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Décisions

Cass. crim., 20 octobre 2004, n° 03-85.238

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Roger

Avocat général :

M. Davenas

Avocats :

SCP Gatineau, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Piwnica et Molinié

Saint-Denis de la Réunion, du 26 juin 20…

26 juin 2003

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Jean,

contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION, chambre correctionnelle, en date du 26 juin 2003, qui, pour banqueroute et complicité d'émission de chèques malgré interdiction, l'a condamné à 18 mois d'emprisonnement avec sursis, 8 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 65-3, 66 et 68 du décret-loi du 30 octobre 1935, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean X... coupable de complicité d'émission de chèques sans provision et l'a condamné à diverses peines civiles et pénales ; 

"aux motifs propres que la responsabilité pénale de Jean X... a été justement retenue pour complicité comme donneur d'ordre de l'émission des chèques et doit l'être pour détournement d'actif comme gérant de fait de la société Love Auto ; qu'en effet, par de justes motifs, le tribunal a considéré que Jean X... dirigeait en fait la société Love Auto (témoignages Y..., Z... ...), qu'il représentait à l'extérieur (auditions MM. A..., J.F. B..., C..., D...) et supervisait (MM. E... et F... exerçant dans sa menuiserie SMCR) ;

"et aux motifs adoptés que, il est imputé à Jean X... d'avoir été l'inspirateur et le gérant de fait de la société Love Auto, et c'est en cette qualité de gérant de fait que lui sont reprochées les infractions pour lesquelles il est poursuivi ; que le dirigeant de fait d'une société est celui qui exerce, en toute indépendance, une activité positive de direction et de gestion de celle-ci ; qu'en l'espèce Z..., gérant de droit de la société depuis juin 1999, et ayant exercé dès avril 1998 une activité de vendeur au sein de la société, a expliqué pendant l'enquête et à l'audience que c'était Jean X... qui, en fait dirigeait la société, lui-même ne faisant qu'exécuter ses ordres ; qu'ainsi, pour les achats chez les concessionnaires, Jean X... lui disait ce qu'il fallait prendre ; que s'il faisait lui-même les chèques, ce n'était qu'après l'accord de Jean X... ; que, d'ailleurs, il arrivait chez les concessionnaires avec un chèque détaché du carnet et une copie de celui-ci, où il mentionnait le montant du chèque qu'il faisait, pour pouvoir renseigner Jean X..., que les décisions concernant la gestion courante de la SARL étaient également prises par Jean X..., qui se trouvait dans les locaux de la SCMR, jouxtant le parc de Love Auto, et à qui il était donc facile d'aller rendre compte, pour les embauches, les ventes etc ... ; que c'est ainsi Jean X... qui lui avait demandé de faire les nombreuses transactions entre les sociétés Love Auto et Solde Auto, autre société d'achat et de vente de véhicules d'occasion, créée à l'initiative de Jean X... en juillet 1999 ; que si MM. E... et F... n'ont pas en ce qui les concerne, présenté Jean X... comme dirigeant de fait de la société, il apparaît néanmoins qu'un certain nombre de personnes, qui ont été en relation d'affaires avec la société, ont confirmé que Jean X... en était le véritable dirigeant ; - M. D..., vendeur chez Foucques, qui a vendu plusieurs lots à Love Auto, a indiqué pendant l'enquête et à l'audience que, pour lui, Jean X... était le dirigeant de Love Auto ; que la première commande avait été faite par celui-ci et Z... ; que, par la suite, lorsqu'il y avait un problème, il appelait Jean X... pour le faire intervenir ; que, lorsqu'il y avait eu des problèmes de paiement, il avait d'ailleurs contacté celui-ci ; Jean-François B..., chef des ventes à la société Foucques, indiquait que lorsqu'il avait eu des problèmes de paiement avec Love Auto, c'est à Jean X... qu'il avait eu à faire ; que celui-ci était venu se rendre compte de la situation et avait promis de "boucher le trou", disant à Z... de faire le nécessaire ; que M. G..., vendeur chez Love Auto, puis gérant de Solde Auto, expliquait aux enquêteurs que c'était Jean X... qui supervisait Love Auto ; qu'il faisait une réunion tous les matins, lors de laquelle il donnait les ordres ; qu'il disait notamment à Z... ce qu'il devait vendre et acheter et avoir sur le parc ; que, d'ailleurs, c'était Jean X... qui lui avait ensuite proposé de prendre la gérance de Solde Auto ; que ces déclarations confirment et corroborent celles de Z... et l'ensemble de ces éléments démontrent que Jean X... était bien le dirigeant de fait de Love Auto, en exerçant la direction en toute indépendance ;

"1 ) alors que le délit d'émission de chèques au mépris d'une injonction bancaire de ne plus émettre de chèques implique que le prévenu ait eu effectivement connaissance de cette injonction ; que la cour d'appel, a affirmé, de manière péremptoire, que, Jean X... "n'avait pu ignorer que la société Love Auto faisait l'objet d'une injonction de ne plus émettre de chèques" quand celui-ci, à supposer qu'il ait été le gérant de fait de la société, n'avait pas été le destinataire de l'injonction bancaire qui n'est adressée qu'aux mandataires de la société ; qu'en retenant sa complicité, par instructions, des infractions d'émission de chèques au mépris de l'injonction adressée, sans indiquer ce qui lui permettait d'affirmer qu'il avait effectivement eu connaissance de l'injonction de ne plus émettre de chèques en date du 5 octobre 1999, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions du décret-loi du 30 octobre 1935 ;

"2 ) alors que le dirigeant de fait est celui qui dirige et contrôle effectivement la société aux lieu et place du dirigeant du droit ; qu'en l'espèce, les juges du fond n'ont caractérisé aucun acte de gestion du prévenu, ni aucun acte manifestant son contrôle sur les salariés ou les gérants de droit, ses interventions au profit de la société Love Auto pouvant parfaitement s'expliquer par sa qualité de bailleur du terrain sur lequel est installée la société Love Auto ; qu'en s'abstenant d'établir les pouvoirs de direction et de contrôle dont auraient disposé Jean X... au sein de la société Love Auto, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions du décret-loi du 30 octobre 1935" ;

Attendu qu'en l'état des motifs repris au moyen, l'arrêt attaqué a caractérisé tant la qualité de gérant de fait de la société Love Auto reconnue à Jean X... que le délit de complicité d'émission de chèques malgré interdiction dont elle l'a déclaré coupable ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1134, 1583 du code civil, L. 626-2-2 du Code de commerce, 121-3 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean X... coupable de détournement d'actif et l'a condamné à diverses peines civiles et pénales ;

"aux motifs que, pour écarter le détournement d'actif constitutif de banqueroute reproché aux prévenus Johnny Z... et Jean X..., le tribunal, après avoir constaté des cessions à bas prix de véhicules à la société Solde Auto, s'est fondé sur l'absence de fiabilité des comptabilités des deux sociétés, et de preuve que les véhicules, objet d'une clause de réserve de propriété des concessionnaires aient intégré l'actif de la société Love Auto ; que, cependant, d'une part, sur le premier point les véhicules acquis avec réserve ont intégré l'actif de la société à la date de la livraison, d'autre part les éléments de l'enquête repris d'ailleurs au jugement démontrent que soixante et onze voitures ont été cédées au dessous de leur valeur par Love Auto à Solde Auto, ce seul fait constituant un détournement frauduleux ;

"et aux motifs que la responsabilité pénale de Jean X... a été justement retenue pour complicité comme donneur d'ordre de l'émission des chèques et doit l'être pour détournement d'actif comme gérant de fait de la société Love Auto ; qu'en effet, par de juste motifs, le tribunal a considéré que Jean X... dirigeait en fait la société Love Auto (témoignages Y..., Z... ... ), qu'il représentait à l'extérieur (auditions MM. A..., JF B..., C..., D...) et supervisait (MM. E... et F... exerçant dans sa menuiserie SMCR) ; qu'il est constant que Jean X... a réellement opéré par l'intermédiaire de Johnny Z... les détournements frauduleux pour éviter la saisie des véhicules objet de chèques impayés ;

"1 ) alors que l'existence d'une clause de réserve de propriété diffère le transfert de propriété jusqu'au paiement intégral du prix du bien vendu ; qu'en affirmant que les véhicules acquis avec réserves de propriété ont intégré l'actif de la société à la date de la livraison, de sorte qu'en cédant les véhicules au dessous de leur valeur à la société Solde Auto, la société Love Auto aurait commis un détournement frauduleux, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen ;

"2 ) alors que l'infraction de banqueroute par détournement ou dissimulation d'actif est une infraction intentionnelle ; que la mauvaise foi du prévenu doit donc être établie ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré le prévenu coupable de banqueroute par détournement d'actif en considérant que le seul fait que soixante et onze véhicules aient été cédés en dessous de leur valeur, constituait un détournement frauduleux ; qu'en le déclarant coupable de banqueroute sans rechercher si, en agissant ainsi, le prévenu avait eu la volonté de porter atteinte aux droits des créanciers, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L.626-2-3 du Code de commerce ;

"3 ) alors que le dirigeant de fait est celui qui dirige et contrôle effectivement la société aux lieu et place du dirigeant du droit ; qu'en l'espèce, les juges du fond n'ont caractérisé aucun acte de gestion du prévenu, ni aucun acte manifestant son contrôle sur les salariés ou les gérants de droit, ses interventions au profit de la société Love Auto pouvant parfaitement s'expliquer par sa qualité de bailleur ; qu'en s'abstenant d'établir les pouvoirs de direction et de contrôle dont auraient disposé Jean X... au sein de la société Love Auto, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 626-2-2 du Code de commerce" ;

Attendu que, pour déclarer Jean X... coupable de banqueroute pour avoir cédé à un prix inférieur au prix d'acquisition soixante et onze véhicules automobiles précédemment achetés avec une clause de réserve de propriété au profit du vendeur, l'arrêt énonce que les véhicules acquis avec réserve ont intégré l'actif de la société à la date de leur livraison ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que, selon l'article 3 de la loi du 12 mai 1980, les biens incriminés doivent figurer sur une ligne distincte à l'actif du bilan de l'acquéreur et font donc partie du patrimoine social, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.