunal une demande de liquidation judiciaire, aient, en cause d'appel et pour s'opposer aux objections de l'associée unique de la société débitrice, invoquant la transmission universelle du patrimoine de celle-ci à une autre société, demandé reconventionnellement l'annulation, à titre principal, de cette transmission, ou le paiement, à titre subsidiaire, par la société absorbante, de leurs créances, n'était pas de nature à rendre irrecevable leur demande initiale, la cour d'appel devant seulement déclarer irrecevables ces nouvelles demandes ; que le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société GDP fait grief à l'arrêt du 3 avril 2018 de confirmer la liquidation judiciaire prononcée par le jugement alors, selon le moyen :
1°) qu'en l'état du lien de dépendance nécessaire unissant les dispositions de l'arrêt au fond rendu le 3 avril 2018 à la disposition de l'arrêt partiellement avant dire droit rendu le 21 septembre 2017 disant recevable la demande de MM. F..., U... et G... , la cassation de l'arrêt rendu le 21 septembre 2017, à intervenir sur le premier moyen du présent pourvoi, emportera annulation par voie de conséquence des dispositions de l'arrêt rendu le 3 avril 2018 attaquées par le présent moyen du même pourvoi, en application des articles 624 et 625 du code de procédure civile ;
2°) qu'une procédure collective ne peut être ouverte à l'encontre d'une société dont la transmission universelle du patrimoine a été réalisée et dont la personnalité morale a disparu à l'expiration du délai d'opposition prévu à l'article 1844-5 du code civil ; qu'en ouvrant une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Entreprise 3 D cependant qu'elle constatait que la dissolution de celle-ci avait été publiée dans un journal d'annonces légales le 1er juin 2016, et qu'en l'absence d'opposition des créanciers dans un délai d'un mois, aucune procédure collective ne pouvait plus, passé l'expiration de ce délai, être ouverte à son encontre, la cour d'appel a violé l'article 1844-5 du code civil, ensemble l'article L. 640-1 du code de commerce ;
3°) qu'en retenant que la fusion absorption ayant été déclarée inopposable aux tiers, elle était en mesure de prononcer l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Entreprise 3 D, cependant que son arrêt avant-dire droit rendu le 21 septembre 2017, n'avait examiné l'opposabilité de la transmission universelle de patrimoine que pour statuer sur la recevabilité des demandes, sans la déclarer inopposable aux tiers, la cour d'appel a méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;
4°) qu'en dépit de l'absence d'inscription au registre du commerce et des sociétés, sont opposables aux tiers les faits et actes sujets à mention dont ils ont eu personnellement connaissance ; qu'en retenant que la transmission universelle de patrimoine était inopposable aux créanciers, faute d'avoir été publiée au registre du commerce et des sociétés, pour en déduire qu'il lui était possible d'ouvrir à l'encontre du débiteur une procédure de liquidation judiciaire, cependant que les tiers avaient eu connaissance personnelle de ces faits dans la présente instance, la cour d'appel a violé l'article L. 123-9 du code de commerce ensemble l'article L. 640-1 du même code ;
5°) que les conditions d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire doivent être appréciées à la date à laquelle le juge statue ; que, par son arrêt avant-dire droit, la cour d'appel avait relevé que la transmission universelle de patrimoine de la société Entreprise 3 D n'était pas opposable aux tiers, dès lors qu'elle n'avait pas, au 6 février 2017, été publiée au registre du commerce et des sociétés ; qu'en se fondant, pour se prononcer sur l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Entreprise 3 D, sur la circonstance que la transmission universelle du patrimoine du débiteur avait été déclarée inopposable aux tiers, par référence aux formalités de publicité accomplies à une date antérieure à celle à laquelle elle statuait, la cour d'appel a violé l'article L. 640-1 du code du commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que le rejet du premier moyen rend sans portée le grief de la première branche ;
Et attendu, en second lieu, qu'en application de l'article L. 237-2, alinéa 3, du code de commerce, la dissolution d'une société ne produit ses effets à l'égard des tiers qu'à compter de la date à laquelle elle est publiée au registre du commerce et des sociétés ; qu'il en résulte que la disparition de sa personnalité juridique n'est opposable aux tiers qu'à cette date, peu important qu'ils en aient eu personnellement connaissance avant l'accomplissement de cette formalité ; qu'ayant relevé, par l'arrêt du 21 septembre 2017, que la transmission universelle du patrimoine de la société Entreprise 3 D n'avait pas fait l'objet d'une inscription au registre du commerce et des sociétés, sans qu'il soit soutenu que la formalité avait été régularisée avant qu'elle statue, la cour d'appel en a exactement déduit, sans dénaturation, que la dissolution était inopposable aux salariés ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu qu'après avoir relevé qu'à la date du 16 septembre 2016, la société 3 D était dans l'incapacité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, l'arrêt confirme le jugement qui a fixé la date de cessation des paiements au 16 juin 2016 ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite entre les motifs et le dispositif de sa décision, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi, en ce qu'il est formé contre l'arrêt du 21 septembre 2017 ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il fixe la date de cessation des paiements au 16 juin 2016, l'arrêt rendu le 3 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.